Interview

Seth Kikuni : « les confessions religieuses nous ont rendu un mauvais service »

Candidat à la présidentielle de 2018, Seth Kikuni estime qu’il est contradictoire de continuer à attribuer la gestion de la CENI aux confessions religieuses dans l’idée que les hommes politiques sont corrompus pendant que ce sont ces mêmes hommes politiques qui gèrent le pays au lendemain des élections et déterminent l’avenir de la CENI.

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Seth Kikuni : « la désignation des animateurs de la CENI doit revenir aux acteurs politiques, les confessions religieuses nous ont rendu un mauvais service »

HESHIMA Magazine : Investi le 26 avril 2021, le Gouvernement Sama Lukonde a totalisé ses cent premiers jours dans les affaires. M. Seth Kikuni, quel bilan dressez-vous de l’action gouvernementale de l’ère Union sacrée, trois mois après ?

Seth KIKUNI : Je pense que les résultats sont encore timides. Même s’il est vrai que nous évoluons dans un contexte économique et social très difficile dominé par la pandémie qui a commencé en 2020. J’espère que les efforts fournis en silence par le gouvernement apporteront le changement matériel souhaité par tous. Il est toutefois important de noter que parmi les membres du gouvernement, il y a quelques individualités qui se distinguent et essayent de transformer tant soi peu leurs secteurs respectifs. Ces individualités nous permettent de continuer à croire que peut-être dans un futur proche, nous allons assister à un miracle sur le plan socio-économique.

HESHIMA Magazine: Opérateur économique de renom, quelle lecture faites-vous de l’affaire produits de première nécessité se trouvant au cœur de la controverse entre le Gouvernement et les importateurs membres de la FEC ?

Seth KIKUNI : Je dénonce l’approche adoptée par le Gouvernement. Je pense que nous sommes en train de faire fausse route dans ce débat. L’opérateur économique est le plus grand héros de notre pays. On ne peut pas se réveiller un bon matin et décider de le frustrer surtout dans un contexte de crise. Le pouvoir actuel n’a aucun respect pour l’opérateur économique et tout est fait pour le présenter devant l’opinion nationale comme un détourneur, un voleur, un ennemi du social du peuple. Les opérateurs économiques ne céderont pas aux impositions populistes du Gouvernement. Le pouvoir politique qui offre gratuitement des Jeeps aux députés ne peut pas sans subvention obliger les commerçants à s’occuper du social des citoyens. C’est inacceptable. Depuis son accession au pouvoir, le Président a organisé plusieurs voyages dans le but de chercher des investisseurs à l’étranger. Par ses voyages, il avait fait comprendre à l’opérateur économique local que pour lui, n’est investisseur que celui qui vient de l’étranger. Où sont les investisseurs qu’il était parti chercher ? Quel est le retour sur investissement de plus 50 millions de Usd dépensés pour trouver ces investisseurs ?

Il n’a aucune idée sur les vrais défis de l’opérateur économique qui prend des risques énormes pour maintenir son business, payer des employés, s’acquitter des impôts et taxes. Comment peuvent-ils obliger ce même opérateur économique de s’occuper du social de la population ? Depuis mars 2020, plusieurs commerçants ont fait faillite dans l’indifférence totale. Le peu qui fonctionnent ont perdu jusqu’à 45 % de leurs chiffres d’affaires et se sont endettés auprès des banques commerciales qui octroient des crédits à des taux d’intérêts élevés.

HESHIMA Magazine: Mais, pourquoi les opérateurs économiques ne peuvent-ils pas prendre l’initiative d’aller vers le Chef de l’Etat, si celui-ci ne les convoque pas ?

Seth KIKUNI : Tout simplement parce que c’est le Chef de l’Etat qui a besoin de l’opérateur et non le contraire. N’oubliez pas aussi qu’en cas de frustration prolongée, l’opérateur économique peut recourir à d’autres options, y compris celle de déplacer ses capitaux. Mais un Etat pauvre comme le nôtre n’a pas plusieurs marges de manœuvre. Le cycle d’endettement dans lequel le Président nous a plongé et qui semble satisfaire ses ambitions à court terme se retournera contre nous à moyen et long terme. Et c’est l’opérateur économique qui en payera les frais. Dites-moi, c’est sur base de quelle logique économique on peut décider de demander à l’opérateur économique de baisser les prix en contrepartie de la baisse des impôts et taxes pendant que l’Etat s’endette pour financer son économie ? Pourquoi ne pas laisser l’opérateur économique travailler selon les lois de l’offre et de la demande et se contenter de mobiliser plus de recettes ? C’est une contradiction que seule la résistance salvatrice de l’opérateur économique pourra révéler dans un futur proche. A condition bien sûr que le Gouvernement décide de se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard.   

HESHIMA Magazine: Trouvez-vous normal que les opérateurs économiques qui achètent du poisson à vil prix en Namibie reviennent le vendre à prix d’or en RDC ?

Seth KIKUNI : La question n’est pas de savoir si cela est normal ou pas. Ce que j’essaie d’expliquer est qu’il y a plusieurs paramètres qui entrent en jeu dans la fixation des prix des produits.  La Namibie peut vendre ses poissons à 0,5 dollar, mais, il faut voir qu’est-ce qui entre en jeu de la Namibie jusqu’ici. Ne pensez pas seulement en terme de gros fournisseurs, pensez aussi aux revendeurs. Si aujourd’hui Seth Kikuni dispose de chambres froides à Kingasani, Masina et Maluku, comment fait-il pour revendre dans ces endroits reculés de la ville ? Tenez, le consommateur qui veut que les prix des produits surgelés puissent baisser, a lui-même du mal à faire la provision pour la simple et bonne raison que la SNEL (Société nationale d’électricité, Ndlr), ne lui donne pas du courant électrique. Et, qu’est-ce qui se passe lorsque vous ne faites pas la provision chez vous ? Si avec la provision, vous alliez dépenser 100 dollars, sans la provision vous serez obligé de dépenser 150 ou 200 dollars. Pensez maintenant au commerçant qui prend le risque d’acheter la marchandise et d’investir dans une chambre froide sans être sûr que la SNEL lui donnera du courant électrique.  Ce commerçant est obligé d’acheter un groupe électrogène et de dépenser 100 ou 200 dollars par jour pour conserver sa marchandise. Et la SNEL n’est qu’un problème parmi tant d’autres. Alléger les taxes et tout sans résoudre le problème des infrastructures, c’est donner avec la main gauche et reprendre avec la main droite. Le Gouvernement dans son élan populiste peut rêver et imposer la baisse des prix, mais la réalisation de son rêve sera suicidaire pour notre économie déjà fragile. Le Gouvernement doit plutôt penser à inonder le marché et la concurrence va tout réguler d’elle-même, il ne s’agit pas d’imposer parce que lorsque vous imposez, vous créez d’autres problèmes au lieu de les résoudre.

HESHIMA Magazine: Récemment, le Chef de l’Etat a nommé Mme Kabedi Gouverneure de la Banque centrale du Congo et bien d’autres personnalités comme administrateurs. Cela a permis le décaissement d’un crédit de 1,5 milliard de dollars au FMI. Quel avis avez-vous à formuler sur ce point ?

Seth KIKUNI : Je tiens à féliciter le nouveau Gouverneur de la Banque centrale du Congo. Nous sommes tous pour le fait que les femmes doivent occuper des fonctions importantes dans ce pays et, voir une femme, dans l’histoire de notre pays, occuper cette fonction importante, ne peut que nous flatter. Ce que nous voulons de la part du nouveau Gouverneur, c’est une performance qui va permettre à notre pays d’avoir un cadre macroéconomique stable, et aider l’opérateur économique de se reconstruire après cette crise de la pandémie qui a trop duré.  

Par rapport au FMI, personnellement, je ne suis pas très à l’aise de voir notre Gouvernement aller négocier de si petites sommes. 1,5 milliard de dollars pour un pays qui compte près de 100 millions d’habitants est une insulte. Nous voyons de petits pays de l’Occident comme la Roumanie ou la Hongrie, qui ne disposent que de 8 millions d’habitants, négocier des prêts du FMI à hauteur de 80, 90 milliards de dollars. Il s’agit d’un prêt inutile parce que nous pouvons faire mieux à l’intérieur si nous nous organisons de la meilleure manière. C’est vrai qu’il n’existe pas d’Etat sans dette mais il faut aussi que la dette puisse résoudre les problèmes.

HESHIMA Magazine: L’IGF mène une patrouille financière et intensifie la traque contre les détourneurs des deniers publics. Les dossiers ayant été transmis en justice, ces actions inquiètent plus d’une personne : quelle analyse émettez-vous par rapport à cette lutte contre la corruption ?

Seth KIKUNI : Il faut une lutte contre la corruption qui profite à l’Etat et à l’opérateur économique. Grâce à la lutte contre la corruption l’Etat doit être en mesure de réunir assez des moyens pour investir dans les infrastructures et mieux payer les fonctionnaires qui à leur tour se transformeront en consommateur fiable et stable pour les commerçants. Une lutte anti-corruption qui ne contribue pas à l’amélioration des conditions matérielles de la société n’est rien d’autre qu’une chasse aux sorcières et rien d’autre. C’est aussi cela que nous reprochons à l’IGF. Elle semble agir de façon partiale. C’est comme si on choisit les acteurs, les opérateurs qu’il faut contrôler et on laisse certains autres opérateurs en dehors du champ d’investigation. Nous constatons tout simplement que les gens qui sont proches du régime semblent être épargnés par le contrôle de l’IGF, mais on veut voir clair, le peuple veut voir clair.

HESHIMA Magazine: A Goma, le Chef de l’Etat a dit n’avoir pas été content de la manière dont fonctionne la Justice congolaise. Quel regard portez-vous sur le fonctionnement de la justice en RDC ?

Seth KIKUNI : Il y a beaucoup à dire sur le fonctionnement de notre justice. Elle semble privilégier la vengeance. Elle est borgne. Pourtant, la justice que nous appelons de tous nos vœux, n’est pas simplement celle qui est construite par l’appareil judiciaire. La vraie justice est celle qui comble en même temps les citoyens du sentiment de faire partie d’un système où l’on se sent considéré malgré son appartenance politique, ethnique ou religieux. La vengeance par contre, c’est la volonté de se débarrasser du mal par le mal, la volonté de faire souffrir un groupe des gens, de les rabaisser et prendre plaisir à le faire.   

HESHIMA Magazine: Le nom du prochain Président de la CENI sera bientôt connu. Les uns comme les autres sont divisés au sein de la plateforme « confessions religieuses ». Peut-on dire qu’on est parti pour la contestation ?

Seth KIKUNI : La CENI est une question qui continuera à diviser la classe politique si on continue à jouer à l’hypocrisie. Je suis d’avis qu’on doit faire un choix définitif et assumer ce choix. Mon avis est que la désignation des acteurs de la CENI doit revenir aux seuls acteurs politiques. Le rôle de la CENI est d’organiser des élections et nous donner des nouveaux dirigeants politiques. Il est donc contradictoire de continuer à attribuer la gestion de la CENI aux confessions religieuses dans l’idée que les hommes politiques sont corrompus pendant que ce sont ces mêmes hommes politiques qui gèrent le pays au lendemain des élections et déterminent l’avenir de la CENI. Combien de fois les confessions religieuses nous ont servi un mauvais repas ? La CENI doit rester une institution politique, on doit seulement définir les règles de jeu que tout le monde doit respecter et celui qui ne les respectera pas doit être arrêté et envoyé en prison.  Ne soyons pas hypocrites, c’est le politique qui dirige le pays, c’est le politique qui décide, ce sont les députés qui prennent toutes les décisions liées au fonctionnement de la CENI. A la limite, on peut en toute responsabilité confier l’organisation des élections au ministère des Affaires intérieures. Aussi longtemps que nous allons travailler sur le mécanisme de transparence par rapport aux élections, il n’y aura pas de problèmes. 

HESHIMA Magazine: La proposition de loi sur la nationalité (congolité) a été déposée à l’Assemblée nationale et elle pourrait être alignée prochainement parmi les matières à traiter. Quel est votre avis ?  Quelles pourraient être les conséquences de celles-ci ?

Seth KIKUNI : Je ne pense pas qu’il s’agit d’un débat sur la congolité. L’auteur de loi a démontré à plusieurs reprises que son objectif est de verrouiller la présidence de la République et autres postes de souveraineté aux seules personnes nées de père et de mère congolais. Je pense que le débat a déjà été lancé. Ce qui nous reste à faire, c’est de vider la question en toute responsabilité sans verser dans les émotions qui risquent de nous fragiliser. Je suis partisan d’un débat démocratique. Je ne veux que cette loi serve de prétexte pour éliminer certains adversaires politiques. Je ne veux pas non plus qu’à cause d’un seul individu, l’on décide d’éviter cette question qui reviendra encore et encore. Vaut mieux vider la question et tourner définitivement la page.

HESHIMA Magazine: L’état de siège a été décrété depuis le mois de mai en Ituri et au Nord-Kivu par le Président de la République. Était-il utile de prendre une telle initiative ?

Seth KIKUNI : Chaque jour qui passe, je réalise qu’en décrétant l’état de siège, le Gouvernement ne disposait pas d’un plan concret pour mettre fin à la guerre. Il y a tâtonnement et une communication gouvernementale qui se contredit tous les jours. Dans une démocratie, lorsque vous décidez de confier le pouvoir aux militaires, il faut faire vite pour éviter les abus qui touchent aux droits et libertés fondamentaux. 

Interview réalisée par Hubert MWIPATAYI

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