La République démocratique du Congo (RDC) est un paradoxe vivant : un pays au sous-sol regorgeant d’or, de coltan, de cobalt et de diamants, mais où la majorité de la population vit dans une pauvreté abyssale. Dans l’Est du pays, en proie à un conflit sanglant, une question obsédante revient sans cesse : à qui profite cette guerre interminable ? Derrière les massacres, les déplacements massifs et les promesses non tenues, les minerais apparaissent comme le véritable moteur d’une tragédie qui dure depuis des décennies. Heshima Magazine plonge dans les entrailles de cette économie de guerre, révélant les gagnants et les perdants d’un pillage organisé.
La RDC détient environ 60 % des réserves mondiales de cobalt, un minerai essentiel pour les batteries des téléphones et des voitures électriques, ainsi que des quantités colossales de coltan, d’or et de cuivre. L’Est du pays, notamment les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri, concentre une part importante de ces richesses. Selon la Banque mondiale, ces ressources pourraient générer des milliards de dollars par an. Pourtant, en 2024, plus de 70 % des Congolais vivent avec moins de 2 dollars par jour. Pourquoi un tel écart ?
La réponse est aussi simple qu’accablante : la guerre. Depuis la Première Guerre du Congo (1996-1997), les minerais alimentent un cycle de violence sans fin. Les groupes armés, les pays voisins et les entreprises étrangères se disputent ce butin, tandis que l’État congolais peine à imposer son autorité. « On creuse la terre pour survivre, mais ce sont les autres qui s’enrichissent », témoigne Paul, un mineur artisanal de Walikale, qui gagne à peine de quoi nourrir sa famille.
En 2025, la situation s’aggrave. La chute de Goma et Bukavu sous le contrôle du M23 a amplifié l’exploitation illégale des ressources. Les Nations Unies estiment que 90 % des minerais extraits dans l’Est échappent au circuit légal. Mais qui sont les véritables bénéficiaires de ce chaos ? Pour le comprendre, il faut remonter la chaîne, des creuseurs artisanaux aux multinationales.
Les groupes armés, gardiens des mines
Dans l’Est de la RDC, les groupes armés ne se battent pas seulement pour le pouvoir : ils se battent pour les mines. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF) contrôlent des gisements d’or près de Beni, finançant leurs massacres grâce à des réseaux de contrebande vers l’Ouganda. La Coopérative pour le Développement du Congo (CODECO) rackette les mineurs artisanaux de l’Ituri, siphonnant l’or pour acheter des armes. Quant au M23, avec ses avancées fulgurantes, il s’est emparé des zones riches en coltan autour de Goma et Bukavu.
Prenons l’exemple du coltan. Ce minerai, vital pour l’électronique mondiale, est extrait par des dizaines de milliers de creuseurs artisanaux dans des conditions inhumaines. Une fois sorti de terre, il est vendu à des intermédiaires locaux, souvent sous la menace de miliciens armés. Ces groupes prélèvent des « taxes » pouvant atteindre 30 % de la valeur, avant que le coltan ne parte vers des comptoirs illégaux.
Un rapport de Global Witness (2024) révèle que le M23 a exporté pour 250 millions de dollars de coltan en 2023, via des filières rwandaises. Les ADF et CODECO, bien que moins organisés, tirent chacun des dizaines de millions par an de l’or et du bois. Ces chiffres donnent le vertige, mais ils ne représentent qu’une fraction des profits. Car au bout de la chaîne, d’autres acteurs entrent en jeu.
Le Rwanda et l’Ouganda, voisins voraces
Les pays voisins de la RDC jouent un rôle clé dans ce pillage organisé. Le Rwanda, malgré sa petite taille, est devenu un exportateur majeur de coltan et d’or, alors que ses propres réserves sont minimes. Comment ? En servant de plaque tournante pour les minerais congolais. Un rapport de l’ONU (février 2025) accuse Kigali de soutenir le M23 pour sécuriser l’accès aux gisements du Kivu. Depuis la prise de Goma, les camions chargés de minerais traversent quotidiennement la frontière rwandaise sous escorte militaire, selon des témoignages recueillis par Human Rights Watch.
L’Ouganda n’est pas en reste. Les ADF et d’autres milices écoulent leur or via Kampala, où des raffineries le « blanchissent » avant de l’exporter vers Dubaï ou l’Europe. En 2023, l’Ouganda a déclaré 300 millions de dollars d’exportations aurifères, un chiffre impossible sans le pillage congolais. « Le Rwanda et l’Ouganda se construisent sur notre sang », dénonce Marie, une déplacée de Bukavu, qui a vu son village rasé par le M23.
Ces deux pays rejettent les accusations, invoquant des « échanges commerciaux légitimes ». Mais les preuves s’accumulent : images satellites, témoignages, rapports d’ONG. Pendant ce temps, leurs économies prospèrent. Le PIB rwandais a crû de 8 % en 2024, tandis que la RDC s’enfonce dans la crise.
Les multinationales et la demande mondiale
Si les groupes armés et les voisins pillent sur le terrain, les vrais gagnants se trouvent plus loin : les multinationales et les marchés mondiaux. Le cobalt congolais alimente les batteries des sociétés telles que Tesla, Apple, Huawei, Samsung, etc. Le coltan finit dans les smartphones et les ordinateurs. L’or atterrit dans les bijouteries de Paris ou New York. Mais combien de ces entreprises savent ou veulent savoir d’où viennent ces minerais ?
La réponse est complexe. Officiellement, des lois comme le Dodd-Frank Act (USA) ou le règlement européen sur les minerais de conflit exigent une traçabilité. Mais dans la pratique, les filières illégales sont trop opaques. Le coltan du M23 passe par le Rwanda, où il est étiqueté « propre » avant d’atteindre la Chine, premier transformateur mondial. Le cobalt extrait sous contrôle armé est mélangé à des lots légaux dans des comptoirs de Kolwezi. « Une fois dans le circuit, impossible de distinguer le sang du profit », explique un expert de l’ONG Resource Matters.
Certaines entreprises, comme Glencore ou Huayou Cobalt, ont été épinglées pour leurs achats dans des zones de conflit. Pourtant, les sanctions restent rares. Pourquoi ? Parce que la demande explose en Occident. Les véhicules électriques représenteront 40 % des ventes mondiales en 2030, et la RDC est incontournable dans ce marché gigantesque. Les actionnaires s’enrichissent, pendant que les creuseurs congolais risquent leur vie pour 1 dollar par jour.
L’État congolais, complice ou impuissant ?
Et Kinshasa dans tout ça ? L’État devrait être le premier bénéficiaire de ces richesses. Les mines légales, comme celles de Tenke Fungurume, rapportent des centaines de millions de dollars par an. Mais la corruption gangrène le système. Des officiers des FARDC, censés sécuriser l’Est, s’associent à des milices pour exploiter des gisements.
Les élites politiques ne sont pas en reste. Des contrats miniers opaques, signés avec des firmes chinoises ou occidentales, privent le Trésor public de recettes cruciales. En 2023, un scandale a révélé que 400 millions de dollars de fonds miniers avaient « disparu » des caisses de l’État. Pendant ce temps, les FARDC manquent de munitions pour contrer le M23, et les routes de l’Est restent impraticables, isolant les populations.
Cette faiblesse profite aux groupes armés et aux voisins. Sans contrôle effectif, les minerais s’échappent par camions entiers. La centralisation excessive et l’absence de réforme laissent la RDC à la merci de ses prédateurs.
Les perdants : le peuple congolais
Au bout de cette chaîne, les vrais perdants sont les Congolais eux-mêmes. Les 7,8 millions de déplacés de l’Est ont tout perdu : maisons, terres, familles. Les creuseurs artisanaux, qui représentent 20 % de l’économie locale, travaillent dans des conditions proches de l’esclavage, exposés aux éboulements et aux maladies.
La guerre financée par les minerais détruit aussi l’avenir. Les écoles ferment, les hôpitaux manquent de tout, et la faim touche un quart de la population. À Goma, après la chute de la ville, les prix des vivres ont triplé, tandis que les mines continuent de tourner sous contrôle rebelle. « On meurt pour des minerais qu’on ne verra jamais dans nos vies », résume Marie, réfugiée à Kinshasa.
Que faire ?
Certains appellent à une nationalisation des mines, mais sans réforme, cela risque d’enrichir une élite corrompue. D’autres exigent des sanctions contre le Rwanda et des audits des multinationales. Une armée forte et une décentralisation pourraient reprendre le contrôle des territoires. Mais tout commence par une prise de conscience : ces richesses sont les nôtres. Tant que les Congolais ne se battront pas pour elles, les vautours continueront de se servir.
Heshima