Depuis 2006, la République Démocratique du Congo (RDC) vit une escalade sans précédent des émoluments des parlementaires. Tandis que la majorité de la population peine à survivre, les rémunérations des députés et sénateurs connaissent une augmentation exponentielle, alimentant des débats houleux sur les inégalités sociales et la responsabilité des élus. Cette situation, bien au-delà des chiffres, reflète des déséquilibres profonds dans la gestion des ressources publiques et la vocation même de la politique au sein du pays.
2006 : des gros émoluments pour une transition fragile
La transition démocratique amorcée en 2006, après les accords de Sun City (2003), avait pour objectif de stabiliser un pays déchiré par des décennies de guerre. Dans ce contexte, des mesures extraordinaires furent adoptées pour garantir une certaine cohésion entre les différentes forces politiques au sein du Parlement. Ainsi, un député national percevait environ 4 000 USD par mois.
À l’époque, cette somme, bien plus importante que sa valeur actuelle, avait pour objectif d’inciter les élus à soutenir le processus de paix, en leur offrant une forme de récompense ou un « partage du gâteau ». Toutefois, cette décision a engendré un fossé salarial abyssal. Tandis que les parlementaires jouissaient de rémunérations confortables, les fonctionnaires, enseignants, militaires et policiers se débattaient dans une précarité extrême, leurs salaires mensuels se situant autour de 100 USD. Cette inégalité a semé les graines d’un mécontentement social grandissant, qui n’a cessé de croître au fil des années.
2011-2018 : Une ascension continue des rémunérations parlementaires
Entre 2011 et 2018, les émoluments des députés nationaux et sénateurs ont presque doublé. En 2011, un parlementaire touchait déjà un salaire de base de 6 000 USD, augmenté par des primes et indemnités pouvant atteindre un total de 10 000 USD par mois. Ces augmentations se poursuivirent malgré une pauvreté persistante et des revendications sociales toujours croissantes.
En 2018, les députés percevaient environ 12 000 USD mensuels, une rémunération qui dépassait largement celle des parlementaires dans des pays voisins aux économies pourtant plus stables, comme le Kenya, où un député gagnait environ 3 000 USD par mois. Pendant ce temps, le salaire d’un enseignant congolais stagnait entre 80 et 100 USD, et les militaires et policiers nouvelles recrues recevaient en francs congolais une somme représentant moins de 70 USD.
Cette période fut marquée par de nombreuses grèves dans les secteurs de l’éducation et de la santé, dénonçant l’abandon des agents de l’État. Ces mouvements sociaux révélèrent un contraste frappant : un Parlement considéré comme privilégié, face à une population de plus en plus méfiante envers ses dirigeants.
2019-2023 : Une explosion des émoluments sous Tshisekedi
Avec l’élection de Félix Tshisekedi en 2019, l’espoir d’une réforme des finances publiques s’installa. Cependant, ces attentes furent rapidement déçues. Dès 2021, des documents officiels firent état de salaires atteignant 21 000 USD par mois pour les députés nationaux. Ces montants incluaient des indemnités de logement, de transport, de communication et d’autres avantages.
Ces chiffres suscitèrent l’indignation de l’opinion publique, d’autant plus que les enseignants, policiers et agents de l’État continuaient de travailler dans des conditions précaires. À ces écarts s’ajoute une gestion financière opaque, où les budgets alloués aux secteurs sociaux sont souvent détournés pour couvrir les dépenses exorbitantes des institutions parlementaires.
Un engouement pour la politique motivé par l’appât du gain
La hausse constante des émoluments parlementaires a engendré un phénomène inquiétant. De plus en plus de Congolais se lancent en politique non par vocation ou volonté de servir, mais attirés par l’appât du gain.
Les milliers de dollars que perçoivent les députés attirent toutes sortes de personnes, souvent sans vocation ni vision pour la nation. Cette dérive représente un danger pour l’avenir de la RDC. Lorsque l’ambition politique se limite à l’argent, l’État est menacé de désintégration. Cela explique en partie pourquoi le pays peine à vaincre les défis sécuritaires, notamment dans l’Est, malgré des investissements colossaux. Comment la RDC peut-elle espérer prospérer lorsque sa classe politique semble davantage motivée par l’appât du gain que par un réel désir de servir ?
Un nombre croissant de candidats à chaque élection
Les résultats des élections législatives de 2023 témoignent de cet engouement. Le nombre de candidats à la députation nationale a atteint un niveau record, marquant une progression notable par rapport aux scrutins précédents. En 2006, 8 757 candidats s’étaient présentés ; ce chiffre a bondi à 18 386 en 2011, puis a légèrement diminué en 2018 pour atteindre 15 355. Cependant, en 2023, il a explosé à 24 802. Cette augmentation constante reflète une véritable ruée vers des positions perçues comme lucratives, exacerbant le risque d’accueillir des individus non qualifiés ou purement opportunistes dans des fonctions clés.
Les députés provinciaux ne sont pas en reste
Les députés provinciaux ne sont pas en reste. À Kinshasa par exemple, ceux de la législature 2019 – 2023 percevaient environ 10 000 USD par mois hors primes. Ces montants, également jugés exorbitants, sont souvent couverts par des budgets provinciaux déjà insuffisants pour répondre aux besoins des populations locales. Cette tendance renforce la perception d’une classe politique davantage préoccupée par ses intérêts que par ceux de la nation.
Conséquences des disparités salariales
La montée en flèche des émoluments parlementaires, couplée à la stagnation des salaires des agents publics, entraîne plusieurs conséquences. D’une part, elle accentue les inégalités sociales et fragilise la confiance dans les institutions. D’autre part, elle détourne des ressources cruciales des secteurs prioritaires comme l’éducation et la santé.
Une réforme urgente pour sauver la RDC
Pour rétablir un équilibre, une réforme des émoluments des parlementaires s’impose. Il est impératif de réduire ces rémunérations et de les harmoniser avec les réalités économiques du pays. Parallèlement, les salaires des agents publics doivent être revalorisés pour améliorer les conditions de vie et redynamiser les services publics.
La transparence financière est également essentielle : des mécanismes de contrôle rigoureux doivent être mis en place pour garantir une gestion équitable des fonds publics. Enfin, il est crucial d’investir dans des secteurs vitaux, en commençant par l’éducation, la santé et la sécurité, pour restaurer la confiance des citoyens et assurer un développement durable.
Réinventer la politique pour préserver l’unité nationale
L’avenir de la RDC dépend de sa capacité à instaurer une gouvernance centrée sur le bien commun et à mettre fin à la perception de la politique comme une source d’enrichissement personnel. Le pays est à la croisée des chemins. La prochaine législature devra décider si elle est prête à sacrifier des privilèges excessifs pour l’intérêt général ou si elle continuera sur la voie de l’injustice sociale et des inégalités. Restaurer la vocation et l’intégrité dans la classe politique est essentiel pour éviter que la nation ne s’effondre sous le poids de ses propres dérives, et finisse par disparaître.
Heshima