Culture

Le Mwana Nkazi, un statut familial particulier

Contrairement à la configuration familiale issue de la culture occidentale, celle de l’Afrique détermine avec davantage de spécificité la traçabilité de ses membres. Comme celle du mwana nkazi, qui dans l’entendement commun serait le neveu ou nièce, en est une illustration. La compréhension de son statut est parfois déroutante.

Published

on

Dans le sens littéral de l’intitulé mwana nkazi en langue kongo, le premier terme signifie enfant (mwana) et le second oncle (nkazi ou nkasi) qui se traduirait donc dans l’acceptation générale par neveu ou nièce.

Et tout de suite, pour bien comprendre tout le sens de cette dénomination, il convient de faire référence aux autres personnages qui gravitent autour du mwana nkazi à savoir bien entendu l’oncle, mais également la sœur de ce dernier soit, la mère de son neveu ou de sa nièce. Ce personnage est nommé ngudi ou ngua. De ce fait, l’oncle dont il s’agit ici est l’oncle maternel ou le frère de la mère, c’est à dire certes le nkazi (noko en lingala) et pour plus de précision le ngua nkazi ou le ngudi nkazi. Dans cet ordre d’idées, le mwana nkazi (ou bana nkazi au pluriel) est (sont) l’(les) enfant(s) de l’oncle.

On saisit par-là que toute cette configuration familiale dans laquelle évolue le mwana nkazi se rapporte au matriarcat pratiqué dans l’espace kongo qui s’étend dans la province du Kongo Central de la RDC et une partie des populations de l’ancienne province du Bandundu, essentiellement dans le Kwango et le Kwilu.

Dans ce type d’organisation familiale, le côté maternel occupe une place primordiale. Il est particulièrement mis en valeur par rapport au côté paternel. Car son origine puisée dans la sagesse kongo s’explique par le fait que la certitude de la maternité est l’apanage de la femme et par voie de conséquence l’enfant est censé plus lui appartenir plutôt qu’au père. Cependant, malgré l’importance de la femme dans ce contexte, le rôle de l’homme n’est pas pour autant annulé et c’est à ce titre qu’il est confié à l’oncle maternel. C’est ainsi que dans la prise de parole dans les affaires de la famille, la préséance est réservée à l’oncle maternel qui par ailleurs est considéré comme le chef de clan, le mfumu (chef) kanda (clan).

C’est ainsi que l’existence du clan indique que la famille n’a pas une étendue restreinte, mais au contraire elle est large dans la mesure où elle intègre les membres de plusieurs degrés, car la famille se conçoit comme un tout, loin de sa composition nucléaire. Là où, de par la culture occidentale on parlerait de cousins et cousines, la famille africaine parle de frères et sœurs. (Ndlr : bien que la notion de cousin et cousine n’existe pas dans la tradition africaine, elle est mentionnée dans ce texte pour faciliter sa compréhension). Cela veut dire qu’un nkazi pour un mwana nkazi donné, n’est pas uniquement le frère de sa mère, mais également tous les « cousins » de celle-ci sont les nkazi du mwana nkazi. Ici, la préséance porte sur l’âge, de l’oncle maternel le plus âgé au plus jeune.

Un autre aspect du caractère dynamique de l’organisation familiale Kongo à signaler est celui où un fils aîné, qui jusque-là considéré comme mwana nkazi, à la mort de son dernier oncle maternel direct (c’est-à-dire le frère biologique de sa mère) est élevé au rang de frère de sa mère et des sœurs de cette dernière, soit ses tantes directes : il devient donc nkazi et ses « cousins » deviennent ses bana nkazi. Jusqu’à confirmer sa position au fur et à mesure du décès de ses autres nkazi.

De même, les bana nkazi, nés des mères, tantes et cousines de leurs mères, sont entre eux des frères et sœurs et à leur tour, les garçons de cette génération deviennent des nkazi de leurs enfants mâles ou femelles (filles et garçons).

Des liens privilégiés étroits

De ce fait, selon la tradition, les liens entre le mwana nkazi et le ngua nkazi sont très étroits : ce dernier prend soin de ses neveux et nièces plus que ses propres enfants, même s’il est moins nanti que leur père. Il en va également du père biologique qui même s’il est mieux pourvu que le frère de son épouse, prendra plus soin de ses neveux et nièces au détriment de ses propres enfants. Chaque enfant raffermit ses relations avec son oncle maternel. C’est ainsi que le mwana nkazi héritera du ngua nkazi en défaveur des propres enfants de celui-ci.

Il n’empêche, le père biologique d’une progéniture conserve un certain niveau d’ascendant à l’égard d’elle, en termes d’obligations et devoirs malgré l’emprise du nkazi. Ici, il faudrait préciser qu’en considérant la famille sous l’angle paternel, la notion de neveu et nièce permet de saisir la particularité dévolue au mwana nkazi. Car vis-à-vis d’un père biologique, les enfants de ses frères qui l’appellent papa en précisant s’il est l’aîné par rapport à leur père (papa kulutu) ou plus jeune (papa leki) sont aussi ses enfants. Par contre, les enfants de sa (ses) sœur(s) et de ses cousines maternelles sont ses bana nkazi. Donc à ce stade, pour ce père biologique même si tous ces descendants sont des neveux, il existe entre eux une différence, d’une part des bana nkazi et d’autre part des enfants. En somme, une façon de dire que l’on peut être neveu sans vraiment l’être !

 A titre exemplatif, une institution comme le mariage permet d’évaluer l’importance des liens au sein d’une famille par l’apport de la dot, le nkolo milongo abusivement traduit par facture, qui est une des caractéristiques du matriarcat. Elle consiste à la remise de biens à la famille de la future épouse. Cette circonstance confirme qu’en dépit de sa place supposée être secondaire, le père biologique ou ses frères bénéficient de l’argent de la dot ou d’autres objets qui leur reviennent, telle la paire de chaussures, le costume….

Quant au ngua nkazi, il a également droit à une part des biens exigés pour conclure le mariage coutumier de sa mwana nkazi. Il a droit au manteau ou l’imperméable, le nzaka ki mfumu kanda, dont la symbolique est de doter le chef de famille de ce vêtement qui lui permettra d’affronter les intempéries au cas où il doit recourir à l’extérieur pour venir en aide à sa nièce pour n’importe quelle raison (maladie de la maman, de l’enfant…). Par contre dans la constitution de la dot du mwana nkazi, l’oncle maternel interviendra à la hauteur de ses moyens, si nécessaire avec le concours de la famille paternelle du futur marié.

 D’hier à aujourd’hui

Certes, ici et là subsistent dans une certaine mesure des vestiges du matriarcat et du positionnement du mwana nkazi. Il faudrait cependant reconnaître que la tradition est de plus en plus battue en brèche. La vie moderne occidentalisée a en effet régulièrement dépouillé le contenu de cette coutume.

 Certes la dénomination de mwana nkazi subsiste, rattachée qu’elle est au neveu et à la nièce, mais beaucoup de changements sociaux ont modifié les rapports au sein des familles, que ce soit la distance géographique même dans une même ville dans le cadre de la fréquentation, les préoccupations matérielles des uns et des autres….

En outre, le fait de dénier au père biologique certaines obligations est considéré comme une forme d’irresponsabilité de sa part face à la démission de ses devoirs vis-à-vis de ses enfants. Sous un autre angle, ces us apparaissent comme une aberration car après avoir négligé le sort de ses enfants, le père biologique finit cependant par tirer profit de leur évolution, surtout en cas de réussite et se montrer exigeant pour en cueillir les fruits.

C’est donc pour s’avouer : autres temps, autres mœurs ! 

 Vitho wa Vitho 

Trending

Quitter la version mobile