Après la brève visite à Luanda du président de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi, la partie angolaise, en tant que médiateur dans le conflit qui touche l’Est de la RDC, a annoncé le 11 mars 2025 des négociations directes entre Kinshasa et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Une position inattendue du chef de l’État congolais après plus de 3 ans de refus d’un dialogue direct. Pourquoi une telle volte-face ? Tentative de réponse…
Après avoir longtemps placé une ligne rouge aux rebelles, Félix Tshisekedi cède… Depuis Luanda, la Présidence angolaise a balancé un communiqué qui semble avoir glacé le camp politique du régime en place. « Après la brève visite de travail de Son Excellence Félix Tshisekedi à Luanda, la partie angolaise, en tant que médiateur dans le conflit qui touche l’Est de la République démocratique du Congo, établira des contacts avec le M23, afin que des délégations de la RDC et du M23 mènent des négociations directes qui auront lieu à Luanda dans les prochains jours, en vue de négocier une paix définitive », peut-on lire sur le compte de la Présidence angolaise.
En une phrase : Tshisekedi accepte le dialogue direct avec les rebelles. Pourtant, il y a 13 jours, devant l’Union sacrée, sa plateforme politique, le chef de l’État congolais avait donné des raisons de son refus d’un dialogue direct, considérant le M23 comme une « coquille vide » qui risque de reprendre les revendications du Rwanda. Félix Tshisekedi avait donc préféré dialoguer directement avec le Rwanda, le mentor de cette rébellion. Mais que s’est-il passé dans l’entre-temps pour assister à une telle volte-face ?
Quelles pourraient être les raisons ?
Certains observateurs expliquent cette volte-face par des pressions que Félix Tshisekedi subirait à l’interne tout comme à l’international. En interne, les hommes de l’Église ont sillonné toute la région pour vendre leur projet de Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble dans la région des Grands Lacs, ainsi que l’opposition politique au régime de Tshisekedi. Les dirigeants de la région, à commencer par l’Angolais João Lourenço, en passant par l’Ougandais Yoweri Museveni et le Congolais Sassou Nguesso, n’ont de cesse de recommander à Tshisekedi de dialoguer avec le M23. Dernièrement, lors du sommet conjoint EAC-SADC, le 9 février à Dar es Salaam, il avait été recommandé à Kinshasa de dialoguer avec tous les acteurs, y compris le M23. Même des partenaires occidentaux comme Londres et Washington ont aussi recommandé un dialogue direct avec ces rebelles. Face à de telles pressions internationales et en n’ayant pas une armée capable de faire la différence sur les lignes de front, l’option ultime serait celle d’un dialogue direct avec les acteurs de cette instabilité sécuritaire.
Un dialogue pas facile à engager pour Kinshasa
Accepter un dialogue est un premier pas. Mais il faudra aussi attendre la réaction de la rébellion du M23 qui, jusqu’à la mise sous presse de cette analyse, n’a pas encore pris la parole. La rébellion doit probablement consulter ses alliés à Kigali, à Kampala et dans d’autres capitales africaines pour donner leur position. Les futures négociations entre Kinshasa et le M23 – si elles sont engagées – ne signent pas automatiquement la fin du conflit, dont la résolution s’avère être un sérieux casse-tête. Le gouvernement congolais se retrouve face à un monstre à trois têtes : le M23, le Rwanda et l’AFC de Corneille Nangaa que Félix Tshisekedi associe à Joseph Kabila. Chacun a ses propres agendas ou revendications. Il y a tout d’abord le M23, qui demande le respect des accords de 2013, à savoir leur réintégration dans l’armée, leur transformation en mouvement politique, et le retour des réfugiés d’origine tutsi du Rwanda et d’Ouganda.
Il y a ensuite le Rwanda, qui soutient en hommes et en armes la rébellion, et qui réclame la neutralisation des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), ce groupe armé hostile à Kigali. Et puis, il y a ce qu’on peut qualifier d’un intrus dans les revendications traditionnelles du M23 : l’AFC de Corneille Nangaa. Cette branche est apparue comme un uppercut en plein conflit. L’AFC a des revendications plus radicales et demande le départ de Félix Tshisekedi du pouvoir. Un monstre à trois têtes qui risque d’être difficile à gérer pendant les discussions. Si l’Angola est maintenu comme médiateur dans ce conflit, Luanda pourrait avoir du pain sur la planche pour conduire ces discussions.
Le discours de Muyaya pris au dépourvu !
La nouvelle du dialogue est une surprise quasiment pour tous les membres du gouvernement qui répétaient à l’envie qu’ils ne s’assiéraient jamais autour de la table avec les « marionnettes de Kigali », tous qualifiés de « terroristes » et tous condamnés à mort par la justice congolaise. Lorsque Félix Tshisekedi avait dit qu’il ne dialoguerait pas avec le M23, même s’ils arrivaient devant la porte de sa résidence de la Cité de l’Union africaine, située à l’ouest de Kinshasa, c’était également au regard de cette dimension éthique liée au fait que les rebelles étaient déjà qualifiés de « terroristes ». Pendant que le porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya avait même mis en place un discours bien huilé sur ce refus de dialoguer avec ces « terroristes », Tshisekedi change subitement d’avis. Comment alors réorienter la communication ? Quel argument apporter à l’opinion publique congolaise pour la convaincre de cette volte-face ? Le porte-parole du gouvernement semble aujourd’hui un peu coincé, évoquant l’obligation d’un dialogue faite dans la Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la crise en RDC. Il faudra donc à Patrick Muyaya retravailler un autre discours pour l’adapter à la nouvelle réalité, celle d’essayer de ne plus trop critiquer les rebelles, devenus des interlocuteurs valables. Une acrobatie difficile à exécuter face aux milliers de morts causés par cette rébellion dans la ville de Goma et dans d’autres territoires des provinces du Nord et du Sud-Kivu.
Heshima