Sous un soleil implacable et même la nuit, les habitants du quartier Mbudi regardent avec curiosité les engins de chantier transformer leur route en un ruban gris lisse et brillant. Fini les nids-de-poule, la poussière et la boue qui paralysaient la circulation pendant la saison des pluies dans cette commune de Mont-Ngafula, dans l’Ouest de la ville de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis plusieurs mois, la ville est en plein chantier : les routes secondaires sont bétonnées à un rythme inédit dans plusieurs municipalités. Ce type de chaussées suscite à la fois un espoir et certaines inquiétudes.
Dimanche 13 juillet 2025, le ministre des Finances a fait une communication sur les réseaux sociaux. « Kinshasa va renaître sous l’impulsion de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République », a annoncé Doudou Fwamba, avant d’énumérer une série de routes secondaires dont les travaux de bétonnage sont déjà financés « entièrement » par le gouvernement central. Lancé fin 2023, le programme de réhabilitation des voiries secondaires ambitionne de couvrir plus de 200 kilomètres de routes dans les 24 communes de Kinshasa. L’objectif affiché est clair : désenclaver les quartiers populaires, fluidifier la circulation et améliorer les conditions de vie des habitants.
« Sur les deux problématiques majeures de la ville de Kinshasa, à savoir, la voirie et la gestion des déchets, le gouvernement central prend en charge de manière intégrale la modernisation de la voirie urbaine. Sous la coordination de Madame la Première ministre, le gouvernement de la République modernise la ville de Kinshasa en finançant tous les projets des voiries en cours via le ministère des Finances et ce, dans le but à la fois d’améliorer la mobilité urbaine et créer les conditions d’une croissance économique endogène et durable », a expliqué le ministre des Finances.
La plupart des routes en reconstruction se font en béton. Ce type de route appelé « chaussée rigide » a une espérance de vie plus longue, contrairement aux chaussées souples en bitume. Celles-ci ne résistent pas aux eaux de pluie ou au bouchage des voies d’assainissement. Ce qui cause les nids-de-poule de manière récurrente. « Le choix du béton s’est imposé à nous », explique un ingénieur en chef à l’Office des Voiries et Drainage (OVD). « Il est plus durable, résistant aux fortes pluies et demande moins d’entretien que l’asphalte. » Selon les autorités, une route en béton bien réalisée peut durer jusqu’à 30 ans, contre 10 à 15 pour une route bitumée.
Mais à Kinshasa, les habitants – désabusés – assistent à une dégradation des routes tous les six mois. En janvier, une société tenue par des techniciens indiens a réhabilité le tronçon entre l’hôtel Diplomate et Assanef, dans la jonction entre l’avenue de Libération (ex-24 Novembre) et Prince de Liège. Mais 6 mois après les travaux, les nids-de-poule réapparaissent notamment devant l’école Jewels International, non loin de la concession « GB », dans la commune de Kintambo.
Bétonnage des routes, un soulagement pour les quartiers oubliés
Dans les quartiers comme Ngaba, Matete ou Kimbanseke, l’impact est déjà visible. Les motards et les taximen saluent l’amélioration de la mobilité. « Avant, on mettait une heure pour faire 3 km, à cause de la boue et des embouteillages. Aujourd’hui, c’est dix minutes », témoigne Dieudonné, conducteur de moto-taxi à Lemba. Dans cette commune, le ministre des Finances a cité plusieurs routes secondaires concernées par la réhabilitation. L’avenue Sefu de la 1ère entrée FIKIN-SUPER Lemba-Terminus-By Pass et le tronçon de la station Salongo jusqu’à l’Échangeur de Limete. Il y a aussi des travaux au Triangle de l’UNIKIN (Université de Kinshasa), ainsi que tous les points chauds de la ville sur le boulevard Lumumba et l’avenue de Libération.
Des travaux sont aussi observés entre le Boulevard Triomphal et Sayo, l’avenue Victoire allant de Sayo au Rond-point Victoire jusqu’à l’école de navigation à Kalamu, avenue Gambela, avenue Irebu, de Yolo à Elengesa, avenue Kitona, Lukengo, de Bangala à Kasa-Vubu, Bangala, avenue Kasa-Vubu partant du pont Makelele jusqu’à Kintambo-Magasin. Ces travaux sont réalisés pour la plupart en béton mais aussi en asphalte. Les commerçants aussi profitent de cette transformation. « Les clients viennent plus facilement maintenant. La route n’est plus un obstacle », confie Esther Matondo, vendeuse de vivres à un marché de Yolo. Seul bémol, l’avenue de l’Université est restée toujours sans travaux de réfection dans son tronçon compris entre Yolo nord et Yolo sud mais aussi entre Ngaba et Makala.
Des inquiétudes sur la qualité
Mais derrière cet enthousiasme, certaines voix s’élèvent pour dénoncer les failles du projet. La société civile critique le manque de transparence dans l’attribution des marchés publics. « Il n’y a pas eu d’appel d’offres public pour certains chantiers. Cela laisse la porte ouverte aux détournements », déplore un membre de la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICCO). D’autres s’inquiètent de la qualité des travaux. Sur l’avenue du Tourisme (Nzela ya mayi), le béton commence déjà à se fissurer sur un des panneaux près des sites de tourisme le long du fleuve Congo. « On a utilisé du ciment de mauvaise qualité pour cette portion-là », explique un technicien employé par une entreprise chinoise qui a pris le relai du génie militaire.
Un chantier aux multiples défis
Le bétonnage à grande échelle pose aussi des défis en matière de planification urbaine. Beaucoup de routes sont refaites sans prise en compte des réseaux d’évacuation d’eau, aggravant les risques d’inondation. « On bétonne, mais on ne pense pas à l’assainissement. Le jour où il pleuvra fort, on verra les limites de ce système », avertit un urbaniste. Malgré tout, la population garde espoir. Dans une ville en proie à une croissance chaotique, où les infrastructures n’ont pas suivi la poussée démographique, chaque mètre carré de route bétonnée est perçu comme une petite victoire contre l’abandon. Dans le quartier Mbudi, à Mont-Ngafula, sur un tronçon partant de l’arrêt Terminus jusqu’à l’arrêt « 6 Portes », les travaux ont pris en compte l’assainissement des voies d’évacuation. « Nous posons notre couche de béton en pente, de manière à drainer les eaux de pluie vers le caniveau situé à droite de la chaussée. Ce caniveau a été aussi curé par nos ouvriers », explique un ingénieur de la société engagée pour ces travaux.
Dans la commune de la Gombe, des routes secondaires sont aussi reconstruites en béton. Maintenant, il faut que l’assainissement suive. La politique des déchets incombe à l’Hôtel de ville. Sur ce point, le ministre des Finances appelle à un contrôle citoyen. « Malgré le choc sécuritaire lié à la situation d’agression de notre pays, le gouvernement central fait sa part, il appartient aux autorités provinciales d’assurer le suivi des travaux et veiller à l’assainissement de la ville. A notre peuple, un appel à un contrôle citoyen et à la protection de ces ouvrages est lancé », a-t-il déclaré.
Heshima