Nation

Rutshuru : quand le silence international devient complice d’un génocide rampant

Published

on

Juillet 2025, l’Est de la RDC saigne à nouveau dans l’indifférence mondiale. Plus de 140 civils, majoritairement des agriculteurs hutus, ont été massacrés autour du parc des Virunga par le Mouvement du 23 mars (M23), avec l’appui de l’armée rwandaise. Des familles décimées, des corps jetés dans la rivière, des enfants exécutés sous les yeux de leurs mères : un carnage qui illustre une crise ancienne. Reste une question lancinante : la communauté internationale continuera-t-elle de se taire, au risque d’entretenir l’impunité qui fait de l’Est congolais un charnier à ciel ouvert ?

Des villages paisibles, nichés aux abords du parc des Virunga, ont été soudain envahis par des combattants armés jusqu’aux dents. Entre le 10 et le 30 juillet 2025, dans des localités comme Busesa, Kakoro, Kafuru ou Nyamilima, hommes, femmes et enfants ont été arrachés de leurs maisons, forcés à marcher en silence vers leur mort.

Une survivante, interrogée par des activistes locaux, raconte comment son mari a été tailladé à la machette devant elle, avant que 70 personnes, dont des filles à peine sorties de l’enfance, ne soient exécutées au bord de la rivière. Human Rights Watch, dans son rapport publié le 20 août 2025, documente ces horreurs avec précision. L’ONG accuse le M23 d’avoir sommairement exécuté plus de 140 civils, majoritairement hutus, dans au moins quatorze villages. Clémentine de Montjoye, chercheuse senior sur la région des Grands Lacs, décrit ces actes comme une campagne militaire ciblée contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé hutu, mais qui frappe aveuglément des civils hutus.

Le bilan pourrait être bien plus lourd

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a révélé le 6 août 2025 que le M23, épaulé par des éléments des Forces de défense rwandaises (RDF), a tué au moins 319 civils, dont 48 femmes et 19 enfants, dans quatre villages du même territoire. Ces chiffres, corroborés par des témoins oculaires et des sources militaires, font de ce massacre l’un des plus sanglants depuis la résurgence du M23 en 2021. Des haut officiers dont le colonel Mushagara et le général Baudouin Ngaruye, déjà sous sanctions onusiennes, sont accusés d’avoir orchestré ces opérations, où des villages entiers ont été incendiés et des corps enterrés à la hâte pour effacer les traces. Radio Okapi, dans son article du 20 août 2025, rapporte que ces exécutions ont eu lieu en pleine période de cessez-le-feu, en violation flagrante des engagements diplomatiques.

Un contexte sécuritaire explosif

Derrière ces atrocités se cache un engrenage infernal, où le M23, rébellion tutsie soutenue par Kigali, sème la terreur pour imposer son contrôle sur les riches terres minières du Nord-Kivu. Ce mouvement, qui a capturé les villes de Goma et Bukavu en janvier et février derniers, prétend lutter contre les FDLR, héritiers des génocidaires rwandais de 1994. Mais les faits sont clairs : ces massacres visent des communautés hutues entières, faisant craindre un nettoyage ethnique, comme l’alerte Human Rights Watch. L’implication rwandaise n’est plus un secret ; témoignages et analyses onusiennes confirment la présence de troupes RDF aux côtés du M23, malgré les démentis de Kigali.

Réactions et appels à la justice

Le gouvernement congolais a condamné avec véhémence ces actes. Dans un communiqué du 7 août 2025, le ministère de la Communication, des Médias et Porte-parole du gouvernement a dénoncé un « massacre odieux » de plus de 300 civils et appelé à la mise en place d’une commission d’enquête internationale sous l’égide de la résolution A/HCR/RES/S-37/1 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, a réaffirmé dans sa déclaration du 23 août 2025 qu’il est temps d’établir un Tribunal pénal international pour le Congo, citant le rapport Mapping de l’ONU, vieux de quinze ans, qui documente des crimes similaires restés sans suite.

Les enjeux diplomatiques : accords bafoués et silence meurtrier

Comment expliquer que de telles horreurs surviennent alors que des accords de paix étaient pourtant conclus ? L’accord tripartite USA-RDC-Rwanda du 27 juin 2025 et la déclaration de Doha du 19 juillet entre Kinshasa et le M23 promettaient un cessez-le-feu. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre : violations flagrantes de leur engagement. Le Rwanda de son côté rejette toute implication de ses forces, qualifiant ces accusations de « déformations flagrantes ».

La communauté internationale, prompte à condamner ailleurs, reste ici paralysée. Les États-Unis, par la voix de Dorothy Camille Shea à l’ONU, ont réclamé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité le 20 août 2025, dénonçant des crimes de guerre. Le Royaume-Uni, dans un communiqué du 24 août, a condamné des « massacres généralisés » et appelé au retrait des troupes étrangères. La Belgique, indignée par le « nouveau massacre de plus de 300 civils », a exhorté à une cessation immédiate des violences dans sa déclaration du 9 août. Mais ces paroles sonnent creux, faute de sanctions concrètes. Human Rights Watch appelle à une révision urgente de l’aide militaire au Rwanda et à des enquêtes indépendantes, avertissant que, sans cela, les atrocités se poursuivront. Ce silence complice, dicté par des intérêts géopolitiques, minerais, stabilité régionale, laisse Paul Kagame nier tout en continuant d’armer le M23.

L’impact humanitaire et social : une population brisée, une société déchirée

Derrière les chiffres, ce sont des vies fracassées. Plus de sept millions de déplacés internes en RDC, dont des milliers fuyant Rutshuru vers les forêts ou les camps déjà surpeuplés. Des femmes violées utilisées comme armes de guerre, des enfants enrôlés de force, une famine qui menace avec la destruction des champs. Les survivants, traumatisés, livrent des récits glaçants : une mère contrainte de marcher avec son bébé en pleurs, menacée de mort si l’enfant ne se taisait pas.

Sur le plan humanitaire, l’ONU et des ONG comme Médecins sans frontières tentent de contenir le mpox et la malnutrition, mais l’accès reste entravé par les combats. Socialement, les fractures s’accentuent : l’opposition, par la voix de Martin Fayulu, accuse le gouvernement d’inaction, tandis que l’Église appelle à un pacte social pour la paix sans désigner les responsables, affaiblissant ainsi son influence.

Vers une fin de l’impunité ? L’heure de l’action a sonné

La RDC, géant aux pieds d’argile, mérite mieux que des condoléances creuses. Denis Mukwege insiste : « La communauté internationale ne peut plus fermer les yeux sur cette tragédie. » Le temps est venu de sanctions coordonnées, d’un tribunal spécialisé, d’une pression réelle sur Kigali. Si le silence perdure, Rutshuru ne sera qu’un chapitre supplémentaire dans l’histoire d’un génocide oublié. Pour l’amour de ce pays meurtri, il faut un sursaut : la paix ne viendra pas des mots, mais des actes.

Heshima Magazine

Trending

Quitter la version mobile