L’ancien président congolais Joseph Kabila, qui a dirigé la République démocratique du Congo (RDC) de 2001 à 2019, traverse aujourd’hui une période politique particulièrement complexe et tendue. Condamné à mort par contumace notamment pour organisation d’un mouvement insurrectionnel et complicité avec le groupe rebelle AFC/M23, Kabila a organisé à Nairobi un conclave, donnant naissance au mouvement politique baptisé « Sauvons la RDC ». Pourtant, il n’a pas réussi à fédérer tous les poids lourds de l’opposition. Martin Fayulu et Denis Mukwege ont formellement refusé d’y adhérer, tandis que Moïse Katumbi a préféré garder ses distances. Retour sur les raisons de ce désintérêt.
Sans avoir officiellement déclaré son intention de briguer un nouveau mandat en 2028, Kabila revient progressivement sur la scène politique depuis 2024-2025, tandis que Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et acteur majeur de l’opposition, exerce également une activité politique intense. Tous deux conviennent de la nécessité d’un dialogue national inclusif, sous l’égide de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) et de l’Église du Christ au Congo (ECC). Cependant, une guerre d’influence discrète mais persistante les oppose, marquée par une rivalité latente.
La réapparition de Kabila et les critiques du pouvoir
Invisible depuis sa condamnation par la Haute cour militaire le 24 juillet dernier, Joseph Kabila a refait surface en octobre à Nairobi pour présenter son mouvement « Sauvons la RDC ». Cette initiative a été rapidement critiquée à Kinshasa. Julien Paluku, ancien gouverneur du Nord-Kivu et actuel ministre du Commerce extérieur, a déclaré : « Quand on a été chef d’État, on doit viser plus haut, comme à la présidence de la Commission de l’Union africaine ou de l’OIF, et non chercher à déstabiliser le pays qu’on a dirigé ». Pour lui, la RDC s’opposera à toute tentative de freiner sa marche vers l’émergence. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, a qualifié ce conclave de « bal nostalgique d’hommes qui regrettent leurs privilèges disparus », signalant un climat de nostalgie au sein des participants.
La contre-offensive du gouvernement
Face à cette offensive, le gouvernement a saisi le Conseil d’État pour dissoudre treize partis d’opposition, notamment ceux suspectés de liens avec des groupes rebelles. Cette décision traduirait la volonté de Kinshasa de réaffirmer l’ordre public, l’intégrité du territoire et la souveraineté face à toutes menaces d’ingérence. Cependant, certains y voient une dérive autoritaire visant à réduire la pluralité politique.
Une brouille ancienne entre Kabila et Katumbi
Le fossé entre Kabila et Katumbi est ancien. Depuis leur rupture de 2015, lorsque Katumbi s’est opposé au « troisième faux penalty », déni d’un troisième mandat présidentiel pour Kabila, leurs relations sont marquées par une profonde animosité. Katumbi s’est exilé après de nombreux procès politiques, tandis que ses proches ont été incarcérés. En 2018, Kabila lui interdit de revenir au pays, privant Katumbi d’une participation électorale. Dans une interview, Kabila l’a comparé à « Judas Iscariote », l’accusant de trahison sans ménagement.
Sous le régime Tshisekedi, Katumbi est finalement rentré en RDC, restant toutefois distant de Kabila. Il a d’ailleurs contribué à la dissolution de la coalition FCC-CACH, ancien allié de l’ex-raïs. Son parti « Ensemble pour la République » a intégré le gouvernement en 2021. Cependant, à l’approche des élections de 2023, Katumbi s’éloigne de Tshisekedi et renouvelle un rapprochement avec Kabila en 2024, illustré par une poignée de mains symbolique à Lubumbashi, sous l’égide de la CENCO. Cette réconciliation semble vouloir dépasser des années de tension pour privilégier l’unité régionale.
En 2023, Katumbi se porte candidat face à Tshisekedi, tandis que le FCC de Kabila boycotte les élections. Après le scrutin, Katumbi rompt avec Tshisekedi mais rapproche son camp de Kabila. Cette alliance se renforce en décembre 2024 lors d’une rencontre à Addis-Abeba, dénonçant la crise sécuritaire et appelant à la paix et à la résistance contre une réforme constitutionnelle jugée dangereuse.
Cependant, Joseph Kabila a été condamné à mort par contumace pour crimes de guerre et complicité avec le M23, ce qui ternit son influence politique. Par ailleurs, Katumbi fait face à des soupçons, sa ferme ayant été perquisitionnée pour des travaux non autorisés près d’une zone rebelle. Il reste discret politiquement, ne signant plus d’accords avec Kabila, Fayulu ou Mukwege.
Selon Christian Mwando, président du groupe parlementaire d’Ensemble, la distance entre Katumbi et Kabila tient à un fossé idéologique et stratégique. Kabila est considéré comme appartenant au passé, tandis que Katumbi nourrit encore l’ambition présidentielle, refusant d’être éclipsé par un leadership imposé. Katumbi veut s’affirmer comme un acteur politique autonome, ce qui marque un tournant majeur dans sa carrière. Son acceptation récente d’un rôle parlementaire peut être vue comme un signe de rapprochement avec le pouvoir de Kinshasa, bien qu’il reste réaliste quant à la dynamique politique.
Cette autonomie revendiquée illustre un changement profond dans le paysage politique congolais, où Katumbi cherche à s’éloigner de l’ombre de ses anciens alliés. Le temps dira si cette stratégie renforcera son attractivité, ou si elle le conduira à un isolement accru dans un environnement politique de plus en plus fracturé.
Heshima