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Les alliances : Atout et faiblesse de la politique en RDC

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Àquand la publication de votre premier gouvernement ? Félix Tshisekedi n’échappe pas à cette question toutes les fois qu’un microphone lui est tendu. Souple face aux hommes des médias, le président congolais brandit la meilleure jurisprudence qui soit pour justifier le temps que prend ce gouvernement : la Belgique est restée près de deux ans sans gouvernement. Des sources concordantes rassurent que le gouvernement issu de la première alternance au pouvoir au Congo tarde suite à une mésentente entre les délégués CACH (Cap pour le Changement) de Félix Tshisekedi et ceux du FCC (Front commun pour le Congo) de Joseph Kabila. De Kingakati dans la banlieue-Est de Kinshasa à Mbuela dans la province du Kongo central, ces partenaires au pouvoir ne se mettent pas d’accord sur le quota pour la composition du Gouvernement.

Un pénible décollage ! 

Et alors que le principal couac semblait provenir d’une mésentente CACH-FCC, un événement survenu ces dernières heures met à nu le manque d’unanimité au sein de la plateforme de l’ancien régime. Joseph Kabila comme, dans un dribble dont il est le seul à en détenir la formule, a désigné début juillet Alexis Thambwe Mwamba comme candidat à la tête du bureau du Sénat. Une décision qui a fâché Modeste Bahati, un poids lourd au sein du FCC compte tenu du nombre important de sièges que compte son regroupement Alliances des forces démocratiques du Congo et alliés (AFDC-A) dans les assemblées législatives. 

Ce dernier a, presqu’immédiatement annoncé sa candidature au même poste, défiant ainsi le mot d’ordre de Joseph Kabila, son autorité morale. Un désamour qui a été traduit le mardi 09 juillet par un communiqué du FCC suspendant M. Bahati Lukwebo. L’occasion faisant le larron, Modeste Bahati, fin connaisseur du sérail politique congolais a profité de cette punition du FCC pour montrer ses atouts de félin, apparaissant sur une photo aux côtés de Vital Kamerhe, comme pour annoncer un rapprochement entre les deux camps.

Un tableau assez sombre qui pousse à une analyse sur la nécessité des alliances et des coalitions politiques en République démocratique du Congo.

Une Nation née des alliances !

 Autour des années 1950, le vent des indépendances a commencé à souffler sur le continent africain, ne laissant pas indifférents quelques leaders et animateurs des différents cercles culturels au Congo. Ces derniers ont senti la nécessité de se constituer en groupes de réflexion et de pression afin de solliciter l’indépendance de leur pays. Une succession des mouvements populaires qui a produit les résultats escomptés. Les leaders d’opinions congolais sont conviés à Bruxelles pour parler autour d’une table ronde avec leurs « homologues » belges. L’indépendance était dans la poche. Une date était même proposée et actée. Une formalité doit cependant être remplie : les nouveaux dirigeants du Congo doivent être élus.

C’est alors que des partis politiques, œuvrant dans la plus grande clandestinité et des regroupements connus, vont se joindre à quelques associations culturelles, voire claniques pour aller aux élections.

  L’Alliance des bakongo (Abako) que dirigent dans l’ombre l’Abbé Loya et Kasa-Vubu, celui-ci plus en vue que le premier, le Mouvement national congolais (MNC) de Lumumba, le Parti solidaire africain (PSA) d’Antoine Gizenga, etc. seront le fruit de premières alliances politiques au Congo. La première pierre devant construire l’édifice Congo, orphelin de ses belges concepteurs a été posée sur une alliance Kasa-Vubu-Lumumba (Gizenga, Bolikango et autres).


La RDC aime les alliances !

 En 2006, la République démocratique du Congo s’apprête à vivre ses premières élections générales, libres, transparentes et démocratiques. Joseph Kabila, président de la transition, est candidat à la présidentielle. Conscient des clivages sociaux existant dans ce pays-continent, quatre fois plus grand que la France, il lance son opération séduction à l’attention de quelques partis politiques aux idéologies proches de sa formation politique, le PPRD. Ainsi, au début de cette année électorale, l’Alliance pour le renouveau au Congo (ARC ) d’Olivier Kamitatu, le Mouvement social pour le renouveau (MSR) de Pierre Lumbi Okongo et d’autres partis se joignent au PPRD afin de maximiser les chances d’obtenir une majorité présidentielle. L’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP) est donc lancée et c’est tambour battant qu’elle va, dès l’entame des élections, à la conquête des sièges.

Kabila arrive en tête des élections au premier tour, cependant, il n’a pas obtenu la majorité absolue, étant talonné de près par Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement de Libération du Congo (MLC).

  Les deux candidats doivent remettre les gants dans un duel d’ores et déjà annoncé âpre. À ce stade, il n’est plus question de réfléchir par deux fois, les alliances s’imposent. Kabila en sait quelque chose, Bemba doit tenter le coup. Les proies sont connues: Antoine Gizenga, un des pères fondateurs de la Nation congolaise et président du Parti lumumbiste unifié (PALU) est arrivé 3ème au premier tour. Il est très populaire dans les provinces du Bandundu et de Kinshasa. Nzanga Mobutu, un des fils du Maréchal déchu en 1997 par le père de Joseph Kabila, a, quant à lui, raflé la 4ème place grâce à sa prééminence dans la province de l’Équateur nostalgique de son défunt père Mobutu Sese Seko, et enfin, Oscar Kashala, ce médecin installé aux États-Unis, surprise de ces élections est arrivé à la cinquième marche du podium.

Les jeux sont ouverts, que le meilleur gagne !

 Kabila est parvenu à enrôler Gizenga et Nzanga tandis que Bemba n’a pu avoir que Kashala et d’autres candidats ne pesant malheureusement pas sur la balance.

Le résultat est le reflet des alliances comme dans une relation de cause à effet, Kabila a remporté haut la main, le second tour.

Tout chemin mène à Rome!

 Elu en 2011 pour un deuxième mandat, son dernier tel que le prévoit la Constitution congolaise, Kabila doit quitter le pouvoir en 2016. Et les opposants politiques ne sont pas prêts à le laisser finir son mandat en paix. Des réunions et des rencontres s’organisent à Gorée au Sénégal, à Ibiza en Espagne ou encore à Paris en France.


La plus importante de ces rencontres a lieu en 2015 à Genval, une bourgade bruxelloise. Elle est présidée par Etienne Tshisekedi le légendaire opposant aux différents régimes d’après Kasa-Vubu et y prend part la quasi-totalité des opposants congolais. 

Kinshasa tremble et le camp Kabila tangue. L’AMP devenue MP quelques années auparavant va perdre quelques-uns de ses cadres, et ce ne sont guère des poids-plume. 

Olivier Kamitatu, Pierre Lumbi, Christophe Lutundula, Dany Banza, José Endundo, Muando Nsimba que rejoint le célèbre et riche homme d’affaires Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, exilé en Belgique après des démêlés avec la Justice congolaise. Que de grands noms qui ont décidé de quitter Kabila qu’ils reprochent d’être trop silencieux au sujet de son avenir politique. Ils s’en vont créer le Groupe des sept (G7) et rejoindre l’aréopage des opposants à Kabila.

 Kabila ne dit mot et reste protégé par l’article 70 de la Constitution qui le maintient à son poste jusqu’à l’investiture d’un nouveau président.

Une disposition qui trouvera tout son sens lorsque la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), dans un point de presse, déclarera son incapacité à organiser les élections en 2016, soit à l’expiration du dernier mandat de Kabila.

 Le Congo est trempé de la tête aux pieds dans une sorte de crise de légitimité des institutions.

Successivement deux dialogues seront organisés pour calmer le jeu, apaiser les esprits le temps que la Ceni organise les élections tant attendues.

 Un gouvernement chapeauté par l’opposant Samy Badibanga, transfuge de l’UDPS de Tshisekedi sera investi en 2016 avant d’être remplacé en 2017, juste quelques mois après par celui de Bruno Tshibala, un autre bras droit d’Etienne Tshisekedi, décédé en février 2017.

Le camp présidentiel peut souffler, l’opposition a perdu quelques-uns de ses cadres, mais n’abdique pas. Avec un Katumbi à qui certaines presses attribuent des milliards en banque, l’opposition n’arrête de rugir.

À la mi-2017, Katumbi déplace une bonne partie des opposants, ils sont venus d’Europe, d’Amérique et de Kinshasa et ont posé leurs valises à Johannesburg pour parler du Congo.

À l’issue de ce grand forum, il sera décidé la création d’une grande plateforme : Ensemble pour le changement. Cette fois-ci Katumbi ne se cache pas, c’est lui qui en est le patron. 

À Kinshasa, Kamerhe dont le parti est signataire des accords issus des dialogues de l’Union africaine et du Centre interdiocésain, n’est plus en odeur de sainteté avec Kabila. Il met un terme à leur partenariat, sans cependant convaincre ses lieutenants ayant juré fidélité à Kabila. 

Le Front commun pour le Congo !

 Dans un entretien avec son premier ministre Bruno Tshibala, Joseph Kabila pique ce dernier :«…maintenant que nous travaillons ensemble, devons nous continuer à se considérer comme ennemis ou nous pouvons nous associer dans une grande famille ? »

Une question qui n’a su trouver de réponse séance tenante, mais qui aura dérangé tous les rêves de Tshibala.

 2018, après de nombreuses réunions sous forme de derniers réglages, tous les opposants politiques prenant part au Gouvernement Tshibala, les José Makila, Jean-Lucien Busa, Oly Ilunga, Ingele Ifoto, Basile Olongo et autres, optent pour une alliance avec la Majorité présidentielle (MP). Un mastodonte voit le jour, c’est le Front commun pour le Congo, un ensemble des plateformes et partis politiques réunis autour de Joseph Kabila. Certains approuvent cette initiative tandis que d’autres n’y adhèrent pas. Ainsi, Lisanga Bonganga, pourtant membre du gouvernement Tshibala et Kin-Kiey Mulumba, Kabiliste invétéré ne signeront pas la charte créant le FCC. Ce dernier refusera même de soutenir Ramazani Shadary, le candidat désigné pour le compte du FCC.


Genève, un amour s’est brisé !

La Ceni a annoncé la date des élections, elle rassure, celles-ci se tiendront sans ambages en décembre 2018. L’opposition politique, a été, de manière assez étonnante, unie et solidaire depuis 2015. Les congolais sont émerveillés à l’idée que ces politiques, certains agacés par la tête de Kabila et d’autres désireux de gérer autrement le Congo, puissent désigner un candidat commun.

 La volonté de cette frange de la population tend à se réaliser lorsque Jean-Pierre Bemba, relaxé de son incarcération à la Cpi, Moïse Katumbi, Matungulu, Adolphe Muzito, Martin Fayulu, Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi, ces grands leaders d’opinions, membres de l’Opposition se réunissent à Genève en Suisse.

Autour d’Allan Doss, ancien secrétaire général des Nations Unies et membre de la Fondation Koffi Annan, les leaders congolais vont élire le candidat unique de l’Opposition à la prochaine présidentielle.

 Le vote aura lieu entre Fayulu, Matungulu, Kamerhe et Tshisekedi, les seuls dont les dossiers de candidature ont été validés par la Cour Constitutionnelle du Congo. Et à la surprise générale, Martin Fayulu, jusque-là, pas très populaire, sera le candidat désigné.

Le monde exulte et s’étonne. Le rêve est donc devenu réalité, l’Opposition ira aux élections en étant unie. 

Une joie de courte durée, car peu après, instantanément Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, sommés par leurs bases politico-sociologiques ont dû retirer leurs signatures de l’accord désignant Fayulu. 

Les deux vont se retrouver quelques jours plus tard à Nairobi au Kenya, ce pays touristique de l’Est de l’Afrique pour décider, qui des deux sera candidat à la présidentielle. Ils nomment leur alliance « Cach » : Cap pour le changement.

 Avec une souplesse qui lui colle à la peau, Kamerhe a laissé tendre la main à Tshisekedi. Une décision payante puisque le 10 janvier 2019, la Ceni a déclaré Félix Tshisekedi vainqueur de la présidentielle du 30 décembre 2018. Une victoire avec un arrièregoût aigre d’autant plus que le tandem TshisekediKamerhe n’a pu remporter la majorité au Parlement. C’est le FCC de Kabila, qui a la quasi-totalité des sièges dans les deux chambres du Parlement, dans les Assemblées provinciales et même parmi les gouverneurs. Ce qui donne lieu à une coalition dans la gestion actuelle de la Rdc. Deux alliances pour ne former qu’une : FCC-CACH pour le meilleur et le pire.

Au gré des intérêts !

Les alliances se font et se défont. Cette boutade se vérifie merveilleusement bien en République démocratique du Congo dont l’histoire politique est faite d’amour et de désamour. Une question se pose: pourquoi toutes ces alliances ? La politique est l’instrument de gestion de la chose publique, mieux des intérêts du peuple. Toute gymnastique politique est avant tout pour favoriser l’intérêt général.

 En RDC, les avis divergent au sein de la population et dans différents cercles de réflexion. D’aucuns estiment que les alliances politiques se concluent davantage pour des intérêts partisans que pour le bien du peuple.

Il est de coutume de retrouver les mêmes visages, le matin dans l’opposition et dans le camp présidentiel à midi. Des âmes perdues, des litres de sang engloutis et imbibés dans le sol légué par les pères fondateurs de la Nation…la souffrance du Congolais est la seule donne inchangée depuis l’Indépendance.

 Entré dans une nouvelle ère politique où fils et fille clament « le Peuple d’abord », l’espoir quoiqu’infime, reste tout de même vif de voir les alliances politiques servir l’intérêt du peuple congolais.

HESHIMA

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