Corneille Nangaa, ancien technocrate reconverti en chef rebelle, coordonne l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition armée qui défie le président Félix Tshisekedi grâce au soutien militaire du Mouvement du 23 mars (M23) appuyé par le Rwanda. Mais sans l’appui du M23, l’AFC serait vouée à l’effondrement. Tandis que des tensions émergent entre Nangaa et le leader du M23, Bertrand Bisimwa, la question se pose : si le M23 se retire, quel avenir pour l’AFC ? L’incertitude grandit face à une alliance fragile et des objectifs divergents.
Du costume de bureaucrate au treillis de guérillero
Corneille Nangaa Yobeluo, né en 1970 à Bagboya dans le Haut-Uele, n’est pas un enfant du Kivu ensanglanté. Bien qu’il soit originaire du nord-est du pays, il est avant tout un homme de bureau, un technocrate formé à Kinshasa et passé par des institutions internationales prestigieuses, telles que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). C’est dans ce monde de diplomatie et de gestion des projets qu’il s’est forgé. Sa carrière prend un tournant majeur lorsqu’il est nommé à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) en 2015, une fonction qu’il occupe sous la présidence de Joseph Kabila. Son rôle dans l’organisation des élections de 2018, marquées par de multiples accusations de fraude, fait de lui une figure controversée. C’est au terme de ces élections qu’il se rapproche du nouveau président élu, Félix Tshisekedi, dont il devient un allié avant de se retourner contre lui.
Sa carrière se transforme radicalement après son éloignement du président. Persuadé d’avoir été trahi par Kinshasa, sans en préciser les détails, il quitte le pays en 2023, pour des raisons sécuritaires, comme il l’avait affirmé. « Si j’ai créé le monstre, il m’appartient de le défaire », déclarait-il en janvier 2025 à Goma, laissant transparaître non seulement une rancune personnelle tenace mais aussi un désir de revanche politique. Le 25 février 2023, quelques mois avant de partir en exil, il annonce la création de son parti politique, l’Action pour la Dignité du Congo et de son Peuple (ADCP).
En décembre 2023, lors du lancement de l’AFC à Nairobi, Nangaa annonce publiquement sa volonté de renverser le président congolais et de mettre en place un système fédéraliste qui, selon lui, pourrait apporter stabilité et prospérité à la RDC. Toutefois, sans soutien militaire propre, il se voit contraint de se rapprocher du M23, un groupe armé fort de milliers de combattants et de ressources militaires, pour espérer peser dans la balance politique. « Le M23 est mon fils aîné », disait-il, soucieux de souligner cette relation de dépendance militaire. Mais cette alliance fragile avec le M23, bien que stratégique, est aussi porteuse de risques. Sans cette force de frappe, son rêve de renverser Tshisekedi et de mener à bien ses réformes pourrait bien se briser face à la réalité du terrain.
Sur les images de Goma, Nangaa apparaît totalement transformé, tel un vieux maquisard. Il ne ressemble plus à ce président de la CENI, élégamment habillé dans sa veste bien coupée. Non, c’est un Nangaa désormais doté d’une imposante barbe blanche, presque toujours vêtu d’un uniforme militaire et d’une casquette sur la tête. Cette nouvelle image incarne son changement radical, un contraste saisissant avec son passé de technocrate, et le positionne résolument dans son rôle de chef rebelle.
Le M23 et Bisimwa : des ambitions divergentes
Le M23, dirigé par Bertrand Bisimwa, n’a pas les mêmes ambitions que Corneille Nangaa. Ce groupe rebelle, d’origine tutsi, est réapparu en 2021 après une période d’accalmie. Selon Bisimwa, le M23 mène une « guerre existentielle » pour assurer la sécurité de sa population, tout en dénonçant ce qu’il qualifie de « génocide rampant » contre la communauté tutsi. Bien que la principale motivation soit économique, cette raison n’est jamais évoquée officiellement.
Les ambitions militaires du M23 se concentrent principalement sur la sécurité locale et le contrôle territorial, avec une stratégie qui accorde une priorité absolue à la préservation et à l’extension des zones où vivent les Tutsis. Le M23 cherche à renforcer sa présence autour de Goma et vers Bukavu, tout en maintenant une pression constante sur les forces congolaises et leurs alliés. Toutefois, l’idée de marcher sur Kinshasa et de prendre le pouvoir à l’échelle nationale ne fait pas partie de leurs préoccupations immédiates, car cela nécessiterait des moyens et des efforts colossaux. De plus, avec le soutien exclusif du Rwanda, cela serait quasiment impossible. Pour Bisimwa, l’objectif principal reste avant tout de garantir la survie et la sécurité de sa communauté.
Cette divergence d’objectifs est particulièrement visible dans les propos des deux leaders. Tandis que Nangaa évoque régulièrement la possibilité de libérer Kinshasa, d’aller « jusqu’à Kinshasa pour libérer le pays de ces jouisseurs tribalistes », Bisimwa se montre plus prudent et plus concentré sur la dimension locale du conflit. « Nous voulons une paix qui garantisse notre sécurité », déclare-t-il, refusant de s’engager dans des aventures nationales hasardeuses et très incertaines. Une fracture idéologique qui, à terme, pourrait rendre l’alliance de plus en plus difficile à maintenir.
Les tensions entre Nangaa et Bisimwa s’intensifient davantage lorsque, en mars 2025, Bisimwa est invité à des pourparlers à Luanda avec les représentants du gouvernement de la RDC, sans que Nangaa y soit associé, alors que, sur le papier, c’est lui le chef. Ce geste a exacerbé les rumeurs d’une rupture de plus en plus probable entre les deux hommes. Tandis que les partisans de Nangaa s’inquiètent de cette évolution, des rumeurs affirment qu’il se rendrait à Kigali, une destination qui semble symboliser son sentiment d’humiliation.
Un avenir incertain pour l’AFC
L’avenir de l’AFC semble suspendu à un fil, et plusieurs scénarios peuvent se dessiner selon l’évolution de l’alliance entre Nangaa et le M23. Si le M23 se retire de l’alliance, l’AFC perdrait son principal atout : sa force militaire. Sans les appuis militaires du M23 et du Rwanda, l’Alliance Fleuve Congo se retrouverait privée de son bras armé, et Nangaa, sans troupes, risquerait de voir ses territoires conquis être rapidement récupérés par les FARDC et leurs alliés. Goma, Bukavu, et d’autres zones stratégiques risqueraient de retomber sous le contrôle de Kinshasa. Les autres factions de l’AFC, comme Twirwaneho, qui l’a rejoint en février 2025, ou le FRPI (Force de Résistance Patriotique en Ituri), ne disposent ni des ressources financières, ni des hommes et des armes nécessaires, et encore moins de la discipline du M23 pour soutenir une confrontation à grande échelle avec l’armée congolaise.
Un diplomate à Kinshasa le souligne : « Si le M23 se retire, Nangaa sera un fantôme de plus, un leader sans peuple ni puissance. » Un tel scénario d’effondrement signifierait la fin d’un rêve et le retour à l’isolement.
Face à une éventuelle rupture avec le M23, Nangaa pourrait chercher à s’allier avec d’autres groupes armés présents dans l’Est, tels que les Maï-Maï. Cependant, ces groupes, souvent peu structurés et aux agendas locaux, ne pourraient en aucun cas compenser la puissance du M23. Sans soutien militaire pour acquérir des armes, Nangaa risquerait de se retrouver dans une impasse. De plus, une alliance avec les FDLR, des ennemis du Rwanda, compromettrait son image et attirerait la colère de Kigali, tandis que la communauté internationale le pousserait à renoncer à ces alliances controversées.
Privé du M23, Nangaa pourrait également tenter de revenir sur la scène politique en négociant un cessez-le-feu avec Kinshasa et obtenir une amnistie en échange de son retrait des combats. Ce pari risquerait de le fragiliser davantage, mais pourrait aussi lui offrir une sortie plus ou moins honorable. Dans le pire des cas, l’AFC pourrait se désintégrer, emportée par ses divergences idéologiques et les ambitions personnelles de ses leaders. Sans le M23, cette coalition fragile risquerait de se briser, et Nangaa se retrouverait isolé, son rêve de fédéralisme réduit à néant.
Les clés de l’avenir
L’avenir de l’AFC dépend largement du rôle que décidera de jouer le Rwanda. Si Kigali décide de se retirer et de couper son soutien au M23, ou si Bisimwa choisit de négocier seul avec Kinshasa, Nangaa perdrait toute crédibilité militaire et se retrouverait sans ressources. Les ressources minières de Nangaa, aussi précieuses soient-elles, ne suffiraient pas à soutenir une telle lutte sans un appui étatique.
Sans le M23, l’AFC de Corneille Nangaa, portée par ses rancunes et ses ambitions, risquerait de se dissoudre lentement. Les tensions croissantes avec Bisimwa et les fractures internes augurent peut-être la fin de cette alliance fragile. Pour Nangaa, l’ambition de renverser Tshisekedi et de réorganiser la RDC sur des bases fédérales pourrait s’arrêter là où le M23 posera ses armes.
Heshima