Histoire

Le Grand Kivu

Région réputée dans son ensemble pour être un paradis sur terre, le Grand Kivu a malheureusement été secoué au cours de son histoire par des conflits récurrents, conséquence de la convoitise sur ses nombreux atouts et richesses.

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Situé dans la partie Est de la RDC, le Grand Kivu regroupe aujourd’hui les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et Sud-Kivu.  Cet ensemble totalise un peu plus de 256.863 km² soit une superficie cinq fois plus grande que le Rwanda où vivent environ 12 millions d’habitants.  Il a pour pays limitrophes, le Burundi, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie.

Dès la période préhistorique, cet espace est occupé par différents peuples qui s’y implantent et constituent  des royaumes plus ou moins organisés, plus ou moins homogènes, plus ou moins conquérants, à la tête desquels sont placés des Mwami.

En faisant correspondre ces différentes entités aux provinces actuelles, on retrouve dans le Maniema le royaume de l’Urega des peuples Lega ou Rega qui est considéré comme le plus vaste de tous ces Etats de la région, se déployant  jusqu’au Sud-Kivu dans les territoires de Mwenga, Shabunda. Pour sa part, les Bavira installent leur pouvoir à partir du sud du Maniema.

Au Nord-Kivu, le royaume confédéral des Bayira peuplé des Banande est localisé dans le nord de la province dans les territoires de Beni et Lubero ainsi qu’à Butembo, tandis que la confédération des Bahunde regroupant trois royaumes à savoir celui du Bwito, du Bunyungu et du Kishali s’étend sur les territoires de Masisi, Rutshuru, Goma jusqu’à empiéter dans une partie du Rwanda.  Quant au royaume des Banyanga, il couvre le territoire de Walikale.

Dans la province du Sud-Kivu, le royaume le plus remarquable est celui des Bashis dont l’espace englobe les territoires de Kabare, de Walungu, une partie de Mwenga (villes de Bukavu et Kamituga) et de l’île d’Idjwi, après que ce puissant Etat guerrier s’imposa sur ses vassaux dont le royaume du Buhavu, jusqu’à aller envahir le Rwanda jusqu’aux confis de Kigali.

Parmi les autres Etats ayant évolué dans ce qui représente l’actuelle province du Sud-Kivu, on peut citer le royaume des Babembe aux abords des rives du lac Tanganyika, celui des Bafuleros dans le territoire d’Uvira.

Pour ces peuples agro-pastoraux venant du sud-est africain qui se sont imposés sur les Pygmées, les verts pâturages de ces régions montagneuses et ainsi que le climat d’altitude aux basses températures sont propices pour l’élevage de leur bétail de bovins et caprins, expression par excellence de leur richesse.  De même, l’agriculture bénéficie de la fertilité des sols volcaniques.

Les invasions extérieures

Tout au long de son histoire, la région du Grand Kivu est l’objet d’invasions extérieures de la part des  forces désireuses d’étendre leur puissance et s’accaparer de ses richesses. Le Maniema de par sa situation géographique centrale en RDC joue à ce titre un rôle historique majeur.

Il commence d’abord par subir l’occupation arabo-swahilie dès le milieu du 19ème siècle qui est le fait de commerçants provenant de la côte orientale de l’Afrique, au départ de Zanzibar, à la recherche d’ivoire, d’ébène et d’esclaves pour approvisionner les marchés asiatiques. 

Ceux-ci s’installent à Nyangwe dans le territoire de Kasongo.  Ils en font le principal marché des esclaves du Maniema.  Et les vestiges de cette période de l’histoire sont d’ailleurs encore visibles à ce jour.

Le plus puissant et le plus célèbre d’entre eux, Tippo-Tip y opère des razzias et parvient à placer sous sa coupe de vastes domaines. Son pouvoir s’exerce ainsi du lac Tanganyika à la forêt de l’Ituri, dans une partie du Grand Kivu jusqu’au-delà de Kisangani, voire dans une partie du Kasaï.  

Parallèlement à cette invasion, un mouvement d’exploration en provenance d’Europe s’effectue à l’initiative de Léopold II, roi des Belges et atteint la contrée.  Les explorateurs occidentaux en quête des sources du Nil découvrent le lac Edouard en 1889, puis le lac Kivu en 1894.

Stanley, mandataire de Léopold II rentre en contact avec Tippo-Tip.  Celui-ci l’aide à explorer la région et se fait nommer « wali »,  c’est-à-dire gouverneur du Maniema pour le compte de l’Etat Indépendant du Congo (EIC).

Toutefois, cette relation prend fin à l’occasion de la campagne antiesclavagiste menée contre les arabo-swahilis qui se voient obligés de regagner leur lieu d’origine.  Léopold II débute alors la mise en valeur de la province pour tirer profit de ses richesses minières et agricoles, en construisant notamment le chemin de fer au Maniema pour assurer la liaison avec Kisangani (Stanleyville) sur le tronçon non navigable du Lualaba, et ainsi assurer la jonction avec Kinshasa (Léopoldville) par voie fluviale pour l’évacuation des denrées et minerais  d’une part et d’autre part, l’acheminement des produits manufacturés.

Afin d’affermir son autorité, le pouvoir colonial modifie administrativement les différents royaumes rencontrés sur place en réduisant leur étendue en chefferies et en déstabilisant leur organisation traditionnelle.

Après que le Ruanda-Urundi est placé sous mandat belge à la suite de la défaite de l’Allemagne lors de la Première guerre mondiale de 1914-1918, le colonisateur transplante des populations rwandaises au Congo.  Ce mouvement migratoire se justifie pour donner refuge à des individus confrontés à la famine et aux conflits ethniques internes opposant Hutus et Tutsis.

D’une manière générale, cette immigration rwandaise est acceptée, sinon tolérée par les populations du Kivu.  Les nouveaux venus accèdent aisément à des postes de responsabilité dans diverses activités socio-professionnelles voire exceptionnellement à des fonctions du pouvoir coutumier.

Devant la résistance rencontrée auprès des souverains locaux réfractaires à ce diktat, le pouvoir colonial procède à leur relégation.  Ainsi en est-il, entre autres, du Mwami de Kabare Alexandre Rugemanizi Ier  qui se voit confiné à Léopoldville (Kinshasa) vers 1935.

Cependant en 1959, à l’issue de la victoire des Hutus aux élections intervenues au Rwanda,  on assiste à une arrivée massive des réfugiés Tutsis au Congo sous l’encadrement de l’Organisation des Nations Unies au Congo (ONUC) dans des camps dressés pour ceux-ci.  Ils sont tout de suite accusés par les différentes institutions humanitaires (HCR, Croix-Rouge, ONUC) qui les prennent en charge  d’user d’intrigues contrairement au devoir de réserve auquel ils sont tenus vis-à-vis du pays d’accueil.

Indépendance et déliquescence de l’Etat congolais

Dès le lendemain de la proclamation de l’indépendance, les réfugiés Tutsis sont de plus en plus suspectés de fomenter un plan d’occupation et d’annexion du Kivu par le Rwanda en s’installant progressivement de manière insidieuse dans cette aire.

En 1963, le Grand Kivu à côté d’autres endroits du pays est le théâtre de la rébellion des Simbas  qui enflamment le Congo et occupent pratiquement les ¾ de la République.  Cette rébellion dirigée par les partisans de Lumumba qui a perdu illégalement le pouvoir en 1961, comprend plusieurs factions lesquelles  interviennent en divers fronts, que ce soit à la frontière burundo-congolaise, au Nord-Kivu, dans la ville stratégique de Kindu… Elle se termine après que son dernier bastion situé à Bukavu est vaincu en novembre 1965.

Au même moment, les Tutsis revendiquent en 1964, l’acquisition automatique de la nationalité congolaise par la force donnant lieu à des affrontements sanglants qui prennent fin en 1965.

En 1972, les revendications des populations rwandophones installées au Kivu avant l’indépendance aboutissent en leur faveur : grâce à des complicités internes, une loi leur accorde de façon automatique et collective la nationalité congolaise.   Elle leur assure l’accession à la terre et le droit électoral. 

Cette nouvelle disposition légale attise des vives tensions intercommunautaires.  Dans l’entretemps, les réfugiés Tutsis s’octroient abusivement l’identité ethnique Banyamulenge.   Les ethnologues Congolais dénoncent cette usurpation car l’espace appartient aux Bafuleros, un peuple autochtone, dont un des descendants de leurs rois nommé Mulenge ayant résidé sur le plateau éponyme l’avait baptisé et l’emplacement avait servi de camp d’accueil aux Tutsis lors de leur fuite du Rwanda en 1959. 

Devant les multiples tensions aiguisées par ces conflits intercommunautaires, le pouvoir congolais de l’époque se rétracte  dix ans plus tard.  En 1982, en effet, l’Assemblée nationale abroge la loi sur la nationalité, cette fois-ci conférée par naturalisation à la demande expresse du requérant.  La réaction est brutale : les bureaux de l’état-civil sont sauvagement saccagés afin de détruire les archives et empêcher d’appliquer comme il se doit la nouvelle loi.

Dans ce climat délétère, un génocide a lieu au Rwanda causé par les Hutus que le pouvoir tutsi parvient cependant à chasser du pays.  En 1994, un afflux massif de plus d’un million de réfugiés Hutus se déroule alors en RDC, exacerbant les tensions ethniques, démographiques et foncières dans le Kivu. Cette date marque un tournant décisif de l’histoire du Grand Kivu et bien sûr de tout le pays.

Il s’ensuit une alliance régionale, où l’on retrouve l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et d’autres pays de l’Est, à la faveur de laquelle Laurent-Désiré Kabila, à la tête de l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération (AFDL), renverse le régime de Mobutu.

La  région s’embrase, chacun des acteurs justifiant son implication dans le conflit.  La nouvelle armée rwandaise victorieuse contre le régime hutu, désormais majoritairement constituée de Tutsis, instaure une politique de poursuite contre leurs ennemis génocidaires et envahit le Kivu pour les traquer.

Des massacres des Hutus adviennent dans les camps des réfugiés au Congo ainsi que sur des populations congolaises opposées à l’occupation rwandaise.

Pour leur part, les rebelles hutus rwandais appelés, miliciens Interahamwe, constituent les Forces Démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un mouvement politico-militaire et commettent également de nombreuses atrocités au Kivu.

Le bilan se chiffre par un effroyable génocide de plus de 5 millions de morts dont la RDC  est l’innocente victime avec le déplacement forcé de près de 2 millions de Congolais dans les pays voisins (Burundi, Ouganda, Tanzanie, Zambie), à travers des événements gravés de manière tristement mémorable dans l’histoire comme les massacres de Kasika (24.08.1998), de Makobola (30.12.1998), Katogota (14.05.2000) et bien d’autres…

L’armée nationale congolaise, les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) précédemment affaiblie, se requinque et ne cesse de gagner des positions année après année. Pendant ce temps, elle doit faire face à la rébellion des LRA (Armée de résistance du Seigneur)  et Forces démocratiques alliées- Armée de libération de l’Ouganda (ADF-NALU) en provenance de l’Ouganda. 

Un mouvement de résistants patriotes dénommé « Maï-Maï » sous divers embranchements appuie dans la mesure du possible le combat des FARDC sur ses différents fronts.

Il n’empêche, sentant en permanence le danger sur son flanc ouest, le Rwanda n’a de cesse d’alimenter des mouvements agissant sous le prétexte de la protection de la minorité tutsie prétendument persécutée, par ailleurs soi-disant de nationalité congolaise : c’est ainsi qu’après le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) qui prend les armes le 2 août 1998, c’est au tour du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) qui prend le relais entre 2007 et 2009 et sa résurgence du M 23.

A chaque fois, c’est la population kivutienne dans son ensemble qui est directement sous les feux croisés de ces antagonismes et paie le lourd tribut avec son lot de désolation pour la vie humaine et socio-économique pendant que tous les protagonistes de ce sombre épisode sont accusés de l’entretenir pour cause d’enrichissement illicite des richesses trouvées sur place.  A ces souffrances infligées par les conflits armées, s’ajoutent parfois des catastrophes naturelles comme l’irruption volcanique intervenue à Goma en 2002 avec son lot de dégâts.

Demain le Grand Kivu

Alors que tout au long de son histoire, le Grand Kivu a toujours su sauvegarder sa souveraineté contre les velléités d’envahissement des Rwandais, la déliquescence de l’Etat congolais consécutive à plusieurs décennies de mégestion leur offre apparemment la possibilité d’y parvenir par plusieurs tentatives des coups de butoir assénés à la RDC, dénoncés régulièrement par des manœuvres insidieuses de balkanisation.

A chaque fois, ces hostilités récurrentes, latentes ou bel et bien manifestes, trouvent leur fondement dans la position de carrefour stratégique du Grand Kivu coincé entre l’Est, le Sud (Grand Katanga), le Nord (Grande Orientale) et l’Ouest (Grand Kasaï) qui en a souvent fait le lieu de transit obligé des antagonismes et de conquête du pouvoir établi à Kinshasa.

Les mobiles s’entremêlent avec toujours l’ombre omniprésente du Rwanda : rivalités ethniques et volonté d’assujettissement, appétits fonciers consécutifs au besoin de l’élargissement de l’espace vital crucial dans une terre riche, exploitation des minerais de la région qui en est abondamment pourvue entre autres le coltan…

Néanmoins,  le patriotisme de la population attachée à la cohésion nationale, le contexte démocratique et la détermination au redressement du pays sous la vigilance de l’ensemble des citoyens Congolais, sans compter la contribution de la justice internationale, augurent à terme, en dépit des soubresauts observés, d’un Grand Kivu pacifié au sein de la RDC, appelé à relever le défi qui est le sien d’être la connexion entre la partie Est de l’Afrique et de l’Océan Indien et la partie Ouest du pays dans un contexte panafricain de développement.    

Noël Ntete

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