Interview

Union africaine: Alphonse Ntumba Luaba note un bilan positif du mandat de Félix Tshisekedi

Coordonnateur du Panel chargé d’accompagner la mandature du président Félix Tshisekedi à la tête de l’Union africaine, Alphonse Ntumba Luaba revient sur les actions réalisées par le chef de l’Etat congolais à la tête de cette organisation panafricaine. Interview.

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Heshima Magazine : Alphonse Ntumba Luaba, vous êtes coordonnateur du Panel chargé d’accompagner la mandature du Président Félix Tshisekedi à la tête de l’Union africaine. Le chef de l’Etat tend vers la fin de son mandat à la tête de cette structure panafricaine, quel bilan peut-on dresser ?

Alphonse Ntumba Luaba : C’est sur une note positive que le mandat du Chef de l’Etat arrive bientôt à sa fin. A ce stade-ci, je salue ici le travail qu’il a accompli à la tête de l’Union africaine, et ce malgré le contexte de crise sanitaire marqué notamment par la pandémie de Covid-19. Alors que cette pandémie est revenue ces derniers mois avec beaucoup de force en Afrique, l’Union africaine et les institutions étatiques africaines ont connu, en même temps, quelques péripéties dans leur fonctionnement. Face à cette réalité, le Président Félix Tshisekedi a fait preuve d’une ferme volonté et détermination afin de mettre en œuvre son plan d’action. Dans l’ensemble, je note que le bilan de son mandat est positif, par ce qu’il est jalonné des actions et des réalisations remarquables au niveau national et africain.

HM: De manière globale, pensez-vous que Félix Tshisekedi a réussi son mandat à la tête de l’Union africaine ?

Oui, assurément.

HM: Au niveau du Panel, qu’est-ce que vous avez fait concrètement dans votre mission d’accompagnement de cette mandature ?

Je rappelle ici que, par sa nature de « structure de réflexion et de travail », une sorte de « Think Thank », le Panel a pour mission, conformément à l’Ordonnance n° 20/144 du 30 octobre 2020, d’assister le Président de la République dans la mise en œuvre de sa vision et de son plan d’actions à la tête de l’Union africaine. Concrètement, le Panel a assuré l’organisation de plusieurs activités de cette mandature, surtout au niveau national, dont le Festival Panafricain de Kinshasa, l’Académie Temporaire de Formation, la Conférence de Kinshasa sur l’égalité des sexes, le Premier Colloque Panafricain sur la sensibilisation sur l’albinisme, le lancement du Grand Prix Panafricain de Littérature et du Grand Prix National du Livre.

Soulignons que le travail du Panelest d’assister le Chef de l’Etat dans la préparation des dossiers de sa participation aux foras internationaux, aux conférences et réunions de l’UA et autres. Aussi, il assume, avec les instances gouvernementales compétentes, le suivi fonctionnel, administratif et financier des activités de la Présidence de l’Union africaine exercée par la RDC, et contribue à l’analyse, à la rédaction et à la préparation des prises de position continentales du Chef de l’Etat et des éléments de langage.

HM: Qu’est-ce que cette mandature a apporté à la RDC et qu’est-ce que la présidence de Félix Tshisekedi a apporté aux autres Etats africains ? 

Evidemment, cette mandature a permis de sortir notre pays de l’effacement sur le plan international, qui souffrait de l’éclipse depuis un certain temps. Je reviens justement sur ce que j’ai dit lors du briefing tenu avec le ministre Patrick Muyaya devant la presse nationale. Au niveau africain et international, l’image de la RDC devient favorable et sa diplomatie trouve des repères solides. Notre pays s’effraie de plus en plus des voies de coopération bilatérale et multilatérale utile. Et aujourd’hui, nous nous félicitons de l’élection du Professeur Remy Ngoy Lumbu à la tête de la Commission Africaine des Droits de l’homme et des Peuples à l’issue de sa 69ème session ordinaire tenue à Banjul et du Professeur Yvon Mingashang comme membre à la Commission du droit international des Nations Unies. Il faut également citer madame Nadège Tandu, la nouvelle Directrice de la Gestion des Ressources Humaines au sein de la Commission de l’UA.

Sur le continent africain, les activités comme le Festival Panafricain de Kinshasa, le lancement du Grand Prix Panafricain de Littérature et du Grand Prix National du Livre ont contribué à la revalorisation de la culture africaine et de ses patrimoines, sans ignorer le combat de la restitution des biens de cultures africaines trainés en France et en Belgique. La lutte contre les violences faites à la femme en Afrique au centre de deux déclarations importantes, grâce à la Conférence de Kinshasa sur les violences faites aux femmes et aux filles et à la Conférence des Hommes sur la masculinité positive. La Déclaration de Kinshasa sur l’Albinisme a donné une lueur d’espoir à la lutte contre toutes les formes de discrimination à l’égard des personnes vivant avec albinisme. Par ailleurs, cette mandature a offert un bon cadre de négociations tripartites (Egypte, Ethiopie et Soudan) neutre et permanent autour du Barrage de la Renaissance Ethiopienne.

HM: Une « Union africaine au service des peuples » africains, vous avez dégagé 9 piliers stratégiques de son mandat, notamment la sécurité globale, quelle action retenir pour l’Est de la RDC ainsi que d’autres régions africaines en proie aux groupes terroristes ?

Tout au long de cette mandature, nous avons fait de la promotion de la paix et de la sécurité pour une Afrique débarrassée des conflits un cheval de bataille. Contre la menace permanente et les incursions des groupes armés à l’Est du pays, l’instauration de l’Etat de siège a été jugée utile par le Président de la République afin de sortir cette partie du pays du cercle vicieux de l’insécurité permanente. Ses retombées sont positives, qu’on se le dise ! Tout n’est pas parfait, bien sûr qu’il faille améliorer encore quelques aspects de ce dispositif. Aussi, la nature de la menace de l’ADF exigeait donc une coopération militaire transfrontalière. Ce qui justifie aujourd’hui la collaboration des FARDC avec  l’UPDF (armée ougandaise).

Face à la menace terroriste dans certaines régions africaines (Mali, du Tchad, du Nigéria), le Président de la République n’est pas resté indifférent. La percée djihadiste en Afrique est un défi majeur qui exige un renforcement des appareils sécuritaires étatiques et des mécanismes de coopération militaire au niveau  régional, continental et mondial. Lors du Sommet Turquie – Afrique, le Président Turc a décidé d’apporter son appui militaire dans ce combat contre le terrorisme. Aujourd’hui plus que jamais, la réforme des mécanismes et cadres pour aider les États membres à relever ses défis doit être envisagée, notamment du Comité des services de renseignement et de sécurité (CISSA), de l’Union africaine pour la Coopération Policière (AFRIPOL) et du Centre Africain pour l’Etude et la Recherche sur le Terrorisme (CAERT). Les instruments juridiques, eux aussi, doivent passer au crible, en l’occurrence la Convention d’Alger de 1999 (Convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme) et la Charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique (Charte de Lomé).

HM: Un point important de son mandat, c’est le conflit sur le barrage de la Renaissance construit avec les eaux du fleuve Nil par l’Ethiopie. Ce qui a déclenché la colère de l’Egypte. Dans quel état le président Tshisekedi laisse-t-il ce conflit ? Quelles avancées peut-on retenir ?  

Je note que les négociations sur le GERD sous la médiation du Président de la République et Président de l’Union africaine Félix Tshisekedi ont abouti à un rapprochement entre ces trois pays (Egypte, Ethiopie et Soudan) afin de les amener vers les voies de sortie et à trouver des solutions et non pas de prétendre donner des leçons ou des solutions. C’est ici qu’il faut reconnaitre le mérite de la Conférence de Kinshasa d’avoir travaillé sur l’harmonisation de certains points de vue avec l’esquisse des éléments éventuels de convergence et des acquis à consolider, en dépit de la persistance de quelques points de divergences.

HM: Vous maitrisez bien le domaine de la diplomatie régionale pour avoir été à la CIRGL, quels sont les rapports que la RDC entretient aujourd’hui avec ses 9 voisins ?

Je pense que la diplomatie régionale prônée par le Président de la République vise d’abord la stabilité politique durable et mutuellement profitable au pays. L’objectif est d’entretenir des rapports de bon voisinage et surtout de construire une véritable stratégie de coopération régionale. C’est vrai que ces rapports, dans le contexte de la guerre de l’Est, prennent parfois des allures tendues, mais le Président, lui, cherche toujours à privilégier une approche de dialogue et concertation.

HM: Où en sommes-nous avec la CEPGEL et la CIRGL ?

Il faut souligner que depuis quelques années, la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) connaît des difficultés énormes liées à son fonctionnement. Aujourd’hui, ses membres n’y voient plus leurs intérêts comme avant. L’un des objectifs de l’accord-cadre était de relancer cette communauté sous-régionale afin de rétablir les bonnes relations de coopération entre la RDC, le Rwanda et le Burundi. La CIRGL s’est inscrite dans ce même combat. Pour relancer complétement  la CEPGL, à mon humble avis, il faudrait d’abord que la confiance entre les Etats membres soit restaurée et que leurs dirigeants manifestent aussi une ferme volonté politique. Il y a bien des années, le Gouvernement congolais avait eu peur de son opinion publique, ce qu’il a conduit à prendre des distances vis-à-vis de ses voisins de l’Est. Entre-temps, les relations entre le Rwanda et le Burundi étaient aussi gravement détériorées. Et ensuite, faudrait-il envisager une véritable réforme de la CEPGL comme le cas de la CEEAC et la CIRGL.

La Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), quant à elle, continue à fonctionner normalement malgré quelques défis liés à de nombreux conflits dans la région des grands-lacs et au développement. Ce mécanisme régional fut établie conjointement par le Secrétariat des Nations Unies et l’Union africaine à Nairobi en 2006, pour réguler les conflits dans la région des grands-lacs ». En dehors des questions sécuritaires, la CIRGL a notamment mis en place un vaste programme sur les « questions de développement, de gouvernance et de démocratie.  Mais, les défis sécuritaires restent énormes dans la région des grands lacs et la CIRGL a encore du chemin à parcourir. C’est le cas de la partie Est du pays. Certains experts reprochent toutefois à la CIRGL de n’avoir jamais pris des sanctions contre les pays qui violent son traité-fondateur.

HM: La RDC fait actuellement partie de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), mais certains opérateurs économiques de l’Est du pays sont opposés à cette option. Qu’est-ce que le pays peut tirer de bien dans cette organisation ?

Lorsqu’un Etat voudrait adhérer à une organisation sous-régionale ou régionale, ce dernier doit se poser la question suivante: Quels bénéfices va-t-on tirer en adhérant à cette organisation ou communauté? Cela va de soi que la Communauté de l’Afrique de l’Est constitue un bloc économique et commercial important profitable à la partie Est du pays pour combler certains déficits. Cette communauté est l’un des blocs économiques les mieux intégrés en Afrique. L’adhésion de la RDC à cette Communauté présente plus des opportunités que des menaces. Sur le plan économique et commercial, il faut noter des avantages sur les échanges commerciaux, l’ouverture vers un marché commun des biens et des ressources, la réduction des charges pour les activités commerciales et économiques, la réduction des tarifs douaniers et autres. C’est ici qu’il faut souligner que certains opérateurs économiques de l’Est du pays, surtout ceux qui avaient le monopole total, sont opposés à cette option par crainte de perdre leur influence sur le marché commun.

Par ailleurs, cette adhésion va aider l’Est du pays à s’intégrer totalement à l’espace commun de télécommunications de cette communauté, notamment avec la réduction des coûts et des tarifs téléphoniques, et faciliter la mobilité des citoyens vers ses Etats membres. Au niveau sécuritaire, le Pacte de sécurité de l’EAC sera profitable à la RDC afin de renforcer sa coopération militaire avec les Etats membres de cette communauté, notamment le Kenya et l’Ouganda avec lesquels elle collabore déjà dans la traque des rebelles à l’Est du pays. Plusieurs projets initiés par l’EAC, dans le cadre de la réalisation de l’agenda 2025, seront profitables à la RDC, notamment la construction des chemins de fer Tanzanie-RDC en passant par le Rwanda, le développement du secteur énergétique et  la construction d’un centre régional d’excellence pour l’enseignement médical supérieur et la recherche, en collaboration avec la Banque africaine de développement (BAD).

HM: Le Congo-Kinshasa accède facilement à la tête des organisations africaines lorsqu’il s’agit de mandats tournants. Pourquoi est-ce qu’elle a difficile à faire élire ses candidats lors des élections à la tête de différentes organisations régionales ? Le cas de Faustin Luanga au secrétariat exécutif de la SADC.

Je ne partage pas ce point de vue. Plus loin, je n’ai pas manqué de citer nos compatriotes qui ont été élu respectivement à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et à la Commission du Droit International des Nations Unies (CDI). Pour le cas du Professeur Faustin LUANGA, le Président de la République n’a ménagé aucun effort pour porter sa candidature au poste Secrétariat exécutif de la SADC. Malheureusement, certains facteurs n’ont pas joué à notre faveur. Les pays anglophones étant majoritaires à la SADC ont fait bloc pour soutenir la candidature de Monsieur Elias MAGOSI. Ce clivage anglophone et francophone est toujours d’actualité en Afrique malheureusement.  A cela, s’ajoutent d’autres raisons d’ordre organisationnel. En principe, la candidature de Mr Elias MAGOSI ne devait pas passer. Suivant les usages diplomatiques, il est inadmissible que le citoyen d’un pays abritant une organisation internationale soit le principal dirigeant de cette même organisation. Un citoyen éthiopien ne peut pas prétendre au poste du Président de la Commission de l’Union africaine. De même, un citoyen français à l’Organisation Internationale de la Francophonie et un citoyen américain au Secrétaire Général des Nations Unies. C’est une règle non écrite « gentleman agreement » appliquée souvent au sein des organisations internationales.

Aujourd’hui, il faut tourner cette page. La RDC n’est pas totalement perdante puisqu’elle a raflé la vice-présidence de la SADC et se prépare déjà, au mois d’août de cette année, à prendre sa présidence. 

HM: Il y a une série de coups d’Etat observés pendant cette mandature du chef de l’Etat. Et en grande partie en Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire, au Mali, au Soudan, en Guinée Conakry et au Burkina Faso, un cinquième coup d’Etat a manqué en Guinée-Bissau. En dehors des communiqués de l’Union africaine, qu’est-ce qu’a fait concrètement le chef de l’État en tant que président de cette institution pour rassurer les peuples de ces pays et assurer un retour à l’ordre constitutionnel ?

Il faut d’abord savoir que l’accomplissement d’un coup d’État dans un pays est généralement un fait de politique interne mais saisi par le droit international à travers la pratique de la reconnaissance internationale. Autant il est difficile d’empêcher un coup d’Etat, autant les États et les organisations peuvent intervenir en reconnaissant ou non le gouvernement issu du coup de force. Actuellement, notamment en Afrique de l’Ouest, il y a le contexte sécuritaire de lutte contre le terrorisme où dans certains pays les militaires ont l’impression que les autorités civiles n’arrivent pas à faire face à de telles situations où à donner à l’armée des moyens conséquents.

Dans ce sens, et sans doute dans l’optique de politique de dissuasion, l’Union africaine condamne et rejette les changements anticonstitutionnels des gouvernements, c’est-à-dire, les coups d’Etat, à l’article 4 de son Acte constitutif. De même que la Déclaration de Lomé de 2000 va dans le même sens, prévoit la suspension de tels gouvernements jusqu’au retour à la vie constitutionnelle normale.

Nous pensons qu’une des voies de sortie est de rendre effective la Force Africaine en Attente ; de mutualiser nos intelligences et ressources pour éradiquer les menaces et actions terroristes.

Mais il faut aussi améliorer la gouvernance politique, constitutionnelle, électorale, financière et économique de nos pays, écouter davantage nos jeunes et les sociétés civiles.

Propos recueillis par Heshima Magazine

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