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Alliances politiques en RDC :les côtés pile et face de la médaille

L’Union faisant la force. Les politiques congolais créent souvent des alliances ou des coalitions pour gagner la présidentielle ou obtenir la majorité parlementaire. Seulement, comme les alliés ne partagent pas forcément les mêmes centres d’intérêts, les rassemblements hétéroclites formés sont souvent sujets aux multiples tensions. Retour sur la longue histoire des alliances en RD Congo.

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 Malgré leur court moment d’existence, les alliances ont permis à pas mal de politiciens congolais d’atteindre leurs objectifs. C’est grâce notamment à ses alliés que Laurent-Désiré Kabila, dans le cadre de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), avait réussi à évincer le Président Mobutu, le 17 mai 1997.

En 2019, au terme des élections de décembre 2018, le Front commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le Changement (CACH) s’étaient entendus après six mois de négociations sur la formation d’une coalition, en signant un accord de gouvernance aux termes duquel 42 portefeuilles de l’Etat revenaient au premier et 23 au second. L’accord était signé entre Néhémie Mwilanya et Jean-Marc Kabund. En effet, Félix Tshisekedi était contraint car, lorsque la CENI l’avait déclaré vainqueur de la présidentielle le 10 janvier 2019, il n’avait pas pu remporter la majorité au Parlement. C’est le FCC de Joseph Kabila qui avait la quasi-totalité des sièges dans les deux chambres du Parlement, dans les Assemblées provinciales et même parmi les gouverneurs.

Toutefois, l’histoire politique congolaise est faite d’amour et de désamour entre politiciens, ce qui fait que les alliances se font et se défont régulièrement. Il est de coutume de retrouver les mêmes visages, le matin dans l’opposition et dans le camp présidentiel à midi, constat qui pousse d’aucuns à conclure que les alliances politiques se concluent davantage pour des intérêts partisans que pour le bien du peuple.

 Alliances, tout sauf un havre de paix

En réalité, les alliances et coalitions ne sont que des unions de façade, fragiles, au sein desquelles la cohabitation est souvent difficile. Comme l’illustre le deuxième discours du quinquennat du Président Félix Tshisekedi sur l’état de la Nation, prononcé en décembre 2020, les rivalités et querelles politiciennes prennent le dessus au sein de celles-ci au point de tout paralyser : « Malheureusement, la réalité des faits est que, malgré les efforts que j’ai déployés, les sacrifices que j’ai consentis et les humiliations que j’ai tolérées, cela n’a pas suffi à faire fonctionner harmonieusement cette coalition. Cela n’a pas non plus empêché l’émergence de difficultés de tous ordres au sein de celle-ci, rendant ainsi aléatoire la concrétisation du changement tant réclamé par notre peuple ».

 Avec le FCC-CACH, l’entente n’était toujours pas au rendez-vous dès le départ. Des sources concordantes indiquaient que, si le gouvernement issu de la première alter nance tardait, c’était à cause d’une mésentente entre les délégués du CACH et ceux du FCC. De Kingakati (Kinshasa) à Mbuela (Kongo central), les partenaires au pouvoir n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le quota pour la composition du Gouvernement.

N’en pouvant plus, Fatshi prendra finalement la résolution de faire table-rase. « Face à cette situation qui menaçait à la longue le fonctionnement normal de nos Institutions dont Je suis le Garant, il me fallait absolument réagir, mieux agir», indiquera-t-il. Le 23 octobre 2020, Félix Tshisekedi avait lancé un appel à tous en vue d’un rassemblement dans une Union Sacrée de la Nation, ce avant d’engager des consultations. Pour le président Tshisekedi, le moment de « rompre avec (la) coalition FCC – CACH devenue paralysante pour l’action du Gouvernement » était venu.

 Par ailleurs, le cas de Modeste Bahati démontre aussi que les alliances connaissent souvent des soubresauts au sein d’elles. Autrefois, le manque d’unanimité autour de la personne qui devait briguer la présidence du Sénat était à la base des discordes au sein du FCC. N’ayant pas digéré le fait qu’Alexis Thambwe Mwamba ait été désigné comme candidat, Bahati Lukwebo dont le regroupement « Alliances des forces démocratiques du Congo et alliés (AFDC-A) » est un poids lourd, avait préféré tourner casaque. Du coup, il avait traversé vers le camp de Félix Antoine Tshisekedi où l’Union sacrée de la Nation était en gestation.

Finalement, il a réussi à avoir ce qui lui était refusé au FCC.

 Le point de départ des alliances en RDC

Autour des années 1950, le vent des indépendances commence à souffler sur le continent africain, ne laissant pas indifférents quelques leaders et animateurs de différents cercles culturels au Congo. Ces derniers ne tarderont pas à sentir la nécessité de se constituer en groupes de réflexion et de pression afin de solliciter l’indépendance de leur pays. A la suite d’une succession des mouvements populaires, les leaders d’opinions congolais sont conviés à la table-ronde de Bruxelles avec leurs « homologues » belges. L’indépendance était dans la poche, une date était même proposée et actée. Une formalité doit cependant être remplie : les nouveaux dirigeants du Congo doivent être élus. C’est alors que de partis politiques œuvrant dans la plus grande clandestinité ainsi que des regroupements connus vont se joindre à quelques associations culturelles, voire claniques pour aller aux élections.

L’Alliance des bakongo (Abako) que dirigent dans l’ombre l’Abbé Loya et Kasa-Vubu, le Mouvement national congolais (MNC) de Lumumba, le Parti solidaire africain (PSA) d’Antoine Gizenga, etc. seront le fruit des premières alliances politiques au Congo. La première pierre devant construire l’édifice Congo, orphelin de ses belges concepteurs, a été posée sur une alliance Kasa-Vubu-Lumumba (Gizenga, Bolikango et autres).

Les alliances sous Joseph Kabila

En 2006, la RDC s’apprête à vivre ses premières élections générales, libres, transparentes et démocratiques. Joseph Kabila, président de la transition, est candidat à la présidentielle. Conscient des clivages sociaux existant, il lance son opération séduction à l’attention de quelques partis politiques aux idéologies proches de sa formation politique, le PPRD. Ainsi, l’Alliance pour le renouveau au Congo (ARC) d’Olivier Kamitatu, le Mouvement social pour le renouveau (MSR) de Pierre Lumbi Okongo et d’autres partis se joindront au PPRD afin de maximiser les chances d’obtenir une majorité présidentielle. L’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP) est donc lancée et c’est tambour battant qu’elle va, dès l’entame des élections, à la conquête des sièges.

Kabila arrive en tête des élections au premier tour. Cependant, il n’a pas obtenu la majorité absolue, étant talonné de près par Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement de Libération du Congo (MLC). À ce stade, il n’est plus question de réfléchir par deux fois, les alliances s’imposent. Kabila en sait quelque chose, Bemba doit tenter le coup. Les proies sont connues: Antoine Gizenga, un des pères fondateurs de la Nation congolaise et président du Parti lumumbiste unifié (PALU) est arrivé 3ème au premier tour. Il est très populaire dans les provinces de l’ancien Bandundu et de Kinshasa. Nzanga Mobutu, un des fils du Maréchal déchu en 1997 par le père de Joseph Kabila, a, quant à lui, raflé la 4ème place grâce à sa prééminence dans la province de l’Équateur nostalgique de son défunt père Mobutu Sese Seko, et enfin, Oscar Kashala, ce médecin installé aux États-Unis, occupe la cinquième position. Kabila parvient à enrôler Gizenga et Nzanga, alors que Bemba n’aura que Kashala et d’autres candidats partenaires, mais qui ne pèsent malheureusement pas sur la balance. Kabila remporte le second tour.

Tout chemin mène à Rome !


Elu en 2011 pour un deuxième mandat, son dernier tel que le prévoit la Constitution congolaise, Kabila doit quitter le pouvoir en 2016. Et les opposants politiques ne sont pas prêts à le laisser finir son mandat en paix. Des réunions et des rencontres s’organisent à Gorée au Sénégal, à Ibiza en Espagne ou encore à Paris en France. La plus importante de ces rencontres a eu lieu en 2015 à Genval, une bourgade bruxelloise. Elle est présidée par Etienne Tshisekedi le légendaire opposant aux différents régimes d’après Kasa-Vubu et y prennent part la quasi-totalité des opposants congolais.

Kinshasa tremble et le camp Kabila tangue. L’AMP devenue MP quelques années auparavant va perdre quelques-uns de ses cadres, et ce ne sont guère des poids-plume : Olivier Kamitatu, Pierre Lumbi, Christophe Lutundula, Dany Banza, José Endundo, Muando Nsimba que rejoint le célèbre et riche homme d’affaires Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, exilé en Belgique après des démêlés avec la Justice congolaise. Que de grands noms qui ont décidé de quitter Kabila à qui ils reprochent d’être trop silencieux au sujet de son avenir politique. Ils s’en vont créer le Groupe des sept (G7) et rejoindre l’aréopage des opposants à Kabila.

Kabila ne dit mot et reste protégé par l’article 70 de la Constitution qui le maintient à son poste jusqu’à l’investiture d’un nouveau président. Une disposition qui trouvera tout son sens lorsque la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), dans un point de presse, déclarera son incapacité à organiser les élections en 2016, soit à l’expiration du dernier mandat de Kabila.

Le Congo est trempé de la tête aux pieds dans une sorte de crise de légitimité des institutions. Successivement deux dialogues seront organisés pour calmer le jeu, apaiser les esprits le temps que la Ceni organise les élections tant attendues. Un gouvernement chapeauté par l’opposant Samy Badibanga, transfuge de l’UDPS de Tshisekedi sera investi en 2016 avant d’être remplacé en 2017, juste quelques mois après par   celui de Bruno Tshibala, un autre bras droit d’Etienne Tshisekedi, décédé en février 2017.

Le camp présidentiel peut souffler, mais l’opposition qui a perdu quelques-uns de ses cadres n’abdique pas. Avec un Katumbi à qui certaines presses attribuent des milliards en banque, l’opposition n’arrête pas de rugir. À la mi-2017, Katumbi déplace une bonne partie des opposants, ils sont venus d’Europe, d’Amérique et de Kinshasa et ont posé leurs valises à Johannesburg pour parler du Congo.

À l’issue de ce grand forum, il sera décidé la création d’une grande plateforme : Ensemble pour le changement. Cette fois-ci Katumbi ne se cache pas, c’est lui qui en est le patron. À Kinshasa, Kamerhe dont le parti est signataire des accords issus des dialogues de l’Union africaine et du Centre interdiocésain, n’est plus en odeur de sainteté avec Kabila. Il met un terme à leur partenariat, sans cependant convaincre ses lieutenants ayant juré fidélité à Kabila.

 Le Front commun pour le Congo !


Dans un entretien avec son premier ministre Bruno Tshibala, Joseph Kabila pique ce dernier : «… maintenant que nous travaillons ensemble, devons-nous continuer à nous considérer comme ennemis ou nous pouvons nous associer dans une grande famille ? ». Une question qui n’a su trouver de réponse séance tenante, mais qui aura dérangé tous les rêves de Tshibala.

En 2018, après de nombreuses réunions sous forme de derniers réglages, tous les opposants politiques prenant part au Gouvernement Tshibala dont José Makila, Jean-Lucien Busa, Oly Ilunga, Ingele Ifoto, Basile Olongo et bien d’autres optent pour une alliance avec la Majorité présidentielle (MP). Un mastodonte voit le jour, c’est le Front commun pour le Congo, un ensemble des plateformes et partis politiques réunis autour de Joseph Kabila. Certains approuvent cette initiative tandis que d’autres n’y adhèrent pas. Ainsi, Lisanga Bonganga, pourtant membre du gouvernement Tshibala et Kin-Kiey Mulumba, Kabiliste invétéré, ne signeront pas la charte créant le FCC. Kin-Kiey refusera même de soutenir Ramazani Shadary, le candidat désigné pour le compte du FCC.

Genève, un amour s’est brisé !

 Lorsque la Ceni avait annoncé la date des élections, rassurant que celles-ci se tiendront sans ambages en décembre 2018, l’opposition politique s’était de manière assez étonnante unie. En octobre 2018, les 7 ténors de l’Opposition, à savoir Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba, Félix Tshisekedi, Freddy Matungulu, Martin Fayulu, Moïse Katumbi et Adolphe Muzito se réunissent afin de se choisir un candidat commun à la présidentielle… C’est Lamuka qui naissait.

Les Congolais s’étaient émerveillés à l’idée que ces politiques, certains agacés par la tête de Kabila et d’autres désireux de gérer autrement le Congo, puissent désigner un candidat commun. Avec l’implication de la Fondation Kofi Annan et autour d’Allan Dos, les opposants réunis à Genève, en Suisse, se choisirent Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition. Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe qui avaient signé les lettres d’engagement se retireront le lendemain de l’accord signé. Le prétexte avancé était le refus de leurs militants respectifs. Les deux vont se retrouver quelques jours plus tard à Nairobi au Kenya, ce pays touristique de l’Est de l’Afrique pour décider, qui des deux sera candidat à la présidentielle.

 Heshima Magazine

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