Interview

Jeanine Mabunda: « Etre la 1ère femme élue présidente de l’Assemblée est un bel héritage pour la cause des femmes »

Députée la mieux élue de son territoire, Bumba, en 2011, première femme élue présidente de l’Assemblée nationale en 2019, Madame Jeanine Mabunda revient sur son combat en tant que femme congolaise. Dans cet entretien exclusif accordé à Heshima Magazine, l’ancienne ministre du Portefeuille reparle de ses actions non seulement pour la cause des femmes mais également son rôle de porte-voix politique qui a permis la réalisation de plusieurs travaux de développement dans le grand Equateur. Interview !

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Heshima Magazine : Bonjour Honorable. Le monde célèbre la journée internationale de la femme avec un accent particulier sur l’éducation numérique égalitaire. Avez-vous un commentaire sur cet aspect de l’éducation en RDC ?

 Jeanine Mabunda : Ce thème est d’actualité brûlante mondialement particulièrement en Afrique dont nous faisons partie où le niveau d’accès à internet est relativement faible comparativement aux autres espaces mondiaux : Selon l’UIT (Union internationale des télécommunications), en Afrique, 18,6% des femmes ont accès à internet contre 24,9% des hommes. Si le nombre d’internautes ne cesse de croître (+20% par an), le fossé numérique qui existe entre les genres est encore bien présent. Les segments marginalisés tels que les femmes âgées, les femmes vivant en milieu rural et les femmes handicapées, sont confrontés à des obstacles bien plus sérieux à la connectivité. 

En effet, il vous souviendra qu’en juillet 2016, l’ONU intégrait l’accès à internet comme un droit fondamental humain. Aujourd’hui, le digital est synonyme de changement, d’inclusion et d’autonomisation pour les femmes car il les sort d’une emprise culturelle et sociétale négative en leur permettant d’apprendre et surtout d’entreprendre. La révolution numérique ne doit pas être une énième révolution dont les femmes seraient mises à l’écart. Il nous faut donc, au niveau étatique, adopter des stratégies idoines qui permettent une plus grande inclusivité genrée pour réduire cette fracture numérique. Cela, notamment par une synergie avec les entreprises et la société civile ainsi qu’une politique étatique d’investissement dans des programmes et des initiatives qui subventionnent le hardware nécessaire tels les smartphones et les ordinateurs portables pour les femmes et les filles, encourager avec le software avec les opérateurs, l’offre d’abonnements à bas prix (pour les données) peut être un début pour surmonter les obstacles à l’accès liés au genre. Il en va de même pour les programmes d’initiation au numérique, qui peuvent aider les femmes et les filles à acquérir les compétences dont elles ont besoin pour se connecter, diriger et façonner avec succès l’espace numérique.

En tant que femme, qu’est-ce qui vous a motivé à faire la politique ?

Je suis femme et je suis de la province de l’Equateur. Ces deux faits ont déterminé mon entrée en politique en RDC. En tant que Femme, membre d’un Gouvernement, j’ai souvent assisté à des discussions où, déjà, parce que femme, on vous concédait à peine tel ou tel point de vue autour de la table par des politiciens car, selon eux, vous ne possédiez pas la pesanteur ou la légitimité de parole que vous donne le mandat du souverain primaire, à fortiori si vous êtes une  femme dans un univers essentiellement masculin.

 Certes votre technocratie peut-être un motif d’estime mais cela reste insuffisant dans le cadre institutionnel de la RDC pour faire porter sa voix de façon impactante. C’est un peu la différence entre un général d’opérette et un général qui a gagné ses galons et l’estime de ses troupes sur le terrain « au combat ». Être la députée la mieux élue de mon territoire en 2011 et avoir été « élue » par vote la 1ère Femme Présidente de l’Assemblée nationale de mon pays par vote de 350 députés (majoritaire ment homme) et non par faveur seront un bel héritage politique pour la cause des Femmes en RDC. S’agissant de ma province, les répartitions étatiques restent hélas inspirées par cet équilibre régional. On peut se sentir impuissant face aux sollicitations justifiées des résidents de ma province, l’ex-Grand Equateur.

 Aussi bien que ministre d’un secteur clé, en 2009, il semblait évident que les initiatives du gouvernement ou de certains bailleurs n’atteindraient pas cet espace géographique comme destination de priorité si je ne m’engageais pas et si je n’avais pas ce « porte-voix politique ». Construire des ponts, faire atterrir un projet de réhabilitation de port (Mbandaka, USD 20M) ou d’eau (Lisala, programme Sino-congolais) et aider à réhabiliter un hôpital (Gemena, Fonds Social) sont des initiatives que je n’aurai pu faire réaliser sans cet engagement politique envers nos citoyens ruraux. 

Comme des témoignages d’autres femmes m’indiquent qu’être députée et assumer ce mandat sur une décennie, sans désemparer ni se dévoyer, ont aidé à entrainer et décomplexer des jeunes femmes de mon pays. A leur tour, elles ont pris conscience et confiance pour mener une course de fond en vue d’entrouvrir la porte très fermée du « club » de la politique Congolaise ; hommage ici aux jeunes femmes de la société civile ou de mon parti ainsi que des autres écuries politiques qui essayent de faire bouger ce conservatisme légèrement misogyne.

Il y a moins de femmes politiques, y compris à des postes éligibles. Pourquoi une telle réalité dans un pays où l’électorat est majoritairement féminin ?

C’est un constat assez dommageable. Notre pays a encore beaucoup d’efforts à fournir dans cette voie de promotion politique égalitaire dans les institutions électives au regard du rang mondial qu’il occupe à savoir 156ème dans le classement de l’Union Interparlementaire avec 64 femmes députés sur 500 soit 12 % et 26 sénateurs sur 109 représentants 24 %. En effet, comme vous le dites comment expliquer que démographiquement plus nombreuses, les hommes soient en position dominante institutionnelle ? Plusieurs facteurs l’expliquent notamment les pesanteurs culturelles, le cadre légal souvent défavorable, la faiblesse économique par rapport à l’homme ou encore les conflits armés surtout dans la partie Est de notre pays.

 Il y a donc des mesures importantes à prendre au sein de l’Etat, des formations politiques, du secteur privé et de la société civile : des mœurs sociétales à changer, rendre le cadre légal plus incitatif et contraignant à la promotion de la femme et la parité dans les partis politiques, assurer un empowerement économique des femmes, des sessions de formation sur le leadership politique… Grosso modo, plus les femmes seront nombreuses dans les directoires des partis politiques et si, en plus, elles bénéficient d’un pouvoir économique plus fort dans la société, mieux se portera notre démocratie qui sera plus égalitaire car tant qu’elles n’auront pas conquis ces instances de prises de décisions au sein des partis politiques, leurs préoccupations ne seront pas considérées par ces derniers. Par ailleurs, la participation politique a un coût et tant que les femmes n’auront pas les moyens de leurs ambitions, elles seront exclues de ces instances de prise de décisions. Entre elles, les femmes devront aussi développer plus de solidarité inter-genre pour mieux peser.

  Entre 2014 et 2018, vous étiez conseillère spéciale du chef de l’Etat chargée de la lutte contre les violences sexuelles et le recrutement d’enfants soldats. Aujourd’hui avec la recrudescence des violences armées et des massacres notamment à Kishishe où des femmes étaient violées par les éléments du M23, quel est votre commentaire sur ces drames ?

C’est avec beaucoup de tristesse et de colère que j’assiste à la résurgence dramatique du M23, mouvement armé pourtant défait par notre armée il y a une dizaine d’années. Mes pensées vont vers les familles endeuillées, les blessés ainsi que le grand nombre de déplacés suite à cette situation humanitaire inacceptable. Il est crucial pour que justice soit faite que nos instances judiciaires mènent des enquêtes et jugent de manière appropriée les crimes de guerre présumés et autres abus punissables par nos lois et le droit international humanitaire dont la Convention de Genève de 1949, qui interdit les exécutions sommaires, le travail et le recrutement forcés, ainsi que d’autres abus. 

Les violations graves des lois de la guerre commises avec une intention criminelle constituent des crimes de guerre imprescriptibles. Je suis convaincue que la justice impartiale est un des piliers pour mettre fin au cycle d’impunité et pourra régler durablement cette violence armée chronique à l’Est de notre pays. Pour rappel, j’ai  été nommée, en 2014, Représentant personnel du Chef de l’Etat chargé de la lutte contre les violences sexuelles et le recrutement d’enfant. En 2013, on dénombrait près de 15.000 cas de violences sexuelles (VS).

Grâce à une stratégie dynamique qui alliait justice et sensibilisation avec l’organisation des audiences foraines des cours et tribunaux dans les milieux ruraux, et la mise en œuvre du plan d’action des FARDC en faveur de la lutte contre les VS (formation et la signature des actes d’engagement par 218 commandants, dont des généraux et des colonels), on a constaté une tendance à la baisse des cas de VS : de 15.000 cas en 2013, on est passé à 7.751 cas en 2015 et 1.734 cas en 2016, soit une baisse de près de 80 %. Sur 3.085 plaintes de viols enregistrées en 2016 par la justice civile et militaire, 839 décisions de condamnation ont été rendues, dont 225 par la justice militaire. J’ai en outre publié et présenté à l’Union Africaine à Addis-Abeba, les meilleures pratiques de la RDC en matière de lutte contre les violences sexuelles à travers un bulletin de jurisprudence des arrêts de la Haute Cour Militaire de la RDC.

Vous avez repris un proverbe africain sur votre compte Twitter qui dit que « Si les femmes baissaient les bras, le monde s’écroulerait ». En  quoi cette sagesse vous a particulièrement inspiré ?

Le proverbe « si les femmes baissaient les bras » réaffirme que la femme a des capacités de fédération et de compromis insoupçonnés. Une sorte de femme orchestre, aux multiples mains. Cela se confirme dans la société africaine ; du matin au soir, elle mène plusieurs vies, répond à toutes les demandes de ses proches, de son conjoint, de son employeur, de sa communauté et y fait face sans craquer, sans broncher tout en construisant le tissu social. Par exemple, ce mois de Mars, avec nos équipes, par ce proverbe, je voudrais qu’on rende honneur à toutes ces femmes anonymes du quotidien parce qu’« elles ne baissent pas les bras » pour soutenir un monde compliqué ; avez-vous songé à ce que notre vie serait à Kinshasa sans la maman, vendeuse de pain ? Elle se lève à 4 heures, en pleine nuit pour collecter son bassin de pain à nous vendre à 6 heures, bassin prépayé laborieusement par elle (la veille), après une journée de plus de 8 heures. Elle doit s’assurer que, malgré sa vie de commerce exigeante, qui la tient hors de chez elle, ses enfants vont à l’école, elle rentre et prépare le repas du soir or, si un matin, elle « baissait les bras », ce sont des millions de personnes privées de pain à Kinshasa… imaginez la crise !

 Vous avez été dans un passé récent présidente de l’Assemblée nationale. La première femme élue à occuper cette fonction depuis l’indépendance du pays. Pourquoi, selon vous, l’accès des femmes à des postes de responsabilité reste encore un combat d’idéal pour nombreuses d’entre elles ?

Comme je vous l’ai dit plus haut, les causes sont d’ordre  socio-historiques et politiques. Il existe aussi le manque de confiance en soi ou la crise de légitimité culturelle des femmes qui hésitent souvent à s’imposer car hésitantes sur leurs capacités ou ne maîtrisant pas souvent les codes ou les habitudes politiques. On rencontre rarement des femmes qui assument et veulent être chefs ou leaders dans un milieu alors que peu d’hommes que je connais se posent même la question. Il appartient surtout aux femmes de cultiver une plus grande solidarité entre elles par une promotion commune et un mentoring permanent. 

Pour exemple, quand j’étais Présidente de l’Assemblée nationale, j’ai bataillé pour une plus grande représentation des femmes au sein des commissions parlementaires où j’ai pu en obtenir quatre dont celle de la Défense et des Droits de l’Homme. Il appartient aux femmes surtout dans le domaine de pouvoir, en dehors des appartenances politiques ou idéologiques, de se rassembler, d’échanger et de trouver des solutions pour avancer vers la parité notamment par le biais d’un réseau structuré. Il s’agirait de partager leur expérience et surtout élaborer des stratégies pour avancer vers l’égalité dans le cadre d’une solidarité au féminin, transgénérationnelle et surtout transpartisane. 

Car, souvent en politique, face à la femme, il y a une grande solidarité masculine à l’inverse la solidarité féminine qui fonctionne assez peu. Quand l’une d’entre nous est attaquée de façon sexiste, c’est à chacune d’entre nous de réagir, indifféremment de nos bords politiques ou face à un choix de responsabilité ou une femme doit être élue ou promue, il nous faut nous souder pour faire avancer la cause féminine. Dans un monde en mutation avec des multiples crises, il est plus qu’urgent que cela advienne car comme le disait Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant » .

 Interview réalisée par Heshima

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