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Elections en Ouganda : lorsque la fin justifie les moyens

En Ouganda, il est difficile d’être opposant et de penser remporter la présidentielle, quelle que soit la popularité que l’on peut avoir. Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi, a vécu cette malheureuse expérience lors de la présidentielle du 14 janvier 2021, dont Yoweri Museveni a été déclaré vainqueur avec 59 % des voix. Question : à quoi sert donc la dénonciation dans un pays où tout dans le processus électoral est à dénoncer ?

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A l’annonce des résultats 48 heures après la présidentielle, Bobi Wine a qualifié de plaisanterie la proclamation de la victoire de Museveni, lui qui dit avoir gagné avec un écart important. Face aux irrégularités qui ont émaillé les joutes électorales, la communauté internationale ne s’est pas empêchée de réagir. Selon Tibor Nagy, le plus haut diplomate du département d’Etat américain pour l’Afrique, dans un tweet, le processus électoral était fondamentalement défectueux. James Duddridge, ministre britannique de l’Afrique, en a appelé dans un communiqué à une enquête sur des irrégularités électorales présumées.

 Dimanche 17 janvier 2021, via son compte Twitter, Bobi Wine indiquera qu’il contesterait légalement les résultats de l’élection. Toutefois, rien ne changerait car, en 36 ans de pouvoir non partagé, le président ougandais a acquis une grande expérience dans la fraude électorale. Non seulement qu’il retouche à sa guise les dispositions constitutionnelles relatives à l’âge ou au nombre des mandats présidentiels, il exerce également le contrôle sur le système électoral entier de son pays. En prenant le pouvoir en 1986, Yoweri Museveni avait déclaré : « Le problème en Afrique en général, et en particulier en Ouganda, ce n’est pas le peuple, mais les dirigeants qui veulent rester au pouvoir ! ». Lui-même ne l’a plus quitté depuis. Agé de 76 ans, il exerce son sixième mandat à la tête du pays.

Elections chaotiques et violations des droits de l’homme

  Le jeune opposant ougandais de 38 ans, qui a brigué pour la première fois la présidentielle, en a vu de toutes les couleurs. Les élections se sont déroulées d’une manière indescriptible : le scrutin s’est tenu au terme d’une campagne électorale singulièrement violente, pendant laquelle il y a eu des morts, des agressions envers les professionnels des médias et des arrestations des opposants. Le jour même de l’élection, Bobi Wine était bloqué chez lui et le siège de son parti politique, la Plateforme d’unité nationale (NUP), était sous surveillance policière. L’indéboulonnable Yoweri Museveni a fait régner la terreur durant tout le processus, notamment en le plaçant en résidence surveillée. « M. Museveni, après avoir commis la fraude électorale la plus ignoble de l’histoire, a recours aux formes d’intimidations les plus méprisables », a twitté Bobi Wine. Benjamin Katana, son avocat, n’a pas été autorisé à lui rendre visite.

En effet, les intimidations contre le député et ex-chanteur avaient commencé avant même la campagne électorale. Le 3 novembre 2020, il s’était investi officiellement candidat de NUP. Du coup, les officiers de police l’extrairont de sa voiture et le gazeront. Mis aux arrêts pendant quelques minutes, il sera relâché et amené chez lui. Cependant, 54 personnes avaient été tuées par la police dans des émeutes liées à cette arrestation. En vue de préserver la vie de ses enfants, Bobi Wine a dû les envoyer aux Etats-Unis. Lui-même a mené sa campagne en gilet pare-balles. 

Recours à la terreur numérique

 En voyant la grande popularité de Bobi Wine, pour empêcher des échanges entre ses militants, le gouvernement a préféré régir la communication, en fermant l’accès aux réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Whatsapp, Instagram… Délibérément, l’Etat a enfreint le droit à l’accès à l’information et la liberté d’expression dont la police s’est permis d’accéder au compte WhatsApp de Bobi Wine, sans qu’il ne le sache, lisant de ce fait ses informations personnelles. Outre ce musèlement visant l’empêchement du débat politique sur les réseaux sociaux, les journalistes accrédités autorisés à couvrir la présidentielle étaient rares. Malgré tout, Bobi Wine a réussi à mobiliser la jeunesse derrière lui. Avec trois quarts d’Ougandais qui ont moins de 30 ans, l’Ouganda est l’un des pays les plus jeunes du monde. Ces jeunes en grande majorité sans emploi, lui ont accordé leurs voix.

Une pratique qui s’enracine

 D’après l’ONG Access Now, l’Ouganda n’est pas le premier pays africain à couper le réseau internet lors de la période sensible des élections. Le Burundi l’avait aussi fait en mai 2020, lors de la présidentielle. De 2016 à 2019, vingt-deux pays africains ont interrompu ou ralenti l’accès à l’internet, particulièrement lors des élections.

 Hubert MWIPATAYI

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