Economie

Fraude fiscale, un mal qui gangrène toujours le Trésor public

Fléau qui anémie les recettes publiques, la fraude fiscale a la peau dure en République démocratique du Congo. Le changement est certes intervenu au sommet de l’Etat en janvier 2019, mais, malgré l’«œil de lynx » que sont les structures de lutte mises en place pour la combattre, comme une hydre à mille têtes, celle-ci continue, occasionnant un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars au Trésor public.

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L es Directions provinciales de recettes, la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations (DGRAD), aux côtés de la Direction générale des douanes et accises (DGDA), ont été et continuent d’être victimes des pratiques malhonnêtes qui empêchent le renflouement optimal des caisses de l’Etat, et qui plombent l’économie nationale. Au sein des régies financières, la gangrène qu’est la fraude fiscale est due entre autres à l’inadaptation du système fiscal, aux mentalités des agents, entrepreneurs et population, à l’appât du gain… D’autre part, les déclarations fiscales ne sont toujours pas sincères, d’où le problème de civisme et intégrité qui se pose avec acuité.

 Les différentes pratiques de fraude fiscale

Certains détourneurs réduisent les montants d’impôts à payer, d’autres contournent la législation, et d’autres encore utilisent la législation dans le but d’échapper au paiement des impôts, en recourant aux moyens légaux tels que les exonérations. Selon l’Inspection générale des finances (IGF), la RDC perd plus de 5 milliards de dollars chaque année dans des exonérations injustifiées.

Une fraude fiscale tentaculaire

La fraude fiscale se perpétue et est devenue presque quasi-permanente. Elle est faite dans presque toutes les provinces et dans différents secteurs : mines, environnement, hydrocarbures… Le 20 août 2020, le Président de la Fédération de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) Lubumbashi a appelé l’autorité provinciale du Haut-Katanga à mettre fin à la fraude fiscale qui a élu domicile à la frontière de Kasumbalesa. De manière générale, la fraude continue, malgré l’alternance démocratique intervenue après les élections du 30 décembre 2018. C’est en effet à cause de celle-ci que la Banque mondiale a suspendu, le 1er février 2021, un financement de 100 millions de dollars, devant être décaissés au bénéfice de la gratuité de l’enseignement. Dans un rapport qu’elle a rendu public, l’IGF atteste l’existence des listes gonflées d’enseignants fictifs dans des écoles imaginaires, de fausses factures et aussi des détournements présumés.

Rien n’a donc changé comparativement aux mentalités du passé. Dans le secteur des mines, la fraude fiscale est très ancrée. En 2014, un rapport non rendu public, que l’Agence Reuters avait consulté, dénonçait des fraudes fiscales et douanières de près de 3,7 milliards de dollars de taxes et amendes qui devaient être payées au Trésor public par des compagnies minières, au Katanga.

Dans le secteur pétrolier, l’Etat perd aussi beaucoup d’argent comme l’illustre ce qui suit. En 2016, les responsables de la Direction générale des recettes de la province de l’Ituri (DGRPI), avaient dénoncé l’évasion de plus de 48 800 dollars chaque mois, dans le secteur pétrolier. D’après eux, cette fraude fiscale était l’œuvre des importateurs, dont la Station-service Kiriku, entreprise qui opérait sous couvert d’une fausse exonération de la société Ingegneria et Ivanozone. Rien qu’en 2014, 183 cargaisons de produits pétroliers importés étaient entrées en Ituri sans paiement de la redevance au trésor public et au compte de la province.

 Le domaine de l’exploitation forestière industrielle est aussi l’un de ceux qui connaissent la fraude fiscale à grande échelle. La RDC pourrait y encaisser plusieurs millions de dollars, si l’ordre y règne. Des analyses réalisées par la Banque mondiale, publiées en 2012, prévoyaient que les recettes dans ce secteur pourraient avoisiner 60 millions de dollars. La taxe principale perçue, appelée « redevance de superficie », n’était pas, cependant, payée régulièrement. D’après les statistiques, l’argent encaissé en 2012 représentait juste 10 % de ce qui devait être perçu. Selon un rapport de Global Witness, le manque à gagner dans ce secteur était partiellement dû à un arrangement illégal entre le secteur forestier et des fonctionnaires du ministère de l’Environnement, Conservation de la nature et Tourisme.

Une fraude fiscale en tandem avec la corruption

Partant de Mahagi à Kasumbalesa, en passant par Matadi, etc., la fraude fiscale et la corruption ont non seulement la peau dure, mais, elles montent crescendo. Dans son rapport sur l’indice de perception de la corruption, publié le 28 janvier 2021, Transparency International classe la RDC à la 168ème place sur 180. De toute évidence, le pays ne fait que régresser. À l’époque où il fut conseiller spécial du chef de l’Etat chargé de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, Luzolo Bambi disait que la RDC perd annuellement environ 15 milliards de dollars, à cause de la fraude fiscale et des détournements. Il disait que la corruption était endémique, mais, aujourd’hui la courbe de celle-ci est toujours ascendante.

Félix Tshisekedi en croisade

Le président Félix Tshisekedi est plus que déterminé à annihiler la fraude en général et fiscale en particulier. Lors de son premier discours sur l’état de la Nation, en décembre 2019, il avait parlé de sa détermination à créer « une juridiction spécialisée dans la lutte contre la fraude fiscale. « Je suis au courant de la persistance des pratiques de la corruption et de l’existence des réseaux de fraude massive », avait-il indiqué, avant d’ajouter : « Tous ces réseaux seront démantelés. Et je serai intraitable dans la lutte contre la corruption ». Dès lors, le chef de l’Etat travaille avec l’IGF dans la lutte contre la fraude et la corruption. Le 13 août 2020, l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) avait félicité l’IGF et la police judiciaire des parquets pour les enquêtes amorcées dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale. L’ACAJ les avait félicités notamment pour la qualité d’enquêtes sur les actes de fraude fiscale et détournements des deniers publics simulés en exonérations ou compensations.

Les partenaires de la RDC dans la lutte

Selon Mike Hammer, ambassadeur des Etats-Unis en RDC, son pays et le Congo travaillent ensemble depuis avril 2019, dans le cadre du partenariat privilégié pour la paix et la prospérité (PPPP), notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption. Quant à la Chine, elle a promis d’apporter son soutien au Congo. Les deux pays ont signé un accord de partenariat, le 24 juillet 2020, pour la mise en place d’un projet d’informatisation du système de collecte des impôts. Selon l’ambassadeur de la Chine en RDC, Zhu Jing, son pays met en œuvre, au bénéfice de la RDC, ce projet d’informatisation du système de collecte des impôts, identifiant mieux les traces de la collecte des impôts et laissant moins de manœuvres aux agents détourneurs. C’est en effet depuis longtemps que l’on parle de la mise en place des mécanismes permettant de mettre fin à la fraude fiscale et d’améliorer l’efficacité et la rentabilité des services mobilisateurs des recettes en RDC. Seulement, la situation n’a pas évolué. En 2013, Daniel Mukoko Samba, à l’époque vice-premier ministre chargé du Budget, avait indiqué, lors des assises sur le coulage des recettes publiques, que le gouvernement voulait mettre en place un système fiscal simple et transparent dans le but de décourager la fraude et l’évasion fiscale.

 Hubert MWIPATAYI

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