La République démocratique du Congo (RDC) a mis en place un programme de gratuité de la maternité depuis septembre 2023. À son arrivée au pouvoir, le président congolais, Félix Tshisekedi, avait promis une couverture de santé universelle, dont la gratuité de l’accouchement est un volet important. Mais cette réforme inédite – appréciée par la population – rencontre des problèmes de financement mais aussi de mise en œuvre.
Ce programme vise à rendre les soins de maternité accessibles à tous, en particulier dans la capitale Kinshasa, et progressivement dans les autres provinces. Le projet poursuit une ambition noble : réduire la mortalité maternelle et infantile mais aussi améliorer les conditions de vie et de travail des prestataires de santé en RDC. À Kinshasa, les nouvelles ont été encourageantes dès le lancement de ce programme. « Lors de mon premier accouchement en 2022, j’ai été retenue à l’hôpital parce que nous n’avions pas d’argent pour payer la césarienne qui coûtait 920 dollars américains. Lors de la naissance de ce nouveau bébé en janvier 2024, l’opération a été prise en charge totalement par le programme de gratuité de la maternité », explique Eliane Kapinga qui a accouché à l’hôpital militaire du Camp Tshatshi, à Kinshasa.
Après près d’une année, ce programme a aidé beaucoup de femmes à accoucher sans payer de frais. À l’Hôpital général de Kinshasa, le nombre de femmes ayant accouché a presque doublé. Cet établissement public réalisait en moyenne 70 à 100 accouchements par mois, mais depuis le lancement de la maternité gratuite, ce chiffre a presque doublé, atteignant entre 150 et 200 accouchements par mois. Selon le chef du département de gynécologie et obstétrique, Sylvain Mulumba, interrogé par la Deutsche Welle, ce programme aide beaucoup de femmes. « L’argent que la famille et les démunis payaient, c’est le gouvernement qui le paie maintenant », a-t-il déclaré en juillet 2024.
La matérialisation de cette initiative présidentielle s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la Couverture sanitaire universelle (CSU) qui prévoit la prise en charge gratuite des accouchements et des soins aux nouveau-nés. Cette gratuité des accouchements comprend, entre autres, les consultations prénatales, l’échographie obstétricale, les accouchements simples, les accouchements par césarienne, les soins du nouveau-né, la vaccination, les consultations post-natales, les services de planification familiale et l’accès aux médicaments essentiels. Une prise en charge qui soulage énormément les Congolais. « C’est une double joie, d’abord le fait de voir mon petit-fils et surtout le fait qu’on a rien payé. J’ai entendu cela à la radio mais je viens de le vivre. C’est un soulagement sur le plan financier, car ici à Kinshasa, accoucher était devenu un casse-tête à cause du coût élevé [de la maternité] », se réjouit une grand-mère, Jeanne Disasi, interrogée par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA).
Le programme menacé par un manque de financement
Depuis 2023, plus de 426 000 femmes ont été prises en charge depuis le début du programme de gratuité. Avec son extension dans 14 provinces actuellement, le projet commence à s’essouffler sur le plan financier. Actuellement, le programme coûte 200 millions de dollars par an, dont 42 millions uniquement pour la ville de Kinshasa, d’après les chiffres avancés par le ministre de la Santé, Samuel-Roger Kamba. Cependant, plus d’une année après son lancement, le financement commence à poser problème. En décembre, le gouvernement devrait prendre en charge 208 structures sanitaires dans la province du Kasaï Oriental. La poursuite de la mise en œuvre de ce programme commence également à rencontrer des difficultés liées à la logistique, à la formation du personnel de santé et à la gestion des ressources.
Des hôpitaux accrédités suspendent la gratuité…
Dans un communiqué diffusé le 9 juin, le directeur général du Centre Hospitalier Monkole a annoncé la suspension temporaire de ses services de maternité et de néonatalogie gratuits. Cette structure sanitaire justifie cet arrêt de service par le non-respect des engagements pris par le Fonds de Solidarité de Santé, notamment des arriérés de paiement depuis octobre 2024. Cet hôpital n’est pas le seul à arrêter momentanément ces services.
D’autres structures médicales sont également concernées, notamment celles de l’Église catholique, de l’Église du Christ au Congo, l’Église Kimbanguiste et de l’Armée du Salut. En revanche, le Fonds de solidarité de santé, structure chargée de la gestion des fonds destinés au paiement des prestations de santé, a présenté des excuses et a appelé les structures de santé concernées à maintenir ouverts les services. Selon le responsable de ce fonds, des tractations sont en cours avec les structures de santé pour une régularisation de leur facture à la fin du mois de juin.
Une impréparation du projet ?
D’après le plan de décaissement du ministère des Finances, 42 millions de dollars ont déjà été décaissés pour couvrir pendant une année les factures de ces accouchements gratuits à Kinshasa. « Chaque année, il y a à peu près 350 000 naissances vivantes en RDC », analyse John Senga Lwamba, secrétaire général national du Syndicat national des médecins (SYNAMED). Pour lui, même le montant de 42 millions de dollars est insuffisant pour couvrir les accouchements dans la capitale congolaise. John Senga estime qu’il y a eu une impréparation par rapport à l’implémentation de ce programme, pourtant salutaire pour la population. Cette mesure, si elle est pérennisée, pourrait également diminuer la pression sur les épaules des médecins. « Avec la gratuité des accouchements, ça fait moins de pression sur le personnel soignant. On n’a plus à courir derrière les factures des femmes qui viennent d’accoucher. On espère que l’État prendra toutes les dispositions afin que le personnel soignant reçoive régulièrement sa paie pour ainsi pérenniser cette mesure que nous soutenons », note le président du SYNAMED, Didier Biletsi.
Face à ce flottement dans le financement, il est nécessaire de mobiliser plus de ressources financières, matérielles et humaines conséquentes pour accompagner cette gratuité. Avec la gratuité de l’enseignement de base et celle des accouchements, le pays pourrait quitter la liste des pays ayant le taux le plus élevé de mortalité néonatale et maternelle, tout en réduisant aussi le taux d’analphabétisme en RDC.
Heshima