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Résolution de la crise en RDC : l’équation Kabila…

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Depuis plusieurs mois, sous la médiation américaine, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et celui du Rwanda tentent une voie de sortie de la crise sécuritaire qui secoue l’Est Congolais. Mais la condamnation à mort de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila pourrait bien compliquer l’équation. Condamné à la peine de mort, le 30 septembre 2025, notamment pour « trahison » et « organisation d’un mouvement insurrectionnel » pour ses liens supposés avec le mouvement politico-militaire Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), le prédécesseur de Félix Tshisekedi ne pourrait plus participer à un dialogue national. Ce qui rend complexe la résolution totale de la crise.   

Absent de Kinshasa depuis plus d’un an, l’ancien président a été jugé par contumace et sans avocat. Les chefs d’accusation prononcés par le lieutenant-général Jean-René Likulia, l’auditeur général, lors de son réquisitoire devant la Haute Cour Militaire, ont été pour la plupart confirmés dans le verdict des juges. La justice militaire l’a accusé d’être le véritable chef du groupe rebelle AFC/M23 tout en étant de connivence avec le Rwanda.

Il lui est reproché également d’avoir, en tant qu’auteur, coauteur ou complice, « engagé sa responsabilité pénale » dans la commission de « crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » dans les Kivu, zones occupées en majorité par cette rébellion. Pourtant, lors d’une dernière audience sollicitée par les avocats des parties civiles, ce conseil avait renoncé, le 19 septembre, à requérir la peine capitale contre Joseph Kabila. À la place, ils ont demandé que l’ancien président soit condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Une option qui, au-delà du droit, recèle une portée politique : laisser Joseph Kabila en vie afin qu’il soit confronté à ses juges mais aussi à l’histoire et, peut-être, aux survivants des victimes de son régime. « Ne le condamnez pas à mort. Condamnez-le à la prison à vie, afin qu’il puisse recevoir la visite des rescapés et se mesurer aux conséquences de ses actes », avait plaidé Me Jean-Marie Kabengela, l’un des conseils des parties civiles. Les parties civiles – composées de la République, des provinces du Nord et Sud-Kivu ainsi que des ONG de défense des victimes – ont exigé 30 milliards de dollars de dommages et intérêts. Lors du verdict, la justice militaire n’a pas décidé de la confiscation des biens de l’ancien président car « cette peine n’existe pas », selon la loi.  

Procès et peine historiques ! 

La condamnation de Joseph Kabila est une première dans l’histoire de la RDC. Jamais un ancien chef de l’Etat n’avait été jugé et condamné au pays. Son parti, le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), a dénoncé un « procès bidon » visant à éliminer un adversaire politique, qualifiant cette procédure judiciaire d’une « vaste blague ». Certains évoquent une vengeance de son successeur, Félix Tshisekedi. Les avocats de la République, quant à eux, rejettent l’hypothèse de vengeance. « C’est la première fois qu’un ancien président de la République se trouve en conflit avec les intérêts de la République. Il n’y a pas un désir de vengeance […] Mobutu ne s’était pas mis dans la posture de Joseph Kabila, Laurent-Désiré Kabila ne s’était pas mis dans cette posture ainsi que beaucoup d’autres. Il est le premier à avoir été indigne de sa qualité d’ancien président. », a déclaré à la presse Me Jean-Marie Kabengela. 

Une équation dans la résolution de la crise

La condamnation de Joseph Kabila pourrait être un tournant majeur dans la crise sécuritaire et politique au pays. L’ex-Raïs lui-même avait dénoncé des « accusations mensongères et politiquement motivées ». D’après l’ancien président, ces accusations sont destinées à « écarter un leader majeur de la scène politique » et à « faire taire l’opposition dans son ensemble ». Si à travers cette condamnation le gouvernement espère dissuader toute tentative de ralliement aux rebelles, cette décision de justice risque aussi de radicaliser Joseph Kabila. « Cette condamnation brise ainsi une possible coalition anti-Tshisekedi, avec à sa tête Joseph Kabila associé à une myriade d’opposants. Elle disqualifie enfin l’ex-président, aux yeux de Kinshasa, comme interlocuteur à un potentiel dialogue national. », estime Christophe Rigaud, journaliste français et spécialiste de la région des Grands lacs. 

D’autres analystes pensent que cette condamnation peut compliquer l’équation dans la résolution de la crise avec les rebelles de l’AFC/M23. « Kinshasa affirme que Kabila est le vrai patron de l’AFC/M23. Or, Massad Boulos [conseiller principal pour l’Afrique au département d’Etat américain,] considère que l’AFC/M23 est la pièce maîtresse du Puzzle en référence à l’Accord de Washington. Donc, en condamnant Joseph Kabila à mort, Kinshasa a condamné la pièce maîtresse du Puzzle. », conclut le journaliste Ambroise Mamba dans une analyse partagée notamment sur YouTube.

L’AFC/M23, à travers son coordonnateur adjoint Bertrand Bisimwa, a aussi dénoncé la condamnation de l’ancien président. « La condamnation à mort du président Joseph Kabila sous prétexte de son lien supposé avec l’AFC/M23 est une violation de la Déclaration de principes autant que la persistance des offensives armées du régime de Kinshasa », a-t-il écrit sur son compte X. Devant cette imbrication, il est possible que sur la table des négociations, la rébellion puisse plaider la cause de Joseph Kabila à Doha où se déroulent les pourparlers de paix entre le gouvernement congolais et les rebelles. 

En dehors du pays, Kabila reste-t-il dangereux ?

Avant la levée de son immunité au Sénat, Joseph Kabila vivait entre l’Afrique du Sud et en Namibie où la famille compte également une résidence. Mais depuis un temps, il est basé précisément à Harare, au Zimbabwe. « Sur place, il vit avec quelques proches et bénéficie d’une prise en charge, en plus de ses propres moyens. Le lien avec le Zimbabwe remonte à la présidence de son père, Laurent-Désiré Kabila. L’ancien chef de l’État a d’ailleurs toujours conservé dans sa garde rapprochée des militaires zimbabwéens. », fait remarquer RFI. 

À Harare, Joseph Kabila a reconstitué son réseau des fidèles, du moins ceux qui se sont exilés. Il y a M. Patient Sayiba, ancien directeur général de l’Office de fret multimodal (OGEFREM) qui vit entre la Tanzanie et le Zimbabwe. C’est aussi au Zimbabwe que vit John Numbi, ancien inspecteur général de la police et des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Son conseiller diplomatique Barnabé Kikaya Bin Karubi, qui est également ancien ambassadeur de la RDC à Harare, n’est toujours pas loin de Joseph Kabila. Il l’accompagne dans tous ses déplacements en Afrique australe. 

En étant en dehors du pays, Joseph Kabila peut toujours reconstituer un réseau susceptible de mettre la pression sur Kinshasa. « En dehors du pays, il peut toujours rester dangereux vis-à-vis du régime. Il ne restera pas les bras croisés. », estime un politologue congolais. 

Dans certains pays environnants la RDC, l’ancien chef de l’Etat compte encore des alliés : le Rwanda mais aussi l’Ouganda dans une certaine mesure. « Joseph Kabila continue de voyager dans la région et entretient de bonnes relations avec plusieurs dirigeants. Il a rencontré William Ruto, le président kenyan, au moins à trois reprises depuis son arrivée au pouvoir. Ses rapports sont également jugés bons avec Kigali », ajoute un correspondant de RFI. Par contre, il y a des doutes sur l’état de ses relations avec la Zambie et la Tanzanie, deux pays de la SADC qui lui étaient aussi proches. Joseph Kabila se méfie de Dar Es-Salaam depuis l’arrestation d’Éric Nkuba alias Malembe, proche collaborateur de Corneille Nangaa, coordonnateur de l’AFC/M23, extradé vers Kinshasa puis condamné à mort par la justice militaire. 

Au niveau de la Zambie, certains proches de Joseph Kabila redoutent désormais les services secrets zambiens qui ne laissent plus passer sur leur territoire des personnes recherchées en RDC. Le cas du pasteur Daniel Ngoy Mulunda, l’un de ses proches, a été suffisant pour susciter la méfiance des kabilistes vis-à-vis de Lusaka. Certaines sources évoquent aussi la difficulté rencontrée par le gouverneur du Haut-Katanga Jacques Kyabula en tentant de passer par la Zambie lorsqu’il est tombé en disgrâce avec Kinshasa dans le cadre du dossier de Corneille Nangaa et Joseph Kabila qu’il tentait de défendre dans un meeting tenu le 1er juillet 2025 à la Place de la Poste à Lubumbashi. « Cette guerre vient du Rwanda, mais il n’est pas question de nous battre contre Kabila et Nangaa, qui sont nos frères. », avait-il osé dire à la foule. Ce qui lui avait attiré la foudre du ministère de l’intérieur qui l’avait convoqué à Kinshasa, avant qu’il ne soit déclaré « porté disparu » pour réapparaître quelques jours plus tard alors que son poste avait été déjà confié à son adjoint pour assurer l’intérim. 

Le Burundi et le Congo-Brazzaville sont restés proches du président Félix Tshisekedi. Gitega contribue même en hommes et en armes dans le combat de Kinshasa contre la rébellion de l’AFC/M23 soutenue par Kigali. En Afrique du Sud, démocratie oblige, Pretoria s’allie officiellement à Kinshasa mais n’a pas fermé ses portes à Joseph Kabila dont une partie de la famille vit toujours en Afrique du Sud. « Généralement, l’Afrique du Sud protège des exilés politiques. D’anciens proches du président rwandais Paul Kagame vivent toujours en Afrique du Sud sans être inquiétés », explique un diplomate africain qui fut accrédité à Pretoria. 

La pratique de l’alternance subira-t-elle un coup ?

Avant janvier 2019, la RDC était restée longtemps dans la tradition des coups d’Etat. Après l’élection du président Joseph Kasa-Vubu par le Parlement en 1960, le pays n’a connu que des coups d’Etat avec Joseph Désiré Mobutu, Laurent-Désiré Kabila puis Joseph Kabila après l’assassinat de son père. Kabila fils a dû céder le pouvoir pacifiquement à Félix Tshisekedi en janvier 2019. L’union entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi a donc débuté à l’issue de l’élection présidentielle de 2018, remportée par Félix Tshisekedi, alors que le Front commun pour le Congo, le FCC, remportait la majorité au Parlement. Les deux hommes, à l’issue d’un accord politique passé, alors que le résultat de l’élection présidentielle était mis en doute par l’Eglise catholique, ont alors convenu de cogérer le pays. Mais l’alliance a mal tourné en 2021. Ce conflit ouvert entre les deux personnalités pourrait porter un coup à l’idée d’une passation pacifique de pouvoir en RDC. « Félix Tshisekedi pourrait avoir du mal à quitter son pouvoir s’il estime qu’il n’a pas suffisamment de garantie auprès de son successeur », explique un analyste. Ce qui risque de réinstaurer un cycle violent de passation de pouvoir. 

En Afrique, cette expérience a été vécue notamment en République du Congo. En 1992, c’est Pascal Lisouba qui avait pris le pouvoir. Après s’être débarrassé tour à tour du président en fonction, Denis Sassou-Nguesso, et d’un grand adversaire politique, Bernard Kolelas, Pascal Lisouba devient le sixième président du Congo indépendant mais le premier à être élu au suffrage universel direct dans un scrutin ouvert. Réputé comme un intellectuel de haut vol, Lisouba ne connaitra malheureusement pas un quinquennat tranquille. L’ombre de son prédécesseur, Denis Sassou Nguesso, va continuer à planer sur le pays. Plus tard, Sassou Nguesso a signé son come-back par la force. Pascal Lisouba fuit au Gabon, laissant le pays aux mains des milices de l’ancien président Denis Sassou-Nguesso. Ainsi, l’ancien président va retrouver le pouvoir pour ne plus le quitter jusqu’à ce jour. Ce qui a mis fin à une alternance pacifique au pouvoir. 

En Afrique de l’Ouest, la plupart des pays de la région se sont éloignés des pratiques de l’alternance politique au pouvoir. Ce sont désormais six pays africains : le Soudan, en avril 2019 ; la Guinée, en septembre 2021 ; le Mali en août 2020 ; le Burkina Faso en janvier 2022 ; le Niger, en juillet 2023 ; le Gabon, en août 2023, qui ont vu leurs présidents respectifs être déposés par des moyens violents. A ces coups de saillie à l’ordonnancement démocratique et au calendrier électoral, l’on pourrait rajouter le cas « particulier » du Tchad, qui a basculé dans un coup d’Etat institutionnel, à la mort d’Idriss Deby Itno, le 20 avril 2021, et l’accession immédiate au pouvoir de son fils, Mahamat Idriss Deby, explique Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

Un dialogue pour faire table rase ?

En RDC, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) s’est dite « horrifiée » par la peine de mort infligée à Joseph Kabila. Dans une déclaration signée par son président Monseigneur Fulgence Muteba, et rendue publique le 6 octobre 2025, ces évêques catholiques ont dénoncé un verdict contraire à la dignité humaine et aux valeurs chrétiennes. « Nous sommes horrifiés par le verdict de la Haute Cour militaire de Kinshasa, à l’issue du procès pénal expéditif engagé contre le président honoraire Joseph Kabila, le condamnant à la peine de mort », ont-ils déclaré. Ces prélats rappellent que la levée du moratoire sur la peine de mort, décidée en mars 2024 par le ministère de la Justice, allait déjà à l’encontre des engagements pris par la RDC en faveur de la défense de la vie. Tout en saluant les efforts des belligérants, des institutions du pays ainsi que des partenaires internationaux dans la promotion des solutions durables pour ramener la paix et la sécurité dans les zones sinistrées par le fait de guerre et des groupes armés étrangers et locaux, la CENCO insiste sur la tenue d’un dialogue national inclusif. « Nous sommes persuadés que ces efforts seront infructueux tant que les acteurs politiques congolais ne s’engageront pas résolument et concrètement dans un dialogue inclusif, et ne respecteront pas, au préalable, les Accords déjà signés, ne serait-ce que pour accroître la confiance des uns et des autres », note la CENCO. 

Cette position des prélats – bien que critiquée par une partie de l’opinion – pourrait garder une brèche pour des pourparlers entre le camp de Joseph Kabila et celui de Félix Tshisekedi tout en associant la société civile dans ces discussions. 

Dans les couloirs du PPRD, l’espoir reste permis. Certains cadres pensent que le président Félix Tshisekedi devrait accepter un dialogue inclusif qui résoudrait profondément l’actuelle crise sécuritaire. « Cette peine de mort va servir à quoi ? Les Etats-Unis renvoi le gouvernement au pays pour trouver la solution sur le plan national », déclare le secrétaire permanent adjoint du PPRD, Ferdinand Kambere. Selon lui, Joseph Kabila portera ce dossier de condamnation auprès des instances internationales. « Si eux-mêmes n’amènent pas ce dossier en cassation, cette condamnation va se retourner contre eux », a-t-il ajouté sur Top Congo FM. 

Si la population ou des acteurs internationaux jugent que la procédure n’a pas respecté les normes de justice, cela peut entamer la crédibilité du gouvernement Tshisekedi. Le risque est que la justice soit perçue comme un outil politique, ce qui affaiblit l’État de droit, pense Christophe Rigaud. « La peine de mort prononcée contre Joseph Kabila n’est pas sans risques. Elle marginalise certes l’ancien chef de l’Etat, mais elle pourrait tout aussi bien le radicaliser », a-t-il ajouté. Pour lui, la condamnation ou la mise en accusation d’un ancien chef d’État, surtout dans un climat de rivalité politique, peut être perçue comme un instrument de repli autoritaire. 

Heshima 

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