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Justice ou chantage ? Les secrets derrière la pression sur les cadres du PPRD

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En République démocratique du Congo (RDC), la politique ne dort jamais. Ces derniers mois, une série de convocations judiciaires visant les cadres du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) a mis le feu aux poudres. Aubin Minaku, Emmanuel Shadary, Ferdinand Kambere : ces noms, piliers du parti de Joseph Kabila, résonnent dans les couloirs de la justice militaire. Mais derrière les dossiers et les auditions, un parfum de règlement de comptes flotterait. Ces pressions dépassent-elles le cadre légal ? Cherchent-elles à briser les liens présumés du PPRD avec le M23/AFC, à forcer une alliance avec le pouvoir, ou à effacer l’ombre de Kabila ? À Kinshasa, les spéculations vont bon train, et les enjeux sont énormes.

Tout commence début mars 2025. L’auditorat militaire de Kinshasa dégaine une liste impressionnante : Aubin Minaku, ancien président de l’Assemblée nationale et numéro deux du PPRD, Emmanuel Shadary, secrétaire permanent et ex-candidat présidentiel en 2018, et Ferdinand Kambere, son adjoint, sont convoqués. Une dizaine d’autres cadres suivent, pris dans une nasse judiciaire qui ne dit pas encore son nom. Interdictions de quitter le pays, auditions à répétition : la pression est maximale. « Il n’y a rien dans le dossier », tempête l’avocat de Minaku après une énième comparution le 24 mars. Mais les restrictions tiennent bon.

Pourquoi la justice militaire ? En RDC, elle s’occupe des crimes contre l’État, trahison, rébellion ou encore atteinte à la sécurité. Les soupçons, bien que nébuleux, pointent vers l’Est du pays, où le M23/AFC sème le chaos. « On nous accuse sans montrer les preuves », s’indigne un proche de Shadary, sous couvert d’anonymat. À Kinshasa, on murmure que ces dossiers ne sont qu’un prétexte. Mais pour quoi ?

Justice militaire au service d’un agenda politique ?

La justice militaire n’est pas un choix anodin. En ciblant le PPRD avec cet outil, le pouvoir envoie un message clair : il ne s’agit pas d’une simple affaire en justice, mais d’une question de contrôle. Les interdictions de sortie du territoire imposées à Minaku et Shadary ne sont pas là pour décorer. Elles clouent au sol des figures clés, limitant leurs marges de manœuvre. « On veut nous surveiller, nous brider », lâche un cadre de ce parti, furieux.

Deux objectifs semblent se dessiner. D’abord, pousser ces leaders à couper les ponts avec Joseph Kabila, accusé de soutenir le groupe rebelle AFC/M23. Ensuite, les inciter à rejoindre l’Union sacrée, la coalition au pouvoir, ou du moins à ne pas s’y opposer. « C’est une stratégie à double détente », analyse un politologue à Kinshasa. « On les isole pour mieux les rallier. » Mais cette pression révèle aussi une fracture : le PPRD, jadis monolithe, vacille sous le poids des soupçons et des ambitions divergentes.

M23/AFC : un fardeau encombrant pour le PPRD

L’ombre du M23/AFC plane sur cette affaire comme une épée de Damoclès. Relancé en 2021 avec un appui renforcé du Rwanda, ce groupe rebelle sème le chaos au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Depuis quelque temps, des rumeurs persistantes établissent un lien entre le PPRD et ces rebelles. Minaku et Shadary, en particulier, se retrouvent dans la tourmente. « Ils soutiennent les rebelles », affirme une source proche du gouvernement. Des preuves ? Aucune de réellement probante pour l’instant. Mais le soupçon, à lui seul, suffit à entacher leur image.

Ces pressions judiciaires pourraient aussi viser à empêcher toute rupture avec le M23. « Si un cadre dit ‘je suis clean’, il devient dangereux pour le pouvoir », explique un analyste basé à Kinshasa. Pourquoi ? Parce qu’un PPRD débarrassé de ce fardeau redeviendrait fréquentable, voire incontournable. En maintenant la suspicion, Kinshasa garde le parti dans une zone grise, entre culpabilité et impuissance. « C’est une manière de dire : vous restez dans le camp des accusés ou vous nous suivez », ajoute notre analyste. Mais l’équation est fragile : si les dossiers sont vides, comme le jure l’avocat de Minaku, cette stratégie risque de s’effondrer.

Et puis, il y a l’autre versant : la diplomatie. Le Rwanda, voisin encombrant, est dans le collimateur de Tshisekedi. En liant le PPRD au M23/AFC, le pouvoir peut aussi faire d’une pierre deux coups : discréditer Kabila tout en renforçant sa posture anti-Kigali. « C’est un jeu régional autant que local », note un diplomate occidental en poste à Kinshasa.

Gouvernement d’union nationale : un piège tendu ?

Depuis février 2025, Félix Tshisekedi agite une idée ambitieuse : un gouvernement d’union nationale. Annoncé comme une réponse aux crises sécuritaires et économiques, ce projet prend forme en mars avec des consultations menées par le Conseiller spécial en matière de sécurité Eberande Kolongele. Mais le PPRD, ennemi juré depuis la fin de l’alliance FCC-CACH en 2021, n’est pas franchement enthousiaste. Et si ces auditions étaient un levier pour les y forcer ?

Le timing ne ment pas. Les convocations pleuvent au moment où les tractations s’ouvrent. « Ceux qui veulent une RDC unie viendront », lance un proche du pouvoir. Sous-entendu : ceux qui refusent s’exposent à la justice. Pour Minaku, Shadary et leurs pairs, le choix est brutal : plier ou risquer l’isolement. « On nous met le couteau sous la gorge », confie un membre du PPRD. L’idée d’un deal flotte dans l’air : ralliez-nous, et les dossiers s’évaporent.

Mais intégrer le PPRD dans le gouvernement d’union nationale n’est pas sans risque. Si les accusations de liens avec le M23 tiennent, leur présence dans la coalition pourrait ternir l’image de Tshisekedi. Et si le parti cède sous la pression, rien ne garantit sa loyauté. « Ce serait une union de façade », prévient un observateur politique. Pourtant, pour le président, l’enjeu est clair : une coalition large, même bancale, pourrait stabiliser un pays au bord du gouffre.

L’héritage Kabila dans la ligne de mire

Et puis, il y a Joseph Kabila. Six ans après avoir quitté le pouvoir, l’ancien président reste une énigme. Discret, souvent à l’étranger, il garde la main sur le PPRD via ses lieutenants. Minaku, promu vice-président en février, et Shadary, fidèle parmi les fidèles, sont ses bras armés. Les frapper, c’est l’atteindre lui. « C’est son retour qui dérange », souffle un cadre du PPRD. Un retour physique ? Peu probable. Mais un retour d’influence, ça, oui.

Ces pressions pourraient chercher à redessiner l’héritage de Kabila. En affaiblissant ses proches, le pouvoir espère fracturer le PPRD, pousser une nouvelle génération à prendre les rênes de ce parti, ou du moins à s’éloigner de la ligne dure. Certains au PPRD y voient une attaque autoritaire ; d’autres, une opportunité. « Peut-être qu’il est temps de tourner la page Kabila », glisse un jeune militant, désabusé. Mais Kabila n’est pas fini. « Je suis prêt à servir mon pays », a-t-il dit récemment en Namibie. Une phrase qui parait ambiguë. Est-ce une capitulation ou une menace ? Ses réseaux, encore solides, pourraient contre-attaquer. Et si le PPRD tient bon, Tshisekedi risque de s’enliser.

Une stratégie à triple détente

Ces pressions ne sont pas unidimensionnelles. Elles jouent sur trois tableaux : maintenir le PPRD sous la menace du M23/AFC, le pousser vers l’union nationale, et briser l’aura de Kabila. Une stratégie complexe, mais risquée. « C’est un puzzle politique », commente un analyste. Chaque pièce doit tomber au bon endroit, sinon tout s’effondre. Si les dossiers judiciaires tiennent, le pouvoir marque des points et ce serait un coup de maître. Mais s’ils s’avèrent creux comme le clame l’avocat de Minaku, l’effet boomerang guette. « On ne peut pas jouer indéfiniment avec la justice », prévient un juriste kinois.

Une transition à quitte ou double

Ce qui se joue aujourd’hui pourrait redéfinir la RDC. Une union nationale réussie apaiserait les tensions, au moins temporairement. Mais à quel prix ? Si ces pressions virent à l’autoritarisme, l’État de droit en sortira laminé. La polarisation, déjà forte, pourrait s’aggraver, surtout si le PPRD choisit la résistance. L’Est reste la clé. Sans paix là-bas, aucune coalition ne tiendra longtemps. Et si le PPRD est vraiment lié au M23, le pouvoir joue un jeu dangereux en le courtisant. « On ne pactise pas avec des pyromanes », ironise un opposant.

Les défis d’une gouvernance fragile

Créer une gouvernance inclusive dans ce climat est un défi titanesque. Les divisions au sein du PPRD entre pro-Kabila et réformateurs pourraient s’accentuer. « On risque de se déchirer », admet un cadre. Et dans la société, la méfiance grandit. « Toujours les mêmes jeux de pouvoir », soupire une enseignante de Kinshasa. Si Tshisekedi réussit son pari, il pourrait poser les bases d’une nouvelle ère. Mais si les pressions judiciaires deviennent une arme trop visible, elles mineront sa crédibilité. La RDC, habituée aux crises, n’a pas de marge d’erreur.

Un pari risqué pour l’avenir

Ces pressions sur le PPRD ne sont pas juste une banale affaire juridique. Elles seraient un chantage politique à ciel ouvert, visant à juguler ce parti, à le contraindre à adhérer dans la logique de cohésion nationale, et à enterrer l’héritage de Kabila. Stabilisation ou dérive autoritaire ? La réponse viendra vite. Pour l’instant, à Kinshasa, on retient son souffle, entre espoir et crainte d’un chaos annoncé.

Heshima

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