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Avenir de l’AFC : Que deviendrait Corneille Nangaa sans le M23 ?

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Corneille Nangaa, ancien technocrate reconverti en chef rebelle, coordonne l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition armée qui défie le président Félix Tshisekedi grâce au soutien militaire du Mouvement du 23 mars (M23) appuyé par le Rwanda. Mais sans l’appui du M23, l’AFC serait vouée à l’effondrement. Tandis que des tensions émergent entre Nangaa et le leader du M23, Bertrand Bisimwa, la question se pose : si le M23 se retire, quel avenir pour l’AFC ? L’incertitude grandit face à une alliance fragile et des objectifs divergents.

Du costume de bureaucrate au treillis de guérillero

Corneille Nangaa Yobeluo, né en 1970 à Bagboya dans le Haut-Uele, n’est pas un enfant du Kivu ensanglanté. Bien qu’il soit originaire du nord-est du pays, il est avant tout un homme de bureau, un technocrate formé à Kinshasa et passé par des institutions internationales prestigieuses, telles que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). C’est dans ce monde de diplomatie et de gestion des projets qu’il s’est forgé. Sa carrière prend un tournant majeur lorsqu’il est nommé à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) en 2015, une fonction qu’il occupe sous la présidence de Joseph Kabila. Son rôle dans l’organisation des élections de 2018, marquées par de multiples accusations de fraude, fait de lui une figure controversée. C’est au terme de ces élections qu’il se rapproche du nouveau président élu, Félix Tshisekedi, dont il devient un allié avant de se retourner contre lui.

Sa carrière se transforme radicalement après son éloignement du président. Persuadé d’avoir été trahi par Kinshasa, sans en préciser les détails, il quitte le pays en 2023, pour des raisons sécuritaires, comme il l’avait affirmé. « Si j’ai créé le monstre, il m’appartient de le défaire », déclarait-il en janvier 2025 à Goma, laissant transparaître non seulement une rancune personnelle tenace mais aussi un désir de revanche politique. Le 25 février 2023, quelques mois avant de partir en exil, il annonce la création de son parti politique, l’Action pour la Dignité du Congo et de son Peuple (ADCP).

En décembre 2023, lors du lancement de l’AFC à Nairobi, Nangaa annonce publiquement sa volonté de renverser le président congolais et de mettre en place un système fédéraliste qui, selon lui, pourrait apporter stabilité et prospérité à la RDC. Toutefois, sans soutien militaire propre, il se voit contraint de se rapprocher du M23, un groupe armé fort de milliers de combattants et de ressources militaires, pour espérer peser dans la balance politique. « Le M23 est mon fils aîné », disait-il, soucieux de souligner cette relation de dépendance militaire. Mais cette alliance fragile avec le M23, bien que stratégique, est aussi porteuse de risques. Sans cette force de frappe, son rêve de renverser Tshisekedi et de mener à bien ses réformes pourrait bien se briser face à la réalité du terrain.

Sur les images de Goma, Nangaa apparaît totalement transformé, tel un vieux maquisard. Il ne ressemble plus à ce président de la CENI, élégamment habillé dans sa veste bien coupée. Non, c’est un Nangaa désormais doté d’une imposante barbe blanche, presque toujours vêtu d’un uniforme militaire et d’une casquette sur la tête. Cette nouvelle image incarne son changement radical, un contraste saisissant avec son passé de technocrate, et le positionne résolument dans son rôle de chef rebelle.

Le M23 et Bisimwa : des ambitions divergentes

Le M23, dirigé par Bertrand Bisimwa, n’a pas les mêmes ambitions que Corneille Nangaa. Ce groupe rebelle, d’origine tutsi, est réapparu en 2021 après une période d’accalmie. Selon Bisimwa, le M23 mène une « guerre existentielle » pour assurer la sécurité de sa population, tout en dénonçant ce qu’il qualifie de « génocide rampant » contre la communauté tutsi. Bien que la principale motivation soit économique, cette raison n’est jamais évoquée officiellement.

Les ambitions militaires du M23 se concentrent principalement sur la sécurité locale et le contrôle territorial, avec une stratégie qui accorde une priorité absolue à la préservation et à l’extension des zones où vivent les Tutsis. Le M23 cherche à renforcer sa présence autour de Goma et vers Bukavu, tout en maintenant une pression constante sur les forces congolaises et leurs alliés. Toutefois, l’idée de marcher sur Kinshasa et de prendre le pouvoir à l’échelle nationale ne fait pas partie de leurs préoccupations immédiates, car cela nécessiterait des moyens et des efforts colossaux. De plus, avec le soutien exclusif du Rwanda, cela serait quasiment impossible. Pour Bisimwa, l’objectif principal reste avant tout de garantir la survie et la sécurité de sa communauté.

Cette divergence d’objectifs est particulièrement visible dans les propos des deux leaders. Tandis que Nangaa évoque régulièrement la possibilité de libérer Kinshasa, d’aller « jusqu’à Kinshasa pour libérer le pays de ces jouisseurs tribalistes », Bisimwa se montre plus prudent et plus concentré sur la dimension locale du conflit. « Nous voulons une paix qui garantisse notre sécurité », déclare-t-il, refusant de s’engager dans des aventures nationales hasardeuses et très incertaines. Une fracture idéologique qui, à terme, pourrait rendre l’alliance de plus en plus difficile à maintenir.

Les tensions entre Nangaa et Bisimwa s’intensifient davantage lorsque, en mars 2025, Bisimwa est invité à des pourparlers à Luanda avec les représentants du gouvernement de la RDC, sans que Nangaa y soit associé, alors que, sur le papier, c’est lui le chef. Ce geste a exacerbé les rumeurs d’une rupture de plus en plus probable entre les deux hommes. Tandis que les partisans de Nangaa s’inquiètent de cette évolution, des rumeurs affirment qu’il se rendrait à Kigali, une destination qui semble symboliser son sentiment d’humiliation.

Un avenir incertain pour l’AFC

L’avenir de l’AFC semble suspendu à un fil, et plusieurs scénarios peuvent se dessiner selon l’évolution de l’alliance entre Nangaa et le M23. Si le M23 se retire de l’alliance, l’AFC perdrait son principal atout : sa force militaire. Sans les appuis militaires du M23 et du Rwanda, l’Alliance Fleuve Congo se retrouverait privée de son bras armé, et Nangaa, sans troupes, risquerait de voir ses territoires conquis être rapidement récupérés par les FARDC et leurs alliés. Goma, Bukavu, et d’autres zones stratégiques risqueraient de retomber sous le contrôle de Kinshasa. Les autres factions de l’AFC, comme Twirwaneho, qui l’a rejoint en février 2025, ou le FRPI (Force de Résistance Patriotique en Ituri), ne disposent ni des ressources financières, ni des hommes et des armes nécessaires, et encore moins de la discipline du M23 pour soutenir une confrontation à grande échelle avec l’armée congolaise.

Un diplomate à Kinshasa le souligne : « Si le M23 se retire, Nangaa sera un fantôme de plus, un leader sans peuple ni puissance. » Un tel scénario d’effondrement signifierait la fin d’un rêve et le retour à l’isolement.

Face à une éventuelle rupture avec le M23, Nangaa pourrait chercher à s’allier avec d’autres groupes armés présents dans l’Est, tels que les Maï-Maï. Cependant, ces groupes, souvent peu structurés et aux agendas locaux, ne pourraient en aucun cas compenser la puissance du M23. Sans soutien militaire pour acquérir des armes, Nangaa risquerait de se retrouver dans une impasse. De plus, une alliance avec les FDLR, des ennemis du Rwanda, compromettrait son image et attirerait la colère de Kigali, tandis que la communauté internationale le pousserait à renoncer à ces alliances controversées.

Privé du M23, Nangaa pourrait également tenter de revenir sur la scène politique en négociant un cessez-le-feu avec Kinshasa et obtenir une amnistie en échange de son retrait des combats. Ce pari risquerait de le fragiliser davantage, mais pourrait aussi lui offrir une sortie plus ou moins honorable. Dans le pire des cas, l’AFC pourrait se désintégrer, emportée par ses divergences idéologiques et les ambitions personnelles de ses leaders. Sans le M23, cette coalition fragile risquerait de se briser, et Nangaa se retrouverait isolé, son rêve de fédéralisme réduit à néant.

Les clés de l’avenir

L’avenir de l’AFC dépend largement du rôle que décidera de jouer le Rwanda. Si Kigali décide de se retirer et de couper son soutien au M23, ou si Bisimwa choisit de négocier seul avec Kinshasa, Nangaa perdrait toute crédibilité militaire et se retrouverait sans ressources. Les ressources minières de Nangaa, aussi précieuses soient-elles, ne suffiraient pas à soutenir une telle lutte sans un appui étatique.

Sans le M23, l’AFC de Corneille Nangaa, portée par ses rancunes et ses ambitions, risquerait de se dissoudre lentement. Les tensions croissantes avec Bisimwa et les fractures internes augurent peut-être la fin de cette alliance fragile. Pour Nangaa, l’ambition de renverser Tshisekedi et de réorganiser la RDC sur des bases fédérales pourrait s’arrêter là où le M23 posera ses armes.

Heshima

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Consultations politiques en RDC : l’illusion d’un consensus plane  

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Les consultations initiées par le président Félix Tshisekedi pour la formation d’un gouvernement d’union nationale semblent jusqu’ici tourner uniquement autour des personnalités de sa propre famille politique, l’Union sacrée de la Nation. Une semaine après, l’opposition reste toujours sur sa position et refuse une telle proposition. Si l’opposition ne répond pas, le consensus recherché par le chef de l’Etat pour faire face aux défis sécuritaires dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) risque d’être une illusion.

Les consultions menées par Eberande Kolongele, conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité reprennent, ce lundi 31 mars 2025, à Kinshasa. Après avoir vu défiler Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba, Modeste Bahati, Jean-Michel Sama Lukonde et d’autres leaders de la majorité au pouvoir, les opposants se font toujours attendre. Cette semaine, l’unique opposant qui pourrait se pointer au bureau du conseiller spécial, c’est l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito. Le président du parti Nouvel Elan s’est montré favorable à cette initiative. « Ici, il ne s’agit pas de questions de la majorité ou de l’opposition, parce que nous ne sommes pas en train de défendre nos programmes en tant qu’entités partisanes, entités politiques, mais ici, il s’agit de la nation qui est en danger. Nous devons d’abord préserver la nation, avant de retourner dans nos casquettes politiques », a justifié le secrétaire général de son parti, Blanchard Mongomba. Ce dernier insiste qu’il faut soutenir les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) mais surtout le chef de l’État, Félix Tshisekedi, qui est au front face à cette agression rwandaise sous couvert du Mouvement du 23 mars (M23).   

Du côté du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la position reste inflexible. La formation politique de l’ancien président Joseph Kabila veut un dialogue « inclusif » où toutes les questions liées à la crise actuelle seront traitées. Quant à Martin Fayulu, Delly Sesanga et Moïse Katumbi, ils ont foi au dialogue initié par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Eglise du Christ au Congo (ECC).       

L’illusion d’illusion d’un consensus

Avec ce format des discussions, le pouvoir risque de finir ces consultations sans atteindre l’objectif recherché, celui de réunir le maximum des Congolais pour faire face à la crise sécuritaire. A défaut d’avoir tout le monde, il y risque d’un débauchage des individus au sein de l’opposition pour donner l’illusion d’un consensus et sauver ces consultations. « Le pouvoir, bien sûr, invite les opposants, non pas par générosité d’âme, mais plutôt pour donner l’illusion d’un consensus. », estime Guylain Tshibamba, expert en communication stratégique.

L’histoire politique est riche en exemple. En 2016, Joseph Kabila – refusant un format neutre du dialogue – avait fait venir le Togolais Edem Kodjo pour conduite le dialogue dit de la Cité de l’Union africaine. Un dialogue qui a débouché sur la nomination du Premier ministre Samy Badibanga. Mais l’illusion de ce consensus n’avait pas tardé à montrer ses limites. Le chef de l’Etat de l’époque était obligé de reprendre à zéro pour ratisser large afin de mieux apaiser les tensions. Ce qui l’avait conduit à accepter le dialogue dit de la Saint Sylvestre mené par la CENCO. Même si le Premier ministre nommé – Bruno Tshibala – était aussi un débauché, mais ces pourparlers avaient permis de traverser cette zone de turbulence pour arriver aux élections de 2018.

Avoir la lucidité de lire l’histoire et d’anticiper sur les événements pourrait permettre à la République de ne pas perdre du temps face au danger existentiel qui est à ses portes. D’ailleurs, Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, a demandé de ne pas s’écarter des objectifs. Celui de réunir réellement l’opposition, la majorité et les belligérants dans un processus plus inclusif pour la paix dans l’Est du pays.

Heshima

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Le M23 au Qatar : Doha s’accapare de la médiation de la crise congolaise

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La délégation des rebelles de l’Alliance Fleuve Congo alliée au Mouvement du 23 Mars (AFC-M23) est arrivée à Doha ce vendredi 28 mars 2025. Elle est conduite par Bertrand Bisimwa, leader politique du M23. Mais il y a aussi des délégations rwandaise et congolaise sur place. Pendant que la sous-région multiplie des formats de médiation sans réel progrès, le Qatar s’empare de la situation et semble marquer des points…

Sous l’égide de l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al Thani, les trois délégations vont poursuivre les discussions entamées le 18 mars 2025 entre les présidents congolais et rwandais Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Le contenu ou l’agenda des discussions pour ces trois délégations n’a pas été révélé. Mais tout porte à croire qu’après les sanctions infligées au Rwanda, Kigali a bien besoin de négocier l’avenir de son poulain, le M23. Et dans la foulée, l’avenir de l’AFC de Corneille Nangaa, qui s’est greffée au M23 pour régler ses comptes à Félix Tshisekedi, devrait aussi être étudié à Doha.

Le processus de Luanda a été pris de court

Malgré des progrès encourageants réalisés fin 2024, la médiation dirigée par le président angolais, Joao Lourenço a fini par tourner court. Luanda a décidé d’abandonner le processus au lendemain de la rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame au Qatar. Un échec qui semblait de plus en plus inévitable pour le nouveau président de l’Union africaine face au refus de Paul Kagame de signer, le 15 décembre, un accord de paix avec Félix Tshisekedi puis le refus du M23 de se rendre à Luanda pour des discussions directes entre cette rébellion et le gouvernement congolais.

Après le tête-à-tête de Doha entre les deux dirigeants en conflit, Luanda s’était dit « étonné » de voir cette rencontre alors que le même jour l’Angola attendait les délégations de la RDC et du M23 pour le début des discussions. Le ministre des Affaires étrangères de l’Angola, Téte António, avait rappelé à cette occasion le principe des « solutions africaines » aux problèmes africains sans toutefois contester toute action pouvant mener à la paix dans la région des Grands Lacs.

L’EAC joue le chrono…

Alors que la crise sécuritaire a atteint des proportions inquiétantes, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) joue le chrono. Au lieu d’encourager le processus de paix existant, cette organisation conjointement avec la SADC a fondu les deux processus de paix (Nairobi et Luanda) en un seul processus. Ces organisations sous-régionales ont même nommé des nouveaux médiateurs pour cette crise. Ce qui risque de retarder la solution alors que l’urgence s’impose sur le terrain, particulièrement dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.

« L’EAC qui dicte un peu son tempo à la SADC a tendance à tourner autour du pot alors que le Qatar est pragmatique, » résume un analyste. En effet, la force du Qatar dans la médiation des grandes crises à travers le monde n’était plus à démontrer. Même si certains craignent que l’issue d’une telle négociation puisse pencher en faveur du Rwanda compte tenu de l’investissement qatari au Rwanda. Mais du côté congolais, la porte-parole de Félix Tshisekedi, Tina Salama, a indiqué que Doha a aussi des relations privilégiées avec Kinshasa. Ce qui pourrait mettre à l’aise la délégation congolaise.

Burundi soutient un dialogue interne

Partenaire de la République démocratique du Congo, le Burundi participe à l’éradication des forces négatives grâce à ses troupes présentes dans le Sud-Kivu. Lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU tenue jeudi 27 mars 2025, ce pays a préconisé « un dialogue inter congolais inclusif » en vue d’une paix véritable et durable dans le Nord-Kivu et au Sud-Kivu, deux provinces secouées par les rebelles de l’AFC/M23, soutenus par le Rwanda. Selon le représentant du Burundi à l’ONU, Gitega soutient toute initiative de paix sans se substituer aux processus de Luanda et Nairobi, en voie d’être fusionnés. Sur ce point, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a tenté de rassurer que Doha égale processus de Luanda. Reste à savoir si les résolutions de Doha pourraient refléter l’image du processus de Luanda.

Joseph Kabila hors circuit

Pendant que l’ancien président de la République, Joseph Kabila et ses partisans rêvent d’un dialogue à l’esprit de Sun City pour faire table rase, la ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayumba Wagner, a annoncé qu’aucun rôle n’est réservé pour l’instant au prédécesseur de Félix Tshisekedi dans la résolution actuelle de la crise. Considéré comme une main noire derrière la rébellion de l’AFC de Corneille Nangaa, l’ex-Raïs n’a pas la confiance de Kinshasa pour l’instant. « Joseph Kabila n’a pour l’instant aucun rôle prévu pour lui dans les efforts en cours, » a tranché la patronne de la diplomatie congolaise. Mais tout peut toujours évoluer en politique.

Heshima

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RDC : Joseph Kabila ou le mythe d’un démocrate

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Ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila a été perçu souvent comme une énigme de la vie politique congolaise. Si d’aucuns considéraient à juste titre son engagement en faveur de la démocratie depuis la réunification du pays en 2003 jusqu’à l’alternance pacifique en 2019, sa posture face à l’agression rwandaise en cours et ses récentes prises de position semblent bien déconstruire ce mythe de démocrate. Entre ses silences calculés, ses alliances troubles et ses critiques acerbes contre son successeur, l’homme semble décidé à reconquérir le pouvoir, coûte que coûte. Analyse !

À 47 ans, en 2019, Joseph Kabila était encore fougueux et plein d’énergie. Mais l’homme était un peu obligé de passer la main. Il venait de dépasser largement son bail au Palais de la Nation. Il avait réussi à obtenir une prolongation de deux ans après la fin officielle de son second mandat en 2016, un tour de passe-passe qui avait mis le feu aux poudres. Avant ces deux années de sursis, Joseph Kabila avait subi une pression intense de la part de l’Église catholique, de l’opposition et de la société civile. Plusieurs martyrs ont laissé leurs vies dans ce combat citoyen : Rossy Mukendi et Thérèse Kapangala à Kinshasa, Éric Boloko à Mbandaka, sans oublier les dizaines de morts lors des manifestations réprimées dans le sang entre 2015 et 2018. Tous furent des sacrifices pour forcer la main à un homme qui, visiblement, n’avait aucune intention de lâcher les rênes du pouvoir sans y être contraint.

Pendant ce temps, dans sa boîte à stratégies, le Raïs n’avait plus assez de subterfuges. Il fut obligé d’affronter la réalité : organiser des scrutins et passer le témoin à un autre chef d’État. Habitué au pouvoir depuis janvier 2001, lorsqu’il succéda à son père assassiné, Laurent-Désiré Kabila, l’homme eut beaucoup de difficultés à se choisir un dauphin. Pendant que la presse et ses proches se creusaient la tête pour deviner son choix, il surprit une fois de plus l’opinion en sortant de sa cape de magicien un nom inattendu et controversé : Emmanuel Ramazani Shadary. Face à la vague portée par Martin Fayulu et Félix Tshisekedi, l’élection pencha finalement en faveur de l’opposition. Mais le scrutin, entaché de soupçons de fraude, portait déjà les germes d’un arrangement. La veille de la passation du pouvoir à Félix Tshisekedi, Joseph Kabila assura dans un message télévisé : « Je vais passer la main sans regret ni remords ». En disant cela, celui que certains avaient surnommé « le maître du temps » savait que son accord avec Tshisekedi – un partage tacite du pouvoir – lui permettrait de garder un pied dans la porte. Pour la cosmétique, des affiches à sa gloire fusaient de partout où on pouvait lire : « Le père de la démocratie congolaise ». Certains de ses partisans ne faisaient même plus mystère de ses intentions cachées : « Un stratège qui recule pour mieux sauter ».

Une rupture qui met fin au mythe

Depuis 2021, année de la rupture de la coalition FCC-CACH, celui qui avait déclaré quitter ses fonctions « sans regret ni remords » semblait avoir déjà commencé à regretter son départ du pouvoir. Ou du moins, regretté d’avoir passé la main à Félix Tshisekedi, qui mit fin à leur alliance en décembre 2020, annonçant vouloir gouverner seul. Les événements qui ont suivi cette rupture sont riches en enseignements. Dès 2021, moins d’une année après la rupture de la coalition CACH_FCC, le M23 refait surface depuis les hauteurs de Sarambwe, une localité congolaise dans le parc des Virunga jouxtant la Bwindi Impenetrable National Park en Ouganda. À ce moment, Joseph Kabila réside encore au pays, séjournant tantôt à Kingakati ou à Kashamata, ses fermes situées à Kinshasa et dans le Haut-Katanga. Jusque-là, aucun soupçon ne pèse officiellement sur lui. Mais en décembre 2023, Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sous Kabila, crée sa rébellion depuis Nairobi et fait jonction avec le M23, qui s’empare de Bunagana et d’autres localités de l’est. Le mois suivant, en janvier 2024, le Raïs quitte le pays « en catimini », selon les mots d’Augustin Kabuya, secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel. Plus tard, Jean-Pierre Bemba posera la question à la foule dans un meeting : « Savez-vous pourquoi il a quitté le pays en secret ? C’est parce que nous avons aperçu sa main dans ces histoires ». Bien avant Bemba, Félix Tshisekedi l’avait dit depuis Bruxelles, où il était en convalescence en août 2024 : « L’AFC, c’est lui [Kabila] ».

Au départ, peu de Congolais prêtèrent foi à ces dénonciations. Mais en février 2025, une tribune signée de la main de Joseph Kabila, publiée dans le journal sud-africain Sunday Times, vint scandaliser l’opinion congolaise. Dans cette sortie médiatique, Kabila s’en prend à l’Afrique du Sud, qui soutient militairement la RDC face au M23, déplorant la mort de 14 soldats sud-africains en janvier 2025 comme un « gaspillage » pour soutenir un « régime tyrannique ». Plus troublant encore, il minimise le rôle du M23, affirmant que les troubles dans l’est sont dus à la mauvaise gouvernance de Tshisekedi et non à une rébellion orchestrée. Pour lui, le M23 « n’est ni un groupe anarchiste ni un proxy du Rwanda », mais un mouvement aux « revendications légitimes ». Cette prise de position publique, loin de son silence habituel, marque un tournant : l’homme ne se contente plus de l’ombre, il prépare le terrain.

Une logique d’insurrection ?

Alors qu’il se couvrait jadis d’une image de père de la démocratie, Joseph Kabila et ses partisans semblent désormais lancés dans une reconquête du pouvoir par la force. Une partie de l’opinion pense que l’ex-Raïs est dans une logique d’insurrection pour renverser militairement Félix Tshisekedi. Le soutien militaire de l’Afrique du Sud, qui dérange visiblement ce projet, devient une cible de ses critiques. « Le monde observe attentivement si l’Afrique du Sud – connue pour son humanisme et ses valeurs – continuera d’envoyer des troupes en RDC pour soutenir un régime tyrannique et combattre les aspirations du peuple congolais », avait conclu Kabila dans sa tribune. Ces mots, soigneusement choisis, trahissent une volonté de délégitimer Tshisekedi tout en se posant en défenseur du peuple – une posture qui contraste avec les accusations portées contre lui.

Depuis début 2024, Kabila est absent du pays, poursuivant officiellement un doctorat en relations internationales à l’Université de Johannesburg. Mais son silence et son éloignement alimentent les spéculations. En avril 2024, sa femme, Olive Lembe Kabila, lors d’une visite à Goma, prie publiquement pour son retour, laissant entendre que ses ambitions restent intactes. En mars 2025, un bateau lui appartenant est bloqué sur le lac Tanganyika, soupçonné de transporter des armes pour des groupes alliés au M23, bien que son ancien chef de cabinet, Nehemie Mwilanya, démente ces allégations faute de preuves concrètes. Pendant ce temps, des anciens proches, comme Adam Chalwe, Henri Magie, … sont aperçus aux côtés de Corneille Nangaa lors de réunions du M23, renforçant les soupçons d’une implication de son parti le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) dans l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition politico-militaire incluant le M23.

L’homme sillonne certaines capitales où se concoctent parfois des projets contre la RDC, notamment à Nairobi, où l’AFC a vu le jour. Des informations non vérifiées évoquent aussi un séjour à Kampala, en Ouganda. Dans un tweet effacé, Muhoozi Kainerugaba, fils de Yoweri Museveni et chef de l’armée ougandaise, qualifie Kabila de « grand frère », ajoutant : « Je peux à nouveau travailler avec lui », alors qu’il menace de prendre le contrôle de Kisangani. Plus inattendu encore, en décembre 2024, Kabila rencontre à Addis-Abeba des figures de l’opposition comme Moise Katumbi et Claudel Lubaya, suggérant une tentative de rallier des forces politiques contre Tshisekedi, au-delà des accusations de soutien aux rebelles. Ces manœuvres multiples – militaires, diplomatiques et politiques – dessinent le portrait d’un stratège prêt à tout pour revenir au pouvoir.

Un démocrate de façade

Si Joseph Kabila a réussi à construire un mythe de démocrate grâce à son ouverture à l’opposition armée en 2003 (RCD, MLC, RCD/K-ML…) après avoir pris le pouvoir en 2001, l’organisation des premières élections générales et pluralistes en 2006, puis le cycle de 2011, sa posture après la perte de contrôle en 2021 démontre le contraire. Même avant 2019, « le père de la démocratie congolaise » avait montré qu’il n’avait pas quitté le Palais de la Nation de son plein gré. Les manifestations réprimées dans le sang – en janvier 2015 (au moins 42 morts), septembre 2016 (17 morts), décembre 2017 et février 2018 – témoignaient déjà d’une volonté farouche de s’accrocher au pouvoir. Son choix de Shadary comme dauphin en 2018, un homme controversé, trahissait une tentative désespérée de garder la mainmise sur le jeu politique.

Aujourd’hui, à 53 ans, Kabila qualifie l’alternance et son soutien à Tshisekedi d’« erreur de la vie », ajoutant qu’il est « plus fort maintenant grâce à ces erreurs ». Cette confession, glissée dans une interview récente, révèle un homme qui n’a jamais digéré son départ. Sa défense implicite du M23, ses liens présumés avec l’AFC et ses critiques publiques contre Tshisekedi dessinent une ambition claire : reprendre le pouvoir, d’une façon ou d’une autre. Le démocrate tant vanté par ses partisans n’est plus qu’un mirage, remplacé par un stratège prêt à plonger la RDC dans le chaos pour assouvir ses desseins. Face à l’agression rwandaise et aux troubles dans l’est, son silence complice – voire sa participation active – achève de déconstruire ce mythe. À 53 ans, Joseph Kabila tient à revenir, à tout prix !

Heshima

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