L’année 2024 a été marquée par plusieurs événements socio-politiques en République Démocratique du Congo (RDC). En termes de gouvernance, le bilan semble mitigé. En économie, l’inflation a régné en maître. Sur le plan de la sécurité, l’Est du pays n’a pas toujours retrouvé la paix, ce qui a annihilé les efforts réalisés dans d’autres secteurs.
Dans la première moitié de l’année, le pays a d’abord connu un processus complexe d’installation de nouvelles institutions. Après les élections présidentielle et législatives de décembre 2023, l’année 2024 avait démarré par la mise en place de ces institutions issues des urnes. Le président de la République, Félix Tshisekedi, réélu avec 73 % des voix, selon les résultats définitifs proclamés par la Cour Constitutionnelle, a été investi le 20 janvier 2024. Le Parlement, également renouvelé, a élu de nouveaux dirigeants. Vital Kamerhe a retrouvé le perchoir du bureau de l’Assemblée nationale, poste qu’il avait occupé de 2006 à 2009 sous la présidence de l’ancien chef de l’État, Joseph Kabila. Ce renouvellement des institutions s’est poursuivi avec l’élection des gouverneurs de provinces. En août, Jean-Michel Sama Lukonde, après avoir quitté la Primature, a pris la tête du Sénat. Quant au gouvernement, un changement notable s’est opéré à la Primature. Judith Suminwa Tuluka, nommée le 1er avril, est devenue la première femme à occuper le poste de Premier ministre au pays. Son gouvernement a été investi par l’Assemblée nationale le 12 juin.
Un bilan mitigé
En 2024, l’installation des institutions a été lente, malgré l’écrasante majorité obtenue par l’Union sacrée lors des élections de 2023. Ce processus a pris la moitié de l’année 2024, érodant ainsi le temps d’action de Félix Tshisekedi et de son gouvernement. Lors de son investiture, le chef de l’État congolais avait présenté les grandes lignes de son second quinquennat, axé sur six engagements majeurs : la création de six millions d’emplois, la protection du pouvoir d’achat, l’amélioration de la sécurité, la diversification économique, l’accès aux services sociaux de base et l’efficacité des services publics. Pour l’année 2024, ces différents secteurs n’ont pas connu d’avancées majeures.
Protection du pouvoir d’achat
En 2024, comme bien avant, Félix Tshisekedi a fait face à une inflation galopante. Cette érosion de la monnaie nationale a absorbé des efforts économiques réalisés par le président de la République depuis son arrivée à la tête du pays. Parmi ces prouesses, il y a notamment l’accroissement du budget national, passant de 4 milliards à plus de 16 milliards de dollars. Lors de son discours bilan sur l’état de la nation en décembre, il a reconnu que l’inflation en 2024 a dépassé les prévisions. « Je reconnais cependant que l’inflation constitue une préoccupation réelle pour nos concitoyens. Elle a dépassé, au premier semestre, le seuil annuel prévu de 11,3 % », a noté Félix Tshisekedi.
Il a justifié cette situation notamment par la hausse des tarifs de transport, une hausse elle-même liée au rationnement des produits pétroliers, ainsi que l’augmentation du prix des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées. « Le franc congolais a également subi une dépréciation de 4,2 % par rapport au dollar américain depuis la fin décembre 2023, renchérissant le coût des biens importés et accentuant ainsi la pression inflationniste », a-t-il ajouté. Face à ce tableau, l’engagement pris dans son programme sur la protection du pouvoir d’achat des Congolais reste encore un mirage pour la majorité de la population. Pour faire face à la vie chère, due notamment à l’inflation, Félix Tshisekedi a rappelé l’instruction donnée à la Première ministre, Judith Suminwa, pour prendre des mesures sur la baisse des prix des biens de première nécessité afin d’inverser la tendance. Mais les Congolais ont passé les fêtes de fin d’année avec les prix des biens de consommation toujours en hausse. Les négociations avec les importateurs de ces produits n’ont pas abouti à la baisse des prix chez les consommateurs congolais.
Pas d’amélioration de la sécurité
La sécurité au pays a constitué un des problèmes majeurs en 2024. Le bilan dans ce secteur reste très préoccupante. Dans l’Est de la République, les offensives répétées du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, ont aggravé une situation humanitaire déjà désastreuse au Nord-Kivu. Cette insécurité a provoqué le déplacement de près de 7 millions de Congolais, dont la plupart vivent dans des conditions précaires, dans des camps de déplacés. La rencontre entre le président congolais, Félix Tshisekedi, et son homologue rwandais, Paul Kagame, qui avait suscité un espoir de paix, le 15 décembre, a été annulée. Le cessez-le-feu, en vigueur depuis le 4 août, n’est plus respecté par les rebelles qui continuent de bénéficier du soutien militaire de l’armée rwandaise. Au cours de la même année, ces rebelles ont élargi leur zone d’influence, prenant le contrôle d’une partie du territoire de Lubero et de Walikale, après Masisi, Rutshuru et Nyiragongo. Sur ce sujet, Félix Tshisekedi a souligné les efforts des Forces armées de la RDC (FARDC) ainsi que la mission militaire de la SADC (SAMIDRC) dans les efforts de rétablissement de la paix dans cette partie du territoire national. Malgré cette volonté, la RDC fait toujours face à des défis sécuritaires majeurs. L’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu reste un sujet de controverse, bien que des efforts soient faits pour ramener la paix, comme en témoignent les visites fréquentes de la Première ministre, Judith Suminwa, dans ces zones.
Dans d’autres parties du pays, la sécurité n’a pas non plus été totale. À Kinshasa, le banditisme urbain a atteint des proportions inquiétantes. Une journaliste de la chaîne nationale a succombé à ses blessures après une violente agression de la part de présumés bandits appelés communément « Kuluna ». La tentative de coup d’État menée par Christian Malanga, en 2024, au Palais de la Nation, a aussi révélé des failles sécuritaires. Cette insécurité n’a pas épargné les villes de Lubumbashi et Kolwezi où la sécurité des personnes et de leurs biens n’a pas été totalement garantie, avec des vols à main armée à répétition.
Création d’emplois
Après avoir pris l’engagement de créer 6 millions d’emplois lors de la campagne électorale, Félix Tshisekedi a changé son langage lors de ses meetings devant les Congolais en provinces. À Tshikapa, chef-lieu de la province du Kasaï, le chef de l’État n’est pas allé par quatre chemins pour appeler les jeunes à se débrouiller pour créer des emplois. « Débrouillez-vous pour créer de l’emploi, l’État ne peut pas en donner à tout le monde », a-t-il balancé. Une phrase qui démontre la difficulté pour son gouvernement de créer les conditions propices à la création d’emplois afin d’atteindre le chiffre de 6 millions d’emplois promis aux Congolais.
Malgré ce défi majeur sur l’emploi des jeunes, Félix Tshisekedi note cependant « des progrès notables » réalisés par le pays. Il a vanté des réalisations économiques en dépit de ce contexte économique difficile. C’est notamment le cas de la construction de la Zone économique spéciale de Maluku, où une usine de fabrication de carreaux emploie plus de 1 000 Congolais et produit environ 50 000 mètres carrés de carreaux. Cela a permis d’arrêter l’importation de ce matériau de construction. Il a aussi évoqué le cas de l’usine de Pepsi qui produit à ce jour 1,2 million de bouteilles de boisson non alcoolisée. Ce qui renforce, selon lui, le concept de « made in RDC ». Il a aussi mis en avant la mine de zinc de Kipushi, dans le Haut-Katanga, qu’il a inaugurée récemment après plus de 30 ans d’arrêt. Cette mine a la capacité de produire 45 000 tonnes de zinc.
Accès aux services sociaux de base
Le gouvernement, sous la présidence de Félix Tshisekedi, a poursuivi ses efforts pour garantir la mise en œuvre du Programme de développement local des 145 territoires (PDL-145T). La mise en œuvre de ce projet a été ralentie notamment suite à l’effort de guerre, les agences habilitées pour l’exécution de ce projet n’ont plus reçu le reste des fonds pour le financement des travaux. Ce programme permet entre autres l’accès aux services sociaux de base, tels que la santé, l’administration et l’éducation, à travers la construction des centres de santé, écoles et bureaux des territoires.
Dans le volet de la santé, il a vanté la construction de 300 centres de santé, dont un à Kalemie, inauguré par lui-même après avoir été équipé. Il y a également la couverture santé universelle, dont le programme de la gratuité de la maternité couvre désormais 13 provinces dans son implémentation. Parallèlement, le gouvernement renforce l’efficacité des services publics avec les réformes au sein de la Fonction publique, notamment avec la maîtrise des effectifs des fonctionnaires et agents de l’État.
Diversification économique
Le pays dépend en majorité des ressources issues des minerais. Félix Tshisekedi s’est battu, en 2024, pour commencer à concrétiser son slogan sur la « revanche du sol sur le sous-sol » afin de diversifier l’économie nationale. En octobre 2024, dans le cadre de la coopération avec la Banque africaine de développement (BAD), la RDC avait lancé, par l’entremise du Fonds social de la RDC (FSRDC), le Programme de transformation de l’Agriculture (PTA-RDC), bénéficiant d’un financement de 6,6 milliards de dollars américains sur dix ans. « L’autosuffisance alimentaire ne doit pas demeurer un slogan. Elle doit devenir une réalité. Et nous avons les moyens », insistait Félix Tshisekedi. Il promet d’engager les moyens supplémentaires pour l’encadrement et l’accompagnement des pêcheurs et des éleveurs. Une campagne agricole 2024-2025 a été lancée au cours du même mois pour permettre d’exploiter d’autres richesses du pays, notamment ses terres arables.
Pour mieux diversifier l’économie, Félix Tshisekedi sait combien les routes sont importantes. Au cours de l’année 2024, des avancées significatives ont été constatées dans les relations sino-congolaises avec la modification du contrat chinois. Une négociation menée avec le concours de l’Inspection générale des finances (IGF). Parmi les points d’accord figure la révision à la hausse du montant d’investissement pour les infrastructures, passant de 3,2 à 7 milliards de dollars supplémentaires. Une grande partie de ce montant est affectée à la construction des routes aussi bien à Kinshasa qu’à l’intérieur du pays. Félix Tshisekedi a d’ailleurs lancé les travaux de construction des rocades dans l’Ouest de la ville de Kinshasa pour notamment mettre fin aux embouteillages grâce aux fonds issus de ce contrat renégocié.
Fayulu dresse un tableau sombre
De son côté, l’opposition peint un tableau sombre de la gestion de Félix Tshisekedi. Le leader de la coalition Lamuka, Martin Fayulu, a dressé un bilan sans complaisance en 2024. Infrastructures inexistantes, situation humanitaire dramatique et une faible diplomatie, l’ancien candidat à la présidentielle de 2018 et 2023 a accusé le régime de Félix Tshisekedi de mauvaise gestion et de complaisance face à la misère des Congolais, alors que, selon lui, le camp au pouvoir vide les caisses de l’État. « La pauvreté explose. L’éducation et la santé s’effondrent, les grèves de fonctionnaires, de médecins et d’enseignants se multiplient. La gratuité de l’enseignement demeure un mirage, le chômage est à son comble, la jeunesse abandonnée à elle-même voit son avenir compromis. », a déclaré Martin Fayulu. Il a aussi mis en garde contre un projet de changement ou de modification de la Constitution initié par Félix Tshisekedi, un débat qui a occupé la seconde moitié de l’année 2024. Pour Fayulu, « un régime incompétent peut changer la Constitution 100 fois, les mêmes maux produiront les mêmes effets ».
Sayiba dénonce des « promesses trompeuses »
Dans son message de vœux, Patient Sayiba, ancien directeur général de l’OGEFREM, paraît choqué par des promesses qu’il qualifie de « trompeuses » de la part du régime de Félix Tshisekedi. « Le peuple congolais, abandonné à son triste sort, vit au rythme des promesses trompeuses et d’une gouvernance centrée sur les intérêts personnels des dirigeants. Les conséquences de cette gestion irresponsable sont nombreuses et tragiques pour le pays et son peuple », a-t-il déclaré. Pour Patient Sayiba, la réalité démontre que la descente aux enfers continue de manière fatale et ce, sur fond d’une incompétence criante et d’un manque flagrant de vision. « Il n’est un secret pour personne que depuis 2019, la situation socio-économique, environnementale, professionnelle, sécuritaire et politique n’a cessé de se détériorer gravement. » Il cite au passage la baisse « drastique » du pouvoir d’achat des populations, des grèves répétées des enseignants et médecins, et une fracture sociale aggravée par « un tribalisme dévastateur jamais vécu dans l’histoire de notre pays. »
Sur le plan sécuritaire, ce proche de Joseph Kabila critique le traitement de faveur réservé aux mercenaires et aux armées étrangères au détriment des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). « L’armée, jadis symbole de fierté et de cohésion nationale, est aujourd’hui humiliée, remplacée par des milices improvisées. Au moment où nos vaillants militaires survivent avec des soldes de misère, les troupes étrangères et les mercenaires du gouvernement bénéficient de traitements indécents, tels des princes dans le palais d’un roi fainéant », a-t-il dénoncé.
En 2025, Kabila veut signer un retour politique
Dans un message adressé aux Congolais, le 4 janvier, Raymond Tshibanda, coordonnateur de la cellule de crise du FCC, la plateforme politique de Joseph Kabila, a déclaré que l’ancien président de la République n’avait jamais pris sa retraite politique, mais qu’il était en « congé sabbatique », prêt à répondre à l’appel du peuple congolais afin de relever les défis de la RDC.
Face à ce qu’il qualifie de « dictature » du régime actuel, Raymond Tshibanda a indiqué que le devoir du Front Commun pour le Congo est de faire de chaque foyer, quartier et village, une « cellule de résistance » afin de rester digne des martyrs de l’indépendance. Il a assuré que l’ancien président reste encore dans le jeu politique malgré son silence. « Que ceux qui prennent le taiseux pour un muet et donnent le lion au repos pour mort se détrompent », a-t-il déclaré.
Heshima