Depuis plusieurs années, la question du fédéralisme revient régulièrement dans le débat public en République démocratique du Congo (RDC), malgré l’adoption en 2006 d’une constitution hybride, ménageant le fédéralisme et l’unitarisme. Perçu par certains comme une réponse à la mauvaise gouvernance et au centralisme excessif de Kinshasa, le fédéralisme est présenté comme une opportunité de mieux répartir les ressources, responsabiliser les provinces et favoriser le développement local. Mais derrière ce discours séduisant, des risques majeurs se dessinent pour la stabilité et l’unité du pays. Dans une thèse de doctorat soutenue le 1er juillet 2025, en France, le Congolais Isaac Kaningu Muzigwa, chargé d’enseignement et de recherche à Sciences po Strasbourg, a planché sur la valeur juridique des libertés locales (dont certaines sont fondamentales) au regard de l’expérience française. C’est-à-dire, comment le droit pouvait prendre en compte des réalités qui vont au-delà du champ juridique dans l’administration du territoire. La première partie explore la piste des libertés locales au prisme de la libre administration, alors que la seconde partie étudie la piste des libertés locales sous l’angle autonomique. Heshima Magazine propose le résumé de ce travail de recherche défendu devant un jury composé d’éminents professeurs congolais et français.
Ma thèse de doctorat porte sur les libertés locales en République démocratique du Congo au regard de l’expérience française. Il s’agit d’un travail soutenu en droit public à l’Université de Toulon avec un jury composé de M. Boyer Alain, maître de conférences-HDR à l’Université de Toulon, Directeur de recherche ; Mme Baudrez Maryse, professeure émérite à l’Université de Toulon, présidente du jury ; M. Kaluba Dibwa Dieudonné, professeur ordinaire à l’Université de Kinshasa, ancien président de la Cour constitutionnelle de la RDC, examinateur lors de cette soutenance ; M. Mboko Dj’andima Jean-Marie, professeur ordinaire à l’Université de Kinshasa, rapporteur, ainsi que Mme Verdier Marie-France, maître de conférences-HDR à l’Université de Bordeaux, rapporteure.
Résumé de la thèse
En effet, la France et la République démocratique du Congo ont en commun des principes similaires inscrits aux premiers articles de leurs Constitutions. Il s’agit notamment des principes d’unité et d’indivisibilité de la République. La forme décentralisée de l’État français et le régionalisme constitutionnel adopté dans la Constitution congolaise du 18 février 2006 ont toutefois posé le problème de l’existence ou de la reconnaissance des « libertés locales » dans les deux pays.
Dans le système congolais, penser les libertés locales peut paraître d’emblée illusoire en raison non seulement d’une forte tradition unitariste, mais également à cause d’une présence discrète mais déterminante de la coutume qui complexifie parfois le modèle d’exercice du pouvoir en dehors du centre. Mais également de la multitude des identités qui est souvent meurtrière dans ce pays. En France, le caractère unitaire de l’État et l’enracinement du principe révolutionnaire d’indivisibilité ont longtemps rendu difficile une gouvernance qui parte du bas vers le haut, c’est-à-dire du local au centre.
Les formes d’État adoptées dans les deux systèmes juridiques postulent la reconnaissance aux collectivités locales des libertés nécessaires à leur libre administration. La présente recherche propose d’étudier la question de ces libertés en République démocratique du Congo au prisme de l’expérience française. Tenant compte des principes communs d’unité et d’indivisibilité de la République, il est question d’étudier, dans une perspective comparatiste, les rapports entre l’État et l’échelon local dans la mise en œuvre des libertés propres aux collectivités.
Problématique de recherche
De surcroît, notre problématique portait sur la valeur juridique des libertés locales (dont certaines sont fondamentales) au regard de l’expérience française. Autrement dit : comment le droit pouvait prendre en compte des réalités qui allaient au-delà du champ juridique dans l’administration du territoire ? C’est ainsi que notre première partie explore la piste des libertés locales au prisme de la libre administration. Dans cette seconde partie, intitulée des libertés locales dans une approche autonomique.
Conclusions et perspectives
La solution ne se trouve pas dans le fédéralisme au Congo-Kinshasa pour mieux saisir les libertés locales. En effet, dans ce pays, l’unité reste une coquille vide à cause des identités meurtrières. Les apports de la thèse pour le Congo-Kinshasa seraient : De renforcer les libertés locales en faisant des multiples identités qu’il y a dans ce pays des particularités positives dont le constituant parle tout en se détachant de l’ethno gouvernabilité hérité de la colonisation. Démarche qui peut construire une mémoire commune.
Décrire de nouveaux rapports entre le pouvoir central et les provinces au Congo-Kinshasa, en identifiant les entités infra-étatiques comme étant des entités majeures et non plus des entités mineures, notamment grâce à l’appropriation de l’autonomie locale. Réinventer la notion de proximité, à travers le quartier en milieu urbain et les villages et groupements en milieu rural.
Donnez la possibilité à la commune de devenir un modèle universel de démocratie locale au Congo Kinshasa, un peu comme avec la commune française. Intégrer les chefs coutumiers dans une praxis démocratique pour l’épanouissement de cette solution hybride. Détacher les libertés locales de leur carcan tribal en identifiant tant les causes endogènes qu’exogènes.
Permettre au juge administratif congolais de se faire accepter dans les habitudes des administrés congolais. De cette action, il pourra jouer un rôle clé dans l’appréhension non pas de la coutume mais des coutumes. Inspirer le juge constitutionnel dans la thèse des protections des droits fondamentaux des entités infra-étatiques face à un État centralisateur notamment avec l’idée de la QPC venu de la France et donc la question préjudicielle au Congo-Kinshasa.
Permettre au pouvoir central de marquer son retour sur l’ensemble du territoire national sans remettre en question ce régionalisme politique, cela ne pourra être possible que par sa capacité à s’approprier les principes d’unité et d’indivisibilité sans l’instrumentaliser. Renforcer l’autonomie financière et fiscale des provinces grâce au principe d’égalité au niveau de la péréquation [caisse nationale de péréquation] mais aussi une meilleure maîtrise de la base fiscale au niveau provincial.
Isaac Kaningu Muzigwa, Docteur en droit public