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Neutralisation des FDLR en RDC : quels résultats en 30 ans ?

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Pour mettre en œuvre l’une des résolutions phares de l’Accord de paix signé à Washington le 30 juillet 2025 entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, les Forces armées de la RDC (FARDC) ont lancé, début novembre 2025, une vaste campagne de sensibilisation visant à pousser les combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à déposer volontairement les armes. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie mixte combinant dialogue politique, désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), avec l’appui de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO). Mais sur le terrain, ces rebelles hutus rwandais semblent bien fantomatiques, leur présence réduite à une ombre résiduelle qui complique la mise en œuvre de ce volet de l’accord.

Depuis leur émergence officielle en 2000, les FDLR, nées des exilés hutus fuyant le Rwanda après le génocide de 1994, ont été au cœur d’une rhétorique rwandaise les présentant comme une menace existentielle, justifiant des décennies d’interventions militaires et d’ingérences. Pourtant, une analyse approfondie révèle que cette menace est largement exagérée, servant avant tout d’alibi à des ambitions économiques et territoriales plus prosaïques.

Walikale : une mission bredouille face à l’absence des FDLR

Le 5 novembre 2025, une délégation des FARDC, conduite par le général Sasa Nzita, chef d’état-major adjoint chargé des renseignements militaires, s’est rendue à Walikale, dans la province du Nord-Kivu, pour un meeting avec la population locale. Ces échanges s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre des résolutions de l’accord de Washington, qui vise une paix durable par la neutralisation de ces rebelles rwandais. L’équation se pose avec acuité pour l’armée congolaise : les combattants FDLR ne sont plus présents sur l’ensemble du territoire de Walikale. D’après les témoignages recueillis auprès des habitants, ces éléments ont totalement disparu de la zone. La population a formellement rejeté l’allégation rwandaise selon laquelle la rive gauche de la rivière Lowa, en plein centre de Walikale, serait encore occupée par les FDLR, une affirmation qui, comme tant d’autres, semble sortie d’un manuel de propagande kigalie.

Le général Sasa Nzita a toutefois appelé les citoyens à s’impliquer activement dans cette campagne pour en assurer le succès, en sensibilisant d’éventuels combattants résiduels, s’ils existaient encore dans des recoins isolés de ce territoire. À l’issue de cette mission, l’officier est rentré bredouille : aucun combattant ne s’est rendu volontairement. Cette absence criante illustre la réalité d’un groupe qui, après trente ans de traque, s’est réduit à une présence sporadique, loin de l’image d’une armée d’invasion brandie par Kigali pour légitimer ses incursions répétées.

Bastions occupés par les RDF et l’AFC/M23 : l’impossible neutralisation

Les combattants résiduels de cette force négative étaient historiquement concentrés dans les territoires de Rutshuru, Nyiragongo et Masisi, au Nord-Kivu. Pourtant, ces trois entités sont en grande partie occupées, depuis janvier 2022, par les Forces armées rwandaises (RDF) et les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), un groupe armé que les rapports des experts des Nations unies qualifient sans ambiguïté de soutenu par Kigali. En occupant ces territoires avec des moyens militaires largement supérieurs (blindés, artillerie, drones et contingents bien entraînés), le Rwanda et ses supplétifs auraient dû, en toute logique, neutraliser ces éléments FDLR s’ils représentaient une menace réelle et imminente. Cela n’a pas été fait officiellement, et pour cause : les FDLR, dans leur configuration actuelle, ne constituent plus aucun danger militaire pour le Rwanda. Au contraire, ils coexistent ou s’affrontent sporadiquement avec l’AFC/M23 dans des poches isolées, comme à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où des accrochages récents ont été signalés.

Pour jouer pleinement sa partition, le gouvernement congolais, à travers l’armée, promet d’étendre la campagne de sensibilisation à d’autres territoires du Nord-Kivu, notamment Masisi et Rutshuru. L’objectif est clair : inciter la population à se désolidariser des groupes armés étrangers et encourager les combattants rwandais à se rendre volontairement auprès des FARDC ou de la MONUSCO. Mais dans un contexte où les RDF patrouillent ouvertement, cette extension risque de se heurter à la même opacité : comment sensibiliser des fantômes quand les vrais occupants du terrain sont les alliés de Kigali ?

Les FDLR exigent un dialogue inter-rwandais avant tout désarmement

Au cours d’une interview accordée à RFI le 8 novembre 2025, le lieutenant-colonel Octavien Mutimura, porte-parole des FDLR-FOCA (la branche armée du mouvement), a refusé catégoriquement tout désarmement unilatéral. Pour lui, il faut d’abord un dialogue inter-rwandais pour juger les causes profondes de leurs revendications. « On doit juger la cause de notre lutte armée. Nous sommes là pour nous protéger et protéger les réfugiés rwandais abandonnés. Remettre les armes sans que toutes les conditions soient réunies, c’est une utopie », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « Nous sommes parmi les cibles de Kigali. Nous résisterons jusqu’à ce que Kigali admette un dialogue inter-rwandais et un retour des réfugiés en toute dignité. » Interrogé sur le nombre de combattants encore actifs en RDC, ce porte-parole est resté évasif, évoquant simplement qu’ils sont la cible des attaques de l’AFC/M23, une rébellion étroitement liée à Kigali. « Nous sommes dans les zones où se mènent les combats.

L’AFC/M23 nous attaque et menace nos réfugiés. Nous sommes dans l’obligation de les protéger », a-t-il ajouté. Selon lui, les FDLR se trouvent actuellement dans des zones contrôlées par l’AFC/M23, notamment à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où elles affrontent régulièrement leurs adversaires. Pendant ce temps, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) poursuit le rapatriement de réfugiés rwandais vers le Rwanda, une procédure qui n’enchante guère les FDLR. « Les réfugiés, ce sont nos parents, nos enfants. On ne peut pas séparer une famille rwandaise comme ça. Certains des gens envoyés au Rwanda avec l’aide du HCR sont des Congolais. Et d’autres sont capturés, puis renvoyés de force. Nous accusons le HCR de jouer le jeu du Rwanda », a tonné Octavien Mutimura. Ces accusations soulignent une fracture profonde : les FDLR ne se voient plus comme une force offensive, mais comme un bouclier pour une communauté exilée, majoritairement composée de descendants de réfugiés hutus arrivés en RDC (alors Zaïre) après la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994. Parmi ces exilés se trouvaient à la fois des responsables du génocide, des militaires des ex-Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe, mais aussi des centaines de milliers de civils fuyant la répression. C’est dans les camps du Kivu que ces groupes se sont organisés, donnant naissance à l’Armée de libération du Rwanda (ALiR) en 1998, puis aux FDLR en 2000. Aujourd’hui, après trois décennies, le mouvement est bien loin de ses origines : ses rares tentatives d’attaque contre le Rwanda ont été insignifiantes et rapidement neutralisées, et ses activités se limitent à une survie précaire en RDC, marquée par des exactions contre les civils congolais : pillages, viols, enrôlement d’enfants soldats et exploitation illégale des ressources minières.

Trente ans d’opérations militaires : un bilan d’échecs répétés

En cas de refus de reddition, une neutralisation par la force ? Selon l’agenda décidé à Washington entre Kinshasa et Kigali, après la phase de sensibilisation à la reddition volontaire, il faudrait passer à des opérations militaires pour neutraliser ceux qui ne se rendront pas. Reste à savoir si ces opérations seront menées conjointement entre les FARDC et les RDF dans le cadre du concept d’opérations (CONOPS) défini à Washington. L’expérience des trois dernières décennies démontre que tant que les causes profondes ne sont pas traitées du côté du Rwanda notamment l’absence de dialogue politique inclusif et l’instrumentalisation persistante de la « menace FDLR », ces groupes parviennent toujours à se refaire comme une hydre.

Depuis deux décennies, plusieurs initiatives ont tenté de régler cette question sans succès majeur. En 2001, un premier processus avait conduit au désarmement et au cantonnement des combattants à Kamina, dans le Katanga, ainsi qu’à la destruction publique d’armes à Kinshasa, en présence de la communauté internationale, sous l’égide de la MONUSCO et de ses prédécesseurs. En 2014, plus de 1 500 combattants avaient remis leurs armes à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et à la MONUSCO, avant d’être cantonnés, avec leurs familles, dans les camps de Kisangani, Kanyabayonga et Walungu, toujours sous supervision internationale. De 2009 à 2015, plusieurs autres opérations militaires conjointes entre les FARDC, les RDF et la MONUSCO ont été lancées dans l’Est de la RDC, conjointement ou impliquant seulement les FARDC. Parmi elles : Umoja Wetu en 2009, une offensive transfrontalière qui a visé les FDLR dans le Nord-Kivu mais78 a provoqué des déplacements massifs de population ; Kimia I et II en 2009-2010, qui ont ciblé les bastions des FDLR au Sud-Kivu, avec un bilan lourd en victimes civiles ; Amani Leo en 2010, une opération plus focalisée sur la protection des civils mais qui n’a pas éradiqué le groupe ; Amani Kamilifu en 2012, une extension de la précédente avec un accent sur le DDR ; et enfin Sokola II en 2014-2015, qui a tenté une approche mixte mais s’est heurtée à la résilience des FDLR.

Ces offensives ont provoqué des centaines de milliers de déplacés internes, plus de 1,2 million rien qu’entre 2009 et 2012, selon les estimations de l’OCHA et de nombreuses pertes civiles, estimées à des milliers, sans jamais régler définitivement la question. Pourquoi cet échec récurrent ? Parce que ces opérations n’ont jamais abordé les racines du problème : l’exil forcé post-1994, le refus de Kigali d’intégrer les Hutus dans un dialogue national, et surtout l’utilisation des FDLR comme prétexte pour des interventions qui masquent des intérêts bien plus tangibles. Comme quoi la solution pourrait passer aussi par des discussions avec Kigali autant qu’on impose des discussions entre l’AFC/M23 et le gouvernement congolais. « Il faut qu’ils mettent la pression sur Paul Kagame pour avoir un dialogue inclusif entre Rwandais. La solution en Afrique centrale, c’est que les présidents s’assoient et se parlent en toute franchise, pour que les peuples de la région vivent en paix et en symbiose », estime le porte-parole des FDLR. Visiblement, sans engagement sincère et suivi des promesses de réinsertion, incluant des garanties de sécurité pour les ex-combattants et un retour volontaire des réfugiés, la campagne de reddition des FDLR risque de rester une opération symbolique face à une crise qui, depuis 30 ans, ensanglante l’Est du Congo.

Une menace fantôme au service du pillage des ressources

Cette crise trouve ses origines dans l’exode massif de près d’un million de Hutus vers le Zaïre après la victoire du FPR en juillet 1994. Les camps de réfugiés au Kivu, comme ceux de Mugungu ou Kibua, sont devenus des foyers de réorganisation pour les ex-FAR et les Interahamwe, qui y recrutaient et s’entraînaient pour un retour armé au Rwanda. La première guerre du Congo (1996-1997), menée par le Rwanda et l’Ouganda, a dispersé ces camps, mais les survivants se sont repliés dans les forêts du Kivu, formant l’ALiR puis les FDLR.

Kigali a depuis systématiquement présenté ces groupes comme une menace génocidaire persistante, justifiant ses alliances avec des rebelles du RCD (1998-2003) au CNDP (2006-2009), en passant par le M23 (2012-2013 et depuis 2022) qui ont contrôlé les mêmes zones sans jamais lancer d’opérations décisives contre les FDLR. Le RCD, par exemple, a dominé les provinces du Nord et du Sud-Kivu pendant près de cinq ans avec des contingents RDF intégrés, disposant de moyens militaires écrasants. Pourtant, aucune offensive d’envergure n’a été menée contre les FDLR, suggérant que leur survie servait d’alibi idéal pour prolonger l’occupation rwandaise. Une contradiction flagrante émerge aussi de l’intégration d’anciens membres des FDLR au sein des institutions rwandaises : Paul Rwarakabije, ancien commandant en chef des FDLR, a été promu général dans l’armée rwandaise après sa reddition en 2012, et d’autres officiers ont suivi un parcours similaire. Comment un groupe peut-il être à la fois une « menace existentielle » et source de recrutement pour l’armée adverse ? Cette instrumentalisation est patente : après trente ans, il est hautement improbable que les ex-FAR impliqués dans le génocide de 1994 soient encore actifs. La majorité ont été tués, capturés, jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou ont simplement vieilli. Les FDLR actuelles sont composées en grande partie de jeunes recrues nées en RDC, sans lien direct avec 1994, perpétuant un mythe de « génocidaires toujours actifs » pour justifier l’impunité rwandaise.

Derrière cette rhétorique sécuritaire se cachent des objectifs géopolitiques et économiques bien plus pragmatiques. Le Rwanda, un petit pays enclavé et pauvre en ressources naturelles, est devenu ces dernières années un exportateur majeur de minerais stratégiques comme le coltan, l’or et la cassitérite. Selon les rapports du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC (notamment ceux de 2023 et 2024), une grande partie de ces exportations estimée à plus de 1 milliard de dollars par an, provient de l’Est congolais, extraite dans des zones contrôlées par des groupes armés soutenus par Kigali, dont les profits alimentent directement l’économie rwandaise.

Des circuits de contrebande sophistiqués transitent par le lac Kivu ou les postes frontaliers, finançant à la fois les RDF et leurs proxies. Stéphanie Wolters, chercheuse principale à l’Institute for Security Studies (ISS) et spécialiste des dynamiques régionales en Afrique centrale, le souligne avec clarté : « Le Rwanda a des ambitions territoriales claires dans l’Est de la RDC, où il exerce un contrôle de facto sur des zones riches en minerais, au détriment de la souveraineté congolaise. » Cette réalité, longtemps ignorée par la communauté internationale séduite par le « miracle économique » rwandais, explique pourquoi les FDLR, malgré leur faiblesse militaire, sont maintenues en vie comme un épouvantail commode. Sans elles, quel prétexte pour les incursions répétées et le soutien aux rebelles ? L’accord de Washington, s’il est appliqué avec sincérité, pourrait forcer Kigali à abandonner ce narratif, mais l’histoire montre que les engagements passés comme ceux de l’Accord-cadre de paix, sécurité et coopération pour la RDC et la région de 2013 ont été bafoués sans conséquences.

Trente ans après le début de cette tragédie, qui a coûté la vie à plus de 7 millions de Congolais, un bilan qui dépasse de loin les 800 000 victimes du génocide rwandais et représente près de quatre fois la population de Paris, plus de six fois celle de Bruxelles et plus de deux fois celle de Berlin, le drame humanitaire de l’Est congolais reste le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Des millions de déplacés, des famines récurrentes, des épidémies de choléra et d’Ebola exacerbées par l’insécurité, et un pillage systématique des ressources qui prive la RDC de ses richesses légitimes. Combien de victimes faudra-t-il encore pour que la communauté internationale cesse de cautionner cette rhétorique fallacieuse ? Combien de souffrances pour que l’on reconnaisse l’instrumentalisation meurtrière des FDLR et impose un règlement politique inclusif, incluant un dialogue inter-rwandais véritable et la fin de l’exploitation illicite ?

La RDC mérite enfin de se reconstruire dans la paix et la stabilité, sans que des puissances étrangères, à travers des manœuvres cyniques, n’exploitent ses ressources et ne maintiennent son peuple dans une éternelle souffrance. La mémoire des millions de victimes congolaises doit être un appel impérieux à la démystification urgente de cette menace fantôme et à la fin de cette tragédie.

Heshima

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