Au‑delà de ses palmeraies et de ses vastes champs de manioc, le Kongo Central cache des richesses souterraines que peu de Congolais imaginent encore. Longtemps considérée comme un territoire essentiellement agricole et portuaire, cette province stratégique recèle aussi un potentiel minier discret mais bien réel, désormais au centre de convoitises grandissantes. Dernière illustration en date : le Japon vient de décrocher un contrat lucratif pour l’exploitation du manganèse dans l’extrême sud‑ouest de la République démocratique du Congo (RDC).
L’histoire économique de Matadi, chef‑lieu du Kongo Central, tient en un mot : le port. Mais cette réalité pourrait bientôt changer. Sur son littoral, à Muanda, la province abrite déjà une réserve pétrolière encore largement sous‑exploitée. Située entre l’embouchure du fleuve Congo et l’enclave angolaise de Cabinda, cette zone stratégique suscite un intérêt économique croissant.
Pour l’heure, un seul acteur y opère : Perenco RDC, filiale du groupe pétrolier franco‑britannique Perenco. L’entreprise exploite 11 champs pétroliers, à la fois onshore et offshore, dans cette bande côtière. En 2022, elle a produit 8,43 millions de barils, contre 8,355 millions en 2021, selon la Banque centrale du Congo (BCC). Une progression attribuée à l’acquisition de nouvelles infrastructures et à l’ouverture de nouveaux puits, preuve que le sous‑sol du Kongo Central pourrait jouer un rôle bien plus important dans l’économie nationale que par le passé.
En mai 2024, Perenco annonçait la découverte de nouveaux gisements à Lukami et Motoba, dans le bassin côtier de Muanda. « Cette découverte sera testée et le puits complété dans les semaines à venir », promettait alors l’entreprise. La même année, grâce à ses plateformes onshore et offshore, la société a produit en moyenne 25 000 barils de brut par jour. La majeure partie de cette production est exportée vers les États‑Unis.
Pourtant, malgré cette activité, la RDC ne tire toujours pas pleinement profit de sa manne pétrolière. Le pays n’exploite pas encore ses réserves situées dans le plateau continental, alors que l’Angola voisin a déjà installé ses plateformes et pompe activement l’or noir dans cette partie de l’Atlantique.
Vers la production du manganèse
Longtemps en marge des zones minières stratégiques de la RDC, le Kongo Central s’engage désormais dans une nouvelle trajectoire économique. La province amorce son entrée dans le secteur extractif avec le lancement d’un projet d’exploitation du manganèse à Luozi.
En juin 2025, en marge du forum d’affaires RDC‑Japon à Osaka, un mémorandum d’entente a été signé le 28 juin en présence de la Première ministre Judith Suminwa. Cet accord scelle la création d’une joint‑venture entre Kerith Resources Ltd., société congolaise, et Asia Mineral Limited (AML), entreprise japonaise. Objectif : exploiter et transformer localement le manganèse du Kongo Central, avec l’ambition d’en faire un levier majeur de développement économique pour la province.
Selon le service de communication de la Primature, le projet vise l’exploitation d’un potentiel estimé à 2 millions de tonnes de manganèse par an. Il donnera naissance à une nouvelle société minière, baptisée « Kivuvu », qui signifie espoir en kikongo. Cette initiative devrait créer 2 500 emplois directs et stimuler toute une chaîne d’activités connexes, susceptibles d’impacter plus de 17 000 personnes, avec un investissement initial évalué à 200 millions de dollars.
Pour les experts du ministère des Mines, le gisement de Luozi illustre que la diversification minière n’est plus une ambition théorique, mais une dynamique en marche. Le ministre des Mines, Kizito Pakabomba, entend positionner la RDC comme un acteur minier moderne, souverain et stratégiquement diversifié. À terme, le Grand Katanga ne sera plus l’unique poumon extractif du pays : d’autres provinces riches en ressources entreront elles aussi dans la course.
Un sous-sol encore méconnu
Les prospections menées depuis les années 1980 ont révélé que le Kongo Central recèle bien plus que ses palmiers à huile et ses cultures vivrières. La province abrite en effet plusieurs minerais : calcaire, utilisé massivement dans l’industrie du ciment, mais aussi bauxite, zinc, fer, quartz, argile et pierre phosphatée, présents notamment à Kimpese et Kwilu-Ngongo.
À Songololo, une ancienne carrière abandonnée continue de susciter l’intérêt des géologues et de coopératives minières. Pourtant, faute d’infrastructures modernes et d’investissements conséquents, la plupart de ces gisements restent à l’état de potentiel inexploité.
Le seul secteur minier véritablement actif demeure celui du calcaire. À Kimpese, la Cimenterie de Lukala (CILU) – héritage de l’époque coloniale – inondait autrefois Kinshasa et l’ouest du pays de milliers de tonnes de ciment chaque année. Mais, en difficulté depuis 2011, l’usine a quasiment cessé ses activités. Le relais a été pris par un acteur privé, Cimenterie Kongo (CIMKO), qui s’est imposée en quelques années comme l’un des leaders du secteur dans le sud-ouest de la RDC.
Les atouts stratégiques du Kongo Central
Si le Kongo Central s’engage résolument dans l’exploitation minière, il bénéficiera d’avantages logistiques uniques à l’échelle nationale. Une route nationale relie directement Kinshasa à l’océan Atlantique, constituant l’axe vital par lequel transitent la majorité des marchandises du pays.
La province abrite également le port maritime de Matadi, principal point d’entrée et de sortie du commerce extérieur de la RDC. Cet atout sera bientôt renforcé par le futur port en eau profonde de Banana, dont la livraison est prévue en 2026, et qui devrait transformer le littoral en véritable hub régional.
À cela s’ajoute un réseau ferroviaire existant, quoique partiellement vétuste, qui conserve un fort potentiel pour soutenir le développement du secteur minier et faciliter l’acheminement des ressources vers les marchés nationaux et internationaux.
Une vocation agricole au-delà de tout…
Malgré la présence avérée de ressources minières, le Kongo Central demeure avant tout une province à forte vocation agricole. Fidèle à ce rôle de grenier du pays, la région s’apprête à recevoir la visite du président Félix Tshisekedi, attendu prochainement à Matadi pour remettre officiellement des engins agricoles destinés aux territoires de la province.
Cette visite, inscrite dans le cadre de ses tournées d’itinérance, sera également l’occasion de lancer de nouveaux projets structurants et d’inaugurer plusieurs ouvrages, dont le stade Lumumba de Matadi, dont la reconstruction avait repris après quatorze années d’interruption.
Pour autant, la transformation du Kongo Central en province minière intégrée n’est plus une simple projection. Avec la concrétisation de projets comme l’exploitation du manganèse à Luozi et l’adoption d’une gouvernance plus inclusive, la région pourrait capitaliser sur son avantage logistique stratégique pour contribuer activement à la diversification économique de la RDC, tout en conservant son identité d’un des principaux greniers agricoles du sud-ouest du pays.
Heshima