Lors d’une rencontre avec les membres de l’Union sacrée de la Nation, à Kinshasa, le président de la République Félix Tshisekedi a avancé l’idée d’un gouvernement d’union nationale. Le chef de l’État a insisté sur la nécessité de dépasser les clivages internes pour affronter les menaces extérieures. Mais cette idée va-t-elle aider à résoudre la crise sécuritaire actuelle ? Retour sur une brève histoire des gouvernements d’union nationale en République démocratique du Congo (RDC).
Dans son histoire, la RDC a connu des moments où les dirigeants ont eu recours à des gouvernements d’union nationale. Ce sont des entités politiques temporaires créées dans des contextes de crise politique, souvent pour assurer la paix et la réconciliation nationale. Ces gouvernements ont été une réponse aux tensions internes, aux conflits armés, et aux divisions politiques, dans le but de former un gouvernement de large coalition afin de garantir la stabilité et la transition vers un système démocratique plus inclusif. Cette pratique politique remonte à plusieurs années.
Gouvernement d’union nationale de 1964-1965
Après l’indépendance de la RDC le 30 juin 1960, le pays a traversé une période de turbulences politiques, avec des conflits internes et des tensions entre les différentes factions politiques. La rébellion, qui a duré de 1961 à 1964, a exacerbé la situation. Cette rébellion, appelée « Simba », est une insurrection qui a eu lieu, de 1961 à 1964, au Congo-Léopoldville, en réaction aux abus du gouvernement central congolais. Menée par Antoine Gizenga et Pierre Mulele, elle est parfois appelée rébellion « muleliste » du nom de ce dernier. Pour fédérer les politiques à l’époque, le président Joseph Kasa-Vubu a mis en place un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement a été formé par le Premier ministre Evariste Kimba en réponse à la guerre civile et aux tensions politiques. Il a impliqué une coopération entre différentes forces politiques et régionales, bien qu’il n’ait pas réussi à établir une stabilité durable. Cependant, cette équipe a rapidement été remplacée par un régime plus autoritaire sous le maréchal Mobutu Sese Seko en 1965.
Gouvernement d’union nationale de 1991-1992
Dans les années 1990, le président Mobutu a fait face à une pression croissante pour réformer son régime autoritaire. En 1991, après des émeutes et des manifestations contre son régime, il finira par accepter de convoquer une conférence nationale dite « souveraine » pour mettre en place des réformes politiques. En 1992, un gouvernement d’union nationale a été formé dans le but de créer une transition vers un système multipartite et démocratique. Dirigé par le Premier ministre Etienne Tshisekedi, ce gouvernement a vu la participation de différentes forces politiques et a été perçu comme une tentative de rétablir un équilibre entre les factions rivales, à savoir l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et le MPR mais aussi d’autres courants politiques nés pendant cette ouverture politique. Cependant, cette période de transition a été marquée par des tensions internes et l’instabilité. Ce gouvernement n’aura duré qu’environ 4 mois.
Gouvernement de large union après la guerre de 1998-2003
La plus grande et la plus importante expérience de gouvernement d’union nationale en RDC a eu lieu après la guerre de 1998-2003. Ce conflit a impliqué de nombreuses factions internes et des puissances étrangères, notamment le Rwanda et l’Ouganda. Le conflit a opposé les Forces armées congolaises (FAC) du président Laurent-Désiré Kabila à des groupes rebelles composés notamment du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) de Azarias Ruberwa, du RCD/KML de Mbusa Nyamwisi et le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, avec l’appui de pays voisins comme le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Pour trouver la paix, il y a eu d’abord l’Accord de Lusaka (1999) puis l’Accord Global et Inclusif (2002-2003).
Après plusieurs tentatives infructueuses de négociation de la paix, l’Accord de Lusaka a été signé entre le gouvernement de Laurent-Désiré Kabila et les groupes rebelles. Cependant, cet accord n’a pas suffi à instaurer la paix. La situation a continué à se détériorer, jusqu’à la signature de l’Accord Global et Inclusif en 2002, qui a permis la création d’un gouvernement d’union nationale formé de diverses factions politiques, incluant des membres du gouvernement, des rebelles, des groupes de la société civile et des politiciens issus de différentes régions du pays. Au sommet du pays, une formule a été trouvée, le 1+4. C’est-à-dire, un président de la République (Joseph Kabila, successeur de son père assassiné en 2001) et les quatre vice-présidents issus en majorité de la rébellion, à savoir Azarias Ruberwa, Jean-Pierre Bemba, Arthur Z’ahidi Ngoma et Yerodia Abdoulaye Ndombasi.
Ce gouvernement, dirigé par Joseph Kabila après l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila en 2001, a été un tournant pour le pays. Le gouvernement d’union nationale a été mis en place dans le but de pacifier le pays, garantir la transition vers des élections démocratiques et rétablir la stabilité. Le gouvernement d’union nationale était composé de différents partis politiques, de groupes rebelles, de la société civile et de l’opposition. L’un des aspects clés était la répartition des ministères entre ces groupes. Le président Joseph Kabila a exercé un rôle symbolique et unificateur, mais les différents groupes de l’opposition et de la société civile ont également eu une grande influence. Ce gouvernement a dirigé le pays jusqu’en 2006 lors des premières élections générales et pluralistes de la RDC.
Gouvernement après l’Accord de la Saint-Sylvestre (2016-2018)
Un autre gouvernement d’union nationale a été mis en place après l’accord politique du 31 décembre 2016, connu sous le nom d’Accord de la Saint-Sylvestre, signé sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Cet accord visait à résoudre la crise politique liée à la fin du mandat de Joseph Kabila en 2016, sans élection présidentielle à l’horizon. Le gouvernement a été formé avec l’inclusion de l’opposition dans le but d’organiser des élections, de garantir la paix et d’achever la transition politique. Cet accord a permis la création d’un gouvernement d’union nationale avec une répartition des ministères entre la majorité présidentielle et l’opposition. Le processus électoral a été mis en place, mais il y a eu des retards, et les élections n’ont été organisées qu’en décembre 2018, avec la victoire de Félix Tshisekedi à la présidence.
Tshisekedi va-t-il réussir son gouvernement ?
Le président Félix Tshisekedi fait face à une crise sécuritaire sans précédent dans l’Est du pays. Malgré les appels au cessez-le-feu du Conseil de sécurité de l’ONU, de la communauté internationale et des organisations régionales, la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, poursuit son avancée dans la province du Sud-Kivu, aggravant ainsi la crise sécuritaire et humanitaire dans cette partie du pays. Pour resserrer les rangs des Congolais face à cette agression étrangère déguisée, le chef de l’État a annoncé son intention de former un gouvernement d’union nationale. Mais le camp de Joseph Kabila, accusé d’être de mèche avec les rebelles, boude l’initiative.
Dans une déclaration faite le 4 mars, le bureau politique du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ancien président congolais a rappelé que la formation d’un gouvernement d’union nationale ne constitue aucunement une solution à la crise actuelle. « De 1960 à ce jour, les gouvernements d’union nationale n’ont jamais permis d’apporter de solutions durables aux crises qu’a connues notre pays », rappelle ce parti.
Pourtant, sous Joseph Kabila, ces initiatives ont permis au moins de laisser passer l’orage. C’est le cas du gouvernement issu de l’Accord de la Saint-Sylvestre en 2016 conclu après des manifestations populaires réprimées dans le sang. Les gouvernements d’union nationale en RDC ont, dans la majorité des cas, constitué des réponses nécessaires face aux crises internes et aux conflits armés. Bien qu’ils aient souvent permis d’apaiser les tensions à court terme et d’initier des processus de transition vers la démocratie, ces gouvernements ont aussi été marqués par des luttes de pouvoir internes, des rivalités politiques et des défis dans la mise en œuvre des réformes.
Le M23 peut-il intégrer le gouvernement ?
Il n’est un secret pour personne que Kinshasa a toujours refusé de se mettre autour d’une même table avec le M23 qu’il qualifie de « coquille vide », préférant dialoguer directement avec le Rwanda qui est le créateur de ce mouvement pour notamment piller les ressources naturelles de la RDC. Mais depuis le 11 mars, la situation a évolué. Après une visite éclair de Félix Tshisekedi à Luanda, la Présidence angolaise a annoncé des négociations directes entre Kinshasa et le M23. Reste à savoir quel format prendra ce dialogue. Le M23 sera-t-il intégré dans le futur gouvernement d’union nationale ? La forme des discussions pourrait le démontrer à l’avenir.
Heshima