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RDC-Ressources minières : qui profite vraiment de la guerre ? [Enquête]

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La République démocratique du Congo (RDC) est un paradoxe vivant : un pays au sous-sol regorgeant d’or, de coltan, de cobalt et de diamants, mais où la majorité de la population vit dans une pauvreté abyssale. Dans l’Est du pays, en proie à un conflit sanglant, une question obsédante revient sans cesse : à qui profite cette guerre interminable ? Derrière les massacres, les déplacements massifs et les promesses non tenues, les minerais apparaissent comme le véritable moteur d’une tragédie qui dure depuis des décennies. Heshima Magazine plonge dans les entrailles de cette économie de guerre, révélant les gagnants et les perdants d’un pillage organisé.

La RDC détient environ 60 % des réserves mondiales de cobalt, un minerai essentiel pour les batteries des téléphones et des voitures électriques, ainsi que des quantités colossales de coltan, d’or et de cuivre. L’Est du pays, notamment les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri, concentre une part importante de ces richesses. Selon la Banque mondiale, ces ressources pourraient générer des milliards de dollars par an. Pourtant, en 2024, plus de 70 % des Congolais vivent avec moins de 2 dollars par jour. Pourquoi un tel écart ?

La réponse est aussi simple qu’accablante : la guerre. Depuis la Première Guerre du Congo (1996-1997), les minerais alimentent un cycle de violence sans fin. Les groupes armés, les pays voisins et les entreprises étrangères se disputent ce butin, tandis que l’État congolais peine à imposer son autorité. « On creuse la terre pour survivre, mais ce sont les autres qui s’enrichissent », témoigne Paul, un mineur artisanal de Walikale, qui gagne à peine de quoi nourrir sa famille.

En 2025, la situation s’aggrave. La chute de Goma et Bukavu sous le contrôle du M23 a amplifié l’exploitation illégale des ressources. Les Nations Unies estiment que 90 % des minerais extraits dans l’Est échappent au circuit légal. Mais qui sont les véritables bénéficiaires de ce chaos ? Pour le comprendre, il faut remonter la chaîne, des creuseurs artisanaux aux multinationales.

Les groupes armés, gardiens des mines

Dans l’Est de la RDC, les groupes armés ne se battent pas seulement pour le pouvoir : ils se battent pour les mines. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF) contrôlent des gisements d’or près de Beni, finançant leurs massacres grâce à des réseaux de contrebande vers l’Ouganda. La Coopérative pour le Développement du Congo (CODECO) rackette les mineurs artisanaux de l’Ituri, siphonnant l’or pour acheter des armes. Quant au M23, avec ses avancées fulgurantes, il s’est emparé des zones riches en coltan autour de Goma et Bukavu.

Prenons l’exemple du coltan. Ce minerai, vital pour l’électronique mondiale, est extrait par des dizaines de milliers de creuseurs artisanaux dans des conditions inhumaines. Une fois sorti de terre, il est vendu à des intermédiaires locaux, souvent sous la menace de miliciens armés. Ces groupes prélèvent des « taxes » pouvant atteindre 30 % de la valeur, avant que le coltan ne parte vers des comptoirs illégaux.

Un rapport de Global Witness (2024) révèle que le M23 a exporté pour 250 millions de dollars de coltan en 2023, via des filières rwandaises. Les ADF et CODECO, bien que moins organisés, tirent chacun des dizaines de millions par an de l’or et du bois. Ces chiffres donnent le vertige, mais ils ne représentent qu’une fraction des profits. Car au bout de la chaîne, d’autres acteurs entrent en jeu.

Le Rwanda et l’Ouganda, voisins voraces

Les pays voisins de la RDC jouent un rôle clé dans ce pillage organisé. Le Rwanda, malgré sa petite taille, est devenu un exportateur majeur de coltan et d’or, alors que ses propres réserves sont minimes. Comment ? En servant de plaque tournante pour les minerais congolais. Un rapport de l’ONU (février 2025) accuse Kigali de soutenir le M23 pour sécuriser l’accès aux gisements du Kivu. Depuis la prise de Goma, les camions chargés de minerais traversent quotidiennement la frontière rwandaise sous escorte militaire, selon des témoignages recueillis par Human Rights Watch.

L’Ouganda n’est pas en reste. Les ADF et d’autres milices écoulent leur or via Kampala, où des raffineries le « blanchissent » avant de l’exporter vers Dubaï ou l’Europe. En 2023, l’Ouganda a déclaré 300 millions de dollars d’exportations aurifères, un chiffre impossible sans le pillage congolais. « Le Rwanda et l’Ouganda se construisent sur notre sang », dénonce Marie, une déplacée de Bukavu, qui a vu son village rasé par le M23.

Ces deux pays rejettent les accusations, invoquant des « échanges commerciaux légitimes ». Mais les preuves s’accumulent : images satellites, témoignages, rapports d’ONG. Pendant ce temps, leurs économies prospèrent. Le PIB rwandais a crû de 8 % en 2024, tandis que la RDC s’enfonce dans la crise.

Les multinationales et la demande mondiale

Si les groupes armés et les voisins pillent sur le terrain, les vrais gagnants se trouvent plus loin : les multinationales et les marchés mondiaux. Le cobalt congolais alimente les batteries des sociétés telles que Tesla, Apple, Huawei, Samsung, etc. Le coltan finit dans les smartphones et les ordinateurs. L’or atterrit dans les bijouteries de Paris ou New York. Mais combien de ces entreprises savent ou veulent savoir d’où viennent ces minerais ?

La réponse est complexe. Officiellement, des lois comme le Dodd-Frank Act (USA) ou le règlement européen sur les minerais de conflit exigent une traçabilité. Mais dans la pratique, les filières illégales sont trop opaques. Le coltan du M23 passe par le Rwanda, où il est étiqueté « propre » avant d’atteindre la Chine, premier transformateur mondial. Le cobalt extrait sous contrôle armé est mélangé à des lots légaux dans des comptoirs de Kolwezi. « Une fois dans le circuit, impossible de distinguer le sang du profit », explique un expert de l’ONG Resource Matters.

Certaines entreprises, comme Glencore ou Huayou Cobalt, ont été épinglées pour leurs achats dans des zones de conflit. Pourtant, les sanctions restent rares. Pourquoi ? Parce que la demande explose en Occident. Les véhicules électriques représenteront 40 % des ventes mondiales en 2030, et la RDC est incontournable dans ce marché gigantesque. Les actionnaires s’enrichissent, pendant que les creuseurs congolais risquent leur vie pour 1 dollar par jour.

L’État congolais, complice ou impuissant ?

Et Kinshasa dans tout ça ? L’État devrait être le premier bénéficiaire de ces richesses. Les mines légales, comme celles de Tenke Fungurume, rapportent des centaines de millions de dollars par an. Mais la corruption gangrène le système. Des officiers des FARDC, censés sécuriser l’Est, s’associent à des milices pour exploiter des gisements.

Les élites politiques ne sont pas en reste. Des contrats miniers opaques, signés avec des firmes chinoises ou occidentales, privent le Trésor public de recettes cruciales. En 2023, un scandale a révélé que 400 millions de dollars de fonds miniers avaient « disparu » des caisses de l’État. Pendant ce temps, les FARDC manquent de munitions pour contrer le M23, et les routes de l’Est restent impraticables, isolant les populations.

Cette faiblesse profite aux groupes armés et aux voisins. Sans contrôle effectif, les minerais s’échappent par camions entiers. La centralisation excessive et l’absence de réforme laissent la RDC à la merci de ses prédateurs.

Les perdants : le peuple congolais

Au bout de cette chaîne, les vrais perdants sont les Congolais eux-mêmes. Les 7,8 millions de déplacés de l’Est ont tout perdu : maisons, terres, familles. Les creuseurs artisanaux, qui représentent 20 % de l’économie locale, travaillent dans des conditions proches de l’esclavage, exposés aux éboulements et aux maladies.

La guerre financée par les minerais détruit aussi l’avenir. Les écoles ferment, les hôpitaux manquent de tout, et la faim touche un quart de la population. À Goma, après la chute de la ville, les prix des vivres ont triplé, tandis que les mines continuent de tourner sous contrôle rebelle. « On meurt pour des minerais qu’on ne verra jamais dans nos vies », résume Marie, réfugiée à Kinshasa.

Que faire ?

Certains appellent à une nationalisation des mines, mais sans réforme, cela risque d’enrichir une élite corrompue. D’autres exigent des sanctions contre le Rwanda et des audits des multinationales. Une armée forte et une décentralisation pourraient reprendre le contrôle des territoires. Mais tout commence par une prise de conscience : ces richesses sont les nôtres. Tant que les Congolais ne se battront pas pour elles, les vautours continueront de se servir.

Heshima

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Consultations politiques en RDC : l’illusion d’un consensus plane  

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Les consultations initiées par le président Félix Tshisekedi pour la formation d’un gouvernement d’union nationale semblent jusqu’ici tourner uniquement autour des personnalités de sa propre famille politique, l’Union sacrée de la Nation. Une semaine après, l’opposition reste toujours sur sa position et refuse une telle proposition. Si l’opposition ne répond pas, le consensus recherché par le chef de l’Etat pour faire face aux défis sécuritaires dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) risque d’être une illusion.

Les consultions menées par Eberande Kolongele, conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité reprennent, ce lundi 31 mars 2025, à Kinshasa. Après avoir vu défiler Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba, Modeste Bahati, Jean-Michel Sama Lukonde et d’autres leaders de la majorité au pouvoir, les opposants se font toujours attendre. Cette semaine, l’unique opposant qui pourrait se pointer au bureau du conseiller spécial, c’est l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito. Le président du parti Nouvel Elan s’est montré favorable à cette initiative. « Ici, il ne s’agit pas de questions de la majorité ou de l’opposition, parce que nous ne sommes pas en train de défendre nos programmes en tant qu’entités partisanes, entités politiques, mais ici, il s’agit de la nation qui est en danger. Nous devons d’abord préserver la nation, avant de retourner dans nos casquettes politiques », a justifié le secrétaire général de son parti, Blanchard Mongomba. Ce dernier insiste qu’il faut soutenir les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) mais surtout le chef de l’État, Félix Tshisekedi, qui est au front face à cette agression rwandaise sous couvert du Mouvement du 23 mars (M23).   

Du côté du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la position reste inflexible. La formation politique de l’ancien président Joseph Kabila veut un dialogue « inclusif » où toutes les questions liées à la crise actuelle seront traitées. Quant à Martin Fayulu, Delly Sesanga et Moïse Katumbi, ils ont foi au dialogue initié par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Eglise du Christ au Congo (ECC).       

L’illusion d’illusion d’un consensus

Avec ce format des discussions, le pouvoir risque de finir ces consultations sans atteindre l’objectif recherché, celui de réunir le maximum des Congolais pour faire face à la crise sécuritaire. A défaut d’avoir tout le monde, il y risque d’un débauchage des individus au sein de l’opposition pour donner l’illusion d’un consensus et sauver ces consultations. « Le pouvoir, bien sûr, invite les opposants, non pas par générosité d’âme, mais plutôt pour donner l’illusion d’un consensus. », estime Guylain Tshibamba, expert en communication stratégique.

L’histoire politique est riche en exemple. En 2016, Joseph Kabila – refusant un format neutre du dialogue – avait fait venir le Togolais Edem Kodjo pour conduite le dialogue dit de la Cité de l’Union africaine. Un dialogue qui a débouché sur la nomination du Premier ministre Samy Badibanga. Mais l’illusion de ce consensus n’avait pas tardé à montrer ses limites. Le chef de l’Etat de l’époque était obligé de reprendre à zéro pour ratisser large afin de mieux apaiser les tensions. Ce qui l’avait conduit à accepter le dialogue dit de la Saint Sylvestre mené par la CENCO. Même si le Premier ministre nommé – Bruno Tshibala – était aussi un débauché, mais ces pourparlers avaient permis de traverser cette zone de turbulence pour arriver aux élections de 2018.

Avoir la lucidité de lire l’histoire et d’anticiper sur les événements pourrait permettre à la République de ne pas perdre du temps face au danger existentiel qui est à ses portes. D’ailleurs, Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, a demandé de ne pas s’écarter des objectifs. Celui de réunir réellement l’opposition, la majorité et les belligérants dans un processus plus inclusif pour la paix dans l’Est du pays.

Heshima

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Le M23 au Qatar : Doha s’accapare de la médiation de la crise congolaise

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La délégation des rebelles de l’Alliance Fleuve Congo alliée au Mouvement du 23 Mars (AFC-M23) est arrivée à Doha ce vendredi 28 mars 2025. Elle est conduite par Bertrand Bisimwa, leader politique du M23. Mais il y a aussi des délégations rwandaise et congolaise sur place. Pendant que la sous-région multiplie des formats de médiation sans réel progrès, le Qatar s’empare de la situation et semble marquer des points…

Sous l’égide de l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al Thani, les trois délégations vont poursuivre les discussions entamées le 18 mars 2025 entre les présidents congolais et rwandais Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Le contenu ou l’agenda des discussions pour ces trois délégations n’a pas été révélé. Mais tout porte à croire qu’après les sanctions infligées au Rwanda, Kigali a bien besoin de négocier l’avenir de son poulain, le M23. Et dans la foulée, l’avenir de l’AFC de Corneille Nangaa, qui s’est greffée au M23 pour régler ses comptes à Félix Tshisekedi, devrait aussi être étudié à Doha.

Le processus de Luanda a été pris de court

Malgré des progrès encourageants réalisés fin 2024, la médiation dirigée par le président angolais, Joao Lourenço a fini par tourner court. Luanda a décidé d’abandonner le processus au lendemain de la rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame au Qatar. Un échec qui semblait de plus en plus inévitable pour le nouveau président de l’Union africaine face au refus de Paul Kagame de signer, le 15 décembre, un accord de paix avec Félix Tshisekedi puis le refus du M23 de se rendre à Luanda pour des discussions directes entre cette rébellion et le gouvernement congolais.

Après le tête-à-tête de Doha entre les deux dirigeants en conflit, Luanda s’était dit « étonné » de voir cette rencontre alors que le même jour l’Angola attendait les délégations de la RDC et du M23 pour le début des discussions. Le ministre des Affaires étrangères de l’Angola, Téte António, avait rappelé à cette occasion le principe des « solutions africaines » aux problèmes africains sans toutefois contester toute action pouvant mener à la paix dans la région des Grands Lacs.

L’EAC joue le chrono…

Alors que la crise sécuritaire a atteint des proportions inquiétantes, la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) joue le chrono. Au lieu d’encourager le processus de paix existant, cette organisation conjointement avec la SADC a fondu les deux processus de paix (Nairobi et Luanda) en un seul processus. Ces organisations sous-régionales ont même nommé des nouveaux médiateurs pour cette crise. Ce qui risque de retarder la solution alors que l’urgence s’impose sur le terrain, particulièrement dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.

« L’EAC qui dicte un peu son tempo à la SADC a tendance à tourner autour du pot alors que le Qatar est pragmatique, » résume un analyste. En effet, la force du Qatar dans la médiation des grandes crises à travers le monde n’était plus à démontrer. Même si certains craignent que l’issue d’une telle négociation puisse pencher en faveur du Rwanda compte tenu de l’investissement qatari au Rwanda. Mais du côté congolais, la porte-parole de Félix Tshisekedi, Tina Salama, a indiqué que Doha a aussi des relations privilégiées avec Kinshasa. Ce qui pourrait mettre à l’aise la délégation congolaise.

Burundi soutient un dialogue interne

Partenaire de la République démocratique du Congo, le Burundi participe à l’éradication des forces négatives grâce à ses troupes présentes dans le Sud-Kivu. Lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU tenue jeudi 27 mars 2025, ce pays a préconisé « un dialogue inter congolais inclusif » en vue d’une paix véritable et durable dans le Nord-Kivu et au Sud-Kivu, deux provinces secouées par les rebelles de l’AFC/M23, soutenus par le Rwanda. Selon le représentant du Burundi à l’ONU, Gitega soutient toute initiative de paix sans se substituer aux processus de Luanda et Nairobi, en voie d’être fusionnés. Sur ce point, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a tenté de rassurer que Doha égale processus de Luanda. Reste à savoir si les résolutions de Doha pourraient refléter l’image du processus de Luanda.

Joseph Kabila hors circuit

Pendant que l’ancien président de la République, Joseph Kabila et ses partisans rêvent d’un dialogue à l’esprit de Sun City pour faire table rase, la ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayumba Wagner, a annoncé qu’aucun rôle n’est réservé pour l’instant au prédécesseur de Félix Tshisekedi dans la résolution actuelle de la crise. Considéré comme une main noire derrière la rébellion de l’AFC de Corneille Nangaa, l’ex-Raïs n’a pas la confiance de Kinshasa pour l’instant. « Joseph Kabila n’a pour l’instant aucun rôle prévu pour lui dans les efforts en cours, » a tranché la patronne de la diplomatie congolaise. Mais tout peut toujours évoluer en politique.

Heshima

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RDC : Joseph Kabila ou le mythe d’un démocrate

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Ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila a été perçu souvent comme une énigme de la vie politique congolaise. Si d’aucuns considéraient à juste titre son engagement en faveur de la démocratie depuis la réunification du pays en 2003 jusqu’à l’alternance pacifique en 2019, sa posture face à l’agression rwandaise en cours et ses récentes prises de position semblent bien déconstruire ce mythe de démocrate. Entre ses silences calculés, ses alliances troubles et ses critiques acerbes contre son successeur, l’homme semble décidé à reconquérir le pouvoir, coûte que coûte. Analyse !

À 47 ans, en 2019, Joseph Kabila était encore fougueux et plein d’énergie. Mais l’homme était un peu obligé de passer la main. Il venait de dépasser largement son bail au Palais de la Nation. Il avait réussi à obtenir une prolongation de deux ans après la fin officielle de son second mandat en 2016, un tour de passe-passe qui avait mis le feu aux poudres. Avant ces deux années de sursis, Joseph Kabila avait subi une pression intense de la part de l’Église catholique, de l’opposition et de la société civile. Plusieurs martyrs ont laissé leurs vies dans ce combat citoyen : Rossy Mukendi et Thérèse Kapangala à Kinshasa, Éric Boloko à Mbandaka, sans oublier les dizaines de morts lors des manifestations réprimées dans le sang entre 2015 et 2018. Tous furent des sacrifices pour forcer la main à un homme qui, visiblement, n’avait aucune intention de lâcher les rênes du pouvoir sans y être contraint.

Pendant ce temps, dans sa boîte à stratégies, le Raïs n’avait plus assez de subterfuges. Il fut obligé d’affronter la réalité : organiser des scrutins et passer le témoin à un autre chef d’État. Habitué au pouvoir depuis janvier 2001, lorsqu’il succéda à son père assassiné, Laurent-Désiré Kabila, l’homme eut beaucoup de difficultés à se choisir un dauphin. Pendant que la presse et ses proches se creusaient la tête pour deviner son choix, il surprit une fois de plus l’opinion en sortant de sa cape de magicien un nom inattendu et controversé : Emmanuel Ramazani Shadary. Face à la vague portée par Martin Fayulu et Félix Tshisekedi, l’élection pencha finalement en faveur de l’opposition. Mais le scrutin, entaché de soupçons de fraude, portait déjà les germes d’un arrangement. La veille de la passation du pouvoir à Félix Tshisekedi, Joseph Kabila assura dans un message télévisé : « Je vais passer la main sans regret ni remords ». En disant cela, celui que certains avaient surnommé « le maître du temps » savait que son accord avec Tshisekedi – un partage tacite du pouvoir – lui permettrait de garder un pied dans la porte. Pour la cosmétique, des affiches à sa gloire fusaient de partout où on pouvait lire : « Le père de la démocratie congolaise ». Certains de ses partisans ne faisaient même plus mystère de ses intentions cachées : « Un stratège qui recule pour mieux sauter ».

Une rupture qui met fin au mythe

Depuis 2021, année de la rupture de la coalition FCC-CACH, celui qui avait déclaré quitter ses fonctions « sans regret ni remords » semblait avoir déjà commencé à regretter son départ du pouvoir. Ou du moins, regretté d’avoir passé la main à Félix Tshisekedi, qui mit fin à leur alliance en décembre 2020, annonçant vouloir gouverner seul. Les événements qui ont suivi cette rupture sont riches en enseignements. Dès 2021, moins d’une année après la rupture de la coalition CACH_FCC, le M23 refait surface depuis les hauteurs de Sarambwe, une localité congolaise dans le parc des Virunga jouxtant la Bwindi Impenetrable National Park en Ouganda. À ce moment, Joseph Kabila réside encore au pays, séjournant tantôt à Kingakati ou à Kashamata, ses fermes situées à Kinshasa et dans le Haut-Katanga. Jusque-là, aucun soupçon ne pèse officiellement sur lui. Mais en décembre 2023, Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sous Kabila, crée sa rébellion depuis Nairobi et fait jonction avec le M23, qui s’empare de Bunagana et d’autres localités de l’est. Le mois suivant, en janvier 2024, le Raïs quitte le pays « en catimini », selon les mots d’Augustin Kabuya, secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel. Plus tard, Jean-Pierre Bemba posera la question à la foule dans un meeting : « Savez-vous pourquoi il a quitté le pays en secret ? C’est parce que nous avons aperçu sa main dans ces histoires ». Bien avant Bemba, Félix Tshisekedi l’avait dit depuis Bruxelles, où il était en convalescence en août 2024 : « L’AFC, c’est lui [Kabila] ».

Au départ, peu de Congolais prêtèrent foi à ces dénonciations. Mais en février 2025, une tribune signée de la main de Joseph Kabila, publiée dans le journal sud-africain Sunday Times, vint scandaliser l’opinion congolaise. Dans cette sortie médiatique, Kabila s’en prend à l’Afrique du Sud, qui soutient militairement la RDC face au M23, déplorant la mort de 14 soldats sud-africains en janvier 2025 comme un « gaspillage » pour soutenir un « régime tyrannique ». Plus troublant encore, il minimise le rôle du M23, affirmant que les troubles dans l’est sont dus à la mauvaise gouvernance de Tshisekedi et non à une rébellion orchestrée. Pour lui, le M23 « n’est ni un groupe anarchiste ni un proxy du Rwanda », mais un mouvement aux « revendications légitimes ». Cette prise de position publique, loin de son silence habituel, marque un tournant : l’homme ne se contente plus de l’ombre, il prépare le terrain.

Une logique d’insurrection ?

Alors qu’il se couvrait jadis d’une image de père de la démocratie, Joseph Kabila et ses partisans semblent désormais lancés dans une reconquête du pouvoir par la force. Une partie de l’opinion pense que l’ex-Raïs est dans une logique d’insurrection pour renverser militairement Félix Tshisekedi. Le soutien militaire de l’Afrique du Sud, qui dérange visiblement ce projet, devient une cible de ses critiques. « Le monde observe attentivement si l’Afrique du Sud – connue pour son humanisme et ses valeurs – continuera d’envoyer des troupes en RDC pour soutenir un régime tyrannique et combattre les aspirations du peuple congolais », avait conclu Kabila dans sa tribune. Ces mots, soigneusement choisis, trahissent une volonté de délégitimer Tshisekedi tout en se posant en défenseur du peuple – une posture qui contraste avec les accusations portées contre lui.

Depuis début 2024, Kabila est absent du pays, poursuivant officiellement un doctorat en relations internationales à l’Université de Johannesburg. Mais son silence et son éloignement alimentent les spéculations. En avril 2024, sa femme, Olive Lembe Kabila, lors d’une visite à Goma, prie publiquement pour son retour, laissant entendre que ses ambitions restent intactes. En mars 2025, un bateau lui appartenant est bloqué sur le lac Tanganyika, soupçonné de transporter des armes pour des groupes alliés au M23, bien que son ancien chef de cabinet, Nehemie Mwilanya, démente ces allégations faute de preuves concrètes. Pendant ce temps, des anciens proches, comme Adam Chalwe, Henri Magie, … sont aperçus aux côtés de Corneille Nangaa lors de réunions du M23, renforçant les soupçons d’une implication de son parti le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) dans l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition politico-militaire incluant le M23.

L’homme sillonne certaines capitales où se concoctent parfois des projets contre la RDC, notamment à Nairobi, où l’AFC a vu le jour. Des informations non vérifiées évoquent aussi un séjour à Kampala, en Ouganda. Dans un tweet effacé, Muhoozi Kainerugaba, fils de Yoweri Museveni et chef de l’armée ougandaise, qualifie Kabila de « grand frère », ajoutant : « Je peux à nouveau travailler avec lui », alors qu’il menace de prendre le contrôle de Kisangani. Plus inattendu encore, en décembre 2024, Kabila rencontre à Addis-Abeba des figures de l’opposition comme Moise Katumbi et Claudel Lubaya, suggérant une tentative de rallier des forces politiques contre Tshisekedi, au-delà des accusations de soutien aux rebelles. Ces manœuvres multiples – militaires, diplomatiques et politiques – dessinent le portrait d’un stratège prêt à tout pour revenir au pouvoir.

Un démocrate de façade

Si Joseph Kabila a réussi à construire un mythe de démocrate grâce à son ouverture à l’opposition armée en 2003 (RCD, MLC, RCD/K-ML…) après avoir pris le pouvoir en 2001, l’organisation des premières élections générales et pluralistes en 2006, puis le cycle de 2011, sa posture après la perte de contrôle en 2021 démontre le contraire. Même avant 2019, « le père de la démocratie congolaise » avait montré qu’il n’avait pas quitté le Palais de la Nation de son plein gré. Les manifestations réprimées dans le sang – en janvier 2015 (au moins 42 morts), septembre 2016 (17 morts), décembre 2017 et février 2018 – témoignaient déjà d’une volonté farouche de s’accrocher au pouvoir. Son choix de Shadary comme dauphin en 2018, un homme controversé, trahissait une tentative désespérée de garder la mainmise sur le jeu politique.

Aujourd’hui, à 53 ans, Kabila qualifie l’alternance et son soutien à Tshisekedi d’« erreur de la vie », ajoutant qu’il est « plus fort maintenant grâce à ces erreurs ». Cette confession, glissée dans une interview récente, révèle un homme qui n’a jamais digéré son départ. Sa défense implicite du M23, ses liens présumés avec l’AFC et ses critiques publiques contre Tshisekedi dessinent une ambition claire : reprendre le pouvoir, d’une façon ou d’une autre. Le démocrate tant vanté par ses partisans n’est plus qu’un mirage, remplacé par un stratège prêt à plonger la RDC dans le chaos pour assouvir ses desseins. Face à l’agression rwandaise et aux troubles dans l’est, son silence complice – voire sa participation active – achève de déconstruire ce mythe. À 53 ans, Joseph Kabila tient à revenir, à tout prix !

Heshima

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