Interview

Tisya Mukuna: « Je veux que ‘‘La Kinoise’’ soit une marque puissante et incontournable »

Jeune, dynamique et intelligente, la patronne de la société de production de café La Kinoise ne tarit pas d’ambitions pour son entreprise. Alors que sa société continue de progresser en République démocratique du Congo, Tisya Mukuna, qui vient de remporter le trophée des « Agriculteurs du monde » à Paris, veut la voir au-delà des frontières nationales. Interview.

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Heshima Magazine : Vous êtes née au Congo et avez grandi en France, comment vous est née l’idée de revenir en RDC pour y investir ?

 Tisya Mukuna : Revenir au Congo était naturel pour moi. Si j’ai fait mes études en France jusqu’au master et mon MBA en Chine, c’est pour pouvoir mettre ces connaissances à profit dans mon pays d’origine, là où je suis née. Je ne concevais pas d’aller vivre ailleurs alors que mon pays le Congo a besoin de tous ses fils et filles pour son développement. 

Depuis quelques mois, vous avez pu achever votre projet de montage d’une usine de café. A ce jour, vous êtes la première jeune femme propriétaire d’une usine de production de café. 

Qu’est-ce que cela représente pour vous ? 

C’est un grand accomplissement. Un travail de longue haleine enfin concrétisé ; l’inauguration en présence du ministre d’Etat, ministre des PME et Entrepreneuriat mais aussi du ministre du Commerce extérieur traduit l’ambition de notre marque : être une Entreprise performante qui exporte le Made in Congo au-delà de nos frontières. J’aimerais que La « Kinoise » soit connue partout dans le monde, qu’un jour un des lecteurs d’Heshima Magazine qui lit cette interview soit surpris de retrouver La Kinoise en France ou en Chine. Avoir mon usine est un pari pour l’avenir, mais aussi j’espère que cela motive les jeunes et les femmes à avoir de l’ambition, et surtout à pousser l’agro-transformation ; car une agriculture sans industrie n’est plus envisageable aujourd’hui dans ce contexte de mondialisation. Le Congo doit connaitre sa révolution industrielle.

 Le café La Kinoise est aujourd’hui vendu dans 4 villes du pays, ambitionnez-vous devenir un café national ? 

Nous voulons être une marque nationale et même internationale, porter haut les couleurs de la République et on l’espère, faire la fierté du pays. 

Vous êtes une jeune femme entrepreneure, quel regard la gent masculine porte sur vous ?

 Des gens croient vraiment que c’est vous qui êtes à la tête de l’usine ? Le milieu de l’agro-industrie est un milieu d’homme. Quand j’ai débuté, on me prenait souvent pour l’assistante. J’entre dans une pièce, on voit surtout une femme qui a une fleur dans les cheveux et qui est jeune. Personne ne se doute de prime abord que je sois une femme d’affaires chevronnée. 

Parfois la gent masculine pense même qu’il y a derrière moi un homme qui me guide. Mais une fois que je parle, mes idées, mes compétences et mon assurance donnent le ton. Au final, on se souvient de mon passage et les hommes me trouvent très forte de faire ce que je fais. D’ailleurs, ma famille m’appelle « Petit Piment ». Aujourd’hui, vous avez petit à petit une notoriété qui monte. Forbes a parlé de vous et récemment vous avez remporté le trophée des « Agriculteurs du monde » au salon inter – national de l’Agriculture 2023 de Paris. 

Quel sentiment avez-vous sur ces succès ?

 C’est un honneur immense. J’arrive à peine à y croire. On voit à travers ces marques de reconnaissance que le café que je propose est bon, que son intensité et son arôme sont remarquables et que sa qualité parle d’elle- même. C’est aussi une marque de reconnaissance personnelle : mon management, les stratégies que je mets en place. Mais vous savez, je ne fais pas mon travail pour la gloire ou les trophées mais pour mettre en avant le terroir congolais avec un café d’exception et de qualité. Je veux que La Kinoise soit une marque puissante et incontournable. J’ai de grandes ambitions pour mon entre – prise, pour le Congo.

 Aujourd’hui, un sujet revient de manière récurrente, c’est l’autonomisation des femmes. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

 Ma grand-mère et ma mère m’ont toujours dit qu’une femme devait être autonome et indépendante. C’est important pour l’épanouissement personnel mais aussi cela la place dans la société et non à côté.

 En RDC, on compte 53% de femmes, c’est plus de la moitié de la population. Comment peut-on bâtir un pays et développer son économie en écartant plus de la moitié de la population ?

 S’autonomiser, c’est devenir actrice et non plus spectatrice. 

En tant que jeune femme entrepreneure, quelles difficulté rencontrez-vous dans le milieu des affaires au Congo ?

 Être une femme entrepreneur n’est pas chose aisée, notre crédibilité est souvent remise en doute. Soit les gens aiment nous infantiliser en essayant non pas de donner des conseils mais de leçons de management en permanence (alors que j’ai un MBA en négociation des affaires); soit ils pensent que je suis le parapluie d’une autre personne. Les gens se disent qu’il y a derrière moi un mari, un père, un frère ou un oncle. 

En tant que femme, on doit toujours prouver que nous sommes capables et performantes en permanence. La femme n’a pas le droit à l’erreur sinon on la juge incompétente ; or l’essence même de l’entrepreneuriat est une succession d’échecs et de réussite. Personnellement ces difficultés me rendent plus forte.

Ma crédibilité et mon professionnalisme représentent ma carte de visite. Comment trouvez-vous l’environnement des affaires au pays en tant que femme congolaise ? 

Faire de l’entrepreneuriat c’est comme si vous demandez au meilleur footballeur du monde (disons Messi ou Ronaldo) de jouer au foot avec une balle de golf sur un terrain de basketball. C’est quasiment impossible. En somme, notre écosystème est difficile et l’environnement des affaires étouffe beaucoup de business en empêchant leur émergence. Cela s’améliore mais ça reste timide ; et dans un monde compétitif et mondialisé, il y a urgence.

Bénéficiez-vous de l’appui ou du soutien du gouvernement dans le sens de booster vos initiatives entrepreneuriales ? Je ne peux pas parler de mon  entreprise sans parler du concours de plan d’affaires que j’ai remporté et pour lequel j’ai été l’égérie : COPA, coordonné par le PADPME. Cela m’a permis de finaliser mon usine, ça été un grand coup de boost pour ma société. J’ai également remporté le Challenge Entreprise 2022 de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC). Les deux programmes étant sous le haut patronage du ministère des PME.

 Avez-vous un conseil à donner à d’autres femmes qui pensent devenir autonomes ? 

Le premier des conseils et le plus important pour moi : mesdames, prenez un cahier, un stylo et notez ! Notez votre idée, vos concurrents, la valeur ajoutée de votre offre, les moyens nécessaires pour y arriver : est-ce que vous avez besoin des machines ? Où pouvez-vous les trouver ? Combien coûtent-elles ? Qui va travailler dessus ? Enfin, identifiez vos clients : qui sont-ils ? Où habitent-ils ? Quelles sont leurs habitudes ? Combien sont-ils capables de payer pour bénéficier de l’offre que vous proposez ? Visualisez votre projet par écrit, puis lancez-vous ! Il n’y a rien que vous ne puissiez pas faire. Courage!

Propos recueillis par Heshima Magazine

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