Interview

Georges KAPIAMBA :« le système de gestion, …qui a existé dans ce pays depuis 1960, jusqu’à maintenant, est une gouvernance de prédation »

Président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), Me Georges Kapiamba estime que la lutte contre l’impunité doit être considérée dans la société congolaise comme un engagement national, exigeant la participation de tous. Pour lui, on doit en parler et sensibiliser ceux qui semblent se taire. Il le dit dans l’interview qu’il a accordée à HESHIMA Magazine.

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 HESHIMA : Maître Georges Kapiamba, vous êtes président de l’ACAJ, voudriez-vous nous rappeler les différentes missions de votre ONG ? 

Me Georges Kapiamba : Les missions de l’organisation peuvent s’articler en trois points. Permettez-moi, avant de les énumérer, que je puisse rappeler que depuis le 12 septembre de l’année en cours, l’ACAJ a totalisé onze ans, onze ans d’expériences, de travail. Tout le travail a tourné autour de trois missions, à savoir la promotion et la protection des droits de l’homme. La deuxième mission est d’assurer la diffusion, la vulgarisation de tous les instruments juridiques internationaux relatifs au droit de l’homme. Dans les instruments juridiques il faut ajouter même les nationaux. Enfin, la troisième mission, est celle qui est relative à l’accès à la justice, c’est-à-dire une contribution qui vise la catégorie des personnes les moins nanties, les pauvres, ceux qui ne savent pas consulter un avocat par manque de moyens, ceux qui ne savent pas où déposer leurs plaintes ou déposer leurs requêtes. Nous essayons de leur venir au secours pour qu’elles aussi aient accès à la justice. Enfin, il y a aussi la catégorie des personnes qui sont en détention, qui ne savent qui consulter, surtout qui sont en détention dans des lieux tenus par des services de sécurité, vous savez que ce sont des endroits difficilement pénétrables. 

Si vous devez faire l’évaluation de votre propre action, la situation a-t-elle évolué ou pas ? Les Congolais accèdent-ils facilement à la justice aujourd’hui ?

Oui, la situation, nous pouvons le dire ainsi, le soutenir, le Congolais a non seulement pris conscience de la place qu’occupent les valeurs des droits de l’homme, mais aussi de l’implication, de l’éveil de chacun pour la participation presque de tout le monde, surtout les jeunes dans la revendication des droits fondamentaux des citoyens. 

Ce n’était pas le cas, rappelez-vous, pour ceux qui ont vécu pendant la période du règne de feu Maréchal. Personne ne pouvait s’occuper de la gestion des biens publics. Maintenant, ce n’est plus le cas, les gens sont devenus de plus en plus exigeants. C’est aussi un travail de sensibilisation, pas seulement l’ACAJ, mais l’ensemble d’organisation des défenses des droits de l’homme, des médias qui travaillent chaque jour pour assurer la diffusion de la sensibilisation. La formation de ces valeurs des droits de l’homme ont contribué à cet éveil des consciences. Et aussi il faut mentionner le fait que sur le plan de la gouvernance de notre pays, il y a eu des acquis, parmi lesquels la constitution de 2006, qui est l’une des meilleures constitutions en ce qui concerne les pays de l’Afrique, surtout de l’Afrique centrale.

Quel a été votre apport par rapport à la constitution du 18 février 2006 ? 

Notre apport, il faut dire avec toute modestie qu’il ne faut pas seulement me voir dans les 11 ans, je suis dans l’engagement associatif depuis plus de 30 ans. Donc, j’ai pris cet engagement depuis l’Université. Beaucoup de mes collègues qui me connaissent et que je rencontre souvent, que ce soit au pays ou à l’étranger, témoignent toujours, affirmant que : « Lui, c’est depuis l’université ». Donc, ce que nous avons fait, que ce soit dans mon ancienne structure qui était l’ASADHO, comme ici au sein de l’ACAJ, qui est une structure plus spécialisée sur la question d’accès à la justice, la défense des droits des citoyens par le recours à la justice, au fait notre idée avec les autres compatriotes était  de considérer que beaucoup de gens recourent à la violence parce qu’ils ne connaissent pas l’existence des mécanismes juridiques qui sont organisés pour réclamer leurs droits ou les défende.

La population a une mauvaise image des animateurs de la justice parce que l’issue des dossiers judiciaire la déçoit beaucoup, les cas du procès 100 jours, Eteni Longondo… N’est-ce pas que c’est décourageant ?

 Tout à fait. Dans les dossiers que vous avez cité, même nous ACAJ, qui avons fait l’observation, qui avons dénoncé, nous avons fait des plaidoyers pour que le pouvoir judiciaire se mêle de l’affaire, que ces soient des affaires au moins emblématiques qui allaient permettre d’écrire une nouvelle page de la gouvernance judiciaire de notre pays. Nous avons tous étaient déçus par la suite, et nous sommes déçu jusqu’à ce jour. Pourquoi, parce que non seulement que les enquêtes n’avaient pas été très approfondies sur le plan technique, à cause aussi de beaucoup de raisons, mais il y a eu beaucoup de trafics d’influence politique qui ont déraillé même le cours de la justice et on a assisté à des décisions du genre où, quelqu’un est condamné au premier et deuxième degré s’offrait facilement la liberté provisoire au niveau de la Cour de cassation. 

Les cautions qui étaient payées étaient de loin insignifiantes par rapport même à la somme lui réclamée par la société. Bref, c’est une déception et aujourd’hui moi je le dis souvent, nous le disons aux plus hauts responsables, je l’ai dit aussi au nouveau président du Conseil supérieur de la magistrature : « Vous avez un défi à relever aujourd’hui ». C’est principalement de poser des actes qui vont permettre aux citoyens de comprendre que, ce qui s’est passé n’était qu’un accident de parcours et que les magistrats, nos magistrats, notre justice a compris qu’il y a moyen d’écrire notre histoire d’un état de droit. C’est décevant et aussi c’est décevant pour nous tous. 

L’année dernière, vous avez dénoncé le fait que plusieurs ministres du gouvernement Ilunkamba avaient détourné, curieusement ceux-ci étaient reconduits dans le gouvernement Sama Lukonde. Pensez-vous que l’impunité prendra un jour fin dans ce pays ?

 La lutte contre l’impunité doit être considérée dans notre société comme une cause nationale pour laquelle nous devons tous nous mobiliser. Nous devons en parler, nous devons sensibiliser ceux qui semblent se taire, nous devons leur dire, c’est vous qui avez le pouvoir, il faut faire cesser l’impunité à tous les niveaux. Aujourd’hui nous assistons tous au cas de Monsieur Vidye Tshimanga, ex-conseiller spécial chargé des questions stratégiques du Président de la République. Nous avons vu la vidéo et puis, un jour après il y a le Procureur Général de Kinshasa/Matete qui a ouvert un dossier RMP, c’est-à-dire un dossier pénal à sa charge, pour enquêter sur notamment l’éventualité d’actes de corruption, enrichissement illicite, blanchiment des capitaux et consorts. Trois jours après Gombe fait la même chose. Et tout cela c’est sous l’impulsion de leur chef, le Procureur général près la Cour de Cassation, qui a veillé à ce que les choses changent, parce qu’il n’est pas normal que nous soyons dans une société où on parle des détournements des millions, et que les magistrats soient là en train de croiser les bras et que quelques dossiers qui passent par la filière judiciaire puissent faire l’objet des marchandages.

Me Kapiamba, lorsque vous avez suivi la vidéo de M. Vidye Tshimanga, quelle a été votre réaction à l’ACAJ ?

 D’abord, c’était un choc pour nous parce que c’est un collaborateur du chef de l’Etat, lui qui porte le programme de la lutte contre la corruption. Que le chef de l’Etat puisse avoir à ses côtés quelqu’un qui agit de manière qui contrarie avec son discours, ça ne pouvait que nous choquer et nous dérouter. Deuxièmement, c’est aussi un sentiment de satisfaction, par rapport au travail réalisé par vos confrères journalistes, qui surement doivent savoir que tel monsieur a toujours l’habitude de procéder de telle manière… que maintenant nous voudront le mettre sur la place publique, l’exposer pour que les gens sachent qu’il ne mérite pas d’être au côté du Président de la République, qui prône la lutte contre les antivaleurs. Le dernier sentiment était d’exiger la justice, une enquête pour que les Congolaises et Congolais sachent finalement au bout de cette enquête ce qui s’est passé.

Aujourd’hui c’est Vidye Tshimanga, hier c’était Kabund qu’on a accusé d’enrichissement illicite, Kabund qui a aussi dénoncé des détournements des centaines de millions de dollars qu’on amènerait dans des paradis fiscaux. Comment faire pour éradiquer ce genre de pratiques tout autour du chef de l’Etat ?

 Alors deux choses. D’abord nous devons faire très attention lorsqu’il y a des révélations de ce genre, qui touchent directement à la dignité, à l’honneur de nos compatriotes. Vous les médias et les ONG des droits de l’homme, nous avons des approches trop rigoureuses qui nous obligent de vérifier avant d’en parler. Et si ce sont des faits établis, soutenus par des preuves, en ce moment-là on doit les confier à la justice. Mais, comment faire en sorte que cela ne puisse pas se reproduire, surtout contre les proches des plus hauts responsables de notre pays ? Premièrement, il y a la sensibilisation des Congolaises et Congolais, en commençant par tous les enfants qui sont à l’école primaire, il faut que ce soit enseigné. Le deuxième axe, c’est la répression rigoureuse. La répression suppose que nous ayons un appareil judiciaire intègre, un appareil judiciaire efficace. L’efficacité proviendrait des niveaux de formation et la mise à jour de ses membres.

Monsieur Jules Alingete est venu avec l’esprit rebondissant sur ce que le peuple congolais attendait.

L’IGF vient de célébrer ses 35 ans d’existence, que pensez-vous du travail qu’abat ce service de l’Etat ?

 Travail magnifique ! Vous savez que, l’ACAJ, nous accompagnons, nous soutenons le travail abattu par l’ensemble de l’équipe de l’Inspection Générale des Finances. Dès les premiers moments, je peux vous assurer… Monsieur Jules Alingete est venu avec l’esprit rebondissant sur ce que le peuple congolais attendait, c’est-à-dire mener ses enquêtes avec indépendance, avec professionnalisme et informer l’opinion. Les gens n’ont pas aimé cela. Ce n’est pas tout le monde, mais ceux qui bénéficiaient de ce détournement, de la corruption. 

Donc, je dois vous avouer que l’ACAJ, nous sommes fier du travail qu’abat ce service, ses inspecteurs, nous continuons toujours à les soutenir et aujourd’hui il s’est ajouté la Cour des comptes dont 53 magistrats ont finalement prêté serment, après avoir attendu pour beaucoup d’entre eux, plus de cinq ans. Ils ont prêté serment, nous espérons qu’ensemble avec l’IGF, la CENAREF, sans oublier l’APLC, ces organes de l’Etat vont devoir maintenant mener la guerre qu’il faut avec le soutien de la société civile, des Congolaises et congolais parce que le souci des Congolais est qu’il ne faudrait plus qu’un seul dollar, un seul franc du contribuable congolais puisse être détourné par un représentant de l’Etat, sans qu’il ne puisse subir la rigueur  de la loi. Mais, le grand challenge c’est quoi, le défi ? C’est que les magistrats doivent aussi se mettre dans le même esprit, ne considérant que quand l’IGF mène ses enquêtes, ses audits, des gages de responsabilité, il ne faut pas les négliger. Il faut chercher à les approfondir mas, en associant les experts en la matière parce que nous constatons que beaucoup de dossiers sont traficotés à ce niveau-là sous le seul prétexte que ce sont des OPJ…

Ne trouvez-vous pas que le fait que l’IFG ne mène pas des enquêtes à la Présidence de la République et au Parlement affaiblit sa lutte contre la corruption ?

 Vous savez que l’IGF a eu à mener des enquêtes sur certaines opérations de la Présidence, ç’a été fait, malheureusement les rapports n’ont pas été rendus publics. Je crois que c’est cela qui fait douter de l’efficacité et de l’indépendance dans la gestion de ce dossier-là par l’IGF parce qu’elle avait déjà habitué l’opinion à mener une enquête, à auditer et puis à rendre public, c’est une exigence même de la bonne gouvernance, mais cela ne s’est pas fait à la Présidence. Ç’a été aussi le cas au Parlement, que ce soit l’enquête qui devait être menée à l’Assemblée nationale, comme au Sénat, on a vu ce qu’il y a eu. Je sais par contre qu’en ce qui concerne les enquêtes de l’IGF au Parlement, lorsqu’elle avait fini, elle avait transmis le rapport au Procureur général près la Cour de Cassation et d’ailleurs même un dossier pénal a été ouvert.

 Rappelez-vous que l’ancien procureur général avait saisi le Sénat pour obtenir la levée des immunités notamment de son ancien président, du questeur… ce sont des dossiers qui sont pendants. Alors, ce sont peut-être les limites qui caractérisent le travail de l’IGF, mais qui ne doivent pas lui enlever toutes les prouesses qu’elle a pu réaliser en peu de temps. Maintenant qu’il y a la Cour des comptes, qui a une compétence générale, en tant que juridiction de contrôle supérieur juridictionnel, avec la capacité juridique qu’elle a, nous espérons qu’au moins ce vide-là sera comblé par le travail de la Cour des comptes.

Avec plus ou moins 60 magistrats à la Cour des comptes, ne trouvez-vous pas que cela est insignifiant, vu l’étendue du pays ?

 C’est vrai, ce n’est pas beaucoup, mais il faut qu’ils commencent par faire le travail. Que les 53 s’affirment d’abord, rassurent l’opinion, qu’ils sont là conformément à leur loi organique, comme ceux qui s’assurent du bon emploi de l’argent public parce que c’est cela la mission de la Cour des comptes. Et le bon emploi de l’argent public doit se faire partout dans toutes les institutions, il n’y a pas une seule qui peut les échapper. 

Ils ont la compétence de contrôler et lorsqu’ils constatent qu’il y a eu des fautes de gestion, ils poursuivent ceux qui sont impliqués, avec possibilité de les condamner parce que c’est cela l’avantage de la Cour des comptes, elle va prononcer des décisions qu’on appelle « arrêts » contre les agents de l’Etat, principalement les comptables, les ordonnateurs, les gestionnaires, les contrôleurs, mais aussi les personnes qu’on appelle les « comptables de fait ».

 La Cour peut condamner notamment au remboursement de la somme d’argent, mais aussi recommander des poursuites pénales devant le juge compétent et recommander même la révocation. Donc, nous espérons que l’IGF va se mettre en synergie, ce que nous souhaitons, avec la CENAREF, l’APLC, avec les organisations de défense qui sont impliquées dans la lutte contre la corruption de manière que nous puissions être capables de relever ce défi.

Me Kapiamba, avez-vous à ajouter ? Le mot de la fin, consiste à appeler nos compatriotes, de considérer que la lutte contre la corruption est une affaire de nous tous, chacun là où il se trouve, il exerce ses activités. Pourquoi les Congolais quittent-ils leur pays, notre riche pays pour aller ailleurs ?

 C’est parce que le pays n’est pas organisé, il n’offre pas des perspectives d’avenir. Parce que les ressources naturelles que Dieu nous a données, qui sont mal exploitées, ne bénéficient pas à nous tous. Pourquoi cela ne bénéficie pas à nous tous ? Parce que le système de gestion, de gouvernance, qui a existé dans ce pays depuis 1960 jusqu’à maintenant c’est une gouvernance de prédation c’est-à-dire il y a des prédateurs, nous avons des dirigeants qui construisent leurs vie sur la prédation. Donc, nous devons immédiatement choisir de nous engager dans la lutte contre la corruption parce qu’elle un obstacle à jouissance des droits de l’homme.

Propos recueillis par Hubert MWIPATAYI

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