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RDC : De Mobutu à Tshisekedi, ces relations parfois controversées avec la religion

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En République démocratique du Congo (RDC), la frontière entre le spirituel et le politique reste à la fois poreuse et déterminante. Du palais présidentiel aux ruelles des quartiers populaires, pasteurs, prêtres et autres leaders religieux occupent une place centrale dans la vie publique. De Joseph Kasa-Vubu à Félix Tshisekedi, cette imbrication s’est progressivement renforcée, nourrissant autant de ferveur que de polémiques.

Dès l’indépendance, le premier président du Congo, Joseph Kasa-Vubu, fit de l’Église catholique une alliée incontournable. Issu des milieux religieux et ayant renoncé à la prêtrise, il conserva une forte proximité avec cette institution. À l’époque, l’autre figure de l’indépendance, le Premier ministre Patrice Emery Lumumba, était perçu à tort ou à raison comme un communiste, donc hostile à la religion, par les milieux chrétiens. Cette alliance renforça l’aura de l’Église catholique. Mais cette influence fut remise en cause lorsque Joseph-Désiré Mobutu prit le pouvoir en 1965. Ce dernier ne supportait pas qu’une autorité, même religieuse, puisse s’élever au-dessus de la sienne.

Mobutu et la rumeur sur « Prima Curia »

La vie politique du maréchal Mobutu a alimenté de nombreux mythes autour de ses croyances. Tantôt présenté comme occultiste de la « Prima Curia », tantôt comme franc-maçon, le président du Zaïre traînait diverses étiquettes mystico-religieuses. Ses relations tendues avec l’Église catholique, notamment avec le cardinal Albert Malula, ont renforcé ces rumeurs.

De 1985 jusqu’à sa chute en 1997, certains Zaïrois faisaient circuler l’idée qu’il existerait une société secrète, la Prima Curia, où les valeurs seraient inversées et où un pacte de fidélité, scellé dans le sang, lierait « le Maître, Mobutu » à ses fidèles. Son ancien ministre de la Communication, Dominique Sakombi Inongo, affirma même l’avoir vu « boire un verre de sang », tandis que d’autres proches du maréchal réfutaient toute appartenance à une telle secte.

Dans ses mémoires La passion de l’État, parues en 2019 aux Éditions L’Harmattan, Léon Kengo Wa Dondo, plusieurs fois commissaire d’État, Premier commissaire d’État et Premier ministre sous Mobutu, revient sur cette affaire que certains qualifiaient de « pratique occulte » attribuée au maréchal.

Dans ses mémoires, pages 188 et 189, l’ancien président du Sénat sous Joseph Kabila affirme que la pratique occulte attribuée à la « Prima Curia » relevait d’une simple rumeur, voire d’un fantasme malsain inscrit dans une logique de diabolisation du régime du maréchal Mobutu. Selon Léon Kengo, cette pratique mystique n’a jamais existé : « J’affirme solennellement que cette société secrète, d’allure mystico-religieuse, n’a jamais existé et, si elle a existé, c’était, en tous les cas, en dehors de moi. » Pourtant, Kengo figurait parmi le cercle restreint des mobutistes accusés de fréquenter la fameuse « Prima Curia ».

Dans son ouvrage, Léon Kengo retrace la genèse de cette histoire. Un jour de 1985, alors qu’il était encore Premier Commissaire d’État, le président Mobutu les convoqua dans l’après-midi. « Il y avait là, outre ma pauvre personne, le citoyen Jean-Marie Kititwa, Premier vice-président du Comité central du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), le citoyen Boboliko Lokonga, Deuxième vice-président, et le citoyen Kithima-Bin-Ramazani, secrétaire général. Une réunion s’est effectivement tenue au bureau présidentiel. C’était l’unique et il n’y en a pas eu d’autre. Pas deux, je me répète », insiste Kengo.

À l’ouverture de la réunion, le chef de l’État se serait exprimé, selon Kengo, en ces termes : « Je me félicite de l’amplitude prise par notre parti et c’est très bien que ce soit un mouvement de masse. Je voudrais quand même qu’au sommet du MPR, il y ait une structure de concentration pour des choses qui ne peuvent pas sortir du dedans. Nous sommes trop nombreux pour que des choses ne fuitent. Cette structure restreinte pourrait s’occuper des réflexions et des stratégies sur les questions les plus importantes de la marche de notre révolution. Ainsi, nous pourrions calmement réfléchir sur des sujets essentiels qui nécessitent un approfondissement avant d’être divulgués. »

Ainsi naquit la « Prima Curia », un comité chargé d’examiner en profondeur certaines questions avant leur transmission aux organes officiels du parti. Selon Kengo, l’initiative fut perçue par tous les participants comme une marque de confiance du « Guide de la Révolution » à leur égard.

Chargé d’organiser ce comité restreint, Jean-Marie Kititwa mit à profit son expérience d’ancien ambassadeur du Zaïre auprès du Saint-Siège pour lui donner le nom de « Prima Curia », c’est-à-dire la « Première Cour ». Il baptisa ensuite ses organes internes à la manière du Vatican, en instituant des « Dicastères », des « Commissions » et des « Congrégations ».

« Ayant reçu le projet de document, je n’y comprenais rien. J’ai aussitôt appelé Jean-Marie Kititwa pour en savoir davantage. Il me répondit : “J’ai réfléchi un peu à la manière de la structure du Vatican” », rapporte, non sans étonnement, Léon Kengo. Et de s’interroger : « Pourquoi tout cela, pour un petit comité de trois à quatre personnes ? » Pour lui, toutefois, il n’y avait rien d’occulte dans ce groupe de réflexion.

Mobutu refusé à la franc-maçonnerie

Le président du Zaïre voulait tout contrôler. Le maréchal entretenait ainsi un rapport complexe à la religion et à la spiritualité, mêlant références chrétiennes, traditions africaines et culte de sa propre personne. Très peu implantée en RDC, la franc-maçonnerie ne comptait qu’environ 300 membres en 2013, et bien moins encore à l’époque du Zaïre. Introduite par les Belges durant la période coloniale, elle fut interdite par Mobutu dès son arrivée au pouvoir, en 1965, puis de nouveau autorisée en 1972. C’est ainsi que naquit, un an plus tard, le Grand Orient du Zaïre, rebaptisé par la suite Grand Orient du Congo (GOC), dirigé par Augustin Kabangui en qualité de grand maître. Ce n’est qu’en 1986 qu’apparut une seconde obédience : la Grande Loge nationale du Congo (GLNC), du rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm, implantée sous la direction de Kitenge Yesu, ancien dignitaire du régime Mobutu, resté jusqu’à sa mort proche du président Félix Tshisekedi.

Selon Muriel Devey Malu-Malu, envoyée spéciale de Jeune Afrique pour couvrir, en février 2013, la 21ᵉ édition des Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram), Mobutu, qui « avait frappé à la porte du temple, s’en est vu refuser l’entrée, car il souhaitait obtenir tous les degrés en un seul jour » au sein de la loge.

Joseph Kabila, une conviction spirituelle tout aussi mystérieuse

En dehors de quelques apparitions dans des églises catholiques ou pentecôtistes lors de cérémonies officielles, Joseph Kabila n’a jamais affiché d’appartenance formelle à une confession religieuse. Ses convictions spirituelles restent aussi mystérieuses que sa personne. Si son épouse, Marie Olive Lembe Kabila, se montre chrétienne catholique, lui-même n’a laissé transparaître aucun signe. Durant ses 18 ans de règne, il a été approché par ses homologues du Congo-Brazzaville et du Gabon, Denis Sassou N’Guesso et Ali Bongo, pour intégrer la franc-maçonnerie, mais Joseph Kabila aurait « résisté », selon Muriel Devey. Par ce refus, volontaire ou circonstanciel, la RDC n’a jamais été dirigée par un « chef » franc-maçon jusqu’à ce jour.

Félix Tshisekedi assailli par des pasteurs évangéliques…

Dans les coulisses du pouvoir congolais, des voix prophétiques chuchotent aux oreilles du chef de l’État. Les pasteurs évangéliques proches de Félix Tshisekedi entretiennent des liens étroits avec la présidence, jouant à la fois un rôle spirituel, politique et parfois décisionnel. Parmi eux, un homme se distingue : Roland Dalo. Souvent présenté comme le « père spirituel » du président, le fondateur du Centre missionnaire Philadelphie compte plusieurs adeptes de son église dans le premier cercle de Félix Tshisekedi, à l’instar de Anthony Kinzo Kamole, directeur de cabinet du président. Lors d’une série d’ordonnances présidentielles lues à la télévision nationale, la RTNC, un autre proche du pasteur a été récemment nommé : Medi Vedoso, gendre de Roland Dalo, chargé des missions du chef de l’État en matière de questions stratégiques. Medi Vedoso est l’époux de Roane Dalo, fille de l’apôtre Roland Dalo, fondateur du Centre missionnaire Philadelphie, où se rend régulièrement le président.

Cette nomination supplémentaire a suscité un tollé parmi les militants du parti présidentiel, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Mais l’indignation ne se limite pas à eux. Au sein des autres églises dites de réveil, des grincements de dents se font également entendre. L’évêque Pascal Mukuna dénonce ce qu’il qualifie de « prise en otage » du président par le fondateur de Philadelphie. De son côté, l’évangéliste Roger Baka, cité par le média Africa Press, perçoit Roland Dalo comme un « prophète de la cour royale » et critique l’influence disproportionnée de son église. « La mission que Dieu vous a confiée auprès du chef de l’État n’est pas de favoriser votre église au point d’en faire le parti qui propose le plus de membres pour les nominations », a-t-il déclaré.

Bien avant cette nomination, Félix Tshisekedi était déjà entouré d’un autre pasteur : Jacques Kambala. Ce dernier occupe officiellement le poste de coordonnateur adjoint chargé des affaires techniques et opérationnelles de la Cellule de Coordination du Changement des Mentalités (CCM), un service spécialisé de la Présidence de la République. Il figure également parmi ceux qui ont été en contact avec des évangéliques influents aux États-Unis pour porter la cause de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC à la Maison Blanche. En juillet dernier, une délégation de pasteurs américains conduite par Travis Johnson, directeur adjoint du Bureau de la Foi à la Maison Blanche, a rencontré Félix Tshisekedi à Kinshasa pour témoigner leur « soutien spirituel » au peuple congolais en faveur du retour de la paix dans l’Est du pays. C’est Jacques Kambala qui avait la charge de renforcer les liens entre le monde évangélique américain et congolais.

Félix Tshisekedi continue de montrer une certaine proximité avec les pasteurs. Lors du dernier remaniement du gouvernement, une jeune pasteure de 25 ans, Grâce Emie Kutino, a été nommée à la tête du ministère de la Jeunesse. En 2017, à seulement 17 ans, elle avait déjà été consacrée pasteure au sein de la branche parisienne de l’Église fondée par son père, Kutino Fernando, « Armée de la Victoire ». Comme pour les ordonnances présidentielles ayant notamment nommé le pasteur Medi Vedoso à la Présidence, cette nomination n’a pas calmé la grogne des militants du parti présidentiel, qui déplorent de ne pas voir leurs proches accéder à des postes. Face à cette tension, Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS, a tenté d’apaiser les esprits, assurant que Félix Tshisekedi n’avait pas compromis le quota du parti en confiant ce ministère à une pasteure.

Heshima

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