La République démocratique du Congo (RDC) traverse une profonde crise de confiance entre ses institutions et sa population. Les chiffres révèlent l’ampleur du malaise. Une enquête réalisée en 2024 par la Revue Française d’Économie et de Gestion auprès des élites congolaises de l’Est montre que 92,4 % des personnes interrogées portent un regard négatif sur la gouvernance et les institutions du pays.
Cette défiance s’étend à toutes les sphères du pouvoir. L’indice Mo Ibrahim de la Gouvernance en Afrique 2024 place la RDC au 48ᵉ rang sur 54 pays africains, avec un score de 32,8 sur 100, loin derrière la moyenne continentale fixée à 49,3. Dans un article publié en février de la même année, Radio Okapi rappelait déjà que le pays n’obtenait que 32,7 points sur 100 en matière de gouvernance globale selon ce même rapport.
À ces indicateurs s’ajoute un mal endémique : la corruption. Le rapport 2024 de Transparency International classe la RDC au 163ᵉ rang mondial sur 180 pays, avec un score stagnant de 20 points, identique à celui de 2023. Autant de signaux qui traduisent une méfiance persistante et une fracture croissante entre gouvernants et gouvernés.
Les services publics à la dérive
L’inefficacité des services publics vient renforcer ce climat de défiance et cristallise le mécontentement populaire. Une enquête citoyenne révèle que 90 % des Congolais estiment que les services publics sont mal gérés, 7,5 % jugent qu’ils le sont « plus ou moins bien » et à peine 2,5 % les considèrent comme correctement administrés. Les causes de cette perception sont identifiées : corruption (38 %), manque de contrôle (32 %) et incompétence des dirigeants (26 %).
Ces chiffres trouvent une traduction concrète dans le quotidien des citoyens. Le rapport 2024 de la Banque mondiale sur les entreprises en RDC indique que plus de 77 % des sociétés sont confrontées à des coupures d’électricité répétées, en moyenne 12 par mois, tandis que les démarches auprès des services publics restent longues et coûteuses. Le secteur de la santé n’échappe pas à ce dysfonctionnement : dès le 28 décembre 2024, le Syndicat national des médecins a déclenché une grève radicale pour dénoncer le non-paiement des salaires, malgré les engagements pris par le gouvernement.
À cela s’ajoute le retard dans la numérisation de l’administration publique. Selon l’enquête E-Government Survey 2024 des Nations unies, la RDC se classe au 179ᵉ rang mondial et au 44ᵉ rang africain en matière de services publics en ligne. Son indice de développement de l’e-government est passé de 0,3057 en 2022 à seulement 0,2067 en 2024, signe d’un recul inquiétant.
Une popularité présidentielle en dents de scie
Paradoxalement, malgré les défaillances structurelles de l’État et l’inefficacité chronique des services publics, le président Félix Tshisekedi continue d’afficher un niveau de soutien notable. Un sondage de l’Institut Les Points, réalisé en mars 2025, indique que 86 % de la population congolaise se dit favorable au chef de l’État. Un chiffre impressionnant qui contraste avec la défiance généralisée envers les institutions.
D’autres enquêtes apportent cependant un regard plus nuancé. Selon le sondage Berci-Ebuteli-GEC d’avril 2024, près de 50 % des Congolais interrogés estiment que le pays prend une bonne direction depuis le début du second mandat de Tshisekedi, un taux comparable à celui enregistré en 2019. Mais cette moyenne nationale masque de fortes disparités régionales : les provinces du Bandundu, du Katanga, de l’Équateur et de la Grande Orientale expriment une insatisfaction nettement plus marquée.
Cette évolution souligne les limites du capital politique du président. Comme le relevait Jeune Afrique dans son édition du 20 janvier 2024, les élections de décembre n’ont pas suffi à lever la crise de légitimité qui entoure Félix Tshisekedi, révélant un fossé persistant entre le pouvoir central et une partie du pays.
L’échec de la décentralisation : une autonomie qui reste un mirage
La décentralisation, inscrite dans la Constitution de 2006, devait rapprocher l’administration des citoyens et stimuler le développement local. Mais dix-sept ans plus tard, cette promesse reste largement inachevée. Comme le souligne Heshima Magazine, l’autonomie des entités locales demeure un mirage : le transfert de compétences vers les provinces est encore partiel, tandis que Kinshasa conserve une emprise considérable sur la gestion provinciale.
Cette centralisation persistante nourrit la frustration des populations locales, qui peinent à voir leurs préoccupations reflétées dans l’action publique. Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2023, à peine 12 % des budgets provinciaux sont exécutés sans l’aval du pouvoir central. La situation est telle que, d’après Radio Okapi dans une publication de février 2025, plusieurs assemblées provinciales n’avaient pas siégé depuis plus de six mois, faute de moyens.
L’état de siège : une mesure contestée qui divise
L’instauration de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, en vigueur depuis mai 2021, symbolise pour beaucoup d’habitants de l’Est la distance qui s’est creusée entre l’État et les populations. Trois ans après sa mise en place, nombreux sont ceux qui rejettent sa prolongation, convaincus que cette mesure n’a pas tenu ses promesses. Comme le relevait Radio Okapi en août 2023, la lassitude grandit face à un dispositif perçu davantage comme une contrainte que comme une protection.
Un sondage Berci-Ebuteli confirme ce fossé grandissant : alors que 50 % des Congolais déclarent encore faire confiance au gouvernement central pour leur sécurité, ils ne sont plus que 39 % dans les trois provinces de l’Est. La raison de cette défiance tient à la réalité quotidienne : malgré l’état de siège, les violences se multiplient, de nouveaux groupes armés émergent et les déplacements massifs se poursuivent. Autant de faits qui nourrissent une impression d’abandon et renforcent l’idée que les institutions sécuritaires restent incapables de répondre aux attentes des communautés les plus touchées.
Les élections de 2023 : une légitimité discutée…
Les élections générales de décembre 2023 ont reconduit Félix Tshisekedi à la présidence avec plus de 73 % des voix. Si le nom du vainqueur a fait l’unanimité auprès de tous les observateurs, y compris l’Église catholique qui a affirmé que Tshisekedi était largement arrivé en tête des autres candidats, la crédibilité du processus a été largement remise en question. L’Institut d’études de sécurité (ISS) a qualifié ces scrutins de « nouveau rendez-vous manqué avec la démocratie », rappelant que, après les accusations de « coup d’État électoral » en 2018, les élections de 2023 ont également suscité des doutes quant à leur légitimité.
Une mission d’observation conjointe de l’Église catholique et de l’Église du Christ au Congo a documenté 5 402 irrégularités significatives dans les bureaux de vote, allant des dysfonctionnements des dispositifs de vote à des bureaux non ouverts ou des bourrages d’urnes. Ces manquements ont nourri la contestation d’une partie de l’opposition et alimenté la méfiance d’une frange de la population envers le processus démocratique, malgré l’unanimité sur le vainqueur proclamé.
La jeunesse congolaise : entre désengagement et manifestations
La jeunesse congolaise, qui représente près de 70 % de la population selon la MONUSCO, se détourne de plus en plus du système politique classique. Faute de se reconnaître dans les discours et pratiques des dirigeants, elle peine à trouver un véritable espace d’expression dans les institutions traditionnelles. « Les jeunes en RDC ne s’identifient pas aux politiques actuelles et n’ont pas de place dans le système politique », explique le politologue Christian Moleka au média allemand Deutsche Welle.
Ce désengagement prend plusieurs formes : une abstention électorale massive, mais aussi des explosions de colère dans la rue. En janvier 2025, Kinshasa a été le théâtre de manifestations violentes dirigées contre le Rwanda et la communauté internationale, rappelle Jeune Afrique. La colère, difficile à canaliser par les cadres institutionnels, s’est exprimée jusque dans l’attaque de plusieurs ambassades par des jeunes radicaux, selon Deutsche Welle. Ces débordements traduisent un malaise plus profond : celui d’une génération qui ne trouve pas sa place dans la gouvernance du pays.
La corruption : un fléau persistant malgré les efforts
Malgré les discours officiels sur la lutte contre la corruption, la perception populaire reste profondément sceptique. En mars 2025, Jules Alingete, directeur de l’Inspection générale des finances, affirmait que le taux de corruption avait chuté de 80 % à 50 % en cinq ans. Pourtant, les classements internationaux semblent contredire ces progrès avancés.
Selon l’Agence Ecofin, la RDC figure toujours parmi les pays les plus corrompus dans le classement 2024 de Transparency International, avec un score de seulement 20 points, la plaçant au 163ᵉ rang sur 180 pays. Cette persistance de la corruption dans l’opinion publique nourrit une méfiance durable envers les institutions et jette une ombre sur les promesses de réforme.
Les grèves sectorielles : symptômes d’un malaise plus profond
Les grèves à répétition dans les secteurs vitaux illustrent l’érosion du contrat social entre l’État et ses agents. Après les enseignants, ce sont les médecins des hôpitaux publics qui ont déclenché une grève générale dès octobre 2024, rapporte RFI. Ces mouvements sociaux mettent en lumière non seulement les contraintes financières de l’État, mais aussi son incapacité à respecter ses engagements envers ceux qui assurent les services essentiels.
En décembre 2024, le Syndicat national des médecins a durci son mouvement, dénonçant le non-respect des promesses gouvernementales et accusant les autorités d’avoir induit en erreur le chef de l’État dans sa communication devant le Congrès. Ces tensions répétées fragilisent la confiance des citoyens dans la capacité de l’État à garantir les services publics fondamentaux, exacerbant le sentiment de déconnexion entre gouvernants et gouvernés.
Restaurer la confiance : ultime défi de la gouvernance
Face à cette crise de confiance multiforme, la RDC se trouve à un véritable carrefour. Les défis sont immenses : restaurer l’efficacité des services publics, lutter réellement contre la corruption, réussir la décentralisation, pacifier l’Est du pays et renouer le dialogue avec une jeunesse désabusée.
La récente initiative du gouvernement de lancer des consultations nationales pour la jeunesse, annoncée par la ministre Grâce Emie Kutino, traduit une prise de conscience de l’urgence de renouer le dialogue. Mais ces consultations seules ne suffiront pas à reconstruire une confiance durablement ébranlée.
L’enjeu dépasse largement les réformes techniques : il s’agit de rétablir un véritable contrat social entre l’État et sa population, fondé sur la redevabilité, l’efficacité et la transparence. Sans cette réconciliation, la RDC risque de voir sa crise de confiance se transformer en instabilité chronique, menaçant ses perspectives de développement et de consolidation démocratique.
Heshima Magazine