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De l’élite à la rébellion : le paradoxe congolais

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Depuis 1960, la RDC est marquée par des rébellions armées alimentées par des luttes de pouvoir, des tensions ethniques et la convoitise de ses richesses minières. Malgré un processus démocratique et la légitimité du président Tshisekedi, des figures comme Corneille Nangaa ou tout récemment Franck Diongo sont liées à un mouvement armé. Heshima Magazine explore l’histoire de ces conflits, les parcours de leurs acteurs et les raisons d’un recours à la guerre dans un pays qui n’est pas une dictature.

La récurrence des armes dans la politique congolaise n’est pas un accident. Elle reflète des failles structurelles profondes : un État central affaibli, une corruption endémique, des inégalités régionales, et des interférences étrangères qui exploitent ces vulnérabilités. Depuis les premières années de l’indépendance, marquées par des crises politiques brutales, jusqu’aux rébellions contemporaines comme celle du Mouvement du 23 mars (M23), la RDC semble prisonnière d’un paradoxe. D’un côté, elle dispose d’un potentiel immense, des ressources naturelles stratégiques, une population jeune et dynamique, une superficie équivalant à l’Europe occidentale. De l’autre, elle est minée par des conflits qui, loin de résoudre les griefs, aggravent les souffrances d’un peuple déjà éprouvé par des décennies de chaos. Comprendre pourquoi des leaders congolais, souvent issus de l’élite politique ou intellectuelle, optent pour la rébellion nécessite un retour sur l’histoire, une analyse des dynamiques actuelles, et une réflexion sur ce que signifie gouverner un pays aussi complexe.

Une histoire de rébellions en RDC

L’histoire de la République démocratique du Congo (RDC) est marquée par une succession de rébellions, chacune ancrée dans des luttes pour le pouvoir, des tensions ethniques, des richesses minières ou des influences étrangères. Depuis l’indépendance le 30 juin 1960, le pays a été le théâtre de crises où les armes sont devenues un moyen récurrent de contester l’autorité, souvent au détriment de la cohésion nationale. Ces soulèvements, portés par des leaders aux profils variés, s’inscrivent dans une chronologie où les événements anciens jettent les bases des conflits plus récents.

Dès l’indépendance, le Congo sombre dans le chaos. La sécession du Katanga, orchestrée par Moïse Tshombe avec l’appui des puissances occidentales, expose les divisions internes et les convoitises autour des ressources minières. Patrice Lumumba, premier Premier ministre, est assassiné en 1961 dans un contexte de guerre froide, laissant un vide politique. Ce meurtre alimente des mouvements lumumbistes, comme celui d’Antoine Gizenga, qui proclame en 1961 la « République libre du Congo » à Stanleyville, avec le soutien de l’Union soviétique. Bien que brève, son entreprise illustre la fragmentation des premières années post-indépendance.

Cette période voit également l’émergence d’autres figures rebelles. En 1964, Christophe Gbenye, ancien ministre, dirige la rébellion Simba, une insurrection lumumbiste visant à renverser un gouvernement jugé pro-occidental. Soutenu par des idéaux socialistes et des appuis soviétiques, Gbenye contrôle temporairement l’est du pays avant d’être défait. Parallèlement, Pierre Mulele lance une révolte maoïste dans la région de Kwilu, mobilisant les populations rurales avec une rhétorique anti-impérialiste. Malgré leur élan initial, ces rébellions des années 1960 s’essoufflent face à la répression, mais elles instaurent une tradition de contestation armée qui perdure.

Les années 1990 ouvrent une nouvelle phase de conflits d’une ampleur inédite. La Première Guerre du Congo (1996-1997), menée par Laurent-Désiré Kabila à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), renverse Mobutu Sese Seko, dont le régime kleptocratique s’était effondré. Soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, Kabila exploite les griefs populaires et les tensions autour des Banyamulenge, une communauté tutsie congolaise. Une fois au pouvoir, il rompt avec ses alliés, provoquant la Seconde Guerre du Congo (1998-2003), surnommée « la Première Guerre mondiale africaine » en raison de l’implication de neuf pays et d’innombrables groupes armés.

Cette guerre fait émerger une mosaïque de leaders rebelles. Le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par le Rwanda, attire des figures comme Wamba dia Wamba, un intellectuel devenu chef rebelle en 1998, avant de diriger une faction dissidente, le RCD-Kisangani. Azarias Ruberwa, jeune juriste, devient secrétaire général du RCD, représentant les Banyamulenge, tandis qu’Adolphe Onusumba en prend la présidence en 2000. Moïse Nyarugabo, Alexis Tambwe Mwamba et Jean-Pierre Ondekane renforcent l’influence du groupe. Roger Lumbala, à la tête du RCD-Nationale, et Mbusa Nyamwisi, leader du RCD-Kisangani/Mouvement de Libération, illustrent la multiplication des factions, souvent motivées par le contrôle des minerais.

Simultanément, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), soutenu par l’Ouganda, mobilise des figures comme Olivier Kamitatu, secrétaire général dès 1999, et Thomas Luhaka, passé du RCD au MLC. Ces groupes, malgré leurs discours politiques, se livrent à des exactions et exploitent les ressources, transformant l’est congolais en un champ de bataille. L’accord de paix de Sun City en 2002 et la transition de 2003 intègrent plusieurs de ces leaders dans le gouvernement, révélant une porosité entre rébellion et politique institutionnelle. Une sorte de prime à la rébellion qui risque de perdurer avec l’actuelle AFC/M23.   

Au début des années 2000, de nouvelles tensions émergent. En 2004, Kinshasa est secouée par deux tentatives de coup d’État. Le 28 mars, d’anciens militaires de la Division spéciale présidentielle de Mobutu attaquent des sites stratégiques. Puis, le 11 juin, le major Éric Lenge, membre de la garde présidentielle, prend brièvement le contrôle de la radio-télévision nationale, annonçant la suspension des institutions. Les forces loyalistes reprennent rapidement la situation, mais ces événements soulignent la fragilité de la transition post-conflit.

Dans le Kongo Central, Ne Mwanda Nsemi, leader du mouvement Bundu dia Kongo, prône à partir de 2006 la résurrection de l’ancien royaume du Kongo. Son mouvement, initialement spirituel, s’arme et s’attaque aux représentants de l’État, revendiquant une rupture avec Kinshasa. Entre 2007 et 2008, la répression de l’armée congolaise contre le BDK fait des dizaines de morts, exacerbant les tensions identitaires. Nsemi, figure mystico-politique, décède le 18 octobre 2023, laissant un héritage controversé.

Les années 2010 marquent de nouveaux soubresauts. Le 30 décembre 2013, les partisans du pasteur Paul Joseph Mukungubila attaquent la télévision nationale, l’aéroport et une base militaire à Kinshasa, dénonçant le régime de Joseph Kabila. La riposte des forces de sécurité fait plus de 100 morts. Plus récemment, le Mouvement du 23 mars (M23), créé en 2012 par des déserteurs soutenus par le Rwanda, resurgit en 2021. En 2023, Corneille Nangaa, ancien président de la CENI, fonde l’Alliance Fleuve Congo (AFC), intégrant le M23, et ravive les tensions ethniques et électorales.

Enfin, le 19 mai 2024, Christian Malanga, opposant exilé, tente un coup d’État à Kinshasa, ciblant le palais présidentiel et la résidence de Vital Kamerhe. Son commando, arborant le drapeau du Zaïre, est rapidement neutralisé, Malanga tué, et une cinquantaine de personnes arrêtées, dont trois Américains. Ces derniers, rapatriés après la commutation de leur peine, font face à des accusations de conspiration terroriste aux États-Unis. Cet épisode, comme les précédents, illustre la persistance des menaces contre le pouvoir central et la complexité des dynamiques internes et régionales.

De Lumumba à Malanga, les rébellions congolaises révèlent une constante : le recours aux armes comme levier politique, souvent au service d’intérêts locaux, ethniques ou internationaux. Chaque soulèvement, bien que singulier, s’inscrit dans une trajectoire où les espoirs d’unité nationale se heurtent aux réalités d’un pays fracturé.

Corneille Nangaa : de la société civile à la rébellion

Corneille Nangaa incarne une trajectoire singulière, celle d’un homme passé des institutions démocratiques à la rébellion armée. Né en 1970 à Haut-Uélé, cet ancien membre de la société civile, formé aux relations internationales, s’illustre dans les années 2000 au sein d’organisations comme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Sa réputation d’intellectuel pragmatique le propulse, en 2015, sous l’influence de Joseph Kabila, au poste de président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). À ce titre, il supervise les élections de 2018, un scrutin controversé marqué par des accusations de fraude, mais qui consacre la victoire de Félix Tshisekedi, marquant une transition historique du pouvoir en RDC.

Cependant, l’après-2018 marque un tournant dans le parcours de Nangaa. Critiqué pour sa gestion électorale, il s’éloigne progressivement du pouvoir central. Ce désenchantement s’accentue par des griefs personnels : Nangaa se plaint d’avoir été dépossédé de ses carrés miniers, des concessions lucratives qu’il affirme avoir perdues au profit du régime de Tshisekedi. Il reproche également au président de ne pas l’avoir soutenu pour faire lever les sanctions américaines imposées à son encontre en raison de son rôle dans les irrégularités électorales de 2018. Ces frustrations, mêlées d’ambitions politiques, le poussent vers une rupture définitive avec Kinshasa.

En décembre 2023, Nangaa franchit un cap en lançant l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition hétéroclite réunissant des partis politiques, deux mouvements citoyens et plusieurs groupes armés, dont le Mouvement du 23 mars (M23). Basée dans l’est du pays, l’AFC revendique une refonte de la gouvernance congolaise, dénonçant la corruption, l’exclusion des minorités – notamment les Tutsis congolais – et les dérives autoritaires du pouvoir. Après les élections générales de 2023, Nangaa accuse Tshisekedi d’avoir orchestré un « coup d’État électoral », contestant les résultats qui reconduisent le président. Cette dénonciation marque son entrée officielle dans la rébellion.

En janvier 2025, l’AFC/M23 s’empare de Goma, capitale du Nord-Kivu, dans une offensive éclair qui sidère le pays. Nangaa, désormais en tenue de combat, s’adresse à la population, proclamant vouloir « libérer » la RDC et marcher sur Kinshasa pour instaurer un nouvel ordre. Ses discours, largement relayés sur des plateformes comme X, reprennent des thèmes chers au Rwanda voisin : la protection des Tutsis congolais, qu’il dit menacés par des milices hutu comme les FDLR, et la nécessité d’une décentralisation radicale, voire d’un fédéralisme, qu’il défend ouvertement lors d’un point de presse. Cette rhétorique, alignée sur les positions de Kigali, alimente les soupçons selon lesquels Nangaa serait devenu un relais des intérêts rwandais, sous couvert de revendications nationales.

Ce revirement soulève une question centrale : comment un homme issu de la société civile, ayant occupé un poste aussi stratégique que la présidence de la CENI, en vient-il à prendre les armes contre son pays ? Les observateurs pointent un faisceau de facteurs. Outre ses frustrations personnelles – la spoliation de ses carrés miniers et l’absence de soutien face aux sanctions internationales –, Nangaa semble mû par une marginalisation politique post-CENI. Il a lui-même admis avoir manipulé les résultats de 2018 pour éviter le chaos, un aveu qui n’a pas suffi à lui garantir une place dans le nouvel échiquier politique. Le contexte des élections de 2023, bien que reconnues internationalement, a exacerbé les divisions, offrant un terrain fertile à sa radicalisation. Enfin, l’est congolais, riche en minerais, favorise des alliances avec des acteurs externes, notamment le Rwanda, accusé par l’ONU de soutenir le M23 avec armes et logistique.

En mars 2025, le gouvernement congolais fixe une récompense de 5 millions de dollars pour l’arrestation de Nangaa, signe de son rôle central dans une rébellion qui ébranle la stabilité nationale. De la société civile à la guérilla, le parcours de Nangaa illustre les paradoxes d’un pays où les ambitions personnelles, les richesses minières et les influences régionales transforment les acteurs institutionnels en chefs de guerre.

Joseph Kabila : entre soupçons et démentis

Joseph Kabila, président de la RDC de 2001 à 2019, reste une figure énigmatique au cœur des tensions actuelles. Fils de Laurent-Désiré Kabila, il accède au pouvoir à 29 ans après l’assassinat de son père, dirigeant le pays pendant 18 ans à travers deux mandats électoraux et une période controversée de glissement jusqu’en 2018. Son règne, marqué par une tentative de stabilisation après la Seconde Guerre du Congo, est aussi critiqué pour sa gestion autoritaire, la corruption et l’incapacité à pacifier l’est. En 2019, il cède la présidence à Tshisekedi dans une transition pacifique, une première dans l’histoire congolaise, mais son ombre plane sur la politique nationale.

Depuis son retrait, Kabila vit principalement entre l’Afrique du Sud, la Namibie et la Tanzanie, mais il est régulièrement accusé de déstabiliser le régime actuel. En août 2024, Félix Tshisekedi et son entourage, dont le vice-Premier ministre Jean-Pierre Bemba, affirment que Kabila soutient l’AFC/M23, préparant une insurrection depuis l’est. Ces allégations, réitérées en février 2025, s’appuient sur l’influence passée de Kabila dans la région, notamment via des réseaux politiques et économiques liés à l’exploitation minière. L’implication de figures comme Nangaa, ancien protégé de Kabila et d’autres cadres de son parti politique, renforce ces soupçons.

Pourtant, Kabila dément catégoriquement. En mars 2025, lors d’une rare apparition publique à Johannesburg, aux côtés de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, il rejette ces accusations, exigeant des preuves et plaidant pour une solution congolaise à la crise. Il évoque son rôle dans la transition de 2019 comme un gage de son engagement pour la paix, tout en critiquant la gouvernance actuelle. Cette défense, bien que ferme, ne dissipe pas les doutes, alimentés par des rencontres comme celle de décembre 2024 avec Moïse Katumbi, ancien opposant devenu allié circonstanciel. Olivier Kamitatu, directeur de cabinet de Katumbi, laisse entendre que Kabila envisage un retour à Goma, sous contrôle de l’AFC/M23.

L’idée que Kabila, après 18 ans au pouvoir, puisse soutenir une rébellion est troublante. Certains y voient une tentative de reconquérir une influence perdue, dans un contexte où son parti, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), a vu son poids diminuer. D’autres estiment que ces accusations servent à discréditer un adversaire politique, Tshisekedi cherchant à consolider son pouvoir face à une opposition fragmentée.

Pourtant, Joseph Kabila, après des années de silence depuis la rupture de leur coalition, dans une tribune signée de sa main publiée dans le journal sud-africain Sunday Times, a scandalisé l’opinion congolaise. Dans cette sortie médiatique, Kabila s’en prend à l’Afrique du Sud, qui soutient militairement la RDC face au M23, déplorant la mort de 14 soldats sud-africains en janvier 2025 comme un « gaspillage » pour soutenir un « régime tyrannique ». Plus troublant encore, il minimise le rôle du M23, affirmant que les troubles dans l’est sont dus à la mauvaise gouvernance de Tshisekedi et non à une rébellion orchestrée. Pour lui, le M23 « n’est ni un groupe anarchiste ni un proxy du Rwanda », mais un mouvement aux « revendications légitimes », déplore Jean-Richard Ngando, chercheur en Droit international.

Une frange de l’opinion congolaise voit en Joseph Kabila un homme engagé dans une stratégie de déstabilisation visant à faire tomber, par la force, le président Félix Tshisekedi. Dans cette lecture, la présence militaire sud-africaine, perçue comme un obstacle majeur à ce dessein, devient l’objet d’attaques ciblées. Dans cette tribune aux accents critiques, l’ancien chef de l’État interpelle : « Le monde regarde si l’Afrique du Sud réputée pour ses valeurs humanistes persistera à soutenir militairement un régime oppressif contre la volonté du peuple congolais. » Par ce message calibré, Kabila s’emploie à éroder la légitimité du pouvoir en place, tout en tentant de se rehausser en figure proche du peuple, une posture en rupture avec les lourds soupçons qui pèsent encore sur son propre passé pour des meurtres, pillages des ressources minières, détournements des fonds publics, etc. Cela illustre une triste réalité congolaise : les anciens dirigeants, même retirés, continuent d’exercer une ombre encombrante sur la scène nationale.

Il ne s’est pas arrêté là. Dans un entretien accordé à la presse namibienne, Joseph Kabila déclare : « Nous avons encore un peu d’énergie pour continuer à servir » le continent. Il plaide pour le retrait des troupes étrangères du sol congolais, estimant que leur présence aggrave la crise dans l’Est. Cette posture de patriote engagé contraste avec son silence passé face aux exactions du M23 et aux accusations de soutien du Rwanda à cette rébellion lorsqu’il était au pouvoir. Son retour sur la scène politique, sous couvert de servir la nation, semble davantage motivé par une volonté de réhabilitation personnelle que par une réelle préoccupation pour la stabilité du pays. En outre, en appelant au retrait des forces étrangères qui soutiennent actuellement le gouvernement congolais, cela favoriserait, de fait, le M23 appuyé par Kigali, renforçant ainsi les positions de cette rébellion.

La légitimité de Tshisekedi : un rempart contre la dictature ?

Dans ce climat de tensions, Félix Tshisekedi émerge comme une figure de stabilité relative. Proclamé vainqueur de la présidentielle en 2018, il est réélu en décembre 2023 avec 73 % des voix, selon les résultats officiels de la CENI. Ce score, bien que critiqué par l’opposition, est validé par la Cour constitutionnelle et reconnu par la communauté internationale, y compris la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine. L’Église catholique, traditionnellement vigilante, déploie des observateurs dans les bureaux de vote et, malgré des irrégularités logistiques, ne conteste pas fondamentalement la victoire de Tshisekedi. Les observateurs internationaux, comme la Mission d’observation électorale de l’Union européenne, notent des failles, retards, bureaux fermés, matériel défaillant mais concluent que ces problèmes n’ont pas altéré l’issue globale du scrutin. Il s’agit donc d’une réelle victoire.

Cette reconnaissance internationale est cruciale. Tshisekedi, contrairement à un dictateur, n’est pas isolé diplomatiquement. En février 2025, les États-Unis imposent des sanctions contre des officiels rwandais accusés de soutenir le M23, une mesure suivie par le Royaume-Uni et soutenue par l’Union européenne. Ces sanctions, ciblant notamment des figures comme James Kabarebe, ancien ministre rwandais de la Défense et Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, envoient un message clair : la communauté internationale considère Tshisekedi comme un partenaire totalement légitime dans la lutte contre l’insécurité régionale. Lors d’une visite à Washington en mars 2025, il obtient des engagements pour renforcer l’armée congolaise, tandis que la France, malgré des relations tendues, réaffirme son appui à la souveraineté congolaise.

Tshisekedi n’est pas en dépassement de mandat. Son second quinquennat, entamé en janvier 2024, court légalement jusqu’en 2028, conformément à la Constitution congolaise qui limite la présidence à deux mandats. Cette légalité formelle, renforcée par un appui extérieur, fragilise les accusations de dérive dictatoriale formulées par ses opposants. Les critiques de l’opposition sur le plan économique ou en matière de lutte contre la corruption, aussi sérieux peuvent-elles être, ne sauraient en aucun cas justifier une rébellion armée. Tshisekedi, avec ses limites, évolue dans un cadre démocratique imparfait, certes, mais bien réel. Aucun Congolais digne de ce nom ne peut soutenir une insurrection contre son propre pays, a fortiori lorsqu’elle est dirigée, instrumentalisée et alimentée par une puissance étrangère.

Pourquoi la guerre persiste-t-elle ?

Puisque Tshisekedi est légitimement élu, pourquoi des leaders comme Nangaa, ou potentiellement Kabila, optent-ils pour la rébellion ? La réponse réside dans un entrelacs de facteurs, où politique, économie et géopolitique s’entremêlent. D’abord, la défiance envers les institutions électorales reste profonde. Malgré la reconnaissance des résultats de 2023, ses opposants, comme Joseph Kabila, Moise Katumbi, Martin Fayulu ou Nangaa, dénoncent une fraude systémique, s’appuyant sur une histoire de scrutins contestés dans le passé. Cette méfiance, exacerbée par des inégalités sociales et une gouvernance fragile, pousse certains à rejeter les urnes au profit des armes. « Ôte-toi de là que je m’y mette. » Certains leaders, convaincus d’être les mieux placés pour diriger la RDC, veulent devenir calife à la place du calife, peu importe les moyens à employer même si cela implique de sacrifier des millions de vies congolaises.

L’économie est un autre moteur. L’est congolais regorge de minerais stratégiques comme le coltan, le cobalt, l’or, etc. qui alimentent des réseaux transnationaux. Selon un rapport de l’ONU de 2024, le M23 qui contrôle des zones minières comme Rubaya, impose des taxes illégales qui financent ses opérations. Ces ressources, essentielles à l’industrie mondiale des technologies, attirent des acteurs étrangers, notamment le Rwanda qui blanchit des minerais congolais via son territoire. Des leaders rebelles, conscients de ces enjeux, s’insèrent dans ces réseaux, transformant la guerre en une entreprise lucrative.

L’ingérence étrangère complique encore la donne. Le Rwanda, pointé du doigt par Kinshasa et l’ONU, fournit armes, logistiques et même soldats au M23, ce  que Kigali nie, tout en critiquant l’incapacité de Tshisekedi à neutraliser les FDLR. Cette dynamique régionale, héritée du génocide rwandais de 1994, maintient l’est congolais dans une instabilité chronique. Des leaders congolais, comme Nangaa, s’alignent sur ces agendas externes, surtout par opportunisme que par conviction, renforçant l’idée qu’ils servent des intérêts qui dépassent les frontières nationales.

Enfin, une question culturelle et politique se pose : existe-t-il en RDC une mentalité selon laquelle le pouvoir doit être détenu à tout prix ? Certains leaders, après avoir goûté à l’influence comme Nangaa à la CENI ou Kabila à la présidence, semblent incapables d’accepter une marginalisation ou une autre vie. Les armes deviennent alors un moyen de rester pertinent, de négocier un retour ou de protéger des intérêts acquis. Cette hypothèse, bien qu’incomplète, éclaire pourquoi des figures établies basculent dans la rébellion, même dans un contexte où des alternatives démocratiques existent.

L’idée d’une RDC « maudite » revient souvent dans les discours, portée par la juxtaposition de ses richesses et de ses malheurs. Pourtant, cette vision fataliste occulte les responsabilités humaines. Les défis congolais, corruption, faiblesse institutionnelle, interférences, ne sont pas insurmontables. D’autres nations, comme le Ghana ou le Botswana, ont surmonté des crises similaires par des réformes et un consensus politique. La RDC, avec son histoire complexe, peut-elle suivre cette voie, ou est-elle condamnée à répéter ses erreurs ?

Un pays meurtri

Les conséquences humanitaires liées à ces guerres sont accablantes : selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus d’un million de personnes ont été déplacées depuis la reprise des hostilités par le M23 en 2021. Les rapports d’Amnesty International documentent des exactions, viols, exécutions sommaires, enrôlement d’enfants qui rappellent le coût exorbitant de ces conflits pour les civils. La RDC le pays le plus meurtri de l’histoire moderne après la seconde guerre mondiale avec plus de 10 millions des morts.

Le discours de « libération » brandi par l’AFC/M23 masque souvent des intérêts économiques, comme le contrôle des mines, ou des agendas régionaux, dont ceux du Rwanda. Même les soupçons autour de Kabila, qui tendent à se confirmer, soulèvent une question : après 18 ans au pouvoir, près de 4 mandats, quelles revendications pourraient justifier une telle escalade ? La réponse pointe vers un système où le pouvoir est perçu comme un enjeu exclusif, où perdre une élection équivaut à une défaite totale, à une vie sans lendemain.

Ce recours aux armes aggrave les maux qu’ils prétendent résoudre. Les tensions ethniques, loin de s’apaiser, s’enveniment, avec des communautés entières stigmatisées à cause des guerres. L’économie, déjà fragile, souffre des perturbations dans l’est, où les routes commerciales sont bloquées et les investisseurs fuient. Le développement, que la RDC appelle de ses vœux, reste un mirage tant que la guerre détourne les ressources humaines et financières. La RDC mérite mieux : un avenir où les différends se règlent par d’autres voies que les armes, où les richesses servent à bâtir des écoles et des hôpitaux, non à financer des milices.

Vers une issue possible ?

La RDC n’est pas vouée à l’échec, malgré les apparences. Des lueurs d’espoir existent. Les sanctions internationales contre les soutiens du M23, comme celles imposées par les États-Unis en février 2025, envoient un signal, même si leur impact reste encore limité face à la complexité des réseaux transnationaux. À l’intérieur, des initiatives émergent : des organisations de la société civile appellent à un dialogue national inclusif, tandis que des leaders communautaires, y compris tutsis, rejettent l’instrumentalisation de leur identité par le Rwanda qui s’est auto proclamé leur protecteur.

Pour briser le cycle des rébellions, des réformes s’imposent. Renforcer la transparence électorale, via une CENI indépendante et des mécanismes de contrôle robustes, pourrait réduire les contestations post-électorales. Lutter contre la corruption, permettrait de financer des infrastructures et des services publics, restaurant la confiance des citoyens. Une décentralisation effective, donnant plus d’autonomie aux provinces comme prévu par la Constitution, pourrait apaiser les frustrations, tout en renforçant la présence de l’État pour contrer les milices. Enfin, une justice impartiale, capable de juger les responsables d’exactions, enverrait un message clair : l’impunité n’est plus tolérée.

Le défi le plus ardu reste culturel. Convaincre les leaders politiques que le pouvoir se gagne par les urnes, non par les fusils, exige un changement de paradigme. L’exemple de Nangaa, passé d’un poste démocratique à la rébellion, montre l’urgence de valoriser les institutions par rapport aux aventures armées.

La question de la « malédiction » congolaise, souvent invoquée face à l’abondance des ressources et à la persistance des conflits, mérite d’être reformulée. La RDC n’est pas maudite ; elle est confrontée à des défis humains, complexes mais surmontables. D’autres nations ont surmonté des crises similaires en misant sur la gouvernance, l’inclusion et la justice. Avec ses 100 millions d’habitants, son potentiel économique et sa résilience, la RDC peut écrire une nouvelle page, où les armes cèdent la place au dialogue, et où la paix devient, enfin, une réalité tangible.

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RDC : l’économie face aux risques d’instabilité politique et de surendettement

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La République démocratique du Congo (RDC) est confrontée à une dette publique significative, tant au niveau intérieur qu’extérieur. Réduite de 14 à 3 milliards de dollars en 2010 et maintenue à ce montant jusqu’en 2019, l’encours de la dette a explosé ces dernières années, dépassant la barre de 10 milliards de dollars en 2023. Les résultats des projets liés à ces fonds empruntés restent encore mitigés. Ce qui alimente des soupçons de gabegie et interroge sur les retombées d’un tel endettement dans un pays menacé par une instabilité politique.

Depuis 2019, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont augmenté leur contribution financière dans la gouvernance en RDC. Le 3 mai 2025, la Banque mondiale a annoncé avoir approuvé un financement global de 1,49 milliard de dollars pour quatre projets dont celui du barrage hydroélectrique Inga 3 longtemps resté dans le tiroir des projets faute de financement. Dans ce montant global, 200 millions de dollars serviront à la résilience aux inondations dans les villes de Kinshasa et Kalemie ; un montant de 600 millions sera affecté à la gouvernance, transparence et résilience économique ; 440 millions sont prévus pour la construction de 200 km d’autoroute et un pont de 700 mètres à construire sur la rivière Lualaba et enfin 250 millions pour le projet Inga 3. Pour bien implémenter ce quatrième projet, la Banque mondiale a mené des consultations auprès des populations locales pour le volet développement communautaire du programme Inga 3. Pour ce faire, cette institution financière prévoit une enveloppe de 100 millions de dollars destinée à assurer un soutien aux habitants vivant à proximité du site hydroélectrique d’Inga, sur le fleuve Congo.

En dehors de cette enveloppe débloquée par la Banque mondiale, une autre institution financière internationale, le FMI, apporte énormément de liquidités à la RDC depuis 2020. Cet apport se matérialise par divers programmes de financement et d’assistance technique, visant à stabiliser l’économie, promouvoir une croissance durable et améliorer la gouvernance. Depuis l’établissement du programme avec le gouvernement congolais en 2020, le FMI a approuvé des accords de crédit pour un montant total de près de 3 milliards de dollars en faveur de la RDC. Ces accords, notamment la Facilité Elargie de Crédit (FEC) et la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD), visent à soutenir la stabilité macroéconomique et à financer des réformes structurelles. Ces fonds sont octroyés sous forme d’aide, mais aussi de dettes que l’État congolais devra rembourser.

En janvier 2025, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un accord de 1,729 milliard de dollars au titre de la Facilité Elargie de Crédit. La principale inquiétude concernant ces financements massifs des institutions financières internationales est la capacité de solvabilité du pays, ainsi que l’utilisation de ces fonds par le gouvernement. Plusieurs rapports de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) accusent le gouvernement de gabegie financière.

Dans une étude sur la gouvernance de Félix Tshisekedi entre 2022 et 2024, cette ONG spécialisée dans les finances publiques note une mauvaise gouvernance budgétaire qui n’a permis ni de créer des richesses, ni d’améliorer les conditions sociales de la population, et encore moins d’être susceptible de rendre effective la décentralisation telle que prévue par la Constitution. Selon cette structure, cette mauvaise gouvernance ne place pas le pays sur la voie de l’émergence.

Les craintes d’un surendettement du pays

La RDC est encore classée parmi des pays à risque modéré de surendettement extérieur et global. Le FMI estime que les perspectives économiques du pays sont encore favorables, mais sujettes à des risques significatifs orientés à la baisse. Ces risques incluent notamment l’aggravation des conflits armés dans l’Est, les pressions inflationnistes et un ralentissement brusque de l’économie surtout pour un pays qui n’a pour principale source de revenu que ses mines. Un choc dans ce secteur pourrait immédiatement paralyser l’économie du pays.

Les tenants du pouvoir actuel rassurent au sujet de la dette publique, selon eux, est contrôlable. Le député national Flory Mapomboli, ancien cadre au ministère des Finances, avait estimé que la dette publique qui aurait été stabilisée en 2010, représentait 26% du PIB. Ce ratio est de près de 16% en 2024. « Où se trouve le surendettement entre les deux périodes susmentionnées ? Personne ne pourra me contredire sur ces chiffres avec lesquels il est presque impossible de faire du populisme. », précisait-il quand il répondait aux accusations de surendettement du pays lancées par l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Selon Flory Mapamboli, le niveau de vie de la population congolaise a augmenté, progressant de 24% en dollars entre 2018 et 2024. Concrètement, ce PIB est passé respectivement de 557 à 693 dollars.

Si au niveau du gouvernement central l’endettement est encore contrôlé, en provinces, les entités sombrent dans le surendettement. La Direction générale de la dette publique (DGDP), qui a la mission de proposer la politique nationale d’endettement, avait noté dans un rapport publié en juin 2022 que certaines provinces du pays négociaient des accords d’emprunt sans la garantie de l’Etat (DGDP), se mettant ainsi dans un état de surendettement. Une situation qui entrave le décollage de ces entités ainsi que la réalisation de leurs projets de développement. C’est le cas de la ville de Kinshasa. Selon l’état des lieux dressé par l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila, son prédécesseur (André Kimbuta) avait laissé des dettes dans toutes les banques, sauf à la BCDC. « Des dettes de plus de 60 millions de dollars. La plus grande de dettes que nous connaissons c’est à l’UBA, à quelques jours des élections présidentielle et législative nationale de 2018. André Kimbuta a contracté une dette de 14 millions de dollars. Là où cet argent est parti, on ne sait pas », déclarait-il en faisant le bilan de l’an un de sa gestion à la tête de la capitale.

Lui-même avant de partir, il a contacté une dette de plusieurs décennies pour la construction du Marché central de Kinshasa. Il en est de même pour certaines autres provinces comme le Maï-Ndombe. Ce surendettement de certaines provinces peut aussi affecter l’économie du gouvernement central car l’État central est censé être aussi responsable des dettes contractées ou garanties par les provinces, d’après la DGDP. Selon plusieurs rapports de cette structure publique, certaines provinces négocient des accords d’emprunt sans la garantie de l’Etat, se mettant ainsi dans un état de surendettement.

Les risques d’instabilité politique

Malgré l’embellie économique actuelle, la RDC n’est pas totalement sortie de zones de risques. La plus crainte, c’est le risque lié à l’instabilité politique, notamment en raison de conflits armés et de la crise humanitaire. L’instabilité politique a un impact négatif sur les entreprises et l’économie, tandis que les conflits armés et la crise humanitaire exacerbent les difficultés économiques. Malgré le budget national 2025 de 18 milliards de dollars, plus de 26 millions de Congolais sont atteints par une faim aigue, selon les chiffres publiés en octobre 2024 par le Programme alimentaire mondial (PAM). Cette famine a été accentuée par les conflits armés dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maï-Ndombe et de l’Ituri. Dans les Kivus, la présence des rebelles de l’AFC/M23 constitue une menace directe pour la stabilité des institutions du pays. Ces rebelles ont carrément créé une administration parallèle dans les zones occupées dont les villes de Goma et Bukavu.

Cette situation sécuritaire a provoqué une explosion des dépenses militaires et un creusement du déficit budgétaire. Mais malgré ces problèmes sécuritaires, l’économie congolaise a fait preuve de résilience, avec une croissance économique atteignant 6,5 % en 2024.

Heshima

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Go-Pass en RDC : 15 ans de ponction pour des aéroports toujours en ruine

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Depuis son instauration en janvier 2009, la taxe Go-Pass, officiellement nommée Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (IDEF), pèse sur chaque billet d’avion en République démocratique du Congo (RDC). Présentée comme un levier pour moderniser des aéroports vétustes, cette redevance devait transformer des infrastructures défaillantes en hubs modernes, capables de soutenir l’économie d’un pays vaste et riche en ressources. Quinze ans plus tard, les pistes dégradées, les équipements obsolètes et l’opacité persistante dans la gestion des fonds suscitent indignation et interrogations. Où est passé l’argent du Go-Pass ? Heshima Magazine dresse un état des lieux exhaustif de ce scandale qui illustre les défis de gouvernance en RDC.

Lancée le 1er janvier 2009, la taxe Go-Pass impose une redevance de 50 dollars pour les vols internationaux et 10 dollars pour les vols domestiques, perçue par la Régie des voies aériennes (RVA), un établissement public sous la tutelle du ministère des Transports. À l’époque, l’objectif était ambitieux : collecter 2 milliards de dollars pour réhabiliter des aéroports comme N’Djili à Kinshasa, Lubumbashi, Goma ou encore Mbuji-Mayi, dont les infrastructures souffraient de vétusté, avec des pistes mal entretenues, des tours de contrôle défaillantes et des normes de sécurité aérienne souvent ignorées. Selon un article de Zoom Eco publié en 2019, la taxe devait permettre de hisser les aéroports congolais au niveau des standards internationaux, renforçant ainsi la connectivité essentielle pour le commerce des minerais et le tourisme.

Dès son lancement, le Go-Pass a suscité des critiques. Pourquoi imposer une nouvelle taxe dans un pays où le coût des billets d’avion figure déjà parmi les plus élevés d’Afrique centrale ? Les autorités justifiaient cette mesure par l’absence de subventions étatiques suffisantes et le manque de financements internationaux pour moderniser les infrastructures. Pourtant, ce qui était présenté comme une solution temporaire s’est institutionnalisé, devenant une charge quasi permanente pour les voyageurs, sans résultats tangibles à la hauteur des attentes.

Une collecte massive, des résultats dérisoires

Les chiffres révèlent l’ampleur du décalage entre les promesses et la réalité. Selon un rapport confidentiel du ministère des Finances de 2022, près de 470 millions de dollars auraient été collectés entre 2009 et 2021. Un rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), relayé par Media Congo, estime quant à lui que 225 millions de dollars ont été perçus entre 2009 et 2019, tandis que RFI rapporte en mai 2021 que seulement 200 millions de dollars ont été collectés jusqu’en 2021, soit à peine 10 % de l’objectif initial de 2 milliards. Ces écarts dans les estimations soulignent déjà un manque de transparence dans la gestion des fonds.

Sur le terrain, les améliorations sont quasi invisibles. À l’aéroport international de N’Djili, vitrine du pays, quelques travaux ont été réalisés : un scanner a été installé, la salle d’embarquement légèrement agrandie, et une réhabilitation partielle de la piste entreprise. Une nouvelle aérogare modulaire, ouverte en juin 2015 et capable d’accueillir un million de passagers par an, a été financée à 85 % par un prêt chinois, comme l’a indiqué Radio Okapi. Cependant, ces efforts restent marginaux face à l’état général de l’aéroport, toujours marqué par des équipements obsolètes et des services inadéquats. Des travaux de réhabilitation plus ambitieux sont annoncés pour début 2025, mais ils suscitent un scepticisme légitime après des années de promesses non tenues.

Les aéroports secondaires, comme ceux de Goma, Kindu, Kalemie, Mbandaka, Gemena, Isiro, Mbuji-Mayi ou Kananga, sont dans un état encore plus préoccupant. À Mbandaka, le bâtiment principal n’a pas été rénové depuis l’époque de Mobutu, selon des témoignages locaux. À Kananga, les passagers embarquent sous la pluie, faute d’abris fonctionnels. À Mbuji-Mayi, des pannes récurrentes de radio-navigation obligent parfois les pilotes à se poser à vue. Quelques exceptions notables, Goma a bénéficié du Projet d’amélioration de la sécurité à l’aéroport de Goma (PASAG), financé par la Banque mondiale, avec une piste réhabilitée, une tour de contrôle modernisée et un balisage amélioré, inaugurés en novembre 2021. Ces travaux ont permis une augmentation de 10 % du trafic annuel de fret et de passagers, même pendant la pandémie de Covid-19, selon la Banque mondiale. À Kisangani, l’aéroport de Bangoka a été rénové mais toujours pas avec les revenus générés par Go-Pass. C’est un financement de la Banque africaine de développement (BAD) dans le cadre du projet prioritaire de sécurité aérienne phase 2. Actuellement, la salle d’embarquement de cet aéroport peut prendre en charge plus de 300 passagers en heure de pointe. Sa piste d’atterrissage a été aussi rénovée. Ces avancées, financées par des partenaires extérieurs, ne doivent rien au Go-Pass.

Une gestion opaque et des détournements avérés

La gestion des fonds Go-Pass est un scandale en soi. En 2023, le directeur général de la RVA, a admis devant la Commission économique, financière et budgétaire de l’Assemblée nationale que les recettes « n’ont pas toujours été utilisées exclusivement pour les investissements ». Selon un audit partiel de la Cour des comptes en 2021, plus de 60 % des fonds ont été affectés à des dépenses courantes (salaires, frais de fonctionnement, missions de contrôle) sans traçabilité claire. Le GEC, dans son rapport de 2021, précise que 37 millions de dollars ont servi à construire un pavillon présidentiel à N’Djili, 6 millions ont été injectés dans le capital de Congo Airways, et une autre partie a couvert les charges salariales de la RVA, au lieu de financer des projets d’infrastructure. RFI rapporte également le cas d’Abdallah Bilenge, ancien directeur de la RVA, condamné en janvier 2021 à 20 ans de prison pour détournement de fonds, bien que les charges portaient principalement sur des cotisations sociales. Les investigations du GEC suggèrent que les recettes du Go-Pass ont été affectées par des écarts comptables inexpliqués.

La RVA, qui gère seule la collecte et l’utilisation des fonds, est lourdement endettée, avec un passif de 60 à 130 millions de dollars selon les sources. Aucun compte séquestre, comme prévu en théorie pour sécuriser les recettes, n’a jamais été mis en place. Le ministère des Transports, chargé de la supervision, se limite à des rapports annuels lacunaires, tandis que le ministère des Finances se désengage, arguant que la taxe n’est pas sous sa gestion fiscale. En 2024, une mission conjointe de l’Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes a pointé une gestion anarchique, marquée par l’absence d’appels d’offres et des soupçons de rétrocommissions et de surfacturations.

Cette opacité a alimenté la colère populaire. En 2023, le Programme Multisectoriel de Vulgarisation et Sensibilisation (PMVS) a organisé des sit-in à Kinshasa pour exiger la suppression du Go-Pass, qualifié d’« usurpateur et injuste ». Les citoyens dénoncent une taxe qui ponctionne sans offrir de services en retour, dans un pays où les vols restent essentiels pour relier des régions enclavées.

Un impact économique et social désastreux

L’absence de modernisation des aéroports a des conséquences profondes. Dans un pays de 2, 345 millions de kilomètres carrés, où les routes sont souvent impraticables, le transport aérien est une bouée de sauvetage pour le commerce, l’administration et les urgences humanitaires. Pourtant, les infrastructures vétustes limitent la capacité des compagnies aériennes à opérer efficacement. Selon Businessday NG, la RDC compte 272 aéroports « utilisables », mais leur état freine leur compétitivité face à des hubs comme Nairobi ou Johannesburg. Concrètement, sur ce nombre d’aéroports et aérodromes, seuls 38 sont opérationnels et seulement 20 reçoivent régulièrement des vols. Cette situation entrave les exportations minières, décourage les investisseurs et limite le potentiel touristique, malgré les richesses naturelles du pays.

La sécurité aérienne est un autre point noir. Les avis de voyage, comme ceux du gouvernement britannique, soulignent les risques liés à l’état des infrastructures et à l’absence de normes fiables. À Kisangani ou Mbuji-Mayi, les pannes de radio-navigation exposent les passagers à des dangers inutiles. Cette insécurité, couplée à des coûts élevés de transport aérien, renforce l’isolement de certaines régions et freine le développement économique.

Sur le plan social, le Go-Pass est devenu un symbole de défiance envers les institutions. « On paie 10 dollars à Bangoka, mais l’aéroport n’a ni électricité ni toilettes décentes », témoigne un commerçant de Kisangani. À Goma, un cadre de la RVA, sous couvert d’anonymat, confie au téléphone : « Les lampes solaires viennent d’un don, le balisage d’un projet japonais. Le Go-Pass n’a rien financé ici. » Ces témoignages reflètent une frustration croissante, exacerbée par l’absence de transparence et de résultats concrets.

Vers une réforme ou la fin du Go-Pass ?

Face à ce fiasco, les appels à la réforme se multiplient. Certains, comme Me Armand Mikadi, avocat à Lubumbashi, plaident pour la suppression pure et simple de la taxe : « La RDC est le seul pays où l’on paie une surtaxe pour des services inexistants. » D’autres, comme le Syndicat des travailleurs de l’aviation civile, proposent une refonte : réduction du montant, création d’un compte public supervisé par la Cour des comptes, publication annuelle des recettes et des projets financés, et implication des usagers dans le suivi. « Tant que la RVA est en quasi-faillite et sans audit indépendant, le Go-Pass restera un puits sans fond », résume Bernard, consultant en transport aérien.

Des initiatives récentes laissent entrevoir un espoir timide. Les travaux prévus à N’Djili pour 2025 et la modernisation de Mbuji-Mayi, financée par la Chine, pourraient marquer un tournant, à condition que les fonds soient gérés avec rigueur. Mais sans une volonté politique forte pour imposer des audits indépendants, des appels d’offres transparents et des sanctions en cas de détournement, ces projets risquent de rester des annonces sans lendemain.

Le Go-Pass, conçu comme un outil de progrès, s’est transformé en un symbole des dérives de la gouvernance congolaise. Dans un pays où l’avion est souvent le seul lien entre les provinces, la modernisation des aéroports ne devrait pas être une chimère. Quinze ans après, les Congolais attendent toujours des infrastructures dignes de leurs contributions. La balle est dans le camp des autorités : restaurer la confiance passe par des actes, pas par des promesses.

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Bukanga Lonzo, ce parc agro-industriel fantôme, peut-il revivre ?

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À 250 kilomètres au sud-est de Kinshasa, dans les vastes plaines du Kwango et du Kwilu, le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo devait marquer un tournant pour la République démocratique du Congo (RDC). Lancé en 2014, ce projet ambitieux promettait de révolutionner l’agriculture congolaise, de réduire une facture d’importations alimentaires de 1,5 milliard de dollars par an et de faire de la région un grenier pour le pays. Mais en 2017, l’élan s’est brisé. Gestion chaotique, soupçons de corruption et marginalisation des communautés locales ont transformé ce rêve en cauchemar. Une timide relance en 2021 a redonné un brin d’espoir avec 6 000 tonnes de maïs produites, mais l’insécurité et les spoliations ont de nouveau paralysé le site en 2024. En ce mois de juin 2025, le gouvernement annonce un nouvel élan. Bukanga Lonzo peut-il enfin renaître de ses cendres, ou restera-t-il un symbole d’échec cuisant d’une politique agricole de cette dernière décennie ?

En 2013, face à une dépendance écrasante aux importations alimentaires, le gouvernement congolais, alors dirigé par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, mise sur Bukanga Lonzo comme projet pilote du Programme national d’investissement agricole. Étendu sur 80 000 hectares à cheval entre les provinces du Kwango et du Kwilu, le parc devait approvisionner Kinshasa, le Kongo Central et même Brazzaville en maïs, manioc, légumes et fruits. L’objectif ? Produire 350 000 tonnes de maïs par an et créer 5 000 emplois directs. « Bukanga Lonzo devait devenir le plus grand parc agro-industriel d’Afrique », proclamait Ida Kamonji Naserwa Sabangu, alors directrice du projet.

Ce rêve reposait sur un partenariat public-privé avec Africom Commodities, une entreprise sud-africaine. Le gouvernement a injecté 83 millions de dollars dans des infrastructures impressionnantes : une route de 30 km, une piste d’atterrissage de 2,5 km, un bassin de rétention d’eau de 45 millions de litres, selon le site Parc Agro. La Banque mondiale, via son Projet d’appui à la réhabilitation et à la relance du secteur agricole, a mobilisé une partie de ses 120 millions de dollars pour soutenir l’initiative. « Ce projet pouvait transformer l’agriculture congolaise et favoriser une croissance inclusive », affirmait Séverin Kodderitzach, directeur sectoriel de la Banque mondiale, sur les ondes de Radio Okapi. Des villages modernes, dotés d’écoles, de cliniques et d’électricité, étaient promis aux 4 490 habitants des six villages de la concession.

Le plan était audacieux : 20 000 hectares dédiés aux cultures, le reste pour des vergers, des élevages et des infrastructures communautaires. La première phase, centrée sur le maïs, visait à briser la dépendance aux importations et à positionner la RDC comme exportateur. « On rêvait d’une Kinshasa autosuffisante », confie, nostalgique, un ancien fonctionnaire du ministère de l’Agriculture à Heshima Magazine.

Un fiasco aux racines profondes

Mais le rêve s’est vite effrité. Le sol sableux de Bukanga Lonzo, inadapté à la culture intensive du maïs, a plombé les rendements. Selon un rapport de l’Oakland Institute daté du 12 avril 2019, la superficie cultivée a chuté de 5 000 à 2 000 hectares en 2016, loin des 350 000 tonnes promises. « Les récoltes pourrissaient sur place, faute de logistique », raconte un ancien employé du parc à Heshima Magazine, sous couvert d’anonymat. José Masikini, ancien sénateur, pointait sur Radio Okapi un choix de site dicté par des intérêts politiques, une erreur fatale.

La gestion financière a viré au scandale. Un audit de l’Inspection Générale des Finances (IGF) a révélé que, sur 285 millions de dollars décaissés, seuls 80 millions ont servi au projet. Les 205 millions restants ? Volatilisés. « Un échec planifié dans sa conception », dénonçait Jules Alingete, alors inspecteur général des finances, chef de service, sur Radio Okapi.

Pire encore, les communautés locales ont été laissées pour compte. Neuf villages ont été dépossédés de leurs terres sans consultation, en violation de la loi. Les compensations, dérisoires, se limitaient à des pagnes ou 2 000 FC, selon l’Oakland Institute. « On nous a volé nos terres et notre dignité », pleure Kawaka Matondo, chef coutumier. En 2017, Africom jette l’éponge, abandonnant équipements et travailleurs sans salaire.

Des cicatrices qui marquent

L’effondrement de Bukanga Lonzo a semé la désolation. Plus de 5 000 personnes ont été déplacées, certaines brutalisées pour avoir résisté. Frédéric Mousseau, de l’Oakland Institute, rapporte des cas d’agriculteurs attachés à des arbres et fouettés pour avoir tenté de récupérer leurs terres. « Ils ont promis des emplois, mais nous n’avons eu que des larmes », soupire Marie-Ange Kabasu, une victime de spoliation. Les 5 000 emplois directs et 12 000 indirects promis n’ont jamais vu le jour, aggravant la misère locale.

L’environnement a aussi payé un lourd tribut. L’utilisation massive de 60 000 litres de glyphosate a pollué les rivières Lonzo et Kwango, causant des maladies de peau, des troubles respiratoires et des fausses couches, selon l’Oakland Institute. « Nos rivières sont devenues toxiques, nous n’avions plus d’eau potable », se désole Albert Mbey Moju, habitant de Wamba. Une étude de 2018 a confirmé la contamination des sols, rendant certaines zones incultivables. Les opportunités économiques, comme la production de 500 tonnes de fruits et légumes par jour, se sont évaporées, renforçant la dépendance aux importations.

Les travailleurs, eux, ont été abandonnés. Ils ont réclamé 15 à 30 mois d’arriérés de salaire lors de sit-ins à Kinshasa. « Nous sommes devenus irresponsables vis-à-vis de nos familles », déplore Patrick Tshibangu, représentant des agents du parc. La vente d’équipements agricoles à Maluku, estimée à 50 000 dollars, n’a pas servi à les payer, alimentant les soupçons de corruption.

Un sursaut fragile et une nouvelle ambition

En août 2020, le gouvernement tente une relance. En 2021, 6 000 tonnes de maïs sont produites sur 1 500 hectares. « C’est le fruit d’un travail bien fait », se félicitait Joseph Lumbala, ancien conseiller du ministre de l’Agriculture, cité par Financial Afrik. « Les gens se bousculaient pour acheter la semoule de Bukanga Lonzo car le prix était abordable », se souvient Maguy Olundu, vendeuse au marché de Yolo Médical.

Mais en 2024, l’insécurité stoppe net cet élan. Les conflits ethniques entre Teke et Yaka, qui sévissent depuis 2022, ont causé des morts et des destructions par des feux de brousse. Adèle Kahinda Mahina, alors ministre du Portefeuille, a alerté sur le pillage des entrepôts. En juin 2025, le gouvernement relance le projet, promettant un audit préalable. « Nous voulons faire de Bukanga Lonzo un moteur d’abondance », clame Jean-Lucien Bussa, ministre du Commerce extérieur, dans Zoom Eco.

Le nouveau modèle s’appuie sur trois sociétés créées en 2020 : une pour la gestion, une pour l’exploitation, et une pour la commercialisation via le Marché international de Kinshasa. Le gouvernement envisage d’ouvrir le capital au privé et de payer 30 mois d’arriérés de salaire, selon l’Agence congolaise de presse le 2 juin 2025. Mais la société civile reste méfiante. « Sans transparence ni inclusion des communautés, cette relance est vouée à l’échec », prévient un activiste du Kwilu.

Les leçons d’ailleurs et un espoir prudent

L’échec de Bukanga Lonzo contraste avec des réussites comme le parc de Bulbula en Éthiopie, qui a intégré 55 % de producteurs locaux en 2024 grâce à une localisation stratégique et un soutien public, selon un rapport de l’UNIDO du 15 janvier 2024. « Les parcs réussis connectent les agriculteurs aux chaînes de valeur », explique un expert. En RDC, le sol inadapté, l’insécurité et la corruption ont tout saboté.

Pour une relance durable, Floribert Kabayu, expert en économie agricole, plaide pour une acquisition foncière transparente, des études pédologiques sérieuses, une gouvernance rigoureuse et une sécurisation du site. Carlos Ngwapitshi Ngwamashi, auteur d’un livre sur le fiasco, propose une justice négociée pour récupérer les fonds détournés. « Bukanga Lonzo peut réussir si nous apprenons de nos erreurs », insiste-t-il. La FAO, dans un rapport de 2023, souligne l’importance d’impliquer les petits agriculteurs pour maximiser l’impact.

Un pari sur l’avenir

Bukanga Lonzo, c’est l’histoire d’espoirs brisés et d’ambitions démesurées. L’annonce, le 30 mai 2025, d’une nouvelle relance avec un audit et un modèle repensé ravive l’espoir d’une autosuffisance alimentaire. Mais les défis sont colossaux : sécuriser le site, restaurer la confiance des communautés et garantir une gestion intègre. D’ici 2030, Bukanga Lonzo pourrait devenir un moteur de développement, à condition de tirer les leçons des échecs passés et des succès d’ailleurs. Pour l’instant, il reste un symbole d’opportunités gâchées, mais aussi un appel à repenser l’agriculture congolaise avec audace et responsabilité.

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