La République démocratique du Congo (RDC) est un pays béni par une abondance de ressources naturelles, allant du cobalt au cuivre, en passant par les forêts luxuriantes. Pourtant, cette richesse contraste cruellement avec la pauvreté endémique qui touche la majorité de ses 100 millions d’habitants. Au centre de ce paradoxe se trouve la corruption, un fléau profondément enraciné dans l’administration publique, qui asphyxie le progrès et prive les citoyens des fruits de leur patrimoine national. Selon un rapport de la société civile congolaise publié en 2022, la RDC perd environ 15 milliards de dollars chaque année en raison de la fraude, de la corruption et de la mauvaise gestion par des agents de l’État. Heshima Magazine explore comment la corruption des fonctionnaires, agents publics et mandataires de l’État entrave le développement, affecte les services essentiels et compromet l’avenir du pays, tout en examinant les efforts déployés pour y remédier.
La corruption au sein de l’administration publique en RDC est omniprésente, prenant des formes variées, des pots-de-vin quotidiens aux détournements massifs de fonds publics. Les citoyens doivent souvent payer des fonctionnaires pour accéder à des services de base, qu’il s’agisse d’obtenir un permis, un passeport, un certificat ou une audience judiciaire. Le Baromètre mondial de la corruption de Transparency International révèle que 75 % des Congolais ayant interagi avec la police au cours de l’année précédente ont dû verser un pot-de-vin, le taux le plus élevé parmi les 35 pays africains étudiés. Une étude de 2023 par RCN Justice & Démocratie indique que 82 % des Congolais ont été confrontés à la corruption dans leurs interactions avec les services publics, dans divers secteurs.
Des cas marquants illustrent l’ampleur du problème. Vital Kamerhe, ancien chef de cabinet du président Félix Tshisekedi, a été condamné en 2020 à 20 ans de travaux forcés pour avoir détourné 50 millions de dollars de fonds publics destinés à des projets sociaux. Sa libération en décembre 2021, après seulement 18 mois à la suite de l’annulation de sa condamnation par la Cour de Cassation, a suscité des doutes sur l’engagement à punir les hauts fonctionnaires. Plus récemment, en mai 2025, l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, introuvable depuis l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, a été condamné à 10 ans pour le détournement de 245 millions de dollars dans le projet agro-industriel Bukanga-Lonzo, un exemple flagrant d’abus par des mandataires de l’État.
Le phénomène des emplois fictifs est particulièrement alarmant. Une enquête de 2019 a révélé que 5 000 comptes de fonctionnaires fictifs, liés à des réseaux mafieux, ont été bloqués, drainant des ressources publiques. En 2023, une autre enquête a identifié 500 salariés fictifs dans le corps médical, détournant des fonds destinés à la santé publique. Le népotisme et le clientélisme aggravent la situation, comme en témoigne la suspension en 2023 de deux secrétaires généraux de la fonction publique pour affectation frauduleuse de nouvelles unités, une pratique favorisant des alliés politiques. Dans l’armée, une tentative de corruption de l’Inspection Générale des Finances (IGF) par des officiers de la FARDC, jugée en mars 2024 par la Haute Cour Militaire, montre cependant des efforts pour couvrir des irrégularités financières, révélant la profondeur des réseaux corrompus.
Impact sur les services publics
La corruption des agents publics a un impact dévastateur sur les services essentiels, touchant la santé, l’éducation, les infrastructures, la justice, l’armée et la police.
Dans le secteur de la santé, les patients doivent souvent payer des pots-de-vin à des fonctionnaires hospitaliers pour accéder à des soins censés être gratuits ou subventionnés. Une étude de 2022 dans le Journal of Public Health souligne que la corruption réduit l’accès aux soins, augmente les coûts et compromet la qualité. Marie, une mère de trois enfants à Kinshasa, témoigne : « Quand mon fils est tombé gravement malade, le médecin de l’hôpital public a exigé 20 dollars en plus des frais médicaux avant de l’examiner en priorité. Nous avons dû emprunter de l’argent, sinon il n’aurait pas été soigné en urgence. » Une enquête de 2023 a révélé 500 salariés fictifs dans le corps médical, drainant des fonds destinés aux hôpitaux, réduisant le personnel réel et la qualité des soins.
Dans l’éducation, les fonctionnaires imposent des frais illégaux pour l’inscription ou les examens, limitant l’accès à l’enseignement, surtout pour les familles pauvres. Jean, un enseignant à Lubumbashi, confie : « Beaucoup d’élèves abandonnent parce qu’ils ne peuvent pas payer les frais supplémentaires exigés par les directeurs. C’est une tragédie pour notre avenir. » Des emplois fictifs dans l’administration scolaire, bien que moins documentés, sont signalés dans des rapports, drainant des fonds destinés à l’éducation.
Les infrastructures souffrent également. Les fonds alloués à la construction de routes, de ponts ou d’écoles sont souvent détournés par des fonctionnaires, entraînant des projets inachevés ou de mauvaise qualité. Par exemple, des routes financées par des budgets publics s’effondrent rapidement en raison de matériaux inadéquats, conséquence de la corruption dans l’attribution des marchés publics. Une enquête de l’IGF en 2023 a révélé des irrégularités dans l’attribution de contrats publics, favorisant des entreprises liées à des fonctionnaires.
Le système judiciaire est gangréné par la corruption, avec des magistrats monnayant des verdicts ou prolongeant les délais. Le rapport RCN 2023 note que 60 % des citoyens perçoivent le système judiciaire comme corrompu, rendant l’accès à la justice difficile pour les citoyens ordinaires. Des cas de corruption judiciaire, comme des juges acceptant des pots-de-vin pour libérer des accusés, sapent l’État de droit.
Dans le domaine de la sécurité, l’armée et la police sont particulièrement touchées. Des généraux de la FARDC détournent des fonds, comme des salaires de soldats, affaiblissant la sécurité nationale. Human Rights Watch rapporte en 2023 des officiers impliqués dans le trafic illégal de minerais, enrichissant des réseaux mafieux. La tentative de corruption de l’IGF par des officiers en 2024 illustre les efforts pour couvrir ces pratiques. Dans la police, les agents exigent des pots-de-vin pour des services comme l’enregistrement de plaintes, avec 75 % des interactions impliquant des paiements, sapant la sécurité publique. Un rapport de l’UNJHRO en 2022 documente des cas d’extorsion par des officiers, aggravant l’insécurité. Ces pratiques privent les Congolais de leurs droits fondamentaux et entravent le développement national.
Conséquences économiques
La corruption des agents publics a des répercussions économiques profondes, freinant la croissance et aggravant la pauvreté. Malgré ses richesses minières, la RDC se classe 183e sur 190 dans l’indice Ease of Doing Business de la Banque Mondiale, reflétant un environnement commercial hostile où les pots-de-vin et les pratiques opaques des fonctionnaires découragent les investisseurs étrangers.
Le secteur minier, pilier de l’économie congolaise, est particulièrement touché. Bien que la RDC soit l’un des plus grands producteurs mondiaux de cobalt et de cuivre, les revenus profitent principalement à une élite restreinte de fonctionnaires corrompus. Le cas de Glencore illustre comment des entreprises multinationales et des fonctionnaires locaux s’entendent pour détourner des fonds, privant le pays de ressources vitales. En 2011, un partenaire commercial de l’entreprise Suisse Glencore a versé des pots-de-vin à des agents publics congolais pour faciliter l’acquisition de participations minoritaires dans deux sociétés minières appartenant à la Gécamines, contournant les procédures légales. Cette affaire a éclaboussée Glencore, qui a été condamné par la Suisse à une amende de 2 millions de francs suisses et à une créance compensatrice de 150 millions de dollars à l’État congolais pour ne pas avoir empêché ces pratiques. En décembre 2022, un règlement de 180 millions de dollars a été conclu avec la RDC pour des actes de corruption entre 2007 et 2018, impliquant des fonctionnaires. Ces paiements, bien que significatifs, n’ont pas pleinement compensé la perte de revenus publics, qui auraient pu financer des services essentiels.
Selon un rapport de la Banque mondiale, la mauvaise gestion des ressources naturelles par des fonctionnaires empêche la RDC de réaliser son potentiel économique, avec une allocation des ressources publiques souvent basée sur des opportunités de pots-de-vin plutôt que sur l’intérêt public. Cela se traduit par des projets inachevés, des infrastructures dégradées et une économie stagnante, aggravant la pauvreté de 64 % des Congolais.
Ramifications sociales et politiques
La corruption des fonctionnaires exacerbe les inégalités sociales, concentrant la richesse entre une élite de mandataires publics, tandis que 64 % des Congolais vivent sous le seuil de pauvreté. Cette disparité alimente le mécontentement social et les tensions, menaçant la stabilité du pays. Sur le plan politique, elle mine les institutions démocratiques. L’analyste politique Justin Ngiese observe : « La nomination à des postes clés de personnalités impliquées dans des affaires de corruption banalise ces pratiques et envoie un signal préoccupant. »
La corruption des agents publics dans les processus électoraux constitue un obstacle majeur à la démocratie. En mai 2025, l’Institut Ebuteli a dénoncé des détournements de machines à voter et des ingérences politiques par des agents de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et des juges de la Cour constitutionnelle. Malgré des recommandations pour restructurer la CENI, peu de progrès ont été réalisés à ce jour, sapant la confiance citoyenne et la crédibilité au niveau internationale.
Efforts pour combattre la corruption
Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption des agents publics une priorité. C’est ainsi que l’Ordonnance n° 17/03 du 20 mars 2020 a créé l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption (APLC), chargée de coordonner les efforts nationaux sur ce sujet. Cependant, l’APLC a été entachée par des scandales. Son premier coordonnateur, Ghislain Kikangala (juin 2020 – juin 2021), a été arrêté en décembre 2020 pour extorsion de 30 000 USD auprès d’Access Bank. Relâché après 24 heures, il a été remplacé pour « préserver l’image de l’agence ». Son successeur, Thierry Mbulamoko (juin 2021 – octobre 2023), a été suspendu pour une tentative de détournement de 36 millions de USD via le cabinet Centurion Law Group, impliquant un litige illégal avec l’État.
Malgré ces revers, l’APLC a lancé des initiatives prometteuses. Sa Stratégie nationale de lutte contre la corruption (2022) vise à réduire la corruption de 60 % d’ici 2026 à travers quatre axes : prévention, répression, détection et sensibilisation, incluant la digitalisation de l’administration et des audits renforcés. En juin 2025, lors d’une conférence à Vienne, le coordonnateur adjoint Michel Victor Lessay a présenté ces efforts, plaidant pour des réformes législatives et une coopération internationale. La ligne bleue 158 permet aux citoyens de dénoncer anonymement la corruption. En juin 2024, le député national Zapamba a déposé une proposition de loi anti-corruption pour aligner le code pénal sur les conventions internationales. En avril 2025, une mesure obligeant tous les agents publics à déclarer leur patrimoine a été adoptée, visant à détecter les enrichissements illicites, bien que freinée par un manque de ressources.
L’Inspection Générale des Finances (IGF) joue un rôle clé. En 2023, Jean-Pierre Lihau, ministre de la Fonction publique, a bloqué les paiements de salaires à des fonctionnaires fictifs, basés sur un rapport de l’IGF, empêchant des détournements. En 2023, deux secrétaires généraux ont été suspendus pour affectation frauduleuse, montrant des efforts pour sanctionner les fonctionnaires corrompus. Des poursuites judiciaires contre des fonctionnaires indélicats ont été lancées, comme rapporté en mai 2023. En décembre 2024, une conférence à Kinshasa a réuni des délégations eouvrant dans le domaine de lutte contre la corruption pour renforcer la collaboration. La société civile, notamment la Ligue Congolaise de Lutte contre la Corruption (LICOCO), aide les citoyens via son Bureau d’assistance juridique et de citoyenneté (CAJAC), particulièrement contre la corruption policière. Cependant, l’impunité et le manque de ressources limitent ces efforts. Un lanceur d’alerte sous couvert d’anonymat, résume : « Dénoncer la corruption est un combat épuisant, mais essentiel pour l’intérêt public. »
Bataille perdue d’avance contre la corruption ?
La corruption des agents publics, fonctionnaires et mandataires de l’État en RDC est un obstacle majeur au progrès. Elle prive les citoyens de services essentiels, freine la croissance économique, aggrave les inégalités et érode la confiance dans les institutions. Des initiatives comme la stratégie nationale de l’APLC, la ligne bleue 158, la déclaration obligatoire de patrimoine, les enquêtes de l’IGF et les poursuites contre des figures comme Matata Ponyo offrent des lueurs d’espoir. Cependant, les scandales impliquant les coordonnateurs de l’APLC et les défis d’application des réformes montrent que, sans une réforme institutionnelle profonde, une application rigoureuse des lois et une volonté politique soutenue, leur impact restera limité. Renforcer la transparence, protéger les lanceurs d’alerte et promouvoir une culture de responsabilité sont cruciaux pour libérer la RDC de l’emprise de la corruption et ouvrir la voie à un avenir prospère.
Heshima Magazine