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RDC : De Kasa-Vubu à Tshisekedi, l’éternel pari de l’union nationale
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2 mois agoon
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La redaction
[PARTIE 2]
Depuis son indépendance en 1960, la République démocratique du Congo (RDC) s’appuie sur des gouvernements d’union nationale, de salut public ou de transition pour conjurer ses crises les plus graves : rébellions, effondrements économiques, pressions internationales. Ces coalitions, réunissant pouvoir et opposition, émergent comme des tentatives de stabiliser un État miné par des fractures ethniques, politiques, sociales. Mais ces gouvernements, souvent présentés comme des remèdes miracles, répondent-ils aux attentes ? Heshima Magazine, inspiré par l’annonce de Félix Tshisekedi en février 2025 et les consultations menées par Eberande Kolongele, explore cette pratique quasi rituelle, ses dynamiques, ses succès, ses échecs. La première partie, publiée le 23 avril 2025, a retracé les gouvernements d’union jusqu’aux années 1990. Cette seconde partie analyse la transition « 1+4 » de 2003 à 2006, les gouvernements de Matata Ponyo de 2014 à 2017, de Samy Badibanga de 2016 à 2017, de Bruno Tshibala de 2017 à 2019, et l’initiative actuelle de Tshisekedi, en interrogeant leur pertinence face aux défis contemporains.
Transition 1+4 sous Joseph Kabila (2003-2006)
La Seconde Guerre du Congo (1998-2002), surnommée la « guerre mondiale africaine » pour son implication de neuf pays et d’innombrables factions, laisse la RDC dans un état de désolation presque irréparable. Avec un bilan estimé entre 3 et 5 millions de morts – dus aux combats, à la famine et aux maladies –, des millions de déplacés internes et un territoire morcelé entre seigneurs de guerre, milices locales et armées étrangères, la RDC est un État en lambeaux. L’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001, propulse son fils Joseph, alors âgé de 29 ans, à la tête d’un pays au bord de l’implosion. Inexpérimenté, peu connu et dépourvu d’une base politique solide, Joseph Kabila hérite d’une nation où les richesses minières – or, coltan, diamants – attisent les convoitises des puissances régionales, notamment le Rwanda et l’Ouganda, et des réseaux transnationaux, tandis que la population, épuisée par des décennies de violence et de misère, oscille entre désespoir et méfiance envers toute gouvernance.
Avant la signature de l’Accord global et inclusif à Pretoria le 17 décembre 2002, la RDC est un patchwork de zones contrôlées par des factions rebelles, des milices locales et des forces étrangères, chacune poursuivant des agendas distincts, souvent liés à l’exploitation des ressources naturelles et à des rivalités ethniques ou géopolitiques. L’autorité de Kinshasa, exercée par le gouvernement de Laurent-Désiré Kabila puis de son fils, se limite principalement à l’ouest et au centre, notamment les provinces du Kasaï, du Katanga, fief historique des Kabila, du Bas-Congo et de la capitale. Même dans ces régions, le contrôle est fragile, miné par la corruption, l’absence d’infrastructures et la méfiance des populations. L’Est, riche en minerais stratégiques, est le théâtre d’une anarchie violente. Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma), soutenu par le Rwanda, domine les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Maniema, ainsi que des parties de la Province Orientale, exploitant illégalement le coltan et l’or tout en imposant une administration parallèle brutale. Le Mouvement de Libération du Congo (MLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba et appuyé par l’Ouganda, contrôle le nord, principalement l’Équateur et des portions de la Province Orientale, comme Beni et Bunia, tirant profit du bois et des diamants. Une faction dissidente, le RCD-Kisangani/Mouvement de Libération (RCD-K/ML), soutenue également par l’Ouganda, règne sur l’Ituri, où des conflits ethniques sanglants entre Hema et Lendu font des dizaines de milliers de morts. Dans les Kivus, le Maniema et le nord du Katanga, des milices Maï-Maï, autoproclamées défenseurs des communautés locales, contrôlent des poches de territoire, alternant entre résistance et banditisme. Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), composées de Hutus rwandais réfugiés après le génocide de 1994, sont actives dans les Kivus, alimentant les tensions ethniques et servant de prétexte à l’ingérence rwandaise. Au Katanga, riche en cuivre et cobalt, le gouvernement maintient un contrôle relatif, mais des tensions séparatistes et des milices locales, comme celles de Gédéon Kyungu, menacent la stabilité.
Politiquement, l’autorité de Kinshasa est quasi inexistante dans l’Est et le Nord, où les administrations parallèles des groupes rebelles collectent des taxes, imposent leurs lois et exploitent les ressources. Économiquement, la RDC est une coquille vide : l’hyperinflation héritée de l’ère Mobutu a anéanti la monnaie, les infrastructures – routes, ponts, écoles, hôpitaux – sont en ruines, et la corruption endémique siphonne les rares ressources de l’État. Les richesses minières, qui pourraient financer la reconstruction, sont pillées par des réseaux transnationaux impliquant des compagnies étrangères, des élites locales et des armées voisines, comme le documente un rapport de l’ONU de 2001 sur le « pillage systématique ». Socialement, le tableau est dramatique : environ 3,4 millions de déplacés internes vivent dans des camps de fortune, fuyant les combats incessants dans l’Ituri, les Kivus et la Province Orientale. Les violences sexuelles, utilisées comme arme de guerre, touchent des dizaines de milliers de femmes et de filles, tandis que les massacres ethniques, comme ceux entre Hema et Lendu, laissent des communautés déchirées. Sur le plan sécuritaire, la prolifération des groupes armés rend toute pacification illusoire. La Mission des Nations unies au Congo (MONUC), déployée dès 1999 avec 8 700 Casques bleus en 2003, est débordée par l’ampleur du chaos, son mandat limité à l’observation et à la protection des civils l’empêchant d’intervenir efficacement contre les milices.
C’est dans ce contexte d’effondrement total que l’Accord global et inclusif, signé à Pretoria le 17 décembre 2002 sous la médiation de l’ONU et de l’Afrique du Sud, tente de mettre un terme officiel à la Seconde Guerre du Congo. Fruit de négociations laborieuses impliquant le gouvernement de Kinshasa, les principaux mouvements rebelles, des factions Maï-Maï, l’opposition civile et la société civile, cet accord instaure, le 30 juin 2003, un gouvernement de transition inédit, baptisé « 1+4 ». Joseph Kabila conserve la présidence, entouré de quatre vice-présidents représentant les principales forces en présence : Abdoulaye Yerodia Ndombasi, loyaliste kabiliste du PPRD ; Azarias Ruberwa, du RCD-Goma soutenu par le Rwanda ; Jean-Pierre Bemba, du MLC appuyé par l’Ouganda ; et Arthur Z’ahidi Ngoma, issu de l’opposition civile non armée. Ce gouvernement, mosaïque d’intérêts divergents, incarne une tentative audacieuse mais fragile de réunifier un pays fracturé. Sa mission est herculéenne : pacifier un territoire vaste comme l’Europe occidentale via un programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) des ex-combattants, relancer une économie exsangue, et organiser les premières élections libres depuis l’indépendance en 1960, le tout dans un délai ambitieux de deux ans.
Le « 1+4 » pose des jalons institutionnels remarquables dans un contexte chaotique. Une nouvelle constitution, adoptée par référendum en mai 2005, instaure un régime semi-présidentiel et décentralisé, visant à apaiser les tensions régionales. L’enregistrement de 25 millions d’électeurs, dans un pays où les routes sont souvent des pistes boueuses et l’électricité un luxe, est un exploit logistique orchestré avec l’appui de l’ONU et des bailleurs internationaux. Pourtant, les obstacles s’accumulent. Le programme DDR s’enlise : les ex-rebelles, méfiants envers Kinshasa, rechignent à abandonner leurs armes, et leur intégration dans les Forces Armées de la RDC (FARDC), mal entraînées et sous-équipées, ravive les rivalités, transformant l’armée en une mosaïque de loyautés conflictuelles. Dans l’Est, les violences persistent. Les milices, soutenues en sous-main par le Rwanda et l’Ouganda, exploitent les minerais et sèment la terreur. Les FDLR lancent des attaques dans les Kivus, provoquant des représailles brutales, tandis que les Maï-Maï alternent entre résistance et banditisme. En Ituri, les affrontements entre Hema et Lendu continuent, malgré l’intervention de la MONUC et d’une force européenne temporaire en 2003. La MONUC, aux moyens limités, peine à imposer une paix durable, ses Casques bleus étant parfois accusés de passivité.
Le gouvernement de transition est miné par des tensions internes. Ruberwa, représentant du RCD-Goma, menace de quitter la transition, accusant Kinshasa de marginaliser ses alliés. Bemba, charismatique mais controversé, consolide son influence dans le nord, se positionnant comme un rival direct de Kabila, souvent critiqué pour son style discret et accusé de vouloir prolonger son pouvoir. Kabila doit naviguer entre les pressions des rebelles, les attentes de l’opposition civile et les injonctions des bailleurs internationaux, qui conditionnent leur aide à des avancées démocratiques. Économiquement, la relance bute sur des obstacles structurels. L’insécurité dans l’Est empêche la réhabilitation des mines, tandis que la corruption, incarnée par des contrats opaques avec des compagnies étrangères, détourne les revenus potentiels. L’hyperinflation, bien que ralentie, ronge le pouvoir d’achat, et les infrastructures détruites rendent le commerce intérieur quasi impossible.
Initialement prévues pour juin 2005, les élections sont repoussées à juillet 2006, un retard symptomatique des défis logistiques et des tensions politiques. Financé à hauteur de 500 millions de dollars par la communauté internationale, le scrutin, le premier véritablement démocratique depuis 1960, se déroule dans une relative transparence, malgré des violences sporadiques dans l’Est et des accusations de fraude. Au premier tour, Kabila arrive en tête avec environ 44 % des voix, suivi de Bemba avec 20 %, tandis que Ruberwa et Z’ahidi Ngoma s’effacent. Au second tour, Kabila l’emporte avec 58 % des voix, un résultat contesté par Bemba, qui dénonce des irrégularités. Investi le 6 décembre 2006, Kabila met fin à la transition « 1+4 », marquant un tournant dans l’histoire de la RDC. Cependant, la victoire ne scelle pas la réconciliation. En mars 2007, des affrontements meurtriers éclatent à Kinshasa entre les forces loyalistes et les miliciens de Bemba, faisant des centaines de morts et forçant ce dernier à s’exiler. Dans l’Est, la paix reste un mirage : des groupes comme le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), dirigé par Laurent Nkunda, émergent dans le Nord-Kivu, prolongeant un cycle de violence alimenté par les ingérences rwandaises et les luttes pour les minerais.
La transition « 1+4 » laisse un héritage profondément ambivalent. D’un côté, elle pose les bases d’une démocratie naissante : une constitution, des élections historiques et des institutions embryonnaires voient le jour, un exploit dans un pays où l’État central avait presque disparu. L’enregistrement de millions d’électeurs et la tenue d’un scrutin national témoignent d’une résilience remarquable, soutenue par la communauté internationale. De l’autre, elle échoue à panser les plaies béantes de la guerre. L’Est – Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri – demeure un foyer d’instabilité, où les ingérences étrangères, les luttes pour les ressources et les tensions ethniques alimentent des conflits insolubles. Les institutions, bien que formellement en place, restent fragiles, minées par la corruption, les rivalités factionnelles et l’incapacité des FARDC à imposer un monopole de la violence légitime. Les élections de 2006, saluées comme un pas historique, ne suffisent pas à unifier une nation hantée par ses divisions ethniques, régionales et politiques. La transition « 1+4 » marque la fin officielle de la Seconde Guerre du Congo, mais n’offre qu’une paix précaire, un répit temporaire dans une histoire marquée par la résilience face à un chaos structurel.
Gouvernement de cohésion nationale de Matata Ponyo (2014-2017)
Au tournant des années 2010, la RDC s’enlise dans une crise multidimensionnelle, conjuguant instabilité politique, insécurité chronique et délitement économique. À l’est, les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu restent des foyers de violence, où des groupes armés comme les ADF-Nalu, les FDLR ou les résidus du M23 défait en 2013 prospèrent dans un climat d’impunité, souvent avec le soutien implicite de puissances régionales. Ces milices, exploitant les richesses minières comme le coltan et l’or, alimentent un cycle de massacres et de déplacements massifs, plongeant des millions de civils dans la précarité. À l’échelle nationale, la population subit les stigmates de décennies de conflits : routes impraticables, écoles et hôpitaux en ruine, et une pauvreté endémique touchant près de 70 % des Congolais. L’État, rongé par une corruption institutionnalisée, peine à asseoir son autorité au-delà de Kinshasa, où les élites s’accrochent à des privilèges indécents. Joseph Kabila, réélu en novembre 2011 dans un scrutin entaché de fraudes massives, dénoncées par l’opposition, les observateurs internationaux et même le Centre Carter, voit sa légitimité contestée. Étienne Tshisekedi, leader charismatique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), rejette les résultats et se proclame président légitime. Le 23 décembre 2011, dans un geste de défi, il prête serment depuis sa résidence à Limete, encerclée par des forces de sécurité qui l’isolent de ses partisans. Cet acte symbolique, entouré d’une poignée de fidèles, galvanise l’opposition mais attise les tensions, déclenchant des manifestations violemment réprimées à Kinshasa, Lubumbashi et Goma.
C’est dans ce contexte explosif que Kabila initie, en 2013, les Concertations nationales, un forum censé apaiser les fractures politiques et restaurer une cohésion nationale. Ouvertes le 7 septembre 2013 au Palais du Peuple à Kinshasa, ces assises sont placées sous la co-direction d’Aubin Minaku, président de l’Assemblée nationale, et de Léon Kengo wa Dondo, président du Sénat. Prévues initialement pour 500 délégués, elles réunissent finalement près de 900 participants, issus de la majorité, d’une partie de l’opposition, de la société civile et des autorités traditionnelles. Parmi les partis d’opposition ayant accepté de participer, on note le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, représenté par Thomas Luhaka, alors Secrétaire général, contre l’avis de son parti, ainsi que des formations mineures comme l’Union des forces du changement (UFC) de Léon Kengo et certains dissidents de l’UDPS, bien que le parti de Tshisekedi boycotte officiellement l’événement, dénonçant une entreprise de légitimation du régime. Des personnalités comme François Muamba, ancien cadre du MLC, ou encore Philippe Biyoya, proche de Kengo, jouent un rôle actif dans les débats. Cependant, des poids lourds de l’opposition, comme l’UDPS, l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe et les Forces acquises au changement (FAC) de Martin Fayulu, refusent catégoriquement de s’associer à ce qu’ils qualifient de « dialogue unilatéral » orchestré par le pouvoir. Organisées autour de cinq thématiques : gouvernance, économie, désarmement, conflits communautaires, et décentralisation , les Concertations aboutissent, le 5 octobre 2013, à un rapport final contenant 641 recommandations adressées à Kabila, incluant des appels à une ouverture politique, à la réforme électorale et à la pacification de l’Est.
Ces pourparlers ouvrent la voie à la formation d’un gouvernement de cohésion nationale, présenté comme l’incarnation des résolutions des Concertations. Ce gouvernement, censé fédérer les forces vives du pays, intègre des figures de l’opposition, des partis politiques, de la société civile et même d’anciens rebelles, dans une tentative de projeter une image d’unité. Pour Kabila, l’objectif est clair : consolider un pouvoir fragilisé par les contestations post-électorales, apaiser les critiques internationales et préparer le terrain pour les élections de 2016, tout en neutralisant ses adversaires par leur inclusion. Augustin Matata Ponyo, Premier ministre depuis 2012 et technocrate, est reconduit à la tête de ce gouvernement. Fidèle à Kabila, il doit naviguer dans un gouvernement hétéroclite où cohabitent des poids lourds comme Évariste Boshab, nommé vice-Premier ministre, et des opposants ralliés, tels que Thomas Luhaka du MLC, qui hérite du ministère des Postes, Télécommunications et Nouvelles technologies. D’autres figures, issues de la société civile ou de courants modérés, complètent cet attelage, censé incarner un consensus national fragile.
L’ambition de ce gouvernement est de restaurer l’autorité de l’État, relancer une économie asphyxiée, promouvoir le développement social et organiser des élections transparentes en 2016, conformément à la Constitution, qui interdit à Kabila un troisième mandat. Sur le plan sécuritaire, la tâche est colossale. Les FARDC, minées par la corruption et un manque chronique de moyens, luttent difficilement contre les groupes armés dans l’Est, où les massacres, comme ceux de Beni (2014-2016), font des centaines de victimes. La MONUSCO, avec ses 20 000 Casques bleus, apporte un appui logistique mais reste critiquée pour son inefficacité face à la complexité des conflits. Économiquement, Matata mise sur la stabilisation macroéconomique, un succès relatif, avec une inflation contenue et une croissance de 7 à 9 % portée par le boom minier mais les contrats opaques avec des firmes étrangères limitent les retombées pour la population. Les richesses du sous-sol, notamment le cuivre et le cobalt, continuent d’alimenter des réseaux mafieux plutôt que le Trésor public.
Malgré son caractère voulu inclusif, le gouvernement s’enlise dans des contradictions internes. Les tensions entre les caciques du régime et les nouveaux entrants, issus de l’opposition, éclatent rapidement, avec des accusations croisées de corruption, d’incompétence et de sabotage. Luhaka, par exemple, peine à imposer son autorité dans un ministère stratégique, tandis que Boshab, pilier du PPRD, est perçu comme un gardien des intérêts de Kabila. Sur le terrain, l’insécurité persiste : les opérations militaires, bien que soutenues par la MONUSCO, ne parviennent pas à démanteler les milices, et les tensions ethniques s’aggravent dans le Kasaï et l’Ituri. Socialement, la grogne monte. Les fonctionnaires, les enseignants et les étudiants, confrontés à des salaires impayés et à des conditions de vie indignes haussent le ton.
Le dossier électoral, censé sceller la réconciliation nationale, devient un catalyseur de crise. Dès 2015, des rumeurs de « glissement » – un report des élections pour prolonger le mandat de Kabila circulent, alimentées par les déclarations ambiguës du pouvoir et un projet de loi controversé présenté par le Ministre de l’intérieur Evariste Boshab. La Commission électorale nationale indépendante (CENI), accusée de partialité, invoque des contraintes logistiques pour justifier des retards, repoussant le scrutin de novembre 2016 à 2018. Cette stratégie attise la colère populaire. À Kinshasa, Goma et Bukavu, des manifestations éclatent, portées par une jeunesse exaspérée et une opposition revigorée , désormais rejointe par Moïse Katumbi, ancien allié de Kabila passé dans le camp adverse. En septembre et décembre 2016, des heurts sanglants dans la capitale font des dizaines de morts, tandis que l’Union européenne, les États-Unis, l’ONU, accentuent la pression, imposant des sanctions contre des proches du régime.
Le bilan du gouvernement de cohésion nationale est mitigé, oscillant entre espoirs déçus et avancées fragiles. D’un côté, il maintient un semblant de dialogue, intégrant des opposants et stabilisant temporairement le front politique. Les efforts économiques de Matata Ponyo, notamment la discipline budgétaire, permettent une croissance enviable, bien que peu inclusive. De l’autre, les échecs s’accumulent. L’insécurité dans l’Est s’enracine, alimentée par des complicités internes et des ingérences étrangères. La crise électorale, amplifiée par les reports, transforme le gouvernement en un symbole d’immobilisme et de calculs politiciens. Les 641 recommandations des Concertations nationales, bien que louables sur le papier, peinent à se traduire en actions concrètes, reléguées au rang de vœux pieux. En novembre 2016, Matata Ponyo cède sa place à Samy Badibanga dans un climat de crise.
Gouvernement de transition issu de l’accord de la Cité de l’OUA de Samy Badibanga (2016-2017)
À l’approche de décembre 2016, le pays s’enfonce dans une crise politique d’une rare intensité, alors que le second mandat de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, arrive à son terme sans qu’aucune élection ne soit en vue. La Constitution, qui limite le président à deux mandats, devient un point de fracture : l’absence de scrutin programmé attise les soupçons d’une volonté de Kabila de s’accrocher au pouvoir. Cette impasse déclenche une vague de protestations populaires, particulièrement à Kinshasa, Goma et Lubumbashi, où des dizaines de manifestants entre 50 et 100 selon les rapports de l’ONU, sont tués lors de répressions brutales par les forces de l’ordre en septembre et décembre 2016. L’opposition, rassemblée sous la bannière du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, coalise des figures de poids comme Félix Tshisekedi, héritier de UDPS, et Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga passé dans l’opposition. Cette coalition exige le départ immédiat de Kabila, accusé de manipuler les institutions pour prolonger son règne. Sur le plan économique, la chute des cours mondiaux des minerais, notamment du cuivre et du cobalt, plonge l’État dans une crise budgétaire aiguë, aggravant une pauvreté touchant plus de 70 % de la population. Les investissements étrangers, déjà timides, se tarissent face à l’incertitude politique, tandis que l’inflation galopante érode le pouvoir d’achat. Dans l’Est, les groupes armés ADF, FDLR, milices Maï-Maï défient l’autorité de Kinshasa, malgré les 17 000 Casques bleus de la MONUSCO, dont le mandat reste limité face à la complexité des conflits. Au Kasaï, une nouvelle crise éclate, marquée par des violences ethniques et l’émergence de la milice Kamuina Nsapu, faisant des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés en quelques mois.
Dans ce climat explosif, l’Accord de la Cité de l’OUA, signé le 18 octobre 2016 à Kinshasa sous la médiation de l’Union africaine et de son émissaire Edem Kodjo, cherche à désamorcer la crise. Fruit de négociations laborieuses réunissant la Majorité présidentielle (MP), des partis d’opposition mineurs et des acteurs de la société civile, cet accord reste bancal. Il prévoit la formation d’un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections d’ici avril 2018, tout en maintenant Kabila au pouvoir jusqu’au scrutin. Cependant, le texte est rejeté par le Rassemblement, qui le juge trop conciliant envers le régime et dépourvu de garanties fermes sur le départ du président. Parmi les signataires de l’opposition, on trouve des figures comme Vital Kamerhe, président de l’UNC, qui espère tirer parti du dialogue pour renforcer sa stature, ou encore l’opposition républicaine de Kengo. Mais l’absence de l’UDPS et des principaux ténors du Rassemblement prive l’accord d’une assise populaire. Le 17 novembre 2016, après des mois de blocage, Augustin Matata Ponyo, remet sa démission. Contre toute attente, Kabila nomme Samy Badibanga, un dissident de l’UDPS, au poste de Premier ministre. Cette décision sidère l’opposition, notamment Kamerhe, qui s’attendait à un rôle plus central après son implication dans les pourparlers. Badibanga, perçu comme un pion du régime, incarne un compromis fragile, destiné à apaiser les tensions tout en préservant l’emprise de Kabila.
Badibanga forme un gouvernement de transition le 19 décembre 2016, intégrant une trentaine de ministres issus de la MP, de l’opposition signataire de l’accord et de la société civile. Parmi les nominations, on note des figures comme José Makila, de l’opposition modérée, au ministère des Transports, ou encore Emmanuel Ramazani Shadary, un fidèle de Kabila, à l’Intérieur. Cependant, l’absence de représentants du Rassemblement : Félix Tshisekedi, Katumbi ou leurs alliés, prive ce gouvernement de toute légitimité aux yeux de l’opposition radicale et d’une large frange de la population. Des partis mineurs, comme l’Alliance des démocrates pour le renouveau (ADR) ou des dissidents de l’UDPS ralliés à Badibanga, occupent des strapontins, mais leur poids politique reste marginal. La mission du gouvernement est pourtant ambitieuse : stabiliser un pays au bord de l’implosion, organiser des élections crédibles d’ici décembre 2017, relancer une économie asphyxiée et restaurer une cohésion politique dans un climat de défiance généralisée. Badibanga, fort de son expérience de député et de ses réseaux internationaux, promet des réformes rapides, mais son passé controversé et son alignement perçu sur Kabila sapent sa crédibilité.
Les obstacles s’accumulent dès les premières semaines. Le Rassemblement intensifie sa mobilisation, appelant à des journées « villes mortes » et organisant des manifestations, souvent interdites et dispersées par une répression brutale. En janvier 2017, des heurts à Kinshasa et Kananga font une dizaine de morts, accentuant la fracture entre le pouvoir et la rue. Sur le plan électoral, les préparatifs patinent : la Commission électorale nationale indépendante (CENI), accusée de partialité, évoque des défis logistiques, recensement des 45 millions d’électeurs, financement du scrutin pour justifier des retards. Des désaccords sur la mise à jour des listes électorales et les conditions d’un vote transparent paralysent les discussions. Dans l’Est, les violences armées redoublent d’intensité : tandis que la crise du Kasaï s’aggrave, avec des exactions attribuées à la milice Kamuina Nsapu et aux forces de l’ordre, provoquant une catastrophe humanitaire. Économiquement, la dégringolade du franc congolais, qui perd 30 % de sa valeur en quelques mois, et l’effondrement des revenus miniers plongent l’État dans une impasse budgétaire.
Au sein du gouvernement, les tensions éclatent rapidement. Les ministres issus de l’opposition, marginalisés dans les décisions clés, dénoncent l’hégémonie de la MP et l’absence de volonté réelle pour organiser les élections. Badibanga, coincé entre les exigences de Kabila et les pressions internationales, peine à imposer une ligne cohérente. Son gouvernement, qualifié de « patchwork » par les analystes, manque de vision et d’autorité, tandis que la société civile, relayée par l’Église catholique, accuse le régime de jouer la montre. Après seulement deux mois, l’échec du gouvernement devient patent. Un nouveau dialogue, impulsé par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), s’ouvre fin 2016 pour pallier les lacunes de l’Accord de la Cité de l’OUA. Plus inclusif, il réunit le Rassemblement, la MP et la société civile, aboutissant à l’Accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre 2016. Ce texte, plus ambitieux, exige des élections avant fin 2017 et interdit à Kabila de briguer un troisième mandat. Il scelle le sort de Badibanga, jugé incapable de porter cette nouvelle dynamique. Le 6 avril 2017, Bruno Tshibala, autre dissident de l’UDPS, lui succède, mettant fin à un mandat de moins de cinq mois, aussi éphémère qu’inefficace.
Gouvernement de transition de Bruno Tshibala issu du dialogue de la CENCO (2017-2019)
L’Accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre 2016 sous la médiation de la CENCO, ambitionne de conjurer le chaos en traçant une feuille de route ambitieuse : organiser des élections crédibles avant décembre 2017, garantir une transition sans troisième mandat pour Joseph Kabila, et former un gouvernement inclusif réunissant la Majorité présidentielle (MP) et l’opposition. Ce texte, négocié au prix de concessions ardues entre la MP, le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (mené par Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi), et des acteurs de la société civile, incarne un espoir fragile dans un pays où la défiance envers les institutions atteint des sommets. Pourtant, sa mise en œuvre s’enlise rapidement. Les désaccords sur le partage des postes et le calendrier électoral exacerbent les tensions, tandis que des manifestations, portées par une jeunesse exaspérée et relayées par le Rassemblement, sont réprimées dans le sang. Entre janvier et avril 2017, des dizaines de morts environ 40 selon Human Rights Watch sont recensés à Kinshasa, Goma et Kananga, renforçant l’image d’un régime aux abois. Le 7 avril 2017, dans un geste controversé, Kabila nomme Bruno Tshibala, Secrétaire Général de l’UDPS, au poste de Premier ministre. Âgé de 61 ans, Tshibala, est perçu comme un pion du pouvoir, un choix destiné à donner une façade d’opposition au gouvernement tout en marginalisant les ténors du Rassemblement. La CENCO, pourtant architecte de l’accord, critique cette nomination unilatérale, déplorant l’absence de consensus, tandis que Félix Tshisekedi et Katumbi la rejettent catégoriquement, dénonçant une trahison des principes de la Saint-Sylvestre.
Tshibala dévoile son gouvernement le 9 mai 2017, un gouvernement pléthorique de 54 ministres et vice-ministres, mêlant des figures de la MP, des partis d’opposition signataires de l’accord, et des représentants de la société civile. Parmi les nominations marquantes, Jean-Pierre Lisanga Bonganga, transfuge de la Coalition des alliés d’Étienne Tshisekedi (CAET) et proche de l’opposition modérée, devient ministre d’État chargé des Relations avec le Parlement. D’autres figures, comme José Makila Sumanda, ex-membre du Mouvement de libération du Congo (MLC), nommé vice-Premier ministre des Transports, ou encore Emmanuel Ramazani Shadary, fidèle de Kabila, reconduit à l’Intérieur, illustrent la tentative d’équilibre entre factions. Cependant, l’absence des poids lourds du Rassemblement UDPS, UNC de Vital Kamerhe, G7 de Katumbi, ou encore les Forces acquises au changement (FAC) de Martin Fayulu, prive le gouvernement de toute représentativité. Des partis mineurs, comme l’Alliance pour le renouveau du Congo (ARC) ou des dissidents de l’UDPS ralliés à Tshibala, occupent des postes secondaires, mais leur influence reste limitée. À sa formation, la RDC est un pays en lambeaux : politiquement, l’hypothèse d’un troisième mandat de Kabila, bien que constitutionnellement interdit, alimente les spéculations et la méfiance ; économiquement, la chute des prix des minerais (cuivre, cobalt) et une dévaluation du franc congolais de près de 40 % en 2017 aggravent une pauvreté touchant 73 % de la population, selon la Banque mondiale.
Le gouvernement Tshibala doit préparer des élections transparentes pour décembre 2017 (reportées à 2018 par l’accord), stabiliser l’Est, relancer l’économie, et restaurer une cohésion nationale dans un climat de défiance généralisée. Dès son entrée en fonction, Tshibala met l’accent sur le processus électoral, renforçant la CENI, dirigée par Corneille Nangaa, avec un budget de 1,2 milliard de dollars. En novembre 2017, il dépose un projet de loi électorale, adopté dans la controverse après des amendements favorisant la majorité, notamment sur le seuil de représentativité des partis. La CENI lance un recensement électoral chaotique, enregistrant 46 millions d’électeurs dans un pays où les infrastructures sont quasi inexistantes, mais l’introduction des « machines à voter », des tablettes électroniques controversées fournies par une firme sud-coréenne, divise profondément. L’opposition y voit un outil de fraude, tandis que la majorité défend leur utilité logistique. Sur le plan sécuritaire, Tshibala annonce des offensives contre les groupes armés, avec l’appui de la MONUSCO et des FARDC, mais les résultats sont maigres : les ADF massacrent plus de 200 civils à Beni entre 2017 et 2018, et le Kasaï reste un foyer de violence, malgré une accalmie relative fin 2017. Économiquement, le gouvernement tente des mesures d’austérité : réduction des dépenses publiques, contrôle de la masse monétaire, mais l’inflation persiste, et les revenus miniers, grevés par des contrats opaques, profitent peu à l’État.
Les tensions internes au gouvernement éclatent rapidement. Tshibala, critiqué pour son manque de charisme et sa dépendance envers Kabila, peine à fédérer son gouvernement. La société civile, portée par des mouvements comme LUCHA et Filimbi, intensifie la pression, organisant des marches interdites, souvent dispersées par des gaz lacrymogènes et des arrestations. La CENCO, déçue par l’inaction du gouvernement, menace de se retirer du processus, tandis que l’opposition, galvanisée par le retour de Katumbi (bloqué à la frontière en août 2018) et la candidature de Fayulu, accuse Tshibala de complicité dans une stratégie de « glissement » électoral. Les élections, repoussées à plusieurs reprises, se tiennent finalement le 30 décembre 2018, dans un climat de chaos logistique : bureaux de vote fermés à Beni et Butembo pour des raisons sécuritaires, retards dans le dépouillement, et soupçons de manipulations. Le 10 janvier 2019, la CENI proclame Félix Tshisekedi vainqueur avec 38,5 % des voix, devant Martin Fayulu (34,8 %) et Emmanuel Ramazani Shadary, dauphin de Kabila (23,8 %). Ce résultat, entériné par la Cour constitutionnelle, est dénoncé comme frauduleux par Fayulu, Katumbi, l’Église catholique qui revendique 200 000 observateurs et des rapports internationaux, dont celui de l’Union africaine. Des fuites, comme les « données Piratox », suggèrent que Fayulu aurait remporté plus de 59 % des suffrages. Pourtant, contre toute attente, la transition s’opère sans violence majeure, marquant la première alternance pacifique depuis l’indépendance en 1960.
Tshibala remet sa démission en juin 2019, cédant la place à Sylvestre Ilunga Ilunkamba après des négociations entre Tshisekedi et Kabila, dont la coalition FCC-CACH domine le Parlement. Son mandat de deux ans, bien que ponctué par l’organisation des élections, laisse un héritage controversé. D’un côté, le scrutin, malgré ses irrégularités, met fin à 18 ans de présidence Kabila, un jalon historique dans un pays où le pouvoir s’est souvent transmis par la force. L’instabilité dans l’Est, où plus de 1 000 civils sont tués en 2018, et la crise du Kasaï, qui laisse des cicatrices profondes, témoignent de l’échec sécuritaire. Économiquement, la pauvreté s’aggrave, avec une inflation frôlant 30 % fin 2018, et les libertés presse, manifestations restent sous pression, avec des dizaines de journalistes arrêtés. Le gouvernement Tshibala illustre les limites des compromis politiques sans ancrage populaire, révélant la difficulté de réconcilier une nation fracturée par des décennies de crises. Il laisse une RDC à la croisée des chemins, entre l’espoir d’une nouvelle ère sous Tshisekedi et les défis colossaux hérités d’un système miné par la corruption et la violence.
Une nouvelle union nationale à l’épreuve de l’histoire ?
L’annonce de Félix Tshisekedi, le 22 février 2025, devant les cadres de l’Union Sacrée de la Nation, marque un tournant dans sa présidence. Face à la guerre dans l’Est, où le M23, soutenu par des acteurs extérieurs, contrôle de vastes territoires et menace Goma, Tshisekedi appelle à un gouvernement d’union nationale pour rassembler les Congolais. Cette initiative, mûrie dans un contexte de tensions régionales et de défis internes, insécurité, pauvreté, contestations politiques s’appuie sur des consultations confiées à Eberande Kolongele. Du 24 mars au 8 avril 2025, ce dernier rencontre des leaders politiques, des chefs traditionnels, des acteurs de la société civile, et même des voix critiques de l’opposition, dans une démarche visant à forger un consensus inédit.
Ces consultations, menées avec une discrétion remarquée, ont permis de cartographier les attentes et les divergences des forces en présence. Des figures comme Jean-Pierre Bemba, ou Vital Kamerhe, piliers de la scène politique, ont été approchées, tout comme des représentants des provinces de l’Est, où la crise sécuritaire exacerbe les frustrations. Les discussions ont révélé un défi majeur : comment inclure des opposants sans diluer l’autorité de la majorité, tout en répondant aux aspirations d’une population épuisée par des décennies de crises ? Si les détails de la composition du futur gouvernement restent flous à l’heure actuelle, l’ambition est claire : créer une coalition capable de mobiliser les ressources nationales contre l’agression externe, tout en renforçant la cohésion interne.
Cette démarche s’inscrit dans une longue lignée de gouvernements d’union nationale, mais dans un contexte inédit. La RDC de 2025, bien que toujours marquée par ses fractures, est plus connectée, avec une société civile dynamique et une jeunesse impatiente de changement. Pourtant, l’histoire invite à la prudence. Le gouvernement d’Adoula a stoppé les sécessions, mais n’a pas empêché les rébellions. Les mandats de Tshisekedi en 1991 et 1992 ont succombé à l’obstruction de Mobutu. Birindwa a offert un sursis éphémère à un régime mourant, tandis que Badibanga a échoué à surmonter les divisions. Le « 1+4 » de Kabila a permis des élections, mais laissé l’Est en proie au chaos. Tshibala, malgré une alternance historique, a été terni par des fraudes.
Cette récurrence des gouvernements d’union nationale reflète une réalité brutale : l’incapacité chronique de la RDC à forger un consensus durable dans un État miné par les divisions ethniques, les luttes de pouvoir, et les ingérences étrangères. Chaque coalition, née dans l’urgence, a tenté de panser les blessures d’un pays trop vaste, trop riche, et trop convoité. Mais les succès : réunification sous Adoula, alternance sous Tshibala sont souvent éclipsés par des échecs plus profonds : l’absence de réformes structurelles, la persistance des inégalités, et l’incapacité à pacifier l’Est, un défi qui hante toujours Kinshasa.
Alors que Kolongele a achevé ses consultations, l’initiative de Tshisekedi soulève une question cruciale : ce gouvernement d’union nationale parviendra-t-il à transcender les pièges du passé ? Peut-il mobiliser les Congolais autour d’un projet commun, non seulement contre le M23, mais pour une refonte profonde de l’État ? Ou deviendra-t-il un énième épisode dans une saga de coalitions fragiles, incapables de guérir un pays fracturé ? L’histoire, avec ses leçons amères, suggère que l’unité nationale, si séduisante soit-elle, reste un défi herculéen dans une RDC où les ambitions politiques personnelles et les intérêts étrangers continuent de peser lourd.
Heshima Magazine
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RDC : l’artisanat minier toujours au cœur des vives tensions
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5 heures agoon
juin 18, 2025By
La redaction
Qualifiée de scandale géologique, la République démocratique du Congo (RDC) ne capte pas encore son plein potentiel dans le secteur des mines. Si au niveau de la production industrielle les choses s’améliorent, l’artisanat reste cependant un terrain où l’anarchie règne en maître malgré la réglementation en vigueur. Dans les Kivu, les minerais sont exploités en plein conflit armé, dans certaines régions comme le grand Katanga, la concurrence avec les industriels crée souvent des tensions. Ce qui influe sur la rentabilité du secteur.
En 2024, le secteur minier a généré 4,36 milliards de dollars, selon l’agence de notation financière standard & Poor’s (S&P). Cela représente environ 41,3% des recettes courantes de la RDC, estimées à 10 milliards de dollars en 2024. « Notre pays détient 80 % des réserves mondiales de cobalt. Il représente actuellement autour de 65 % de la production mondiale, soit 95 000 tonnes par an, dont 18 000 tonnes, soit 800 millions de dollars de revenus au cours actuel, proviennent de sites miniers artisanaux », a déclaré Albert Yuma, alors président de la Gécamines, lors d’un forum en Afrique du Sud.
Dans ces recettes, boostées par la production de cobalt et de cuivre, l’artisanat représente une part non négligeable, mais le secteur reste désorganisé et marqué par des tensions quasi permanentes. Pourtant, le Code minier de 2002, révisé en 2018, consacre une section entière à l’exploitation artisanale. Cette loi impose aux mineurs artisanaux de se regrouper en coopératives agréées afin de solliciter une licence d’exploitation artisanale. L’État a aussi l’obligation de créer des Zones d’exploitation artisanale (ZEA) supervisées par des coopératives minières agréées.
Depuis un temps, dans le Lualaba et le Haut-Katanga, des milliers de coopératives se sont créées, mais beaucoup ne sont que des façades pour accéder à des licences. Peu de coopératives assurent un encadrement réel, technique ou social des creuseurs. « Certaines coopératives sont contrôlées par des élites politiques ou militaires. Elles créent des coopératives juste pour faire main basse sur les mines artisanales sans se soucier des creuseurs artisanaux », affirme Moise Kapia, un creuseur vivant à Kolwezi, chef-lieu du Lualaba.
Les creuseurs accusent également les industriels de ne pas respecter les limites de leurs sites et d’empiéter régulièrement sur les carrés miniers artisanaux. D’après un rapport de l’ONG Crisis Group publié en 2020, les industriels reprochent à leur tour aux creuseurs artisanaux d’occuper leurs mines. Par exemple, lorsque les activités industrielles ont repris à Tenke Fungurume Mining (TFM), à la fin des années 1990, le nouvel opérateur a trouvé environ 20 000 mineurs artisanaux, selon certaines estimations, sur le site pour lequel il détenait un permis. Ceci a mené à plus de vingt ans de tensions et à des violences intermittentes entre les mineurs artisanaux, l’armée et la police des mines. Cette dernière a régulièrement procédé à l’expulsion des mineurs artisanaux de certaines parties de TFM, mais n’a pas pu les empêcher de revenir sur le site de manière durable.
En 2019, note la même source, l’armée est intervenue pour expulser plus de 10 000 mineurs artisanaux qui empiétaient sur deux des plus grands sites industriels miniers dans le Haut-Katanga et au Lualaba.
Tensions communautaires entre Kasaïens et Katangais
Dans cette partie du pays, l’exploitation minière a aussi d’autres facteurs rendent ce secteur explosif. Les mines artisanales attirent également des travailleurs originaires d’autres provinces de la RDC, notamment des Kasaïens. Cela renforce le mythe selon lequel des Congolais, notamment du Kasaï, « voleraient » la richesse minérale de la région du Katanga. Cette perception exacerbe des tensions communautaires entre ces communautés présentes dans les zones minières. Le gouvernement, censé jouer un rôle d’arbitre, reste souvent éloigné de ces réalités. Ces tensions dégénèrent parfois en affrontements physiques ou verbaux. « Certains Congolais originaires du Katanga perçoivent la présence des autres Congolais venus du Kasaï comme une intrusion dans leur pré-carré », explique Eric Mukendi, creuseur originaire de l’espace Kasaï.
Les Kivu : une autre dimension de tensions
Si dans le Katanga les tensions se résument souvent par des rivalités entre industriels et artisanaux ainsi que les communautés entre elles, dans les Kivu, c’est une toute autre tension qui y règne. Les mines artisanales du Kivu, en particulier dans le Sud-Kivu, sont marquées par une exploitation majoritairement informelle. Des minerais tels que l’or, la cassitérite et le wolframite sont extraits par des creuseurs dans l’informel.
Dans le Nord-Kivu, l’exploitation minière artisanale est souvent associée à des conflits armés. Certains conflits sont alimentés par la concurrence pour l’accès aux ressources, les mauvaises conditions de travail des mineurs artisanaux et l’implication de groupes armés dans l’exploitation illicite de ces minerais sont autant des causes de ces tensions. Le site de Rubaya, qui produit 20 % du coltan mondial, dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu, est depuis plus d’un an entre les mains du Mouvement du 23 mars (M23), une rébellion soutenue par le Rwanda. Malgré cette instabilité, l’exploitation artisanale des mines continue dans cette zone riche en coltan (tantale), étain (cassitérite) et manganèse.
Des milliers de creuseurs artisanaux extraient chaque jour le coltan, essentiel à la fabrication des téléphones portables et d’autres outils de technologie de pointe. Rubaya est aujourd’hui un point névralgique dans la chaîne d’approvisionnement mondiale de ce métal. L’extraction minière dans cette zone est donc sujette à des tensions liées à ce conflit toujours en cours, en dépit d’un cessez-le-feu fragile entre les Forces armées de la République démocratique du Congo et les rebelles du M23 appuyés par l’armée rwandaise.
Tshisekedi veut mettre fin aux tensions dans l’artisanat
En marge de la 12ᵉ Conférence des gouverneurs organisée du 10 au 13 juin 2025 à Kolwezi, le président Félix Tshisekedi a exprimé sa préoccupation face à la précarité des creuseurs artisanaux et appelé à des mesures urgentes pour encadrer leur activité et prévenir les conflits avec les opérateurs industriels. Le chef de l’Etat congolais a épinglé les difficultés rencontrées par les creuseurs artisanaux dans l’exercice de leurs activités. Ces difficultés, Félix Tshisekedi, sont principalement liées à l’absence de zones d’exploitation artisanale clairement définies et viabilisées, obligeant ainsi les creuseurs à empiéter régulièrement sur les concessions attribuées aux entreprises industrielles. Une situation à l’origine de fréquents affrontements, d’abus, et de conflits d’intérêts. Pour mettre fin à cette situation, le chef de l’Etat a demandé au gouvernement d’élaborer « sans délai » des mesures correctives, respectueuses des lois nationales et des standards environnementaux et sociaux, afin de garantir une meilleure cohabitation entre exploitants artisanaux et opérateurs industriels.
Pour combler le besoin sans cesse croissant en minerais afin d’assurer la transition énergétique, le gouvernement congolais – détenteur d’une plus grande réserve de cobalt au monde – devrait prendre en compte tous les acteurs miniers, y compris les plus petits qui évoluent dans le secteur informel. Cela n’est possible qu’en organisant l’artisanat tout en travaillant à l’élimination des groupes armés mais aussi de l’influence militaire qui pèse sur ce secteur vital.
Heshima
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Réseaux sociaux : nouveaux terrains de lutte politique en RDC
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11 heures agoon
juin 18, 2025By
La redaction
À Kinshasa comme à Goma, les écrans smartphones sont devenus les nouvelles arènes où se joue l’avenir politique de la République démocratique du Congo (RDC). Entre fake news à grande échelle et mobilisations citoyennes, enquête sur cette guerre digitale qui redéfinit la démocratie.
En RDC, une révolution silencieuse transforme le paysage politique depuis 2021. Si hier on falsifiait les urnes, aujourd’hui on pirate les algorithmes. Les réseaux sociaux, longtemps perçus comme des outils de divertissement, sont devenus les champs de bataille de la démocratie congolaise, où chaque like, chaque partage, chaque hashtag peut faire basculer l’opinion publique dans un sens comme dans l’autre.
Cette transformation numérique du débat politique congolais s’est accélérée avec la démocratisation des smartphones et l’amélioration de la connectivité Internet dans le pays. Avec un taux de pénétration d’Internet de 32,3% selon l’ Autorité de régulation des postes et télécommunications du Congo (ARPTC), les plateformes sociales touchent désormais des millions de Congolais, créant un nouveau rapport de force entre gouvernants et gouvernés.
Facebook et WhatsApp : la domination de Meta dans l’arène politique
Facebook règne en maître sur l’écosystème numérique congolais, avec 73% des utilisateurs kinois selon une étude du cabinet Target. Cette hégémonie de Meta se confirme avec WhatsApp, utilisé par 63% des habitants de la capitale, transformant ces plateformes en véritables centres névralgiques de l’information politique.
La période électorale de 2023 a révélé l’ampleur de cette influence. Selon l’étude Internews-LARSICOM, 54% des Congolais utilisent Internet principalement pour se connecter à WhatsApp, faisant de cette plateforme le canal privilégié de diffusion des informations politiques. Cette prédominance s’explique par la culture du « bouche-à-oreille numérique » qui caractérise la société congolaise, où les groupes WhatsApp familiaux, politiques et communautaires deviennent des relais d’opinion puissants.
« Les jeunes croient tout ce qui circule sur WhatsApp. Nous avons créé 100 groupes pour contre-attaquer », confie Marie-Jeanne Kandolo, membre de l’ONG La vie sacrée. Cette stratégie illustre comment les mouvements citoyens s’adaptent aux nouveaux codes de la communication politique digitale.
Les partis politiques ont rapidement compris l’enjeu. L’UDPS du président Félix Tshisekedi et les formations de l’opposition développent désormais des « stratégies de communication électronique dense reposant sur le développement de sites, de blogs et la présence sur les réseaux numériques ». Un like vaut un coup de machette dans cette guerre médiatique où l’audience se mesure en millions de vues et de partages.
TikTok : la nouvelle arme de propagande des partis
L’émergence de TikTok bouleverse les codes établis de la communication politique congolaise. Avec 4,44 millions d’utilisateurs en RDC en 2024, la plateforme chinoise devient rapidement le deuxième réseau social le plus utilisé en Afrique subsaharienne, dépassant Instagram et X (anciennement Twitter).
Cette croissance fulgurante transforme TikTok en terrain de conquête pour les formations politiques. Les courtes vidéos, les défis viraux et les danses deviennent autant d’outils pour toucher une jeunesse congolaise avide de nouveauté. « L’UDPS a digitalisé la machine propagandiste héritée du mobutisme », analyse Sarah Kambembe, politologue à l’Université de Kinshasa.
La récente suspension de TikTok lors des tensions à Goma en février 2025 témoigne de l’importance stratégique accordée à cette plateforme par les autorités. Cette censure, qui a touchée également X, révèle la crainte du gouvernement face au pouvoir de mobilisation de ces nouveaux médias, à la désinformation et à la propagande des actions du M23 et leurs alliés.
Les autorités congolaises critiquent ouvertement TikTok pour son « défaut de contrôle des contenus », selon les déclarations. Cette tension illustre le défi posé par une plateforme échappant largement au contrôle étatique traditionnel exercé sur les médias classiques.
Entre manipulation et contre-offensive
La campagne électorale de 2023 a marqué un tournant dans l’utilisation stratégique de la désinformation sur les réseaux sociaux congolais. Des analyses informatiques ont révélé « des achats massifs de faux followers et de faux likes sur les comptes Twitter » de plusieurs candidats de l’opposition, notamment Denis Mukwege, Moïse Katumbi et Martin Fayulu, a révélé le site d’informations 7sur7.cd en novembre 2023.
Cette manipulation numérique ne se limite pas à l’opposition. Le phénomène touche l’ensemble de la classe politique congolaise, créant un écosystème où la vérité se noie dans un flot constant de fausses informations. « On assiste à un nombre croissant de fausses nouvelles en RDC, qui, dans la plupart des cas, sont diffusées à dessein par tel ou tel camp », confirme Patrick Maki, rédacteur en chef d’Actualité.CD.
Les techniques de désinformation se sophistiquent. Vidéos sorties de leur contexte, images retouchées, citations inventées : l’arsenal de la manipulation numérique ne cesse de s’enrichir. Un exemple frappant : la diffusion d’une ancienne vidéo de Joseph Kabila, présentée à tort comme un message de félicitations adressé à Félix Tshisekedi pour sa réélection en 2023, alors qu’elle remonte en réalité à 2019.
La Commission électorale nationale indépendante (CENI) reconnaît avoir été dépassée par cette « désinformation organisée » qui a « régulièrement affaibli l’efficacité de sa communication ». En réponse, l’institution a développé une stratégie de « veille permanente en ligne pour repérer et contrer les fausses informations en temps réel ».
Cyberactivistes congolais : entre résistance et répression
Les réseaux sociaux ont donné naissance à une nouvelle génération d’activistes numériques qui défient le pouvoir par écrans interposés. Les hashtags comme #TouchePasÀMaConstitution, #Telema ou #ByeByeKabila sont devenus « des marqueurs qui ont rythmé la vie politique congolaise », selon le politologue Jean-Claude Mputu.
Cette cyberactivisme s’organise autour de mouvements comme la Lucha, qui utilise « Twitter, Facebook comme des outils importants dans la mobilisation citoyenne ». Fred Bauma, membre du mouvement, explique comment les réseaux sociaux permettent de « faire passer des messages » malgré les restrictions gouvernementales.
Cependant, cette liberté d’expression numérique a un prix. « Sur Twitter, je risque la prison à chaque tweet. Mais c’est notre seule arme contre la désinformation d’État », témoigne Parfait Mbayo, cyberactiviste de Lubumbashi. Cette réalité reflète la répression croissante contre les voix dissidentes en ligne.
L’enlèvement de Gloria Sengha en mai 2024, activiste et membre de la campagne Tolembi Pasi, illustre les dangers auxquels s’exposent les cyberactivistes congolais. Human Rights Watch dénonce une « vague de répression exercée par les autorités congolaises qui auraient restreint les droits des activistes ».
La riposte étatique : censure et régulation du cyberespace
Face à cette montée en puissance des réseaux sociaux dans le débat politique, l’État congolais a développé une stratégie de contrôle multiforme : blocage des réseaux sociaux.
Le cadre juridique se durcit avec l’adoption de l’ordonnance-loi n°23/010 relative au Code du numérique en mars 2023. Ce texte criminalise « la diffamation, les insultes et l’incitation à la haine, la diffusion de fausses informations (fake news), les menaces et les incitations à la violence via les réseaux sociaux ».
L’ARPTC s’est vue confier des pouvoirs étendus pour réguler l’espace numérique. Cette concentration des prérogatives dans une seule institution suscite des interrogations sur l’équilibre entre sécurité et liberté d’expression.
Les organisations internationales de défense de la liberté d’expression dénoncent régulièrement ces pratiques. Reporters Sans Frontières condamne une « stratégie de censure liberticide et contre-productive ». Internet Sans Frontières et Amnesty International pointent du doigt ces restrictions qui « violent les règles de la dignité et du respect de l’être humain ».
L’évolution des réseaux sociaux en RDC révèle une transformation profonde de l’exercice démocratique dans le pays. Entre manipulation et mobilisation, censure et résistance, ces plateformes redessinent les contours du débat public congolais. Si la technologie offre de nouveaux outils d’expression citoyenne, elle génère aussi de nouveaux défis pour la démocratie. L’enjeu désormais est de trouver l’équilibre entre régulation nécessaire et préservation des libertés fondamentales dans cet espace numérique en constante évolution.
Heshima Magazine
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Les femmes congolaises face à la guerre : victimes silencieuses d’un conflit sanglant
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1 jour agoon
juin 17, 2025By
La redaction
Elles ont payé le prix le plus lourd de trois décennies de conflits. Violées, déplacées, enlevées, tuées, abandonnées : les femmes de l’Est congolais incarnent l’héroïsme silencieux d’une région en crise permanente. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, 35 000 cas de violences sexuelles liées aux conflits ont été enregistrés rien qu’en 2023 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Un chiffre qui ne représente que la partie visible de l’iceberg, comme l’a confié une survivante : « Ici, chaque femme porte en elle une histoire qui ferait pleurer les pierres. »
Dans l’Est de la RDC, le viol est une arme plus redoutable que la kalachnikov. Utilisée par des groupes armés comme le M23, la CODECO, les ADF et d’autres milices, la violence sexuelle vise à détruire le tissu social congolais. Selon un rapport de Physicians for Human Rights publié en octobre 2024, plus de 113 000 cas de violences sexuelles liées aux conflits ont été enregistrés en 2023 dans toutes les zones où sévissent les conflits armés, un nombre qui a plus que doublé au premier semestre 2024 par rapport à la même période en 2023. ActionAid rapporte une augmentation de près de 700 % des cas signalés entre février et mars 2025, avec 381 cas enregistrés en seulement deux mois dans le Nord et le Sud-Kivu.
Particulièrement alarmant, le ciblage des petites filles a atteint des niveaux sans précédent. Selon l’UNICEF, jusqu’à 45 % des près de 10 000 cas de violences sexuelles signalés en janvier et février 2025 concernaient des enfants, certains aussi jeunes que trois ans. Le Dr Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix 2018, a dénoncé cette situation lors d’un discours au Parlement européen en mai 2025 : « Nous avons eu 10 000 cas de violence sexuelle, dont 30 à 35 % concernent des enfants. Attaquer des enfants, c’est franchir toutes les lignes rouges imaginables. »
Les témoignages des survivantes révèlent l’ampleur du traumatisme. « Je n’oublierai jamais cette nuit où les miliciens sont entrés dans notre village. Ils ont violé ma fille de 14 ans devant moi, puis m’ont forcée à regarder pendant qu’ils la tuaient. Je suis maintenant dans un camp de déplacés, mais je ne me sens pas en sécurité. Chaque jour, je crains pour ma vie et celle de mes autres enfants, » confie une survivante de Masisi sous couvert d’anonymat. Une autre survivante, toujours anonyme, raconte : « Ils m’ont enlevée et forcée à devenir leur ‘épouse’. J’ai donné naissance à un enfant de mon bourreau, et je vis avec cette douleur tous les jours. »
Les conséquences sont dévastatrices : infections sexuellement transmissibles, grossesses non désirées, traumatismes psychologiques comme le stress post-traumatique, et stigmatisation sociale. « Ces violences ne sont pas des dommages collatéraux, mais une stratégie délibérée pour détruire le tissu social congolais, » explique Dr Saley Kanyamibwa, psychologue spécialisé dans les traumatismes de guerre.
Camps de déplacés : l’enfer au féminin
Le conflit a forcé des millions de personnes à fuir leur foyer. En 2025, la RDC compte 7,3 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont environ 52 % sont des femmes, soit près de 3,8 millions, et 49,6 % sont des enfants, dont la moitié sont des filles, soit environ 1,8 million selon le Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri concentrent la majorité de ces déplacés, avec 5,5 millions dans ces régions précise l’Organisation internationale pour les migrations.
Les camps de déplacés, comme ceux autour de Goma, sont des environnements hostiles. Une enquête de Médecins Sans Frontières menée en avril 2024 révèle que plus de 10 % des femmes âgées de 20 à 44 ans dans quatre camps près de Goma ont subi des violences sexuelles en seulement cinq mois. « Dans le camp, nous n’avons pas assez de nourriture ni d’eau. Les femmes doivent sortir pour chercher du bois ou de la nourriture, et c’est là qu’elles sont souvent attaquées. J’ai été violée deux fois en allant chercher de l’eau. Il n’y a pas de protection ici », témoigne Marie Kambale, une déplacée à Goma.
Les femmes déplacées sont également confrontées à la perte de moyens de subsistance. « J’avais un petit commerce avant de fuir. Maintenant, je n’ai rien, et je ne peux pas nourrir mes enfants correctement », explique Esther, une déplacée au camp de Lushagala aux agents humanitaires. Les camps manquent d’infrastructures de base, et les attaques contre les sites de déplacés aggravent la situation, avec des bombardements d’artillerie lourde signalés en 2025 par Global Centre for R2P.
Accès limité aux soins et à l’éducation
L’effondrement des infrastructures de santé dans les zones de conflit prive les femmes et les filles de soins essentiels. Selon l’Association humanitaire de solidarité internationale, plus de 8,9 millions de personnes, dont 50,6 % de femmes, n’ont pas accès à des services médicaux vitaux, en particulier dans les zones reculées. Les soins maternels sont particulièrement affectés, avec des taux élevés de mortalité maternelle et infantile dus à l’absence de personnel qualifié et d’équipements. « Je suis enceinte de huit mois, mais je n’ai pas vu de médecin depuis le début de ma grossesse. L’hôpital le plus proche est à des kilomètres, et la route est dangereuse. J’ai peur d’accoucher sans assistance », confie Amina Salama, déplacée dans l’Ituri.
L’accès à l’éducation est tout aussi critique. Selon l’UNICEF, entre janvier 2022 et mars 2023, l’éducation de 750 000 enfants a été perturbée dans le Nord-Kivu et l’Ituri, avec 2 100 écoles fermées en raison de l’insécurité ou utilisées comme abris pour les déplacés. Les filles sont particulièrement touchées, car les familles craignent pour leur sécurité. « Ma fille de 10 ans ne va plus à l’école depuis que nous avons fui notre village. Il n’y a pas d’école dans le camp, et même s’il y en avait, je ne sais pas si je pourrais l’envoyer, car elle pourrait être en danger » confie Fatuma Sadiki, une mère déplacée.
Femmes médecins : ces héroïnes qui pansent les plaies de la guerre
Malgré ces défis, les femmes congolaises jouent un rôle central dans la résilience communautaire. Des initiatives locales, soutenues par des organisations internationales, permettent aux femmes de s’organiser pour promouvoir la paix et lutter contre les violences. Par exemple, l’Association des Femmes pour la Promotion et le Développement Endogène, soutenue par le Fonds pour les Femmes en Paix et Humanitaire, renforce les capacités des associations de femmes pour combattre les violences basées sur le genre dans les territoires d’Uvira, Fizi et Walungu. De même, le projet de l’agence de coopération internationale allemande pour le développement dans le Nord et le Sud-Kivu soutient des initiatives sensibles au genre pour promouvoir la stabilité.
« Chaque nuit, nous formons des chaînes de solidarité pour protéger nos filles des miliciens », raconte sœur Angélique, une religieuse de Goma. Ces efforts communautaires, souvent menés par des femmes, incluent des espaces sûrs pour les survivantes et des programmes de formation pour l’autonomisation économique. « Les femmes sont les piliers de la société congolaise. Leur résilience et leur courage face à l’adversité sont remarquables. En les soutenant et en les impliquant dans les processus de paix, nous pouvons espérer un avenir meilleur pour la RDC », déclare Dr Saley Kanyamibwa.
Le temps d’agir
Derrière chaque statistique se cache un drame qui aurait dû faire La Une à travers les médias du monde entier. Les femmes et les filles de l’Est de la RDC vivent dans un climat de peur et de précarité, mais leur force et leur détermination à reconstruire leurs communautés sont une source d’inspiration. La communauté internationale doit intensifier son soutien aux initiatives locales, renforcer l’accès aux services essentiels et mettre fin à l’impunité des auteurs de violences. Seule une action concertée peut offrir un avenir plus sûr et plus juste aux Congolaises.
Heshima Magazine
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