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A Goma, Kabila plante le décor d’un bras de fer avec Kinshasa      

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Le 23 mai 2025, l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila a prononcé une allocution solennelle adressée à la nation congolaise depuis l’étranger. Dans son discours, l’ex-chef de l’Etat a critiqué vertement la gouvernance de son successeur sans le citer et a notamment proposé la « fin de la dictature ». Une adresse qui a suscité une vague de réactions. Mais au-delà de ce discours, comment l’ex-Raïs compte-t-il se comporter après avoir été mis en accusation par la justice militaire ? Après son arrivée à Goma, dimanche 25 mai, le risque d’un bras de fer avec Kinshasa semble être planté. Décryptage. 

 Crâne rasé, menton imberbe, la moustache soigneusement coiffée, sa chaire de discours estampillée des armoiries du pays, le « body language » de Joseph Kabila dégageait une certaine solennité le vendredi soir quand la vidéo de son allocution a été diffusée sur les réseaux sociaux. Pendant 45 minutes, les Congolais ont découvert un discours de défi et une grande charge dirigée contre le président de la République, Félix Tshisekedi. En rappelant son statut d’ancien militaire lié au serment de « sacrifice suprême » et en matérialisant sa volonté de se rendre à Goma – une ville occupée par les rebelles de l’AFC/M23 dont il est accusé de soutenir – Joseph Kabila a bien assumé son bras de fer avec le gouvernement congolais au lendemain de la levée de ses immunités au Sénat.        

L’ancien chef de l’Etat a justifié sa longue réserve de 6 ans par un souci de ne pas alimenter les polémiques, malgré ce qu’il qualifie de provocations et d’atteintes répétées à sa dignité. Il a affirmé   parler « par devoir », face à une situation de crise qu’il juge « existentielle » pour la nation congolaise. Joseph Kabila a dressé un portrait peu flatteur de la gouvernance de son successeur. Il a notamment dénoncé le retour de la dette publique qui a dépassé, à ce jour, la barre de 10 milliards de dollars, dénonçant notamment la corruption au pays.  

Revenant sur l’accord qui avait scellé la coalition entre son camp politique et ses partenaires d’alternance après les élections de 2018, l’ancien chef de l’État a affirmé que sa seule motivation était l’intérêt supérieur de la nation, et que cet accord visait à garantir la stabilité ainsi qu’un fonctionnement harmonieux des institutions.

Un pacte pourtant volatilisé en décembre 2020, avec la chute du bureau de l’Assemblée nationale alors dirigé par sa proche Jeanine Mabunda, puis, dans les mois suivants, celles du Premier ministre Sylvestre Ilunga et du président du Sénat Alexis Thambwe Mwamba.

L’ex-raïs a en outre accusé son ancien partenaire politique d’avoir violé la Constitution, parlant même d’un « coup d’État constitutionnel » pour avoir renversé une majorité en cours de législature.

Menace d’un « enjeu existentiel » pour la RDC : prélude à une partition ?

Dans son discours à la fois martial et énigmatique, Joseph Kabila a justifié son installation prochaine à Goma, ville sous contrôle des rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, comme un acte de « patriotisme » face à un défi qu’il qualifie d’ »existentiel » pour la nation congolaise. Une déclaration lourde de sous-entendus, qui relance les craintes d’une possible fragmentation du pays.

En évoquant une menace vitale ni pour lui, ni pour sa famille, mais pour la RDC, Kabila laisse planer un doute glaçant : la crise sécuritaire dans l’Est signerait-elle la fin de la RDC dans sa forme actuelle ? Sous couvert d’alarme patriotique, l’ancien chef de l’État agite-t-il le spectre d’une balkanisation, où les régions minières de l’Est, sous influence rwandaise, deviendraient une entité autonome ?

Son choix de s’établir à Goma, érigée en « capitale » par les insurgés, nourrit les spéculations. Joue-t-il les médiateurs, ou incarne-t-il déjà l’épicentre d’un pouvoir parallèle ? La manœuvre rappelle les scénarios à la soudanaise, où deux pôles rivaux (Khartoum et Port-Soudan) se partagent un pays fracturé. En s’affichant aux côtés d’une rébellion proxy de Kigali, Kabila légitime-t-il une gouvernance alternative, sapant l’autorité de Kinshasa ?

Son appel à « sauver le pays » sonne comme un calcul politique à haut risque : soit le pouvoir central cède à ses exigences, soit la RDC s’expose à une reconfiguration violente de ses frontières. Une rhétorique qui, loin d’éteindre l’incendie, attise les divisions et pourrait précipiter une guerre froide interne avec en arrière-plan, l’ombre tutélaire du Rwanda.

Alors que les tensions géopolitiques régionales atteignent un paroxysme, la RDC se retrouve à un carrefour critique : la survie de son unité territoriale est en jeu. La suite dépendra de la réponse et de la gestion de cette crise par Kinshasa et probablement de calculs inavoués de ceux qui, à l’Est comme à Kigali, tirent les ficelles de cette crise.

Un « Pacte citoyen » au contenu insurrectionnel

Dans les dernières minutes de son allocution, Joseph Kabila a proposé un « pacte citoyen » pour, selon lui, « sortir le pays de l’impasse ». Un discours calibré où l’ancien président mêle diagnostics sévères et propositions ambitieuses, mais dont la première mesure a immédiatement fait réagir : il appelle à « mettre fin à la dictature, mieux, à la tyrannie » de Félix Tshisekedi. Une formule qui sonne comme un appel à la révolte, à l’insurrection. De quoi surprendre, alors que le pouvoir en place est issu d’élections reconnues par la communauté internationale. « C’est un discours incendiaire. On ne renverse pas un régime légal issu des urnes. », analyse un observateur congolais sur X.

Parmi ses autres axes avancés figurent le rétablissement de l’autorité étatique sur l’ensemble du territoire, l’expulsion des forces étrangères, ou encore la restauration des libertés fondamentales. L’ex-chef de l’État plaide aussi pour une refonte économique, insistant sur une gestion rigoureuse des ressources et une meilleure redistribution des richesses.

Un discours-programme qui, s’il se veut rassembleur, laisse perplexe tant Kabila lui-même incarne pour beaucoup bien plus que les dérives qu’il dénonce aujourd’hui.

Face au discours de Kabila, Kabuya loupe le coche

Alors que la réaction du secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Augustin Kabuya, se faisait attendre, l’homme a réagi dimanche 25 mai en estimant que l’ancien président Joseph Kabila est un « un sujet rwandais » et l’a accusé d’avoir soutenu les rebelles du M23. Une réplique sur l’identité présumée étrangère de l’ancien président déjà entendue par les Congolais. « Un disque rayé », ajoute Michael Tshibangu, communicateur du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi.

Dans sa réplique, Augustin Kabuya n’a pas proposé grand-chose, loupant le coche devant les combattants du parti à Limete. « Laissez les Congolais traiter leurs problèmes. Lui, c’est un sujet rwandais. Il était là pour nous infiltrer », a-t-il insisté, avant d’expliquer que les relations entretenues avec Joseph Kabila et le président rwandais Paul Kagame sous le régime Tshisekedi relevaient d’une « stratégie politique » visant à éviter un conflit armé à Kinshasa, et non pas d’« amour ».

Augustin Kabuya a aussi diffusé des images des violences contre les manifestants sous Joseph Kabila comme preuve de sa dictature. Mais la grande réplique face au discours de l’ancien président est venue plutôt des membres des institutions.

Fwamba, Kashal et Mapamboli portent la charge de la réplique 

Le ministre des Finances, Doudou Fwamba, a indiqué que le régime de Joseph Kabila a pillé le pays avec une gestion des finances peu orthodoxe. « Des actifs miniers cédés à vil prix pour des intérêts privés durant 18 ans, des milliards de dollars américains de royalties issues des joint-ventures concédées à des amis étrangers, des centaines de millions de dollars retirés directement de la Banque Centrale du Congo pour une destination inconnue, comme le cas des 350 millions USD de pas de porte de la SICOMINES, des millions de dollars de fonds publics octroyés en cadeau pour la création d’entreprises privées familiales », a-t-il répliqué.

L’argentier national a aussi rappelé des morts, des assassinats qui, selon lui, sont des crimes contre l’humanité : « comme les massacres des adeptes de Bundu Dia Kongo, Mukungubila, Kamwina Nsapu, des pauvres citoyens lâchement abattus lors des manifestations pro-démocratie… »

Doudou Fwamba rappelle que sous le règne de l’ancien président, les enseignants étaient clochardisés, avec un salaire misérable de 45 à 60 dollars par mois. « Nos vaillants militaires des FARDC avec une rémunération de mendiants, des professeurs d’université sans assurance maladie ni autres garanties sociales ; des sociétés publiques démantelées pour appartenir à une seule famille », a-t-il souligné.

De son côté, le vice-Premier ministre, ministre de la Fonction publique, Jean-Pierre Lihau, ne comprend pas la logique de Joseph Kabila et parle d’une « ineptie ». Après 18 ans d’un long règne absolu et stérile, écrit-il, on a quand même le toupet de se présenter en donneur de leçons, avec « un paquet de vieilles recettes, un peu comme pour se moquer du peuple et justifier l’injustifiable ! Le peuple congolais n’est plus dupe ! ».

Au sujet de la dette publique que Joseph Kabila affirme avoir maîtrisée en 2010 avec l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), le député national Flory Mapomboli estime que la dette publique actuelle n’est pas exagérée. « Quant à la dette publique qui aurait été stabilisée en 2010, il sied de préciser qu’en cette année [2010], celle-ci représentait 26 % du PIB. Ce ratio est de près de 16 % en 2024. Où se trouve le surendettement entre les deux périodes susmentionnées ? Personne ne pourra me contredire sur ces chiffres, avec lesquels il est presque impossible de faire du populisme », a-t-il précisé.

Cet ancien cadre au ministère des Finances explique que, dans une économie, le niveau de vie de la population se mesure par un indicateur pertinent, à savoir le PIB par habitant. « Ce dernier a progressé de 24 % en USD courants entre 2018 et 2024, passant respectivement de 557 à 693 USD », a-t-il assuré, s’insurgeant contre la « manipulation » et la « mauvaise foi » de Joseph Kabila.

A Goma, Kabila va-t-il assumer le leadership de la rébellion ?

Après son arrivée à Goma, Joseph Kabila envoie deux messages au régime de Félix Tshisekedi : son refus de se laisser intimider par la menace de poursuites en justice et sa volonté d’assumer un rôle de leader dans les négociations en cours pour mettre fin au conflit dans l’est du pays.

Lors d’un point de presse à Goma, quelques heures avant l’arrivée de Joseph Kabila dans la ville occupée, Bertrand Bisimwa – leader politique du Mouvement du 23 mars (M23) – a déclaré que l’AFC/M23 n’avait pas de revendications à soumettre à Kinshasa. Ils ont déjà dépassé ce cap et sont dans une étape de révolution. Le porte-parole militaire du M23, Willy Ngoma, annonçant l’arrivée en « zone libérée » de Joseph Kabila, a également évoqué cette même révolution.

Cela laisse penser que Joseph Kabila semble vouloir prendre, assumer, le leadership de cette rébellion après le déclenchement des poursuites à son encontre. « Il a tenté de se faire une place de leader dans l’opposition politique civile, mais il a été ignoré par Kinshasa. Il tient désormais à jouer un rôle dans cette crise », explique un analyste politique.

Aux côtés des rebelles à Goma, Joseph Kabila va incarner une présence encombrante pour le gouvernement congolais. Va-t-il s’offrir un bain de foule à Goma pour se faire une image de Kabila populaire ? Cette hypothèse est possible, car l’homme surfe sur la crise actuelle pour tenter de revenir au-devant de la scène politique.

« Il n’y a pas de nostalgie populaire forte pour Kabila dans le pays », expliquait Trésor Kibangula, analyste politique à l’institut de recherche congolais Ebuteli. Pour lui, si la population n’a pas cette nostalgie pour la personne de Kabila, l’homme aurait néanmoins « conservé des relais dans l’armée ».

Avec cette arrivée officielle à Goma, Joseph Kabila risque de ne plus pouvoir cacher une proximité dont on lui reproche avec Paul Kagame et la rébellion de l’AFC/M23. « Il s’assume », comme l’avait prédit le vice-président de son parti, le PPRD, Aubin Minaku. Un bout de phrase parmi tant d’autres qui lui avaient valu une audition à l’auditorat militaire.

Heshima 

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