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James Kabarebe : de bras droit de Kagame à instigateur des massacres en RDC
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La redaction
Dans la tourmente qui secoue la région des Grands Lacs en Afrique depuis des décennies, une figure se détache, aussi emblématique que controversée : James Kabarebe. Cet officier militaire rwandais a gravi les échelons des Forces de Défense Rwandaises (RDF) pour devenir une pièce maîtresse des conflits qui ont ensanglanté la République démocratique du Congo (RDC). Heshima Magazine revient sur l’implication de Kabarebe dans ces événements, depuis la première guerre du Congo entre 1996 et 1997 jusqu’à son soutien à des groupes rebelles comme le M23, en passant par les sanctions américaines imposées récemment pour contrer son influence jugée déstabilisatrice.
La RDC, un géant aux ressources naturelles colossales avec le coltan, l’or, le diamant, le cuivre, etc., aurait pu prospérer. Mais depuis la chute de Mobutu Sese Seko en 1997, elle est devenue le théâtre de guerres brutales et complexes, dans lesquelles Kabarebe a joué et continue de jouer un rôle majeur. Ces conflits ont coûté la vie à des millions de personnes, chassé des populations entières de leurs terres et permis une exploitation systématique des richesses congolaises, souvent au profit d’acteurs étrangers, le Rwanda en première ligne.
Contexte historique et géopolitique
Pour comprendre l’ampleur de son rôle, il faut remonter au génocide rwandais de 1994, un drame qui a redessiné la géopolitique régionale. Entre avril et juillet de cette année-là, environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été massacrés par des extrémistes hutus au Rwanda. La victoire du Front Patriotique Rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagame, met fin à cette tragédie et renverse le régime en place. Mais elle déclenche aussi un exode massif : plus de deux millions de Hutus fuient vers l’est du Zaïre, l’ancien nom de la RDC, parmi lesquels des membres des ex-Forces Armées Rwandaises et des milices Interahamwe, responsables des massacres.
Ces groupes s’installent dans des camps de réfugiés près de la frontière rwandaise, dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, et se mettent à lancer des attaques contre le nouveau pouvoir à Kigali. Pour le Rwanda, cette menace transfrontalière devient un prétexte pour intervenir militairement en RDC. Derrière cet argument sécuritaire, cependant, se cachent d’autres ambitions : accéder aux ressources minières congolaises et consolider l’influence rwandaise dans la région. James Kabarebe émerge alors comme le cerveau de cette stratégie, transformant la RDC en un champ de bataille où les intérêts rwandais dictent le cours des événements.
Un parcours militaire inédit
Son parcours militaire commence loin du Rwanda, en Ouganda, où il voit le jour en 1959 dans une famille de Tutsis rwandais exilés, fuyant les persécutions ethniques des années 1950. Comme beaucoup de Tutsis réfugiés dans ce pays, il grandit dans un climat de marginalisation et de discrimination, sous les régimes autoritaires d’Idi Amin puis de Milton Obote. Ces années difficiles forgent chez lui une détermination et une résilience qui marqueront sa carrière. Dans les années 1980, il rejoint la National Resistance Army, un mouvement rebelle ougandais dirigé par Yoweri Museveni, engagé dans une lutte pour renverser Obote. Là, il côtoie d’autres futurs leaders rwandais, dont Paul Kagame, lui aussi officier dans ce groupe. Cette période est décisive : Kabarebe y acquiert une formation militaire rigoureuse, affinant ses compétences en stratégie et en commandement, des atouts qui lui serviront plus tard. Lorsque Museveni prend le pouvoir en 1986, Kabarebe et Kagame se tournent vers un objectif commun : libérer le Rwanda du régime hutu qui opprime les Tutsis.
Ascension dans le FPR
En 1990, Kabarebe s’engage pleinement dans le FPR, fondé par des exilés tutsis pour défier le gouvernement de Juvénal Habyarimana. Dès le début de la guerre civile rwandaise, qui s’étend jusqu’en 1994, il se distingue par son efficacité et sa loyauté envers Kagame, qui prend la tête militaire du mouvement après la mort de Fred Rwigyema, tué en 1990. Kabarebe occupe des rôles clés, servant d’aide de camp à Kagame et commandant une unité stratégique basée à Mulindi, dans le nord-est du Rwanda.
Pendant le conflit, il orchestre des opérations audacieuses contre les forces gouvernementales et les milices hutues, contribuant à la progression du FPR. En juillet 1994, après la prise de Kigali et la fin du génocide, le FPR s’empare du pouvoir, et Kabarebe est récompensé pour son rôle décisif. Il intègre l’état-major des RDF, l’armée restructurée du pays, et gravit rapidement les échelons : chef d’état-major adjoint, puis chef d’état-major en 1997. Sa proximité avec Kagame et son talent stratégique en font une figure incontournable dans la politique sécuritaire rwandaise.
Une réputation ambivalente
Au Rwanda, Kabarebe est célébré comme un héros, un homme qui a aidé à mettre fin au génocide et à ramener la stabilité après des décennies de chaos. Mais à l’échelle régionale, son image est bien plus sombre. Dès 1996, il commence à diriger des interventions militaires en RDC, officiellement pour protéger le Rwanda des menaces hutues, mais en réalité pour servir des ambitions économiques et géopolitiques bien plus vastes pour son pays. Ces actions vont faire de lui un personnage central dans la tragédie congolaise, un homme dont le nom est synonyme de guerre, de pillage et de massacres.
La première guerre du Congo : Kabarebe, stratège de l’invasion
La première guerre du Congo, qui éclate en octobre 1996, survient dans un Zaïre affaibli par des décennies de dictature sous Mobutu Sese Seko. Au pouvoir depuis 1965, ce dernier a gouverné un régime gangréné par la corruption et le despotisme, laissant le pays dans un état de délabrement économique et social.
À l’est, les camps de réfugiés hutus, établis après le génocide rwandais, deviennent un foyer d’instabilité majeur. Parmi ces exilés se trouvent des dizaines de milliers de combattants des ex-FAR et des Interahamwe, qui exploitent le territoire zaïrois comme base pour préparer des incursions contre le Rwanda. Pour Paul Kagame et son gouvernement, cette situation représente une menace existentielle. Les appels à la communauté internationale pour démanteler ces camps restent lettre morte, et Mobutu, diminué par la maladie, est accusé de tolérer, voire de soutenir, ces groupes armés.
En 1996, le Rwanda décide de prendre les choses en main. James Kabarebe, alors chef d’état-major adjoint des Forces de Défense Rwandaises, est chargé de concevoir et de diriger une opération militaire visant à neutraliser cette menace tout en renversant Mobutu pour installer un régime favorable à Kigali.
Kabarebe joue un rôle déterminant dans la création de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), une coalition rebelle officiellement dirigée par Laurent-Désiré Kabila, un opposant historique à Mobutu. Mais derrière cette façade congolaise, ce sont les forces rwandaises et ougandaises qui mènent l’offensive, avec Kabarebe comme principal stratège. L’Alliance voit le jour en octobre 1996 à Lemera, dans le Sud-Kivu, réunissant des combattants congolais souvent des Tutsis Banyamulenge et des milliers de soldats rwandais et ougandais.
Kabarebe supervise une offensive éclair qui débute le 6 octobre 1996. Les troupes franchissent la frontière rwandaise et zaïroise, s’emparant rapidement des villes de l’est comme Uvira, Bukavu et Goma. Cette avancée est facilitée par la faiblesse de l’armée zaïroise, mal équipée et démoralisée, ainsi que par le soutien tacite de certaines puissances occidentales, qui considèrent Mobutu comme un vestige encombrant de la Guerre froide. En novembre 1996, Kabarebe coordonne la prise de Kisangani, un carrefour stratégique au centre du pays, marquant une étape cruciale vers Kinshasa.
La vitesse de cette campagne est stupéfiante. Sous la direction de Kabarebe, les forces de l’AFDL parcourent plus de 1 500 kilomètres en sept mois, de l’est à l’ouest du Zaïre, un territoire aussi vaste que l’Europe occidentale. En mars 1997, elles capturent Lubumbashi, la capitale minière du sud, avant de converger sur Kinshasa. Le 17 mai 1997, Mobutu prend la fuite en exil, et Kabila entre dans la capitale, proclamant la naissance de la République Démocratique du Congo. Kabarebe, qui accompagne Kabila à Kinshasa, est nommé chef d’état-major des Forces Armées Congolaises, une position qui traduit l’influence écrasante du Rwanda sur le nouveau régime.
Officiellement, cette guerre avait deux objectifs : démanteler les camps de réfugiés hutus et renverser Mobutu pour instaurer un gouvernement stable. Mais des motivations plus profondes se révèlent rapidement. Le Rwanda cherche à sécuriser sa frontière, certes, mais aussi à accéder aux ressources minières de l’est du Congo, notamment le coltan, un minerai prisé par l’industrie électronique mondiale, ainsi que l’or et les diamants.
Dès les premières semaines de l’offensive, des unités rwandaises commencent à exploiter ces gisements, transportant les minerais vers Kigali pour les exporter sur les marchés internationaux.
Cette première guerre du Congo, souvent présentée comme une « guerre de libération », est entachée par des atrocités massives perpétrées sous la supervision de Kabarebe. Les forces de l’AFDL, dominées par des soldats rwandais, ciblent les camps de réfugiés hutus à l’est du pays. Si les combattants armés sont une cible légitime, les opérations dégénèrent vite en massacres indiscriminés de civils. Des dizaines de milliers de réfugiés, parmi lesquels des femmes, des enfants et des personnes âgées, sont tués alors qu’ils tentent de fuir vers l’intérieur du pays. Des événements particulièrement tragiques marquent cette période.
En février 1997, à Tingi-Tingi, un camp de réfugiés dans la province de Maniema, des milliers de Hutus sont massacrés par les troupes de l’AFDL. Des survivants racontent des attaques à la mitrailleuse et des exécutions sommaires orchestrées par des soldats rwandais. En mai 1997, près de Mbandaka, à l’ouest du pays, des centaines de réfugiés sont abattus alors qu’ils essaient de traverser le fleuve Congo pour échapper aux combats. Ces massacres, documentés par des rapports de l’ONU et des ONG comme Human Rights Watch, portent la marque d’une stratégie délibérée visant à éliminer toute présence hutue dans la région, qu’elle soit militaire ou civile.
Kabarebe, en tant que commandant opérationnel, est directement impliqué dans ces exactions. Bien qu’il ait toujours nié toute intention génocidaire, affirmant que ses troupes visaient uniquement les génocidaires hutus, les enquêtes internationales contredisent cette version. Le « Mapping Report » de l’ONU, publié en 2010, qualifie ces tueries de « crimes contre l’humanité » et suggère qu’elles pourraient constituer un génocide, une accusation que le Rwanda rejette catégoriquement.
Dès cette première guerre, les forces rwandaises mettent en place un système d’exploitation des richesses minières congolaises. Dans les zones contrôlées par l’AFDL, comme le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, des mines d’or et de coltan sont pillées sous la supervision d’officiers rwandais. Ces ressources sont transportées à travers la frontière vers le Rwanda, où elles sont vendues à des entreprises internationales, souvent avec la complicité de réseaux mafieux et de sociétés écran. Ce pillage, bien que limité par rapport à ce qui suivra lors de la deuxième guerre du Congo, pose les bases d’une économie de guerre qui deviendra un pilier de l’ingérence rwandaise en RDC.
La deuxième guerre du Congo : Kabarebe au sommet de l’offensive rwandaise
La victoire de l’AFDL en 1997 installe Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, mais cette alliance avec le Rwanda et l’Ouganda s’effrite rapidement. Kabila, conscient de sa dépendance envers ses parrains étrangers, cherche à affirmer son autorité et à réduire leur emprise.
En juillet 1998, il limoge James Kabarebe de son poste de chef d’état-major des Forces Armées Congolaises et ordonne le départ de toutes les troupes rwandaises et ougandaises du pays. Cette décision est perçue comme une trahison par Kigali et Kampala, qui décident de renverser Kabila pour le remplacer par un leader plus docile.
Après son éviction, Kabarebe retourne au Rwanda et se voit chargé de planifier une nouvelle offensive contre le régime de Laurent-Désiré Kabila. Le 2 août 1998, une rébellion éclate dans l’est de la RDC, menée par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), un groupe armé récemment créé et soutenu par le Rwanda et l’Ouganda. Cette rébellion sert de prélude à une offensive militaire plus large. Le même jour, Kabarebe lance l’opération « Ciel ouvert », une manœuvre ambitieuse visant à prendre Kinshasa par surprise, dont l’élément clé est le « Coup de Kitona », une expédition aéroportée.
Kigali utilise fréquemment le prétexte de la discrimination des Tutsis, qu’ils soient congolais ou rwandais, pour justifier ses ambitions géopolitiques, tant au Rwanda qu’en RDC. Ce discours sert à mobiliser l’opinion et à légitimer l’intervention rwandaise dans les affaires internes du Congo, un argument qui trouve un écho auprès de certains membres de la communauté Tutsie.
Dans son ouvrage « L’espoir au-delà de mes larmes« , le général de brigade Moustapha Mukiza, originaire de la communauté Banyamulenge et proche de James Kabarebe, décrit cette stratégie comme un « hameçon ». Selon lui, le 2 août 1998, alors qu’ils se trouvaient à Goma, les Banyamulenge, souvent perçus comme des alliés des Rwandais, furent menacés et tués à Kinshasa, une nouvelle qui bouleversa la communauté. C’est dans ce contexte qu’il raconte avoir d’abord reçu un appel téléphonique du général Jean-Pierre Ondekane du RCD, qui lui proposa de participer à l’opération Ciel ouvert. Moustapha Mukiza déclina cette proposition.
Peu après, il fut de nouveau contacté, mais cette fois par Kabarebe en personne. Le général rwandais lui annonça : « Commandant Moustapha, si tu refuses de participer à cette opération, sache que tes frères périssent ». Ce nouvel appel, fondé sur la peur et la solidarité ethnique, incita Mukiza à revoir sa décision. Cette manipulation de Kabarebe corrobore un autre témoignage d’un ancien espion du Front Patriotique Rwandais (FPR), qui affirmait que Paul Kagame n’hésitait pas à utiliser la mort des Tutsis pour atteindre ses objectifs politiques.
Ainsi, le 4 août 1998, Kabarebe mène l’assaut aéroporté sur la base militaire de Kitona, située à plus de 2 000 kilomètres de la frontière rwandaise, dans la province du Bas-Congo. Environ 3 000 soldats rwandais et ougandais, transportés par des avions commerciaux détournés à Goma, atterrissent à Kitona et désarment les troupes congolaises présentes. L’objectif est clair : marcher vers Kinshasa, distante de seulement 400 kilomètres, et renverser Kabila en quelques jours. L’opération semble initialement couronnée de succès. Les forces rwandaises capturent des ports stratégiques le long du fleuve Congo et progressent rapidement vers la capitale. En moins de deux semaines, elles se retrouvent à moins de 30 kilomètres de Kinshasa, semant la panique dans le camp de Kabila.
Cependant, la progression rapide des forces rwandaises est interrompue par l’intervention d’un front de soutien à Kabila, composé de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie. Ces alliés envoient des troupes et des avions pour défendre la capitale. Après de violents combats, les forces rwandaises sont repoussées et Kabarebe est contraint de battre en retraite, mettant ainsi un frein temporaire à l’offensive sur Kinshasa. Cette défaite marque un tournant dans la guerre, obligeant le Rwanda et ses alliés à revoir leur stratégie.
Le fiasco de Kitona marque le début de la deuxième guerre du Congo, un conflit d’une ampleur sans précédent, souvent surnommé la « guerre mondiale africaine ». Neuf pays africains et des dizaines de groupes armés s’y affrontent, divisant la RDC en zones d’influence. Dans l’est, le RCD, soutenu par Kabarebe et les RDF, contrôle de vastes territoires riches en minerais, notamment au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri. Pendant ce temps, Kabila s’appuie sur ses alliés régionaux pour résister à l’offensive rwandaise et ougandaise.
Kabarebe supervise les opérations militaires dans l’est, coordonnant les mouvements du RCD et des unités rwandaises déployées sur le terrain. Cette guerre, qui dure jusqu’en 2003, est marquée par une brutalité extrême : massacres de civils, viols collectifs, pillages et destructions de villages deviennent monnaie courante. Les affrontements ne se limitent pas aux combats entre armées régulières ; des rivalités éclatent également entre le Rwanda et l’Ouganda, alliés initiaux qui se disputent le contrôle des ressources, notamment lors des batailles de Kisangani en 1999 et 2000.
La deuxième guerre du Congo voit l’exploitation illégale des richesses minières atteindre un niveau industriel. Sous la direction de Kabarebe, l’armée rwandaise met en place un système sophistiqué de pillage dans les zones qu’elle contrôle.
Le « Rapport sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en RDC », publié par l’ONU en 2001, détaille ce mécanisme : des minerais comme le coltan, l’or, le cuivre et les diamants sont extraits par des milices et des entreprises sous contrôle rwandais, puis acheminés à Kigali pour être vendus sur les marchés mondiaux. Kabarebe joue un rôle central dans cette économie de guerre. Les revenus générés estimés à des centaines de millions de dollars par an financent les opérations militaires rwandaises et enrichissent les élites politiques et économiques de Kigali. Des sociétés écran, souvent basées au Rwanda ou en Europe, servent à blanchir ces ressources, tandis que des officiers rwandais, dont certains sous les ordres directs de Kabarebe, supervisent les opérations sur le terrain. Ce pillage prive la RDC de ressources vitales pour son développement, aggravant la misère de sa population.
Les forces rwandaises et leurs alliés du RCD, sous la supervision de Kabarebe, sont responsables de nombreux massacres emblématiques. En août 1998, à Mwanga, dans le Nord-Kivu, plus de 1 000 civils sont tués lors d’une opération punitive visant à écraser toute résistance locale. Les victimes, principalement des femmes et des enfants, sont exécutées à la machette ou abattues par balles.
En mai 2000, à Kisangani, des affrontements entre les armées rwandaise et ougandaise pour le contrôle des mines de diamants font des centaines de morts parmi les civils pris dans les tirs croisés. Les violences sexuelles deviennent une arme systématique dans ce conflit. Des milliers de femmes et de filles sont violées par les soldats rwandais et les miliciens du RCD, souvent en public pour terroriser les communautés. Des témoignages recueillis par Amnesty International décrivent des scènes d’horreur où des familles entières sont forcées d’assister à ces atrocités. Kabarebe, en tant que chef militaire, est tenu responsable par la chaîne de commandement, bien qu’il n’ait jamais été jugé pour ces crimes.
Un bilan humain catastrophique
La première et la deuxième guerre du Congo figurent parmi les conflits les plus meurtriers de l’histoire moderne. Selon les estimations, plus de 6 millions de personnes ont perdu la vie entre 1996 et 2003, principalement des civils. Si les combats directs ont causé des milliers de morts, la majorité des décès sont attribuables à des causes indirectes : famine, maladies comme le choléra et la malaria, et déplacements massifs provoqués par la violence.
Plus de 5 millions de Congolais sont déplacés à l’intérieur du pays ou deviennent réfugiés dans les pays voisins, comme la Tanzanie et l’Ouganda. Ces populations, souvent regroupées dans des camps insalubres, vivent dans des conditions inhumaines, sans accès à la nourriture, à l’eau potable ou aux soins médicaux. Les enfants, qui représentent une grande partie des victimes, sont particulièrement vulnérables, beaucoup succombant à la malnutrition ou étant recrutés comme enfants-soldats par les groupes armés.
Une économie dévastée et pillée
La RDC possède certaines des plus grandes réserves mondiales de minerais stratégiques, qui auraient dû faire d’elle l’un des pays les plus riches d’Afrique. Pourtant, sous l’influence d’acteurs comme Kabarebe, ces richesses ont été systématiquement détournées. Le pillage organisé par le Rwanda et d’autres pays voisins a coûté à la RDC des milliards de dollars, empêchant tout investissement dans les infrastructures, l’éducation ou la santé. Des régions comme le Kivu, bien que dotées d’un potentiel économique énorme, restent parmi les plus pauvres du pays, leurs habitants survivant dans des conditions de dénuement extrême.
Le CNDP et la guerre de Jules Mutebusi
Après la fin officielle de la deuxième guerre du Congo en 2003, marquée par les accords de paix de Sun City, l’est de la RDC reste une zone de conflit chronique. Kabarebe, revenu au Rwanda comme chef d’état-major des RDF, continue d’exercer une influence déstabilisatrice à travers son soutien à des groupes rebelles.
En 2004, il est soupçonné d’appuyer le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), une milice tutsie dirigée par Laurent Nkunda, ainsi que la rébellion de Jules Mutebusi, un officier tutsi congolais dissident. Le CNDP, créé pour protéger les intérêts des Tutsis congolais face aux milices hutues comme les Forces FDLR et également les mines sous contrôle du Rwanda, devient rapidement un outil d’ingérence rwandaise. Des rapports de l’ONU accusent Kabarebe de fournir des armes, des financements et des conseillers militaires au CNDP, exacerbant les tensions ethniques dans le Kivu. En 2004, les forces de Mutebusi et du CNDP prennent temporairement le contrôle de Bukavu, provoquant des déplacements massifs de civils et des affrontements avec l’armée congolaise.
Le M23 : une menace renouvelée
En 2012, l’influence de Kabarebe atteint un nouveau sommet avec l’émergence du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle issu d’une scission au sein du CNDP. Composé principalement de Tutsis congolais, le M23 lance une offensive dans le Nord-Kivu, prenant le contrôle de Goma en novembre 2012. Un rapport du Groupe d’experts de l’ONU, publié la même année, désigne Kabarebe comme l’un des principaux coordinateurs du soutien rwandais au M23, accusant Kigali de fournir des armes, des munitions et des entraînements aux rebelles.
Cette nouvelle rébellion ravive les souffrances des populations locales : massacres, viols et pillages reprennent de plus belle, tandis que des centaines de milliers de personnes fuient leurs foyers. Bien que le M23 soit défait militairement en 2013 par l’armée congolaise et la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), son héritage persiste, et des soupçons d’ingérence rwandaise continuent de planer sur les conflits actuels dans l’est.
La reprise des armes par le M23 et le rôle persistant de Kabarebe
Après sa défaite en 2013, le M23 reste en sommeil pendant plusieurs années, ses combattants dispersés au Rwanda et en Ouganda. Cependant, en novembre 2021, le groupe reprend les armes dans le Nord-Kivu, lançant des attaques contre les forces armées congolaises près des villages de Chanzu et Runyonyi, à proximité des frontières rwandaise et ougandaise. Cette résurgence marque le début d’une nouvelle phase de violence dans l’est de la RDC, exacerbée par le soutien continu du Rwanda.
Dès 2022, le M23 intensifie ses opérations, s’emparant de territoires stratégiques comme Bunagana et Rutshuru, et multipliant les affrontements avec l’armée congolaise et les milices locales. Des rapports de l’ONU et d’organisations comme Human Rights Watch documentent des exactions contre les civils, exécutions sommaires, viols, pillages, ainsi qu’un recrutement forcé, y compris d’enfants-soldats, dans les zones sous son contrôle.
En 2023, le M23 poursuit son expansion, prenant des villes clés comme Rubaya, un centre minier riche en coltan, et générant des revenus importants par la taxation de ce commerce lucratif.
Malgré des tentatives de médiation régionale, notamment via le Processus de Nairobi et de Luanda, le groupe refuse de désarmer, accusant Kinshasa de ne pas protéger les Tutsis congolais face aux milices hutues comme les FDLR. La situation s’aggrave encore en janvier 2025, lorsque le M23, appuyé par trois à quatre mille soldats rwandais selon des estimations de l’ONU, s’empare de Goma, la capitale du Nord-Kivu, après une offensive éclair qui fait près de 3000 morts selon les sources. Cette prise spectaculaire, suivie en février 2025 par la capture de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, et de l’aéroport stratégique de Kavumu, plonge la région dans une crise humanitaire sans précédent, avec plus d’un million de déplacés en quelques semaines. Le leader de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) Corneille Nangaa, qui inclut le M23, proclame alors son intention de marcher sur Kinshasa pour renverser le président Félix Tshisekedi, défiant les appels internationaux à un cessez-le-feu.
James Kabarebe, bien que retiré officiellement des fonctions militaires en 2018, reste une figure centrale dans cette nouvelle vague de violences. Des rapports de l’ONU et des sanctions américaines imposées en 2023 au mouvement rebelle, renforcées en février 2025, le désignent comme le principal orchestrateur du soutien rwandais au M23. Selon ces sources, Kabarebe agit comme une liaison clé entre Kigali et les rebelles, supervisant la logistique, le recrutement, la formation des combattants et la gestion des revenus tirés des minerais pillés, notamment le coltan de Rubaya, estimé à 800 000 dollars par mois.
En tant que ministre d’État chargé de la coopération régionale depuis 2023, il utilise sa position pour coordonner les opérations du RDF aux côtés du M23, assurant un soutien militaire direct avec des troupes et des armes sophistiquées. Ces accusations sont étayées par des preuves visuelles, comme des images géolocalisées de soldats rwandais à Sake près de Goma en 2025, et par des témoignages de recrues formées sous supervision rwandaise. Malgré les dénégations de Kigali, qui rejetait toute implication, Kabarebe est vu comme le pivot d’une stratégie visant à maintenir l’influence rwandaise sur l’est de la RDC, mêlant objectifs sécuritaires et économiques pour exploiter illégalement les ressources congolaises.
Sanctions américaines : une mesure inédite
Le 20 février 2025, le Département du Trésor des États-Unis impose des sanctions contre James Kabarebe pour son rôle dans la déstabilisation de l’est de la RDC. Ces mesures, qui incluent le gel de ses avoirs aux États-Unis et l’interdiction de transactions avec des ressortissants américains, sont une réponse directe à son soutien avéré au M23 et à d’autres groupes armés. Cette décision marque une rupture dans la politique internationale envers le Rwanda, longtemps perçu comme un allié stratégique de Washington en Afrique de l’Est.
Signification géopolitique
Les sanctions reflètent une prise de conscience croissante des conséquences de l’ingérence rwandaise en RDC. Elles visent à envoyer un message clair à Kigali : les actions de ses hauts responsables ne resteront plus impunies. Cependant, leur impact réel reste incertain. Kabarebe, qui opère principalement en Afrique, pourrait contourner ces mesures grâce à des réseaux régionaux, et le Rwanda a dénoncé les sanctions comme une tentative d’ingérence dans ses affaires internes.
Implications pour la paix régionale
Pour les défenseurs des droits humains, ces sanctions sont un pas vers la justice, mais elles ne suffisent pas. Elles soulignent la nécessité d’une coopération internationale plus large pour mettre fin au cycle de violence dans l’est de la RDC, notamment en démantelant les réseaux de pillage et en poursuivant les responsables de crimes de guerre, dont Kabarebe.
Un héritage de destruction
James Kabarebe a laissé une empreinte indélébile sur la RDC, orchestrant des guerres qui ont coûté des millions de vies, détruit des communautés et permis le pillage systématique des ressources du pays.
De la première guerre du Congo, où il a renversé Mobutu, à la deuxième guerre, où il a tenté de destituer Kabila, en passant par son soutien aux rebellions comme le RCD, le CNDP et le M23, ses actions ont transformé l’est de la RDC en une zone de chaos permanent. Pourtant, malgré les preuves accablantes de massacres, de viols et d’exploitation illégale, Kabarebe bénéficie d’une impunité quasi totale. Protégé par son statut au Rwanda et par l’absence de mécanismes judiciaires internationaux efficaces, il incarne les défis de la lutte contre les crimes de guerre en Afrique.
Pour que la RDC retrouve la paix, il est impératif que des figures comme lui répondent de leurs actes, que les racines économiques des conflits soient démantelées et que la coopération régionale soit renforcée. Les sanctions américaines, bien qu’historiques, ne sont qu’un début : la justice et la stabilité exigeront des efforts bien plus ambitieux.
Heshima
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Corridor transafricain de Lobito : Le Lualaba entend transformer ce méga-projet en moteur de croissance
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5 jours agoon
septembre 11, 2025By
La redaction
Les enjeux économiques du projet du Corridor de Lobito étant colossaux, la gouverneure du Lualaba, Marie-Thérèse Masuka est déterminée à atteindre simultanément plusieurs objectifs de développement, notamment transformer ce couloir en moteur de croissance durable pour sa province. Sans atermoiement, elle s’y prépare avec un dossier soigneusement préparé et bien ficelé.
Chemin de fer long de 1 300 km et bénéficiant d’un financement de 1,3 milliard de dollars, le projet transatlantique de Lobito est salué pour son aspect « accélération de l’exportation de minerais critiques et baisse des coûts logistiques ». Sa concrétisation vient mettre en rude concurrence les Américains et les Chinois autour des minerais, notamment ceux de la RDC
Cependant, au-delà de l’aspect logistique, Fifi Masuka Saini voit de grands enjeux économiques pouvant booster de manière tentaculaire le développement en RD Congo. Acteur majeur dans la production des minerais stratégiques employés dans la transition énergétique, le Lualaba a beaucoup à gagner une fois ce projet de ligne ferroviaire opérationnel, visant à relier la Zambie à l’Atlantique en passant par la RDC et l’Angola.
Le voile de ce que la cheffe de l’exécutif provincial du Lualaba envisage de faire sur cet axe était levé lors de la 6éme édition du Katanga Business Meeting, organisée en mai 2025 à Kolwezi. Lors de l’ouverture de ce forum, Fifi Masuka a clairement affirmé que le corridor de Lobito doit servir premièrement les intérêts du peuple congolais. « Il est plus qu’urgent de faire de ce corridor un axe de transformation pour le peuple congolais et non une simple voie d’exportation de minerais », a-t-elle déclaré. Pour ce faire, elle a appelé à une gestion transparente et collective afin de garantir que les bénéfices profitent en premier lieu aux populations locales.
Le Lualaba a déjà son canevas
La gouverneure Masuka a déjà un dossier bien élaboré pour ce projet dont Costas Musunka, initiateur de Katanga Business Meeting, souhaite voir devenir le système circulatoire de l’industrialisation du Katanga. Pour la gouverneure du Lualaba, il s’agit d’une opportunité de dynamisation de l’économie locale par la création des zones économiques spéciales, des centres logistiques, des cadres industriels et des chaînes manufacturières.
Selon le Vice-premier ministre et ministre de l’Économie, Mukoko Samba, qui a aussi participé à cette grande conférence, le corridor doit « être un couloir industriel intégré où circuleront matières premières transformées, technologies propres et compétences transfrontalières ».
Entre autres, le Lualaba prévoit l’érection de cinq gares industrielles le long du tracé, chacune spécialisée dans un maillon de la valeur minière, un réseau comprenant des hubs technologiques.
Un corridor porteur de développement
Lors de la rencontre multilatérale sur le corridor de Lobito tenue en décembre 2024 en Angola, le Président Félix Tshisekedi avait déclaré ce qui suit : « Le corridor de Lobito est bien plus qu’un axe de transport. C’est une opportunité unique d’intégration régionale, de transformation économique et d’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens ».
Le chef de l’État congolais estime que ce projet offre beaucoup d’opportunités, jusqu’à 30 000 emplois. D’où l’implication du gouvernement central par le biais de plusieurs ministères, notamment ceux de l’Industrie, des Transports et des Infrastructures.
Des équipes sont même à pied d’œuvre. Au ministère de l’Industrie, par exemple, Hélène Miasekama Kiese, DG de la Direction générale du corridor de développement industriel (DGCDI), affirme que des études de planification sont en cours selon une vision globale.
La DGCDI, outil de planification industrielle et de diversification économique du pays, envisage des retombées concrètes pour la population locale. Elle voit en ce projet particulièrement une opportunité de désenclavement du bassin agricole du Kasaï, de construction des routes de desserte agricole, ainsi que le développement de parcs agro-industriels.
Roger Te-Biasu, coordonnateur de la Cellule d’appui technique du gouvernement congolais (Cepcor), qui gère les activités des corridors de transports, pense que ce projet va positivement impacter l’économie de la RDC. La pleine opérationnalisation de ce corridor, en effet, permettra l’accès et la circulation d’intrants indispensables aussi bien à l’industrie minière qu’agricole. « Le corridor de Lobito constitue un levier stratégique pour la stabilité, le désenclavement et le développement de la région », a déclaré Jean-Pierre Bemba, le 23 juin 2025 à Luanda, au 17éme sommet des affaires États-Unis – Afrique.
Hubert MWIPATAYI
International
Kigali et les FDLR : un dialogue inter-rwandais pour en finir avec la crise en RDC est-il possible ?
Published
4 semaines agoon
août 21, 2025By
La redaction
Depuis des décennies, l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre d’un conflit aux ramifications complexes, où les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) et les incursions répétées du Rwanda occupent une place centrale. Alors que Kigali justifie ses interventions par la menace que représentent ces rebelles hutus, accusés d’être les héritiers des génocidaires de 1994, la RDC dénonce une manipulation visant à légitimer pillages et déstabilisation. Entre accusations mutuelles et cycles de violence, la possibilité d’un dialogue inter-rwandais, impliquant le gouvernement rwandais et les FDLR, émerge comme une piste pour mettre fin à cette crise. Cet article explore les enjeux, les obstacles et les perspectives d’une telle initiative, tout en décryptant les justifications récurrentes de Kigali pour ses actions sur le sol congolais.
Les FDLR, nées dans les camps de réfugiés après le génocide rwandais de 1994, sont souvent présentées par Kigali comme une menace existentielle. Composées en partie d’anciens Interahamwe et de miliciens hutus ayant fui le Rwanda, elles se sont établies dans l’Est de la RDC, où elles mènent des activités de guérilla en RDC tout en s’intégrant parfois aux communautés locales. Selon un rapport de l’ONU publié en décembre 2023, les FDLR compteraient environ 1 000 à 1 500 combattants, un chiffre bien inférieur à leur influence passée, mais suffisant pour servir de justification aux violations du territoire congolais par l’arme rwandaise. Kigali affirme que ces rebelles planifient des attaques contre son territoire, une rhétorique qui légitime ses opérations militaires transfrontalières.
Pourtant, Kinshasa et plusieurs observateurs remettent en question cette narrative. Dans un article publié le 14 février 2025, Heshima Magazine souligne que le Rwanda utilise les FDLR comme un « prétexte pour tuer et piller la RDC », notamment pour s’approprier les richesses minières du Nord et Sud-Kivu. Les rapports du Groupe d’experts de l’ONU confirment que des unités de l’armée rwandaise, souvent en soutien au M23, contrôlent des zones riches en coltan et or, exploitant illégalement ces ressources. Cette exploitation, couplée à des massacres et déplacements massifs de populations, alimente la méfiance congolaise. « Le Rwanda brandit la menace des FDLR pour justifier une guerre économique et territoriale », déclare un analyste basé à Goma, interrogé par Actualité.cd le 10 janvier 2025. Cette dynamique met en lumière la nécessité d’un dialogue qui démystifie le rôle des FDLR.
Les incursions rwandaises : une stratégie de déstabilisation
Depuis la fin de la deuxième guerre du Congo en 2003, le Rwanda a été accusé à maintes reprises de soutenir des groupes armés en RDC, notamment le M23, pour maintenir son influence dans la région. Kigali nie officiellement tout soutien au M23, mais des preuves solides documentées par l’ONU, incluant des témoignages de déserteurs rwandais, contredisent ces démentis. Ces incursions, souvent justifiées par la « nécessité de neutraliser les FDLR », ont exacerbé les tensions entre Kinshasa et Kigali. En 2022, le président Félix Tshisekedi a publiquement dénoncé l’« agression rwandaise », une position réitérée lors du sommet de l’Union Africaine en février 2025, où il a appelé à des sanctions contre Kigali.
Les conséquences de ces interventions sont dévastatrices. Selon l’ONG International Crisis Group, dans son rapport de janvier 2025, plus de 5 millions de personnes ont été déplacées dans l’Est de la RDC depuis 2020, en grande partie à cause des conflits impliquant le M23 et d’autres groupes soutenus par le Rwanda. Les populations locales, comme l’exprime Jeanne Mbuyi, une agricultrice de Rutshuru : « Nous vivons dans la peur constante. Les FDLR, le M23, les RDF, tout le monde nous attaque. Un dialogue entre Rwandais pourrait nous rendre la paix. » Cette aspiration à une solution pacifique reflète un sentiment croissant parmi les Congolais, qui voient dans un règlement inter-rwandais une issue possible à la crise.
Les tentatives de dialogue au Rwanda : une histoire d’échecs
L’idée d’un dialogue inter-rwandais n’est pas nouvelle, mais elle s’est heurtée à des obstacles majeurs. En 2009, des négociations entre Kigali et les FDLR, facilitées par la RDC, ont échoué en raison du refus des rebelles de désarmer sans garanties politiques et de l’inflexibilité du gouvernement rwandais. Heshima Magazine, dans son article daté du 4 juillet 2025, revient sur le nouvel accord visant à neutraliser les FDLR qui a été signé dans le cadre du processus de Nairobi, mais il a donné lieu à « deux récits » divergents : Kinshasa insiste sur une coopération régionale, tandis que Kigali continue de privilégier une solution militaire. « Les FDLR ne sont pas une entité monolithique. Certains veulent rentrer au Rwanda, mais Kigali refuse de négocier avec ceux qu’il qualifie de génocidaires », explique un diplomate cité par Radio Okapi.
Les initiatives régionales, comme le processus de Luanda sous l’égide de l’Angola, ont tenté de rapprocher les positions. En novembre 2023, un sommet tripartite entre la RDC, le Rwanda et l’Angola a abouti à un engagement pour désarmer les FDLR, mais les résultats restent limités. La RDC accuse Kigali de ne pas respecter les termes de l’accord, tandis que le Rwanda reproche à Kinshasa son incapacité à contrôler les FDLR. Ces désaccords soulignent la méfiance mutuelle, mais aussi l’absence d’un cadre inclusif impliquant directement les FDLR comme acteurs politiques plutôt que comme simples belligérants.
Les défis d’un dialogue inter-rwandais
Organiser un dialogue entre Kigali et les FDLR pose des défis colossaux. D’une part, le gouvernement rwandais, dirigé par Paul Kagame, adopte une position intransigeante envers les FDLR, les considérant comme une menace idéologique et sécuritaire. Dans une interview accordée à RFI le 20 avril 2024, le ministre rwandais des Affaires étrangères a réaffirmé que « tout dialogue avec les FDLR équivaudrait à légitimer le génocide ». Cette rhétorique complique toute tentative de négociation, car elle exclut a priori la possibilité d’un compromis.
D’autre part, les FDLR elles-mêmes sont divisées. Selon un rapport de l’Institute for Security Studies publié en juin 2024, une faction modérée, dirigée par des leaders comme Ignace Murwanashyaka, serait prête à négocier un retour pacifique au Rwanda en échange de garanties d’amnistie et de réintégration. Cependant, une frange plus radicale, basée dans les forêts du Nord-Kivu, continue de s’opposer à tout dialogue. « Un dialogue inter-rwandais nécessiterait une médiation neutre, peut-être sous l’égide de l’ONU ou de l’Union Africaine, pour garantir la sécurité des parties », suggère Pierre Kanda, un politologue congolais interrogé par Heshima Magazine.
La question de la justice transitionnelle constitue un autre obstacle. Les FDLR exigent des garanties contre les poursuites pour crimes passés, une demande inacceptable pour Kigali, qui insiste sur la responsabilité pénale des génocidaires. Pourtant, des modèles comme les commissions Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud pourraient inspirer une solution. « Un dialogue qui associe justice, réconciliation et développement pourrait briser le cycle de la violence », estime Judith Nshimirimana, une militante des droits humains au Rwanda. Une lueur d’espoir pour la RDC ? Malgré les défis, un dialogue inter-rwandais pourrait transformer la dynamique régionale. En désarmant ce qu’il en reste des FDLR et en facilitant leur retour ou leur réinstallation, le Rwanda perdrait son principal argument pour intervenir en RDC. Cela exigerait toutefois un engagement sincère de Kigali, ce que beaucoup doutent, vu les bénéfices économiques colossaux qu’il tire de l’exploitation des minerais congolais. Un rapport de Global Witness publié en mai 2024 révèle que le commerce illégal de minerais dans l’Est de la RDC génère des centaines de millions de dollars, dont une part significative transite par le Rwanda. Un dialogue réussi pourrait donc non seulement pacifier la région, mais aussi contraindre Kigali à revoir sa stratégie économique.
Pour la RDC, l’enjeu est tout aussi crucial. En neutralisant les FDLR, Kinshasa pourrait renforcer sa souveraineté sur l’Est du pays et concentrer ses efforts sur la lutte contre d’autres groupes armés. « Si le Rwanda et les FDLR trouvent un accord, la RDC pourrait enfin respirer », déclare Joseph Munganga, un commerçant de Goma. Cependant, la réussite d’un tel dialogue dépendra de la volonté politique des acteurs, d’une médiation internationale crédible et d’un soutien régional robuste.
Une paix à construire ensemble
La crise dans l’Est de la RDC, alimentée par la question des FDLR et les incursions rwandaises, ne trouvera de solution durable que par un dialogue inclusif entre Rwandais. Si les obstacles sont nombreux, méfiance mutuelle, divergences idéologiques, intérêts économiques, les aspirations des populations congolaises et rwandaises à la paix constituent une force motrice. Un dialogue inter-rwandais, s’il est bien encadré, pourrait non seulement neutraliser les FDLR, mais aussi démanteler les justifications de Kigali pour ses interventions. Comme le souligne un rapport de l’Union Africaine de mars 2025, « la paix dans les Grands Lacs passe par une coopération courageuse et transparente ». L’heure est peut-être venue pour Kigali et les FDLR de s’asseoir à la table des négociations, pour le bien du Rwanda, la RDC et de la région tout entière.
JCN
International
Neutralisation des FDLR : un accord, mais deux récits entre Rwandais et Congolais
Published
2 mois agoon
juillet 4, 2025By
La redaction
La sempiternelle question des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) en République Démocratique du Congo (RDC) est au cœur d’une controverse après l’engagement pris par le gouvernement congolais, dans le cadre de l’Accord de paix de Washington, pour neutraliser ce groupe armé hostile au régime de Kigali. Malgré la signature de l’accord, l’incrédulité règne à Kinshasa par rapport au succès d’une telle opération.
Dans l’accord de paix signé le 27 juin à Washington, aux États-Unis, la RDC et le Rwanda ont convenu de mettre en œuvre le Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et de désengagement des forces ou la levée des mesures défensives du Rwanda (CONOPS). Un plan négocié le 31 octobre 2024, à Luanda, et qui constitue une annexe de cet accord de paix. Si le document signé par les deux parties a été salué en RDC, la question de la neutralisation des FDLR continue de susciter des controverses au sein de la classe politique congolaise et même dans la société civile. Pour l’opposant Martin Fayulu, la question des FDLR devient pour le Rwanda « un prétexte permanent ». La question des FDLR « ne doit pas être indéfiniment imputée au Congo », affirme-t-il.
Les FDLR constituent un groupe armé issu d’anciens génocidaires rwandais, présent dans l’est de la RDC depuis 1994, après la chute du régime du président rwandais Juvénal Habyarimana. Portant des armes et accompagnés des réfugiés civils rwandais, ils sont entrés au Congo avec l’autorisation de la communauté internationale. Ils ont été plusieurs fois neutralisés par l’armée congolaise (FARDC) ou souvent dans le cadre des opérations conjointes avec l’armée rwandaise (RDF). Mais malgré ces opérations, la présence de ce groupe constitue toujours une épine sous le pied de la RDC.
Malgré des opérations militaires conjointes, le Rwanda continue d’accuser la RDC de collaborer avec ces rebelles et de mettre en danger la sécurité du Rwanda. En septembre 2022, lors d’une interview accordée à France 24 et RFI, le président de la RDC, Félix Tshisekedi qualifiait ce groupe armé d’une « force résiduelle réduite au banditisme qui ne constitue plus une menace pour le Rwanda ». En mai 2023, la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation au Congo (MONUSCO) avait affirmé avoir rapatrié 30 000 combattants des FDLR depuis 2014. Cette mission onusienne estimait à moins de 1 000 le nombre de ceux qui restaient encore sur le sol congolais.
Un piège sans fin pour la RDC ?
Depuis 30 ans, la RDC reste dans ce piège sans fin. Le Rwanda accuse régulièrement le pays de Félix Tshisekedi d’héberger ces rebelles en dépit des opérations militaires conjointes, notamment celle dénommée « Umoja wetu » menée par les armées congolaise et rwandaise en 2009. Cette opération qui avait duré deux mois avait permis de tuer quelque 153 combattants FDLR, d’après le bilan officiel. En 2020, l’ambassadeur du Rwanda en RDC avait affirmé que cette force négative ne représentait plus un danger pour le Rwanda.
Mais avec cet accord de paix de Washington, le Rwanda a réussi à imposer au gouvernement congolais l’engagement de neutraliser à nouveau cette force négative. « Les FDLR, ce sont des forces qui sont soutenues par le gouvernement congolais, qui sont même intégrées dans les FARDC. Même les rapports des Nations unies le disent. Donc ce n’est pas seulement le Rwanda qui le dit », a déclaré le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe.
Pourtant, les zones habituellement occupées par les FDLR sont aujourd’hui entre les mains de l’armée rwandaise et des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Un fait que réfute le chef de la diplomatie rwandaise qui affirme que les FDLR ne se trouvent pas sur le territoire contrôlé par le M23 ; « elles sont intégrées dans l’armée du Congo et collaborent avec l’armée congolaise ». « Le gouvernement congolais admet que les FDLR sont un problème à neutraliser, ce qui va offrir la voie à la levée de nos mesures de défense », a-t-il ajouté. Cette lecture de l’accord de paix inquiète plusieurs Congolais en RDC.
Un étudiant de l’université de Kinshasa, Joël Basta, s’interroge : « Si les FDLR ne se trouvent pas dans les territoires contrôlés par le M23 et l’armée rwandaise, que font-ils là-bas, dans ce cas, si l’on s’en tient aux raisons avancées par le Rwanda pour justifier son invasion de l’Est du pays ? Et pourquoi les troupes rwandaises opèrent-elles si loin de l’endroit où sont censés être les FDLR ? Les traquent-ils là où ils ne se trouvent pas ? Cela démontre à suffisance que le Rwanda exploite cette question pour piller les richesses minières de la RDC tout en massacrant notre population. »
Pour Mukwege, il y a une possible prolongation du conflit…
Prix Nobel de la paix 2018, le docteur Denis Mukwege reste sceptique et pense que cet accord sème les graines d’une prolongation du conflit. « Nos craintes semblent avoir été fondées car cet accord ne se base pas sur la reconnaissance par le médiateur américain qu’il y a un État agresseur, le Rwanda, qui défie chaque jour le droit international en totale impunité, et un pays agressé, la RDC qui subit de plein fouet les effets néfastes d’une géopolitique cynique », a-t-il déclaré en marge d’un concert pour la paix en RDC livré depuis la Belgique. « Si en apparence, l’accord semble se baser sur le respect de l’intégrité territoriale, diverses dispositions montrent que les graines de la prolongation du conflit sont déjà plantées », a-t-il fait savoir.
Pour le ministre du Commerce extérieur et ancien gouverneur de la province du Nord-Kivu pendant douze ans, cette rhétorique du Rwanda sur les FDLR a aveuglé le monde depuis 30 ans, accusant Kigali de désinformation. « Depuis 30 ans, les Rwandais ont occupé l’Est de la RDC pendant huit ans, principalement le lieu où était supposé être ce mouvement des FDLR : de 1998 à 2003 (cinq ans), de 2022 à 2025 (trois ans). Seuls, les Rwandais y ont été ou y sont », a indiqué Julien Paluku. Il note que tous les rapports des experts de l’ONU indiquent qu’il ne reste plus qu’un millier de combattants, « constitués en majorité des FDLR recyclés par le régime de Kigali ». « Maintenant que nous avons tout expliqué au monde entier comme acteurs de terrain, la rhétorique des FDLR, la haine tribale, la stigmatisation ne passent plus », rétorque Paluku.
En 2022, Félix Tshisekedi qualifiait ces accusations de « fausse excuse » de la part du Rwanda qui poursuit des intérêts économiques sur le sol congolais. « Je trouve que le Rwanda est de mauvaise foi et qu’il utilise souvent ce prétexte pour justifier ses incursions en République démocratique du Congo. Depuis que je suis à la tête de mon pays, nous avons rapatrié à deux reprises des centaines de combattants des FDLR. C’est même une preuve de bonne foi », avait-il expliqué.
Risque d’une coalition des armées rwandaise et congolaise
Dans ce piège sans fin, Kigali risque de dire que Kinshasa manque de volonté pour traquer ces FDLR. En revanche, le gouvernement congolais pourrait autoriser une nouvelle opération conjointe entre l’armée rwandaise et celle de la RDC pour rechercher ensemble les combattants FDLR à neutraliser. « Le gouvernement congolais cherchera à démontrer sa bonne foi dans l’application de l’accord de paix de Washington en autorisant l’entrée officielle des troupes rwandaises sur le sol congolais pour traquer ces FDLR », explique Edgar Mavungu, analyste des questions sécuritaires en RDC. Malgré l’accord de paix, les deux gouvernements continuent d’avoir un entendement contraire quant à l’application des engagements pris à Washington.
Lors d’une conférence de presse organisée quelques heures après la signature de l’accord à la Maison Blanche, le chef de la diplomatie rwandaise avait laissé entendre que le retrait des troupes de son pays était subordonné à la neutralisation préalable des FDLR. Une interprétation que la ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner, a catégoriquement rejetée, rappelant que l’accord signé ne souffre d’aucune ambiguïté. Plus tard, dans un entretien accordé à la télévision publique, la RTNC, elle a expliqué que le retrait des troupes rwandaises était une priorité dans l’application de l’accord. « Le premier volet, c’est le désengagement des forces, à savoir les forces armées rwandaises qui sont sur le territoire congolais. Et le deuxième volet, la neutralisation des FDLR, donc la préoccupation principale en termes de sécurité du Rwanda. Et l’accord est très clair là-dessus », avait-elle affirmé. Mais pour son homologue rwandais, ce « désengagement » dont l’accord fait allusion concerne les groupes armés non étatiques.
Les récits sur cet accord restent irréconciliables. Ce qui augure des possibles tensions dans l’avenir. L’administration Trump, artisan de cette médiation américaine pour la signature de l’accord de paix, s’est félicitée d’un succès obtenu « dans un temps record ». Mais l’application de ces engagements risque de ne pas être un long fleuve tranquille.
Heshima
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