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Les improductives alliances du pays de Lumumba
Dans un monde devenu village planétaire, les nations sont contraintes de vivre en « interdépendance ». Et en tant que telles, les alliances entre Etats se font et se défont en fonction des intérêts et des besoins et dans le cadre de la politique étrangère de chaque pays. Par pur souci d’éclairer la lanterne des uns et des autres sur cette évidence, dans son ouvrage “La politique étrangère de la République Démocratique du Congo: Continuité et ruptures”, le Professeur Mwayila Tshiyembe, spécialiste de la sociologie des conflits dans la région des Grands Lacs qui a fait un point d’honneur sur les alliés de la RDC, a mis en exergue l’évidence selon laquelle la politique étrangère constitue un instrument efficace pour la gestion de toute nation.
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Dans ce chef-d’œuvre, l’auteur révèle qu’avec ses atouts et ses vulnérabilités, la diplomatie de la RDC a été celle de la crise (1960-1965), de la porte ouverte (1965- 1990), des temps perdus (1990-1997) et de l’impuissance (1997-2006). D’où sa conclusion par cette interrogation : »Quelle diplomatie pour le 21ème siècle et l’avenir ? » En réponse à cette question posée avec acuité, Heshima Magazine tente en quelques lignes de décrypter les moments forts de l’histoire des alliances de la République Démocratique du Congo en remontant les années 1960.
En dents de scie
Colonie belge depuis 1902, le Congo a toujours été proche de la Belgique à qui il s’identifie politiquement et culturellement. Après l’accession à l’Indépendance le 30 juin 1960, les tensions naissent entre l’ancien colon et les nouveaux dirigeants de son ancienne colonie. Le Roi Baudoin 1er se sent lésé après le discours orageux de Lumumba qui a présenté la Belgique comme un tyran qui a terrifié et torturé les sauvages congolais. Les officiers belges ne parviennent plus à gérer les soldats subalternes de la Force Publique. S’ensuivent alors des émeutes dans les différentes provinces du Congo où les belges sont violées, tués et chassés. L’armée belge interviendra pour rapatrier tous ses résidants et va profiter de l’occasion pour régler des comptes à Lumumba.
De là va naître la relation en dents de scie entre les deux pays qui n’auront presque jamais des rapports privilégiés. Si la Belgique se vante d’être le premier partenaire économique de la RDC, les congolais eux le nient. Vers les années 1980, Mobutu Sese Seko, Président de ce pays depuis 1965 à la suite d’un coup d’Etat sur Joseph Kasa-Vubu, fatigué de l’ingérence belge dans les affaires internes du Zaïre, envoie des émissaires dont Nimy Mayidika Ngimbi, Gérard Kamanda, Mpinda wa Kasenga annoncer lors d’un débat contradictoire à la télévision belge, la rupture des relations entre la Belgique et le Zaïre.
A l’avènement de Laurent-Désiré Kabila, la situation ne va pas changer. Les relations sont restées tendues entre les deux pays. Il a fallu attendre le règne de Joseph Kabila pour assister au réchauffement des relations entre Kinshasa-Bruxelles. Louis Michel qui a longtemps géré la diplomatie belge vers le début des années 2000, est même considéré comme le mentor de Joseph Kabila. Fort de ces rapports améliorés entre les deux pays, le Congo de Kabila a même invité le couple royal belge à prendre part à la célébration du cinquantenaire de l’indépendance du Congo en 2010. Une invitation qui sera sujette à polémique suite au cadeau de quelques carats de diamant de joaillerie qui sera offert à la reine Paola Ruffo di Calabria, épouse du Roi Albert II par Marie-Olive Lembe, épouse du Président Kabila. Cependant, vers la fin du mandat de Joseph Kabila, les relations diplomatiques entre la Belgique et la RD-Congo vont se ternir comme jamais auparavant avec des décisions lourdes de conséquences telles que la rupture de la coopération bilatérale, l’interdiction de voyager infligée à des responsables des deux pays, la fermeture de la maison Schengen, le rappel des ambassadeurs. Une situation que viendra changer aussitôt Félix Tshisekedi, cinquième Président du Congo. La Belgique est un pays qu’il connait très bien pour y avoir séjourné plus de deux décennies. D’ailleurs, après sa prise de fonctions, la Belgique a été le premier pays européen où il s’est rendu.
Depuis, les averses ont disparu dans le ciel de deux nations. La maison Schengen qui avait été fermée a rouvert ses portes et la coopération à l’exception de celle militaire, a repris.
Rwanda, Ouganda, Burundi: l’histoire des amours compliqués
Partageant les mêmes frontières, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ont toujours été considérés comme des pays frères de la RDC, des alliés naturels. Les années 1980 et 1990 ont scellé une solide relation d’amitié entre Juvénal Habyarimana du Rwanda et Joseph Désiré Mobutu son voisin du Zaïre. Une amitié qui aurait pu coûter la vie aux deux Présidents en 1994 lorsque l’hélicoptère ramenant le président rwandais à Kigali a été abattu par des missiles sol-air.
« La politique étrangère de la République Démocratique du Congo: Continuité et ruptures »
Les deux hommes étaient ensemble et devraient effectuer le déplacement pour des assises africaines. Mobutu s’était désisté à la dernière minute.
En 1997, les successeurs d’Habyarimana ne sont pas en odeur de sainteté avec Mobutu qui n’est pas leur allié. Ils décident de le faire partir du pouvoir par les armes, en passant par Mzee Laurent-Désiré Kabila, ancien maquisard et ennemi de Mobutu déjà fragilisé à Kinshasa par l’opposant Etienne Tshisekedi.
Lorsque Kabila renverse le vieux léopard de Kinshasa, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda font office d’alliés privilégiés. Fin mai 1997, dans un stade Kamanyola rebaptisé stade des Martyrs à moitié vide et sans le moindre diplomate, le nouveau maître de Kinshasa s’autoproclame Président de la République en prêtant serment devant ses alliés, qui, à ses yeux suffisent pour légitimer son pouvoir.
Cependant, le mariage entre les quatre pays ne fera pas long feu. Le 02 août 1998 alors que quelques jours plus tôt, le président congolais avait annoncé la fin des relations avec le Rwanda, l’ancien allié, une guerre d’agression surgit presque dans les mêmes régions par où la marche pour la destitution de Mobutu avait commencé.
Cette fois-ci, le Congo de Kabila n’a plus de puissance de feu, ses alliés naturels se sont mués en ennemis. C’est là qu’entrent en scène l’Angola de Dos Santos, la Namibie et le Zimbabwe, les nouveaux alliés circonstanciels qui vont repousser les agresseurs et approvisionner en aliments le Congo sous embargo international et soutenir le régime de Kinshasa jusqu’en janvier 2001, quand Laurent-Désiré Kabila est assassiné dans son bureau au Palais des marbres à Kinshasa.
Exemple sur le continent
Hormis les démêlés avec le Rwanda, la RDC est plutôt un pays pacifique non conflictuel aux yeux des pays africains. Présente et active dans la majorité de communautés continentales où elle s’apprête à prendre les commandes de l’Union Africaine en 2021, régionales (Sadc, Ceeac) et sous-régionales (Cirgl), la RDC est un exemple de bonne coopération. Le Président Tshisekedi est très actif sur le continent tant dans la quête des solutions au conflit entre l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda que dans la pacification d’autres pays comme l’Ethiopie en proie à des tentatives de rébellions de l’Etat de Tigre. En marge des consultations des forces vives qu’il a initiées le 02 novembre à Kinshasa en vue d’une «Union sacrée pour la nation », Félix Tshisekedi avait dépêché une mission diplomatique restreinte composée des membres de son cabinet, dans quelques capitales africaines comme Luanda, Le Caire, etc. Quelques jours après, cela s’est matérialisé par un meeting aérien des armées congolaises et angolaises dans le ciel congolais.
Dans la crise actuelle opposant le camp de Félix Tshisekedi (Cap pour le Changement) à celui de Joseph Kabila (Front commun pour le Congo), le positionnement des alliés est un élément de taille. Joseph Kabila conserverait une très bonne image en Afrique du Sud et au Zimbabwe voire au Burundi. C’est d’ailleurs auprès de deux de ces pays, à savoir Afrique du Sud et Zimbabwe que ce dernier avait aussi envoyé Kikaya Bin Karubi et She Okitundu pour réciproquer à la démarche de Tshisekedi. Quitte à savoir si les différents alliés sauront se départager en cas de crise réelle en RDC.
Félix Tshisekedi, un chercheur d’alliances ?
Le politologue Trésor Kibangula tente d’y répondre en décryptant la politique extérieure de la RDC à partir d’une trentaine des voyages effectués par le Président Félix Tshisekedi dans une dizaine de pays. Le Chef d’État s’est rendu notamment dans les pays limitrophes de la RDC, en Occident et en Orient. Ce périple avait trois axes. Pour le premier axe, le Président est parti chercher auprès des alliés, l’aide financière afin de mettre en application son programme de gouvernement avec ses 20 piliers. Cela s’est confirmé notamment par ses contacts outre avec les politiques, mais aussi avec le Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC), le FMI, l’Union Européenne, la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement (BAD).
Le deuxième axe a consisté au repositionnement régional de la RDC et la pacification de l’est du pays dans la perspective de rétablir un meilleur équilibre géopolitique des intérêts des uns et des autres. C’est dans ce cadre qu’il avait appelé tous les pays voisins notamment le Burundi, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie à faire partie d’un »État-major intégré ».
Sans oublier la main tendue aux alliés traditionnels, dont la Russie, la Serbie, les USA (avec qui la RDC vient de relancer la coopération militaire) et prochainement la Chine. Le troisième axe selon Monsieur Kibangula, a visé le rééquilibrage des rapports de force à l’intérieur du pays qui sont actuellement défavorables à Félix Tshisekedi au sein de la coalition au pouvoir. Ses partenaires du FCC contrôlant l’essentiel des institutions de la République. Il a fallu donc prendre langue avec les alliés pour échanger sur la situation politique de la RDC.
Pour tout dire, à travers ses nombreux déplacements le président avait un seul objectif, réchauffer la diplomatie, la coopération multiforme avec les alliés pour sortir un pays qui a vécu dans l’isolement pendant des nombreuses années.
Alliance avec le plus offrant, l’heure du winwin !
Considérée comme un scandale géologique suite à l’immensité de sa richesse du sol et du sous-sol, la RDC fait l’objet de toutes les convoitises.
D’aucuns la considèrent comme un patrimoine mondial où tous les autres pays peuvent venir piocher. Et pourtant, comme le signalent quelques politologues, la Belgique a encore la mainmise sur l’économie de la RDC. Elle est une sorte de carte de validation. C’est elle qui donnait un avis de non-objection avant que Joseph Kabila vienne tout battre en brèche en 2006 lorsqu’il est élu président du Congo. Il tourne le dos au bloc occidental pour remettre le sort économique de son pays à la Chine en échange de quelques milliards de dollars américains. Un coup de massue dont ne se relèvent pas encore les Occidentaux qui ont vu la Chine déjà sérieuse concurrente, gagner du terrain.
Dix ans durant, la RDC s’est laissée entre les mains de la Chine, ne laissant que du menu fretin aux Américains, Français et autres. De cette alliance avec la Chine, quelques ouvrages sont sortis de terre, et ce dans plusieurs domaines de la vie, parmi lesquels la santé, l’enseignement, les infrastructures. La transformation de Kinshasa et de quelques provinces est l’œuvre de cette coopération polémique suite à la signature d’un contrat dont les rouages ne seront presque jamais maitrisés. En deux quinquennats placés sous les thèmes de « Cinq chantiers » pour le premier et « Révolution de la modernité » pour le second, l’alliance RDC-CHINE a produit : l’hôpital du cinquantenaire de Kinshasa ; près de mille écoles à travers le Congo ; la tribune en face du Palais du Peuple sur le boulevard triomphal ; la place des évolués, la place de la Gare dans la commune de la Gombe ; le pont Loange dans le Kasaï ; de milliers de kilomètres de routes de dessertes agricoles reliant plusieurs provinces ; le Musée national à Kinshasa ; le centre culturel en pleine construction, etc.
Ce qui paraît insignifiant aux yeux de plus d’une personne au vu des richesses insoupçonnées et surtout non contrôlées qui sortiraient de la RDC via ce partenariat. De l’avis de plusieurs analystes politiques, l’alliance entre la RDC et la Chine a été défavorable aux partenaires et alliés traditionnels du Congo, majoritairement occidentaux.
Avant de partir du pouvoir en 2019, Joseph Kabila place des garde-fous pour son allié chinois, il promulgue le nouveau code minier, un ensemble des mesures qui étranglent les partenaires occidentaux qui exercent dans le secteur des mines.
Le camp Kabila majoritaire dans les différentes institutions de l’Etat, il est presque impossible de voir ces clauses libératoires sauter. A ce jour, les Etats-Unis ont un nouveau Président en la personne de Joe Biden, un démocrate. Une situation qui ouvre la porte à une vague de questions sur la nouvelle configuration des relations entre Kinshasa et Washington, étant donné que l’actuel président américain est présenté proche de Kabila contrairement à son prédécesseur Donald Trump qui se voulait plutôt pro Tshisekedi, même si les deux hommes ne se sont jamais rencontrés en deux ans de pouvoir du président congolais. Les choses ne pouvaient pas si mal arriver sachant que la RDC connaît un tournant de son histoire.
Après l’alternance pacifique historique entre Joseph Kabila et son successeur Félix Tshisekedi, les deux hommes ont levé l’option de travailler ensemble pour le bien des congolais, dans une sorte de coalition au pouvoir. Deux années se sont passées, les noces entre ces deux ennemis d’hier n’ont pas débouché sur le bonheur tant attendu. Une alliance sur le plan national qui échoue au point que les congolais se posent des questions sur la nature de ces arrangements entre politiques. En soixante ans d’indépendance, les alliances entre la RDC et des pays étrangers ou encore celles conclues entre les congolais ont davantage contribué à régresser le niveau du Congo qu’à autre chose.
Ce pays immensément riche est toujours classé parmi les derniers de la liste des pays les plus pauvres, son armée demeure parmi les moins puissantes incapable de pacifier totalement le territoire national, son élite toujours mise en doute à l’étranger dans les mêmes pays alliés où elle est obligée d’être rétrogradée… à quoi servent ces alliances si la RDC ne sait pas en tirer profit. Il est certes impossible de se suffire tout seul, cependant il existe des pays quoiqu’en alliance avec d’autres, parviennent à se développer essentiellement avec leurs propres moyens, les alliances n’étant qu’une obligation relationnelle pour faire joli. Avec son potentiel, la RDC doit-elle toujours sa survie aux alliances ? Qu’en tire le peuple ? Des questions auxquelles les lignes précédentes ont peut-être répondu ou pas. Les jours à venir sauront mieux situer cette question des alliances.
Heshima Magazine
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Avec 2,3 milliards USD, la police congolaise au cœur d’une réforme ambitieuse
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37 minutes agoon
mai 20, 2025By
La redaction
La République démocratique du Congo (RDC) a entamé depuis quelques années un processus de réforme profonde du secteur de la sécurité. Après la loi de Programmation militaire des Forces armées de la RDC (FARDC), le gouvernement a présenté un projet de loi ambitieux au Parlement pour refonder une institution souvent critiquée pour des dérapages et divers abus. Passant de la Garde civile zaïroise à la Police nationale congolaise (PNC), cette institution peine encore à réussir sa mutation doctrinale vers une police de proximité plutôt qu’une force militarisée de répression. Heshima Magazine relève certaines faiblesses décelées dans ce service et décrypte ce projet de réformes.
Pour réformer cette grosse machine de sécurité, le gouvernement met des grands moyens : de 2,3 milliards de dollars sont prévus sur cinq ans, soit de 2025 à 2029. Le 16 mai 2025, le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité Jacquemain Shabani a défendu ce projet de loi à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit un programme de réformes qui va nécessiter la mobilisation de moyens considérables.
Former 90 000 policiers pour renforcer l’effectif
En sous-effectif quasi permanent, la police a toujours du mal à accomplir efficacement sa mission régalienne. Il se constate une répartition inégale des effectifs sur le territoire national. Au Sud-Kivu, par exemple, après le départ des casques bleus pakistanais, la Police nationale congolaise n’a pas pu réoccuper pleinement la province. Fin avril 2024, plus de la moitié des 115 policiers censés occuper la base de Kamanyola l’avaient désertée, selon le constat d’un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP). Le peu de policiers qui restaient se plaignaient de leurs conditions de vie et de l’absence de rémunération. « Un policier qui passe deux jours sans manger alors qu’il a une arme, ça devient facile pour lui d’attaquer de paisibles citoyens » pour se ravitailler, dénonçait Joe Wendo, un acteur de la société civile locale. La plaine de la Ruzizi, située aux confins du Rwanda et du Burundi, est parfois présentée comme un haut lieu de braquages et de kidnappings. Le sous-effectif de la police et le déficit de sa logistique dans ces zones ne favorisent pas une bonne présence de l’autorité de l’Etat dans cette partie du pays.
La ville de Kinshasa, loin d’être à l’abri, est aussi frappée par le problème d’effectif. Dans les quartiers reculés comme Lutendele, à l’ouest de la capitale, il existe très peu de postes de police, faute de logistique et du personnel policier. Il en est de même pour d’autres quartiers de l’est. « C’est ainsi qu’il y a des civils qui portent des uniformes de la police sans formation au préalable. Il y a une vraie crise d’effectif dans l’institution », a réagi le commandant d’un Sous-commissariat à Mikondo, un quartier du district de la Tshangu. Un procès en flagrance à Kinshasa a mis à nu cette réalité : aucun policier parmi les prévenus n’a été formé et porte un matricule reconnu par l’Etat congolais. La plupart de ces éléments sont des proches des commandants de Sous-commissariat qui, à force de se côtoyer, finissent par leur octroyer des uniformes et parfois des armes. En 2024, l’ancien ministre de l’Intérieur Peter Kazadi avait avoué l’existence de ce problème : « Je connais les effectifs de la Police, mais je ne peux pas le dire à la place publique. Mais, dans ces effectifs, il y a aussi beaucoup de fictifs. Nous allons châtier tous ceux qui sont à la base de ces fictifs. »
Dans le nouveau programme de la police, le gouvernement veut mettre un terme à ces pratiques. Pour combler le déficit, le projet de réformes prévoit la professionnalisation de la police. Cela comprend le recrutement et la formation de 90 000 policiers. Parmi ces éléments figureront des unités d’intervention, mais aussi des policiers de proximité. Cela est un besoin urgent, dans un pays confronté à la montée des gangs urbains communément appelés « Kuluna ». Sur le plan du coût, ce volet du projet absorbera plus de 72 % du budget prévu dans la loi de programmation de la police en examen.
Mise à la retraite de 10 000 policiers
La Police nationale congolaise rencontre des difficultés notamment administratives pour la mise à la retraite de ses agents. Plusieurs policiers déjà âgés continuent de travailler, dépassant largement l’âge de la retraite. « Si je reste à la maison, l’Etat va m’oublier. Rien n’est prévu pour notre retraite », déclare Séraphin Mutombo, un policier sexagénaire travaillant dans la commune de Mont-Ngafula, à l’ouest de Kinshasa. Dans la réforme initiée par le gouvernement appuyé par les Nations Unies, le plan prévoit la mise à la retraite de 10 000 policiers d’ici à 2028. La construction ou la réhabilitation d’infrastructures pour les policiers et un investissement massif dans les équipements de ce service figurent aussi en bonne place. Rien que pour cela, le programme dispose de près d’un milliard de dollars.
Renforcer le cadre institutionnel
Une autre priorité dans la loi de programmation de la police, c’est le renforcement du cadre institutionnel. La police est confrontée à de nombreux défis, notamment en raison de problèmes financiers, de formation et de corruption. Les officiers gagnent des salaires faibles, manquent de ressources pour leurs activités et sont parfois accusés de dérapages et d’abus de pouvoir. « Notre commandant nous dit souvent : ‘‘vous êtes là assis en train de me regarder, sachez que je n’ai pas d’argent pour vous offrir le pain, allez le chercher auprès des civils dans la rue’’ », témoigne un policier à Binza Delvaux. Après ce genre d’instruction, ces éléments vont se disperser en groupe à travers les rues de la capitale pour tracasser les vendeurs, motocyclistes, taximen et autres usagers de la route. Une pratique constamment décriée par les Congolais dans leur majorité. En janvier dernier, une opération de l’Inspection Provinciale de la Police de Kinshasa a ainsi conduit à l’arrestation de dix-huit policiers et militaires. Le général Blaise Kilimbalimba, commandant de la Police de Kinshasa à l’époque, a expliqué que ces agents avaient abusé de leur statut pour commettre des crimes. Ces éléments extorquaient les biens des civils. « Il y en a qui sont dans les visites domiciliaires indésirables, d’autres dans des déviations des missions. Donc ce sont des bandits se retrouvant dans les différents services [de police]. Nous sommes en train de les découvrir, et les arrêter jusqu’à leur dernier retranchement pour la tranquillité publique », avait décrié Blaise Kilimbalimba.
Face à ces dérives, le gouvernement veut poser les bases d’une police mieux organisée, avec des structures solides et cohérentes. Dans la logique de renforcer l’efficacité, depuis quelques années, la Police d’intervention rapide (PIR) a été rebaptisée Légion nationale d’intervention (LENI). La LENI est une unité d’élite de la police, formée dans le cadre du programme européen EUPOL-RDC. Elle est chargée de missions d’intervention rapide et d’antiterrorisme. Actuellement, ce service est dirigé par le commissaire général Jean-Félix Safari. La réforme dans cet aspect institutionnel va coûter plus d’un quart du budget, soit environ 600 millions de dollars.
Réputés aussi pour leur communication difficile avec les civils, les éléments de la police vont aussi bénéficier d’une mise à niveau. Au-delà de cet aspect de formation, il y a un axe de la réforme qui porte sur le dialogue entre la police et la population. Moins de budget est réservé à ce volet : presque 3 % de l’enveloppe globale, soit un peu plus de 51 millions de dollars.
Un programme conçu avec les Nations Unies
Le programme de réformes de la police a été conçu entre le gouvernement et le système des Nations Unies. En octobre 2024, Jacquemain Shabani avait présenté ce projet aux partenaires techniques et financiers du gouvernement. « C’est un programme conjoint conçu avec les Nations Unies pour développer la Police nationale congolaise », affirme un diplomate de l’ONU en RDC. Ce programme a été conçu sous le lead du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) avec la participation de plusieurs autres agences comme l’Organisation Internationale de Migration (OIM), ONU-HABITAT, l’Office du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH), et la MONUSCO.
De la Garde civile à la PNC, un long chemin de réforme
Entamée après la chute du régime du président Mobutu en 1997, la réforme de la Police nationale congolaise connaît un long chemin. Sous Mobutu, ce service s’appelait Gendarmerie nationale, mais une grande unité célèbre sortait la tête du lot : la Garde civile zaïroise. Cette Garde civile a été créée en 1984 par le président Mobutu, alors dirigeant du Zaïre (nom de la RDC entre 1971 et 1997). Elle avait pour mission principale de maintenir l’ordre public et de lutter contre la criminalité, en complément des forces régulières (notamment la police et l’armée).
Elle s’inscrivait aussi dans la volonté de Mobutu de diversifier les forces de sécurité afin d’éviter qu’une seule force devienne trop puissante et menace son pouvoir. Certaines sources indiquent que cette unité a été créée après des combats dans le Shaba (actuel grand Katanga) entre soldats zaïrois et zambiens. Elle était notamment chargée de la sécurité aux frontières, de la lutte contre les trafics illégaux et le terrorisme, et de la restauration de l’ordre public. Dirigée par le célèbre général Kpama Baramoto Kata, la Garde civile était perçue par une partie de l’opinion comme un instrument de répression pour mater l’opposition et d’autres voix dissidentes dans la société civile. Entre les années 90-95, la Garde civile et la Division spéciale présidentielle (DSP) faisaient partie des unités les plus équipées et respectées du pays. Elle regroupait officiellement 26 000 hommes avec un budget qui n’avait rien à envier aux Forces armées zaïroises (FAZ), pourtant quatre fois plus nombreuses que les éléments de la Garde civile.
À la chute du régime de Mobutu en 1997, avec l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, la Garde civile a été dissoute ou intégrée dans d’autres forces armées. Beaucoup de ses éléments ont été intégrés dans les nouvelles Forces armées congolaises (FAC) de l’époque, créées par Laurent-Désiré Kabila. Avec le recul, cette Garde civile est perçue comme un symbole de la militarisation de l’ordre public sous Mobutu. Elle incarne également l’une des multiples forces parallèles créées dans le but de consolider un régime autoritaire, souvent au détriment des droits humains et de la démocratie.
1997 : D’une force de police hybride à la PNC
Après sa prise de pouvoir, le président Laurent-Désiré Kabila dissout plusieurs structures de l’ancien régime, y compris la gendarmerie nationale et la Garde civile, qui étaient les principales forces de sécurité intérieure sous Mobutu. Il crée alors une force de sécurité hybride appelée Police nationale congolaise (PNC). Mais dans un contexte de guerre civile (Première et deuxième guerre du Congo), la ligne de démarcation entre militaires et policiers est restée floue. Ce service peu organisé et encore brouillon n’avait pas connu de succès. Laurent-Désiré Kabila tentait de l’organiser avec des moyens de bord.
À Kinshasa, des recrutements et formations des civils se faisaient dans des terrains de football, notamment au stade Vélodrome de Kintambo. Peu professionnelle et mal formée, la PNC sera souvent accusée d’abus. Après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001, la police va de nouveau connaître une réforme en 2003. Cette fois-là, elle sera sous supervision internationale. Le régime de transition issu de l’accord de Sun City va conduire des réformes avec l’appui de la communauté internationale (MONUC puis MONUSCO). La Police nationale congolaise (PNC) est véritablement créée en 2002 par la loi comme une force apolitique, professionnelle et civile, distincte des forces armées. La PNC devient l’unique force de police nationale au pays, avec pour mission : le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens, la prévention et la répression de la criminalité. Elle est dirigée par le général John Numbi. En 2010, à la suite de l’assassinat du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana, le général John Numbi, alors chef de la PNC, est suspendu. Charles Bisengimana assure l’intérim à la tête de la police congolaise. Né le 21 août 1964 à Bibangwa, dans le Haut-Plateau d’Uvira, dans la province du Sud-Kivu, ce spécialiste en droit, criminologie et sciences policières de l’Académie de police d’Égypte va être confirmé à son poste par le président Joseph Kabila. Sous sa direction, la PNC met en place des unités spécialisées dans la protection de l’enfance et la lutte contre les violences faites aux femmes. Charles Bisengimana n’hésite pas à se féliciter de la transformation de la RDC, autrefois qualifiée de « capitale mondiale du viol », en un modèle de lutte contre ces violences. Même si sa direction de la police a été émaillée des critiques suite à la répression sanglante des manifestations populaires en 2015, 2016 et 2017. Il sera remplacé 7 ans plus tard par le général Dieudonné Amuli, un transfuge des FARDC.
2025 : Tshisekedi fait le ménage au sein de la Police
Tout au long de son existence, la PNC a été soumise à plusieurs réformes. Ce processus s’est souvent heurté à de nombreux défis, même si des avancées notables ont également été enregistrées. En 2025, dans une série d’ordonnances signées le 28 mars et rendues publiques le 2 avril, le président de la République, Félix Tshisekedi, a procédé à la nomination des commissaires provinciaux de la police, ainsi que d’autres responsables de ce service. Une décision qui intervient après des changements opérés fin 2024 au sein des FARDC.
« Le président est dans une quête permanente de l’efficacité de nos forces de défense et de sécurité », résume un analyste des questions sécuritaires. En 2023, le patron de la Police, Dieudonné Amuli, a été admis à la retraite. Félix Tshisekedi a alors nommé Benjamin Alongaboni à la tête de l’institution. D’autres nominations et permutations ont été effectuées au sein des commissariats provinciaux, mais aussi dans différentes directions de la police.
À Kinshasa, le commissaire divisionnaire Israël Kantu Bankulu a été nommé commandant de ville, en remplacement du commissaire divisionnaire adjoint Blaise Kilimbalimba, désormais affecté comme commandant de la police dans la province du Haut-Katanga. L’ancien chef de la police de Kinshasa, Sylvano Kasongo, précédemment affecté au Kasaï, prend désormais la direction de la province du Bas-Uélé.
D’autres services de la police ont également connu des changements d’animateurs. Le commissaire Ngoy Sengolakio a été nommé commandant de l’Unité de protection des hautes personnalités (UPHP). Le commissaire divisionnaire Elias Tshibangu Tumbila a été désigné inspecteur général adjoint de la PNC, chargé de l’appui et de la gestion au sein du Commandement de l’Inspection générale. Quant au commissaire divisionnaire Isaac Bertin Balekukayi Mwakadi, il a été nommé commissaire général adjoint chargé de la Police judiciaire, au sein du Commandement du commissariat général de la PNC.
La hiérarchie de la police est demeurée stable. Depuis 2023, elle est dirigée par le commissaire divisionnaire principal Benjamin Alongaboni.
Comme dans les rangs de l’armée, Félix Tshisekedi souhaite une montée en puissance du service de police. Avec ce programme de réforme ambitieux, Kinshasa entend redorer l’image d’une police longtemps critiquée pour son inefficacité dans la protection des civils. Les cinq prochaines années seront déterminantes pour tester la mise en œuvre de ces réformes.
Heshima Magazine
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RDC : Quels risques politiques en cas de dissolution du PPRD et de 3 autres partis ?
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1 jour agoon
mai 19, 2025By
La redaction
Dans une démarche audacieuse qui secoue le paysage politique de la République démocratique du Congo (RDC), le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a saisi la justice le 24 avril 2025 pour demander la dissolution de quatre partis politiques, dont le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), dirigé par l’ancien président Joseph Kabila. Cette initiative, motivée par des accusations de complicité avec des groupes armés, suscite un vif débat sur l’équilibre entre sécurité nationale et libertés politiques dans un pays marqué par des tensions persistantes.
Le PPRD, fondé en 2002 par Joseph Kabila, a longtemps dominé la scène politique congolaise. Sous la présidence de Kabila, de 2001 à 2019, le parti a exercé une influence considérable, remportant notamment une majorité parlementaire en 2006. Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en 2019, les relations entre le nouveau régime et le camp de Kabila se sont détériorées, marquées par des accusations mutuelles de déstabilisation. L’Est de la RDC, en proie à des conflits armés impliquant des groupes comme l’Alliance Fleuve Congo (AFC) dans laquelle fait partie le Mouvement du 23 mars (M23), constitue un défi majeur pour le gouvernement Tshisekedi. C’est dans ce climat d’instabilité que s’inscrit la décision de cibler des partis politiques soupçonnés de collusion avec des groupes rebelles, une démarche qui reflète la volonté du gouvernement de renforcer son contrôle sur la sécurité nationale.
Accusations de collusion avec des groupes armés
Le ministère de l’Intérieur reproche au PPRD, ainsi qu’à l’ Action pour la dignité du Congo et de son peuple (ADCP) de Corneille Nangaa, à la Convention pour la révolution populaire (CRP) de Thomas Lubanga et au Mouvement Lumumbiste progressiste (MLP) de Franck Diongo, d’avoir soutenu des activités menaçant l’intégrité nationale. Pour le PPRD, les griefs incluent la présence d’anciens cadres dans les rangs de l’AFC/M23, des déclarations de Joseph Kabila interprétées comme un soutien implicite à ce groupe rebelle, et son passage supposé à Goma, une ville sous influence rebelle. Ces accusations s’appuient sur des textes légaux interdisant aux partis politiques de s’associer à des insurrections armées et imposant des obligations spécifiques aux anciens présidents. La procédure judiciaire, entamée après la suspension des activités du PPRD le 19 avril 2025, vise à obtenir une dissolution définitive, une mesure que Jacquemain Shabani présente comme indispensable pour protéger l’unité du pays.
Contestation de la procédure
Face à ces accusations, le PPRD a dénoncé une tentative de répression politique orchestrée par le régime Tshisekedi. La coordination diaspora de ce parti, dirigée par Sandra Nkulu Kyungu, a qualifié la requête de manœuvre visant à anéantir un adversaire politique, allant jusqu’à évoquer un “génocide politique”. De l’autre côté, les dirigeants du PPRD affirment n’avoir reçu aucune convocation judiciaire formelle et considèrent la présence policière à leur siège comme une violation des procédures légales. En avril 2024, le secrétaire permanent du PPRD, Emmanuel Ramazani Shadary, avait rejeté des allégations similaires, qualifiant les accusations de soutien à l’AFC/M23 de “sans fondement” et critiquant le gouvernement pour des politiques jugées contraires à la souveraineté nationale. De son côté, le secrétaire permanent adjoint de ce parti, Ferdinand Kambere, conteste la procédure initiée par le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur. « La loi est claire : celui qui demande la dissolution, c’est le procureur, saisi à la suite d’une décision de suspension. Ce n’est pas le ministre. Nous, nous n’avons jamais été convoqués à ce sujet. Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, aucun parquet n’a convoqué le PPRD », a-t-il réagi.
Le PPRD a annoncé son intention de contester la dissolution par des recours judiciaires.
Quels risques politiques ?
La décision du gouvernement divise l’opinion publique en RDC. De nombreux Congolais, en particulier dans les régions affectées par l’insécurité, soutiennent l’initiative de Jacquemain Shabani, y voyant une mesure décisive pour couper les réseaux de soutien aux groupes armés qui déstabilisent l’est du pays. Des voix au sein de la société civile, comme l’ONG Paix et Réconciliation, saluent cette action comme un signal fort contre toute forme de collusion avec des forces rebelles, un objectif prioritaire pour le régime de Tshisekedi. « Le gouvernement a le devoir de protéger la population contre ceux qui, sous couvert d’activités politiques, alimentent le chaos », a déclaré un représentant de cette organisation. Cependant, d’autres Congolais perçoivent cette initiative comme une atteinte aux libertés démocratiques, craignant qu’elle ne serve de prétexte pour museler l’opposition. Des analystes politiques, comme Josaphat Kalubi, mettent en garde contre les risques d’une telle démarche : la dissolution du PPRD pourrait pousser certains de ses membres vers la rébellion ou l’exil, aggravant la crise actuelle.
Vers un tournant politique majeur ?
Le dossier, actuellement examiné par la Cour constitutionnelle, devrait connaître une issue dans les semaines à venir. Cette bataille judiciaire pourrait redessiner le paysage politique congolais. Si la dissolution est prononcée, elle renforcerait la position de Félix Tshisekedi dans sa lutte contre les groupes armés, mais au risque d’une polarisation accrue et d’une érosion de la confiance dans les institutions. En revanche, un rejet de la requête pourrait galvaniser l’opposition, tout en exposant les difficultés du gouvernement à étayer ses accusations. Alors que la RDC aspire à consolider la paix dans ses régions troublées, le régime Tshisekedi marche sur une corde raide, cherchant à concilier impératifs sécuritaires et respect des principes démocratiques. Dans ce climat d’incertitude, la capacité du gouvernement à gérer les retombées de cette initiative sera scrutée de près, tant par les Congolais que par la communauté internationale.
Heshima Magazine
Nation
Jules Alingete Key : un héritage de rigueur à la tête de l’IGF
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1 jour agoon
mai 19, 2025By
La redaction
Lorsque Jules Alingete Key prend les rênes de l’Inspection Générale des Finances (IGF) en juillet 2020, la République démocratique du Congo (RDC) s’enfonce dans un marasme marqué par des détournements endémiques et une absence criante de redevabilité. Nommé par le Président Félix Tshisekedi, le nouvel Inspecteur général hérite d’un organe presque figé, souvent relégué au rang de spectateur face aux abus. En cinq années de mandat, il transforme l’IGF en un véritable levier de transparence, au point d’en faire un rempart contre les antivaleurs. En mai 2025, il passe le flambeau à Christophe Bitasimwa, non pas en retraité d’un poste, mais en dépositaire d’un héritage institutionnel sans précédent.
Né le 25 juin 1963 à Kinshasa, originaire de Kutu (Mai-Ndombe), Jules Alingete est un pur produit de l’école congolaise. Diplômé en sciences économiques de l’Université de Kinshasa en 1988, il intègre l’IGF dès la fin de ses études. La suite est une ascension constante dans les arcanes de la finance publique : conseiller au ministère des Finances, coordonnateur au cabinet du gouverneur de Kinshasa, puis directeur des recettes à la DGRK (Direction générales des recettes de Kinshasa) entre 2008 et 2010. Son retour à l’IGF comme inspecteur général des finances s’inscrit dans la vision d’un chef de l’État décidé à restaurer la probité dans la gestion publique.
L’IGF, de l’ombre à la lumière
Avant 2020, l’IGF peinait à imposer son autorité, bridée par des diverses contraintes et un sous-effectif chronique. Avec Alingete, tout change : les patrouilles financières deviennent régulières, les audits surprises se multiplient, les synergies avec la justice s’intensifient. L’IGF passe de 55 à 225 inspecteurs en l’espace de quatre ans. L’institution est équipée, réarmée, et surtout, libérée. Car Félix Tshisekedi lui accorde une autonomie budgétaire et opérationnelle inédite, condition sine qua non pour frapper haut, fort et juste. En mai 2025, Africanewsrdc.net souligne que cette indépendance aura été la pierre angulaire de la mutation de l’IGF.
Des enquêtes au retentissement national
Le travail d’Alingete n’est pas seulement quantifiable. Il est visible et palpable. L’affaire Bukanga-Lonzo, révélée par l’IGF, expose un détournement de 285 millions de dollars autour d’un projet agro-industriel pourtant promu comme vitrine de l’autosuffisance alimentaire. L’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo est mis en cause, les procédures judiciaires sont en cours.
En 2022, l’audit de la Gécamines jette une lumière accablante sur une décennie de gestion opaque, mettant en évidence des pertes colossales liées à des contrats léonins et à une corruption systémique. Le scandale secoue le secteur minier, précipitant des réformes indispensables. Deux ans plus tard, en 2024, c’est au tour du Fonds Minier de subir un examen minutieux. Les malversations révélées conduisent à la révocation du directeur général. En juillet 2024, ces mesures ont permis la suspension de plusieurs responsables et la renégociation de contrats déséquilibrés, rétablissant ainsi une répartition plus équitable des revenus miniers.
Mais l’enquête sur les contrats chinois, et en particulier la convention minière dite « Sicomines », signée en 2008 entre la RDC et un consortium d’entreprises chinoises, pourrait bien s’imposer comme l’un des dossiers les plus emblématiques du mandat d’Alingete. Dans un rapport explosif publié en février 2023, l’IGF révèle que la partie chinoise a empoché un bénéfice de 76 milliards de dollars, tandis que la RDC n’a reçu que 3 milliards pour des infrastructures. L’IGF dénonce un « déséquilibre financier majeur » défavorable à l’État congolais. L’enquête met en évidence que les engagements de la partie chinoise, notamment l’investissement de 3 milliards USD en infrastructures, sont largement insuffisants au regard des ressources minières déjà extraites. Le contrat, d’une disproportion flagrante, laisse plus de 90 % des bénéfices économiques aux entreprises chinoises, au détriment du Trésor congolais.
À la suite de la publication de ce rapport, le gouvernement de Félix Tshisekedi initie une renégociation des termes du contrat. En mars 2024, cette démarche débouche sur un nouvel accord plus avantageux pour la RDC : la valeur des infrastructures est revue à la hausse, la répartition des dividendes ajustée et un contrôle plus rigoureux est instauré sur les exportations de minerais. Un avenant à cette convention permet à la RDC d’obtenir 7 milliards USD pour la construction de 6 000 kilomètres de routes sur 15 ans. Cette révision, saluée par plusieurs chancelleries occidentales, témoigne de l’influence croissante de l’IGF sur la politique économique du pays, et de sa capacité à peser sur des décisions à l’échelle nationale.
Autre chantier majeur : l’éducation. L’IGF révèle une fraude massive au sein de l’Enseignement primaire, secondaire et technique (EPST), estimée à 62 milliards de CDF détournés chaque mois. Cette découverte entraîne une réaction en chaîne, culminant en mars 2024 par la condamnation, par la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe, de deux hauts responsables de l’EPST : Michel Djamba, Inspecteur général de l’EPST, et Delphin Kampayi, directeur du Service de contrôle de la paie du personnel enseignant (SECOPE), à 20 ans de travaux forcés. Les deux hommes ont été reconnus coupables de détournement de fonds publics. Grâce à l’action décisive de l’IGF, cette hémorragie financière a été stoppée net, permettant ainsi de réorienter ces ressources vers la politique de gratuité scolaire, l’une des réformes sociales phares du quinquennat de Tshisekedi.
Une baisse tangible de la corruption
Dans cette lutte sans relâche contre la corruption, le bilan de Jules Alingete, chef de l’IGF, est éloquant. En mars 2025, lors de l’émission « Fauteuil Blanc », il a déclaré que « le taux de corruption est passé de 80 % à 50 % en cinq ans grâce à la détermination de Tshisekedi ». Il a ajouté : « Si vous examinez les statistiques des finances publiques en 2019 et 2020, vous comprendrez d’où nous venons. À cette époque, la corruption était profondément enracinée dans l’ADN des gestionnaires ». Ces propos interviennent dans un contexte où la RDC a enregistré des avancées significatives dans la lutte contre la corruption. L’Indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International atteste de cette amélioration. « En cinq ans, nous avons gagné environ 15 places au classement de Transparency International. Cela prouve que des efforts considérables ont été réalisés », a précisé Alingete, soulignant ainsi les progrès notables accomplis dans la gouvernance financière du pays.
Ces avancées ont contribué à améliorer l’image de la RDC sur la scène internationale, facilitant l’accès aux financements et rassurant les bailleurs de fonds. La rigueur instaurée par l’IGF sous la direction d’Alingete a ainsi joué un rôle clé dans la redynamisation de l’économie nationale et la restauration de la confiance des partenaires internationaux.
L’IGF, désormais logée à sa hauteur
En octobre 2024, l’IGF a franchi une étape symbolique de son renouveau en inaugurant un nouveau siège moderne de huit étages à Kinshasa, baptisé « Immeuble Étienne Tshisekedi wa Mulumba ». Ce bâtiment moderne, financé sur fonds propres, abrite 150 bureaux, six salles de réunion et un amphithéâtre de 250 places. Selon les informations partagées par le service de communication de l’IGF, sa construction a scrupuleusement respecté les normes de passation de marchés, un détail hautement significatif pour une institution dédiée à la transparence. « Ce bâtiment incarne notre autonomie retrouvée », déclarait alors Jules Alingete lors de l’inauguration.
Au-delà de ses dimensions, l’impressionnant édifice symbolise la transformation de l’IGF en une institution proactive et indépendante. Lors de la cérémonie d’inauguration, le président Félix Tshisekedi a souligné l’importance de doter les organes de contrôle des moyens nécessaires pour mener à bien leur mission. Alingete, pour sa part, a exprimé sa gratitude envers le chef de l’État pour avoir revitalisé les institutions de lutte contre la corruption, en particulier l’IGF. Il a également mis en lumière les politiques internes visant à renforcer l’intégrité du personnel, notamment l’acquisition de plus de 280 véhicules individuels et la mise en place de crédits immobiliers pour les inspecteurs, afin de les prémunir contre les tentations susceptibles de compromettre leur éthique professionnelle. Ces initiatives témoignent de l’engagement de l’IGF à maintenir des standards élevés de gouvernance et de transparence.
Alingete a souvent souligné que les succès de l’IGF sont le fruit d’une volonté politique affirmée. Il a déclaré : « Nous sommes dans la droite ligne des instructions données par le président de la République en vue d’incarner sa vision en matière de lutte contre la corruption. » Il a également exprimé son soutien indéfectible aux réformes initiées par Félix Tshisekedi, affirmant : « Recevez l’assurance de mon soutien pour toutes les réformes visant à bâtir une nation plus juste, plus transparente et résolument tournée vers un lendemain meilleur. » Ces propos illustrent la collaboration étroite entre l’IGF et la présidence, essentielle à la réussite des initiatives de bonne gouvernance. Il a ajouté que ce nouveau bâtiment représente « une nouvelle vision pour des finances publiques saines », mettant en avant l’engagement renouvelé de son institution en faveur de la bonne gouvernance.
Ces déclarations témoignent de la reconnaissance d’Alingete envers le soutien constant de Félix Tshisekedi, sans lequel les progrès réalisés par l’IGF n’auraient pas été possibles. Elles illustrent également la synergie entre la présidence et l’IGF pour instaurer une gestion transparente et responsable des finances publiques en RDC.
Un effet levier sur l’économie nationale
L’impact de cette rigueur dépasse les chiffres de l’IGF. Entre 2019 et 2025, le budget national explose, passant de 4 à 18 milliards USD. Cette hausse spectaculaire est alimentée par une mobilisation accrue des recettes et une réduction drastique des fuites financières. En traquant les détournements, l’IGF a permis à l’État de redéployer ses ressources vers des secteurs clés tels que l’éducation de manière générale, la santé, les infrastructures et la gratuité de l’enseignement primaire.
Sous la houlette de Jules Alingete, les régies financières ont été mieux encadrées et ont enregistré des performances inédites. En 2022, la Direction générale des impôts (DGI) dépasse largement ses objectifs : plus de 18 mille milliards de CDF collectés contre des assignations de 11,7 mille milliards, soit un taux de réalisation de près de 130 %. L’exigence d’attestations fiscales pour les fournisseurs de l’État a également asséché les circuits de fraude.
Par ailleurs, l’IGF a intercepté plus d’un milliard de dollars de dépenses publiques jugées irrégulières rien qu’en 2023, limitant les déperditions budgétaires et réorientant les crédits vers des usages conformes. Cette rigueur a contribué à asseoir une discipline budgétaire rarement observée ces dernières décennies.
Ces gains de transparence, conjugués à une volonté politique ferme au sommet de l’État, ont redonné à l’administration congolaise des marges de manœuvre inédites. La RDC, longtemps classée parmi les pays les plus corrompus du monde, a commencé à inverser la tendance, en témoigne le regain de confiance des bailleurs de fonds et des investisseurs. Pour beaucoup, la rigueur imposée par Alingete a été un véritable levier de relance macroéconomique.
Une reconnaissance méritée
Les distinctions pleuvent : prix Forbes Best of Africa aux Etats-Unis, Anti-Corruption Best Price, Trophée Muana Mboka, Congo ya Sika, Tombwama, et bien d’autres. Chaque trophée n’est pas qu’une médaille honorifique. Il est la preuve qu’un changement est possible quand la volonté politique rencontre la compétence technique. Ces récompenses, tant nationales qu’internationales, soulignent l’impact significatif des actions menées par Jules Alingete à la tête de l’IGF. Elles témoignent de la reconnaissance de ses efforts dans la lutte contre la corruption et la promotion de la transparence en RDC.
En recevant le prix Forbes Best of Africa, Alingete a été salué pour son engagement envers les réformes économiques et la bonne gouvernance. Le Trophée Muana Mboka et le prix Congo ya Sika reflètent l’appréciation nationale pour son dévouement au service public et son rôle dans la transformation du paysage financier du pays. Des distinctions qui démontrent et renforcent la crédibilité de l’IGF et encouragent la poursuite des efforts pour instaurer une culture de responsabilité et d’intégrité au sein des institutions publiques.
Sous pression, mais jamais ébranlé
Son combat, Alingete ne l’a pas mené dans un cocon. Attaqué, menacé, diabolisé, il a tenu, soutenu sans faille par Tshisekedi. Le média congolais Ouragan.cd titrait en septembre 2024 : « L’homme à abattre », affirmant qu’il était la cible de mandataires publics véreux. Mais les attaques glissent sur un homme qui, à force de loyauté institutionnelle et de détermination, a rendu à l’IGF son autorité naturelle.
L’estime des pairs, l’adhésion du peuple
Au fil de son mandat à la tête de l’IGF, Jules Alingete a suscité une admiration croissante, tant parmi les experts que dans la population congolaise. Ses actions déterminées contre la corruption et sa rigueur dans la gestion des finances publiques ont été saluées par de nombreux observateurs. Jean-Pierre Tinda, analyste financier, souligne : « Grâce à Alingete, détourner n’est plus sans conséquence. » Marie-Claire Mbombo, économiste, affirme : « Il a redonné une âme à une institution oubliée. » Didier Katshungi, professeur de droit, observe : « Son nom est désormais synonyme d’intégrité. » Le professeur Albert Kikoso, spécialiste en gouvernance, déclare : « Un mur érigé contre la prédation. » Et Fatuma Kibati, active dans l’immobilier à Kinshasa, témoigne : « Grâce à lui, beaucoup commencent à respecter la loi sur les marchés publics. »
Ces témoignages reflètent l’impact profond de son action sur la société congolaise. En incarnant une lutte sans relâche contre les détournements de fonds publics, pour Jin Kazama, président d’une ONG des droits de l’homme, Alingete a non seulement renforcé la crédibilité de l’IGF, mais a également restauré la confiance des citoyens dans les institutions de l’État.
Une dynamique impulsée par le sommet
Pour Jules Alingete, les résultats engrangés par l’IGF s’inscrivent avant tout dans le sillage d’une volonté politique forte exprimée au sommet de l’État. À plusieurs reprises, il a salué l’engagement du président Félix Tshisekedi comme le socle qui a permis à l’IGF d’émerger comme acteur central de la lutte contre la corruption. « Si vous entendez parler de l’IGF aujourd’hui, c’est parce qu’il y a une volonté politique ferme qui accompagne ce travail », déclarait-il en 2023, soulignant que le chef de l’État a su « créer les conditions d’une action libre et rigoureuse ».
En septembre 2024, à l’issue d’une rencontre avec le chef de l’État, il affirmait encore : « Nous sommes dans la droite ligne des instructions données par le président de la République en vue d’incarner sa vision en matière de lutte contre la corruption ». Cette ligne directrice, Alingete l’a constamment revendiquée, notamment lors de l’inauguration du siège flambant neuf de l’IGF en octobre 2024, où il saluait « le soutien permanent du président Tshisekedi au travail difficile mais salutaire abattu par les inspecteurs ».
Dans ses vœux du Nouvel An 2025, il réitérait cette reconnaissance : « Votre engagement indéfectible pour le progrès de notre pays inspire confiance et espoir. L’IGF poursuivra sa mission dans cet esprit ». À ses yeux, l’IGF n’aurait pu jouer ce rôle sans l’impulsion et la protection du Chef de l’État Tshisekedi. Une conviction qu’il porte comme un leitmotiv : « la rigueur n’est possible que lorsqu’elle est soutenue par le sommet de l’État. »
Bitasimwa, la relève sous tension
Le successeur de Jules Alingete, Christophe Bitasimwa, prend les rênes d’une institution désormais bien ancrée, mais confrontée à de nouveaux défis. La corruption numérique, les réseaux transnationaux, les fraudes de plus en plus sophistiquées…, autant de fronts sur lesquels il devra s’imposer. Le financier Alexis Kita met en garde : « L’ère Bitasimwa commence dans l’ombre d’un géant. » Cependant, le socle est solide, bâti par un homme et un président dont les parcours ont marqué l’histoire de l’IGF. Lors de la cérémonie de remise et reprise, le 15 mai, Bitasimwa n’a pas manqué de saluer le travail de son prédécesseur : « Tout le monde sait à quel niveau il a porté cette institution […] Aujourd’hui, cette institution est très respectée. La population fonde beaucoup d’espoir sur l’IGF. On ne peut que le lui reconnaître ce travail abattu et le leadership qu’il a imprimé à ce service. » Selon lui, la grandeur de l’œuvre laissée par Alingete est telle qu’il est impossible de le remplacer, mais « on lui succède ».
Une sortie avec panache
En mai 2025, Jules Alingete quitte ses fonctions, non comme un fonctionnaire à la retraite, mais comme un bâtisseur qui laisse un édifice debout. L’IGF d’aujourd’hui n’a plus rien de celle d’hier. Son passage à la tête de l’institution aura marqué une rupture, une renaissance. Et si son avenir reste à écrire, son héritage, lui, est déjà inscrit dans l’histoire administrative du pays.
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