Thomas LUHAKA: « On ne peut pas espérer développer le Congo si on n’a pas de cadres supérieurs bien formés »
Le ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire (ESU), Son Excellence Thomas Luhaka Losendjola, estime que si la classe politique prend conscience qu’il n’y a pas d’avenir pour la RDC sans des cadres bien formés, elle va mettre des moyens dans l’enseignement pour la formation desdits cadres. Parlant de ce qu’il a entrepris à la tête de l’ESU, il relève ici des difficultés qui plombent ce secteur : absence de financements, manque d’infrastructures, qualité et nombre de professeurs, qualité et nombre d’étudiants, programme non adapté… Il n’oublie pas le coronavirus contre lequel il a mis en place une stratégie de lutte.
Heshima Magazine : Quels sont les problèmes auxquels vous faites face dans votre secteur ?
Thomas Luhaka : Nous avons placé notre mandat à la tête du Ministère de l’Enseignement Supérieur et Universitaire sous le thème du « redressement de l’ESU». C’est notre leitmotiv, car notre système d’enseignement est buté à plusieurs obstacles majeurs. Déjà, le premier problème, c’est le nombre insuffisant d’enseignants. Nous n’avons pas des professeurs pour l’ensemble du système éducatif. Il faut former de nouveaux professeurs et par ricochet, assurer la relève. Pour y parvenir, il faut accorder des bourses et encourager les recherches. Ainsi, nous sommes dans cette dynamique-là, celle de négocier avec les partenaires, en vue d’obtenir et nous avons déjà obtenu quelques bourses, avec notamment la Russie, le Brésil, Cuba et même la France. Nous sommes en train de chercher des bourses, même au niveau interne, voire comment le gouvernement, via le trésor public, peut l’encourager.
H.M. : Y’a-t-il d’autres obstacles ?
T. Luhaka : L’autre problème est notre programme. Est-ce que le programme actuel est adapté au besoin de la société ? Comme vous le savez, l’enseignement supérieur c’est trois missions. Premièrement l’enseignement, la transmission de connaissances, la deuxième mission c’est la recherche et la troisième mission c’est le service à la communauté. Donc, il faut que le programme soit adapté à cette communauté et pour cela nous avons besoin des États généraux pour évaluer ledit programme. Et puis un problème parmi les défis majeurs que nous rencontrons, c’est le problème des infrastructures. La population estudiantine continue de grandir chaque année, mais les infrastructures ne suivent pas ce qui nous pose d’énormes problèmes. Juste pour vous donner un exemple, l’Université de Lovanium qui est devenue UNIKIN aujourd’hui, a été construite avec une capacité d’accueillir 3 000 étudiants. A ce jour, on est autour de 30 000, donc dix fois plus, mais les infrastructures n’ont pas suivies. Ce sont les vrais problèmes que nous avons et c’est le cas pour l’Université de Kisangani et l’Université de Lubumbashi, pour ne parler que de ces trois grandes universités. Malheureusement, c’est le même problème qui se pose un peu partout. Nous avons encouragé les gestionnaires de ces établissements à s’organiser du mieux qu’ils peuvent sur fonds propres afin de résoudre cette question. Beaucoup de ces responsables ont répondu à notre recommandation. Actuellement, pour certains les constructions sont en cours et pour d’autres les travaux sont achevés. Je peux citer l’ISC Kinshasa, l’ISC Lubumbashi, l’ISTM Bunia et tant d’autres qui continuent de construire. Un autre défi, c’est la qualité des étudiants. Notre loi stipule que tout le monde ne peut pas faire l’université. Il faut obtenir au minimum 60% à l’examen d’Etat comme condition pour s’inscrire à l’université ou dans un établissement du supérieur. Cependant elle autorise des tests d’admission pour ceux qui ont obtenu un pourcentage inférieur à celui établi. Malheureusement, à cause de la situation catastrophique sur le plan financier de nos établissements du fait qu’ils ne reçoivent plus de subvention de l’Etat, l’application de cette condition légale a produit des effets pervers. Censé être un mécanisme rigoureux de sélection pour l’accès à l’université ou l’établissement supérieur, ce test est plutôt devenu une source des revenus. Très souvent la réussite au test d’admission est consécutive au paiement des frais y relatifs au mépris de la qualité des étudiants.
H.M. : Par rapport à la Covid-19, quelles sont les actions entreprises dans votre secteur ?
T. Luahaka : Lorsque la Covid-19 a été détectée au pays, tout a été arrêté et à la reprise des activités, le comité national anti-Covid, dirigé par le professeur Muyembe, nous a fait des recommandations. Entre autres, nous avons installé dans chaque établissement un comité de lutte contre la pandémie, chargé de la sensibilisation pour le respect des gestes barrières, d’étudier les mécanismes susceptibles d’endiguer le coronavirus dans nos établissements et je me réjouis de leur efficacité parce que lorsqu’on a autorisé la reprise de cours, on n’a pas connu une remontée des cas de Covid-19 dans nos établissements d’enseignement supérieur.
H.M. : À l’UNIKIN, quelques cas de contamination par la Covid-19 avaient été détectés. Qu’en est-il aujourd’hui ?
T. Luhaka : Oui, on a connu quelques cas, c’est vrai. Nous déplorons le fait que nous avons perdu beaucoup de professeurs, plus d’une vingtaine à l’UNIKIN, c’était vraiment une hécatombe. Comme vous le savez, je vous le disais tout à l’heure, former un professeur d’université c’est quelque chose qui prend beaucoup de temps et de moyens. Pouvoir remplacer ces professeurs-là c’est un défi énorme. Nous déplorons cela et avons pris de mesures suivant les recommandations du docteur Muyembe de préserver les professeurs très âgés en évitant de les mettre en contact avec les foules d’étudiants. D’autres mesures ont également été prises dont la multiplication des points de lavage des mains, le port obligatoire de masques, etc. La situation est plus ou moins sous contrôle aujourd’hui.
H.M. : Dans les jours à venir, faut-il espérer voir l’enseignement se donner à distance ?
T. Luhaka : Oui, il y a un projet là-dessus, mais pour autoriser et valider l’enseignement à distance, il faut une décision du gouvernement, autrement dit, un décret du Premier Ministre. Nous avons déjà à notre niveau préparé ce projet, il est dans le processus gouvernemental au niveau des commissions permanentes pour examen et dès que le processus va aboutir, le décret sera signé ; ce qui va nous autoriser à assurer l’enseignement à distance. Même si cet enseignement est déjà pratiqué dans certaines grandes universités, il faudrait une reconnaissance officielle par le décret du Premier Ministre.
H.M. : Comment voyez-vous l’avenir de l’enseignement supérieur et universitaire en RDC ?
T. Luhaka : L’avenir dépend de la volonté des politiques. Nous de la classe politique, les dirigeants, le gouvernement, si nous prenons conscience qu’il n’y a pas d’avenir pour la RDC sans des cadres bien formés, nous mettrons des moyens conséquents dans l’enseignement pour pouvoir justement former ces cadres-là. Nous pensons que, si nous mettons l’accent sur la formation de nos cadres, avec un enseignement de qualité, nous pouvons développer notre pays. Mais, si nous ne prenons pas conscience de cela et continuons à négliger l’enseignement de qualité comme c’est fut le cas ces dernières années, ce sera déplorable. Savez-vous qu’aucune université congolaise ne figure parmi les cent meilleures universités africaines, alors qu’il y a des décennies on était classé parmi les pays comptant les meilleures universités ? C’est une question de priorité. On ne peut pas espérer développer le Congo si on n’a pas de cadres supérieurs bien formés. Je reste quand même confiant parce qu’on a vu que la qualité de notre enseignement est encore là, des étudiants qui ont fini au Congo et qui font des exploits à l’extérieur du pays. On a quand même quelques cas qui nous démontrent que notre système n’est pas si mal que cela, mais il faut seulement le redynamiser, le redresser. Donc je reste très optimiste et je pense qu’avec beaucoup de volonté politique, nous pouvons faire en sorte que notre système d’enseignement supérieur redevienne parmi les meilleures d’Afrique.