Nous rejoindre

Nation

RDC : De Kasa-Vubu à Tshisekedi, l’éternel pari de l’union nationale 

Published

on

Depuis son indépendance en 1960, la République démocratique du Congo (RDC) a fréquemment eu recours à des gouvernements d’union nationale, de salut public ou de transition pour tenter de surmonter ses crises les plus profondes : sécessions, rébellions armées, effondrements économiques, et pressions internationales. Ces coalitions, qui réunissent pouvoir et opposition, apparaissent comme des solutions désespérées pour restaurer la stabilité dans un État rongé par des fractures ethniques, politiques et sociales. Mais ces gouvernements, souvent perçus comme des remèdes miracles, ont-ils réellement répondu aux attentes ? À travers une rétrospective des expériences passées, Heshima Magazine, inspiré par les récentes annonces du président de la RDC Félix-Antoine Tshisekedi et les consultations de Kolongele, explore cette pratique quasi rituelle, ses origines, ses dynamiques, ses succès et ses échecs, pour interroger sa pertinence et son efficacité aujourd’hui.

Le gouvernement de réconciliation nationale de Cyrille Adoula (1961-1964)

L’indépendance, célébrée avec enthousiasme le 30 juin 1960, fut rapidement éclipsée par une crise majeure. Moins d’une semaine après, le 5 juillet 1960, la mutinerie de la Force Publique à Léopoldville (actuelle Kinshasa) marqua le début d’un chaos qui allait paralyser le pays. Frustrés par la persistance du commandement belge et par leurs conditions de service, les soldats se lancèrent dans des violences aveugles : pillages, agressions et exactions contre les civils. Cette révolte provoqua une fuite massive de près de 100 000 Européens. Le 10 juillet, la Belgique envoya ses troupes à Léopoldville pour « protéger ses ressortissants », une intervention perçue comme une atteinte directe à la souveraineté du pays.

Dans un contexte de désordre total, le Premier ministre Patrice Lumumba tenta de reprendre les rênes du pouvoir. Toutefois, son gouvernement se fragilisa rapidement en raison des tensions internes, d’une administration désorganisée et d’un paysage politique fracturé. La situation se détériora davantage lorsqu’en juillet, Moïse Tshombe, leader du parti Conakat, proclama l’indépendance du Katanga, une province riche en ressources naturelles stratégiques, soutenue en sous-main par la Belgique et des entreprises minières. Moins d’un mois plus tard, Albert Kalonji, chef du MNC-Kalonji, revendiqua l’autonomie du Sud-Kasaï, une région diamantifère, accentuant ainsi la fragmentation du pays.

Ces sécessions, encouragées par les puissances étrangères, plongèrent le pays dans un tourbillon de violence et de confusion. Le gouvernement central, déjà affaibli, se retrouva confronté à l’ingérence internationale, notamment de la part des États-Unis, de la Belgique et de la France, qui soutenaient discrètement les mouvements séparatistes. En désespoir de cause, Lumumba, après avoir sollicité l’intervention des Nations Unies, se tourna vers l’Union Soviétique, ce qui attisa la méfiance des puissances occidentales et précipita la guerre froide sur le sol congolais.

Le 5 septembre 1960, un autre tournant survint lorsque le président Joseph Kasa-Vubu révoqua Patrice Lumumba, l’accusant de dérives autoritaires et de liens dangereux avec l’URSS. Lumumba, fidèle à sa ligne politique, refusa cette révocation, et la confrontation institutionnelle plongea le pays dans une paralysie totale. C’est dans ce contexte de chaos qu’intervint Joseph-Désiré Mobutu, alors chef d’état-major, qui mit fin au statu quo en suspendant toutes les institutions et en instaurant un gouvernement de technocrates, une décision qui marqua le début de sa longue emprise sur le pays.

La fin tragique de Patrice Lumumba, assassiné en janvier 1961 après avoir été capturé lors d’une tentative de fuite vers Stanleyville, mit un terme brutal à l’unité nationale naissante et plongea le pays dans une nouvelle spirale de violences. Sa mort, orchestrée avec la complicité de puissances étrangères, choqua l’opinion internationale et radicalisa davantage ses partisans, jetant ainsi les bases des luttes qui marqueront l’histoire politique du Congo pendant des décennies.

Cet épisode complexe et douloureux de l’histoire de la RDC soulève une question cruciale : les gouvernements d’union nationale, censés être des solutions temporaires aux crises profondes, ont-ils réellement permis de rétablir l’ordre et de promouvoir une véritable réconciliation nationale ? Si leur objectif était de restaurer l’unité, force est de constater que leur mise en œuvre a souvent exacerbé les tensions internes et accentué les divisions du pays. L’expérience du gouvernement de Cyrille Adoula, comme tant d’autres avant et après lui, témoigne des défis considérables auxquels la RDC a dû faire face pour trouver un équilibre politique stable dans un contexte national et international complexe.

En février 1961, Antoine Gizenga, ancien vice-Premier ministre et fidèle de Patrice Lumumba, établit à Stanleyville (actuelle Kisangani) un gouvernement parallèle, proclamant la légitimité de la « République populaire du Congo ». Soutenu activement par l’URSS, qui lui fournit armes, fonds et soutien politique, ce bastion lumumbiste devient rapidement le centre de résistance au pouvoir central, accusé par ses partisans de complicité dans l’assassinat de Lumumba. À partir de Stanleyville, Gizenga parvient à mobiliser un réseau de partisans, notamment dans l’Est et le Kwilu, et obtient même la reconnaissance diplomatique de plusieurs pays socialistes.

À Kinshasa, dirigée désormais par des figures modérées sous la férule de Mobutu, le gouvernement central est accusé de trahison, et de soumission aux intérêts des puissances occidentales, en particulier les États-Unis et la Belgique. Face à la menace de partition du pays, les Nations Unies et les puissances occidentales intensifient les pressions pour parvenir à un compromis politique. C’est dans ce climat de tension qu’un conclave national se réunit à l’université de Lovanium du 10 juillet au 2 août 1961, rassemblant près de 200 parlementaires issus de diverses tendances : lumumbistes, modérés, régionalistes et pro-occidentaux. Bien que Moïse Tshombe, le chef sécessionniste du Katanga, fasse défaut, les débats aboutissent à un fragile consensus autour d’une figure de compromis : Cyrille Adoula, syndicaliste modéré du Mouvement national congolais (MNC), qui est nommé Premier ministre le 2 août 1961 avec pour mission de réconcilier les camps rivaux et de restaurer l’unité du pays.

Adoula forme alors un gouvernement de réconciliation nationale, intégrant des figures lumumbistes pour apaiser les tensions internes. Ainsi, autour de lui, des personnalités comme Gizenga aux Affaires étrangères, Gbenye à l’Intérieur, Kamitatu au Plan et Sendwe aux Affaires politiques occupent des postes stratégiques. Soutenu par l’ONU et les États-Unis, Adoula se positionne comme l’option modérée face à l’avancée du communisme dans un Congo devenu le terrain de jeu des blocs de la guerre froide. Mais le pays qu’il hérite est profondément fracturé, en ruine institutionnelle et miné par des sécessions ainsi que des rivalités idéologiques.

Pourtant, malgré son inclusion dans ce gouvernement de réconciliation, Gizenga refuse de regagner la capitale. Marqué par l’assassinat brutal de Lumumba et convaincu que sa propre vie est en danger, il choisit de rester à Stanleyville, où il continue de diriger son gouvernement parallèle. Ce refus de rejoindre Léopoldville maintient une crise de double pouvoir, affaiblissant l’autorité du gouvernement central et compromettant sérieusement les efforts de réunification. Adoula, bien qu’animé par la volonté de dialogue, se heurte à la méfiance tenace de Gizenga, soutenu par l’URSS et reconnu diplomatiquement par plusieurs pays du bloc de l’Est.

La liquidation du Katanga, bastion sécessionniste dirigé par Moïse Tshombe et soutenu par des mercenaires européens, devient l’autre priorité du gouvernement d’Adoula. En novembre 1961, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 169, autorisant l’usage de la force pour rétablir l’unité du Congo. Les Casques bleus de l’ONUC lancent plusieurs opérations militaires, culminant avec l’opération Grandslam en décembre 1962. Après de violents affrontements, les forces katangaises sont écrasées, et Tshombe capitule le 15 janvier 1963, mettant fin à 28 mois de sécession.

Mais la consolidation du pouvoir central reste fragile. En janvier 1962, Antoine Gizenga, de plus en plus marginalisé après l’écrasement des forces qui lui étaient loyales, est arrêté à Stanleyville. Cette arrestation met fin à son gouvernement parallèle, mais aussi à son « ministère à distance », bien qu’il ait officiellement intégré le cabinet d’Adoula. Cette mise à l’écart marque aussi un tournant : la frustration croissante chez les anciens partisans de Lumumba devient palpable, annonçant des secousses politiques à venir.

Le Sud-Kasaï, dirigé par Albert Kalonji, s’effondre à son tour. Après de violents affrontements avec les troupes gouvernementales et un isolement croissant, Kalonji fuit vers le Katanga avant de se rendre en octobre 1962. Ces victoires militaires, soutenues par l’ONU, permettent à Adoula de proclamer la réunification nationale, un succès salué par la communauté internationale. Mais derrière cette apparente stabilisation, les fractures demeurent profondes.

En dépit de ces succès militaires, la réconciliation politique se révèle un échec. Le ministre Christophe Gbenye, confronté à des rivalités internes avec Victor Nendaka Bika, chef des services de renseignement, est limogé en septembre 1963. Humilié, il rejoint la rébellion Simba en 1964, un mouvement hétéroclite mêlant anciens lumumbistes, maoïstes et groupes armés hostiles au gouvernement central. Quant à Jason Sendwe, gouverneur du Katanga, il est assassiné en juin 1964, mettant fin à ses tentatives de pacification.

Ces ruptures marquent l’échec d’une réconciliation durable. Les frustrations accumulées par les partisans de Lumumba nourrissent de nouveaux foyers de rébellion, notamment la guérilla maoïste de Pierre Mulele dans le Kwilu et la rébellion Simba à l’est. Sur le plan intérieur, Adoula doit également faire face à une série de crises sociales et économiques : grèves récurrentes dans les centres urbains, tensions ethniques croissantes et effondrement économique. Les réformes qu’il tente d’impulser se heurtent à de multiples résistances, y compris au sein de son propre gouvernement, tandis que la population s’enfonce dans la précarité.

Affaibli par des luttes internes et dépassé par l’ampleur des défis, Adoula démissionne fin juin 1964 après presque trois ans de mandat. Il laisse derrière lui un pays apparu réuni, mais toujours profondément déchiré sur les plans politique et social. Ses efforts pour maintenir l’intégrité nationale par la force ne suffiront pas à effacer les fractures du pays. Les rébellions de 1964-1965, qui surviennent immédiatement après sa démission, témoignent de l’échec de sa politique de réconciliation et annoncent une nouvelle période de troubles, que seule l’ascension de Mobutu réussira à contenir temporairement.

Le Gouvernement d’Union Nationale d’Étienne Tshisekedi (1991)

En 1991, le Zaïre de Joseph Mobutu est au bord du gouffre. Après 26 ans de dictature, le pays est en proie à une crise multidimensionnelle qui touche tous les secteurs : hyperinflation, corruption institutionnalisée, effondrement des services publics et des infrastructures, ainsi qu’une misère généralisée qui engendre une colère populaire de plus en plus palpable. L’élite politique, obsédée par le maintien du pouvoir, continue de piller les ressources du pays tandis que l’État, de plus en plus dépendant de l’aide internationale, perd toute crédibilité. Les grèves, émeutes et pillages deviennent le quotidien des Congolais, qui se retrouvent dans un climat d’anxiété croissante.

La situation atteint son paroxysme en septembre 1991 lorsque l’armée, mal payée et abandonnée à son sort, se mutine à Kinshasa. Des soldats se livrent à des pillages d’une ampleur inédite, attaquant commerces, habitations et symboles de l’État. Des centaines de morts sont à déplorer, et la capitale, Kinshasa, échappe au contrôle de Mobutu. Cette rébellion reflète un pays en pleine déliquescence, où même le pouvoir militaire ne parvient plus à maintenir l’ordre.

Sur le plan politique, la pression monte également. En 1990, contraint par les bailleurs de fonds et par les mobilisations internes, Mobutu annonce un retour au multipartisme, espérant ainsi apaiser les tensions. Cependant, cette ouverture tardive a l’effet inverse : elle galvanise l’opposition, qui s’organise rapidement autour de l’Union Sacrée de l’Opposition Radicale (USOR), une coalition regroupant plus de 130 partis politiques. À sa tête, Étienne Tshisekedi, leader charismatique du mouvement de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), émerge comme la figure centrale de cette opposition, armé d’une légitimité populaire acquise au fil de ses années de résistance contre Mobutu.

La Conférence Nationale Souveraine (CNS), convoquée en août 1991, devient le centre de la lutte pour la transition démocratique. Elle réunit plus de 2 800 délégués issus de la société civile, des partis politiques et de l’administration, et se donne pour mission de discuter de la refondation de l’État et de préparer la transition vers un gouvernement démocratique. Mais les travaux sont régulièrement perturbés par les manœuvres du régime et les violences sur le terrain, illustrant un pays plongé dans une guerre larvée entre un pouvoir autocratique et une opposition déterminée.

Le 29 septembre 1991, sous la pression combinée de la CNS, de la rue et des puissances occidentales, Mobutu finit par céder. Il nomme Étienne Tshisekedi Premier ministre, un geste aussi symbolique qu’inattendu, perçu comme une tentative de calmer la situation aussi bien au niveau national qu’international. Pour la première fois depuis l’indépendance, un membre de l’opposition accède légalement au pouvoir exécutif.

Tshisekedi forme un gouvernement d’union nationale, en s’appuyant principalement sur les cadres de l’USOR. Il inclut des figures importantes telles que Frédéric Kibassa Maliba, un vétéran de l’UDPS, et Jean Nguza Karl-i-Bond, un opposant chevronné à la tête de l’Union des Fédéralistes et des Républicains Indépendants (UFERI). Des technocrates et des anciens fonctionnaires viennent compléter ce gouvernement qui se veut de rupture. L’objectif est de redonner une légitimité au pouvoir central, apaiser les tensions sociales, réorganiser l’administration, et poser les bases d’élections crédibles. Tshisekedi, dans son discours, annonce la mise en place de mesures d’assainissement financier et de lutte contre la corruption, espérant initier un changement radical dans un pays exsangue.

Cependant, Mobutu, fidèle à sa stratégie d’usure, ne lâche pas le contrôle. Dès la prise de fonctions de Tshisekedi, il sabote l’action du nouveau gouvernement. Les ministères clés — Défense, Finances, Affaires étrangères — restent sous le contrôle de fidèles du président. Les comptes publics restent inaccessibles, l’armée demeure sous l’autorité de Mobutu, et toute tentative de réforme se heurte à une administration verrouillée. Les mesures annoncées par Tshisekedi, bien que symboliques, n’ont que peu d’impact, faute de leviers concrets.

Le 1er novembre 1991, à peine un mois après sa nomination, Tshisekedi est brutalement démis de ses fonctions. Mobutu invoque des désaccords sur la répartition des pouvoirs pour justifier ce limogeage, mais la décision est perçue par une large partie de la population comme un coup de force. L’indignation est générale, et des manifestations éclatent dans les grandes villes, violemment réprimées. L’armée, laissée à elle-même, tire sur les civils. Le chaos s’installe dans un pays déjà au bord de l’effondrement.

L’expérience Tshisekedi, bien que brève, fut porteuse d’une forte espérance pour beaucoup de Congolais. Elle aurait pu marquer un tournant dans l’histoire politique du Zaïre, mais elle s’effondre face à un régime qui refuse toute véritable transition. Ce premier gouvernement d’union nationale, bien qu’ambitieux et soutenu par une large légitimité populaire, échoue non par manque de volonté, mais en raison de la résistance farouche d’un pouvoir qui ne se plie pas aux exigences du changement. Le système, verrouillé depuis des décennies, ne permet pas de véritable partage du pouvoir.

Le Gouvernement de Transition d’Étienne Tshisekedi issu de la Conférence Nationale Souveraine (1992-1993)

À la fin des années 1980, le Zaïre, sous le régime de Mobutu Sese Seko, est un État en déliquescence. Le parti unique, le MPR (Mouvement populaire de la révolution), qui régente le pays depuis 1967, perd peu à peu sa légitimité. La fin de la guerre froide et la vague démocratique qui déferle sur le continent mettent le régime sous pression, à la fois du côté de la société civile et des puissances internationales. La condition pour toute aide économique des institutions de Bretton Woods est désormais la mise en place de réformes politiques. Mobutu, dans l’impasse, accepte alors de convoquer la Conférence nationale souveraine (CNS), censée être le vecteur d’une transition démocratique.

L’ouverture de la CNS, en août 1991, marque le début d’un long processus de réorganisation des institutions zaïroises. Sous la présidence de Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, une figure consensuelle de la société civile, plus de 2 800 délégués issus des partis politiques, syndicats, ONG, confessions religieuses et autres acteurs de la société civile se rassemblent pour discuter de la refondation du pays. Mais rapidement, les travaux sont perturbés par les manœuvres du régime, qui tente d’influencer les débats, et les tensions internes au sein de la conférence. Néanmoins, sous la pression populaire et internationale, la CNS parvient à s’imposer, devenant un symbole d’espoir pour une majorité de Congolais.

Le 15 août 1992, un événement majeur se produit : Étienne Tshisekedi, leader de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), est élu Premier ministre de transition par un vote des délégués de la CNS. C’est une première historique dans un pays où le chef du gouvernement est traditionnellement nommé par le président. Pour Mobutu, acculé, il n’a d’autre choix que d’accepter cette nomination sous la pression de la rue, de l’Église catholique et des chancelleries occidentales. Mais cette acceptation ne sera que de façade : Mobutu ne compte pas céder le pouvoir.

Dès sa nomination, Tshisekedi, fort d’une large légitimité populaire, tente de reprendre les rênes du pouvoir. Il met en place un gouvernement de transition composé des membres de l’Union sacrée de l’opposition radicale (USOR), avec l’UDPS comme pivot. Il y inclut également des figures modérées pour donner au gouvernement une légitimité nationale. Mais très rapidement, les obstacles apparaissent. Mobutu n’a pas l’intention de faciliter la tâche de son Premier ministre. Les structures de l’État, toujours dominées par ses proches, sont hostiles aux réformes proposées par Tshisekedi.

Le gouvernement de Tshisekedi, bien que soutenu par la population, se heurte dès les premières semaines à des résistances de plus en plus fortes. L’un des premiers affrontements survient avec la Banque centrale. Tshisekedi limoge son gouverneur, un proche de Mobutu, mais des unités militaires fidèles au président encerclent immédiatement l’institution bancaire pour en empêcher le fonctionnement. L’administration est paralysée, les ministres de Tshisekedi n’ont pas accès aux dossiers ni aux ressources nécessaires pour gouverner. Le pays se trouve alors dans une situation de blocage, avec un pouvoir exécutif qui n’a ni le contrôle de l’armée, ni des leviers économiques.

En novembre 1992, la CNS adopte une nouvelle Constitution, instaurée sur le modèle parlementaire. Le rôle du président devient essentiellement protocolaire, tandis que le Premier ministre détient le pouvoir exécutif. Cette réforme constitue une humiliation pour Mobutu, qui rejette la Constitution et la considère comme une tentative de le « détrôner sans guerre ». Le rapport de forces se durcit davantage, et le 22 décembre 1992, Mobutu franchit un nouveau seuil en dissolvant unilatéralement le gouvernement Tshisekedi et en nommant un gouvernement parallèle dirigé par Faustin Birindwa, un dissident de l’opposition. Le pays entre alors dans une phase de double pouvoir.

Le gouvernement Tshisekedi, désormais coupé des moyens de l’État, se retrouve dans une situation de quasi-impuissance. Sans armée, sans trésor public, et avec une administration inefficace, il n’est plus qu’une coquille vide, soutenue uniquement par le peuple. Les manifestations de soutien à Tshisekedi sont violemment réprimées par les forces loyalistes à Mobutu, et les militants de l’opposition sont arrêtés. Les radios indépendantes sont muselées, et la pression extérieure augmente. Les bailleurs de fonds, d’abord enthousiastes à l’idée d’une transition démocratique, commencent à douter de la viabilité du processus, suspendant leur aide et espérant un compromis qui ne vient pas.

Après sept mois de lutte stérile, Tshisekedi quitte ses fonctions le 18 mars 1993. Cette démission, bien qu’une défaite politique, est perçue par beaucoup comme un acte de résistance face à l’intransigeance du régime. Il refuse de collaborer avec le gouvernement parallèle mis en place par Mobutu. La CNS, quant à elle, perd peu à peu sa légitimité et sombre dans l’oubli, rongée par les divisions internes et l’incapacité à mettre en place un véritable processus de transition.

Malgré l’échec de son mandat, Étienne Tshisekedi sort renforcé sur le plan symbolique. Il devient le porte-drapeau d’une opposition intransigeante mais non violente, incarnant l’espoir d’un changement pacifique mais difficilement réalisable dans un contexte de verrouillage total du pouvoir. Son passage éclair à la tête du gouvernement de transition révèle les limites d’une réforme menée sans les moyens nécessaires, sans contrôle de l’armée, et face à un président prêt à tout pour conserver son pouvoir.

Le Gouvernement de Salut Public de Faustin Birindwa (1993-1994)

En mars 1993, le Zaïre, déjà exsangue après des années de dictature sous Mobutu Sese Seko, atteint un point de rupture. La fin du soutien occidental, consécutive à la déstabilisation géopolitique de la fin de la Guerre froide, prive le régime de ses dernières ressources financières. Après l’échec retentissant du gouvernement d’Étienne Tshisekedi, désavoué par une opposition divisée et un président omnipotent, Mobutu organise, du 9 au 17 mars, un conclave politique visant à réorganiser le pouvoir. Cette rencontre, dominée par les fidèles du président et boycottée par l’Union sacrée de l’opposition radicale (USOR) et le Haut Conseil de la République (HCR), aboutit à la nomination de Faustin Birindwa, dissident de l’UDPS, comme Premier ministre. Bien que présentée comme une ouverture, cette nomination s’inscrit en réalité dans une stratégie de fragmentation de l’opposition et de consolidation du pouvoir présidentiel.

Birindwa prend ainsi la tête d’un gouvernement de salut public, composé en grande majorité de loyalistes du régime. La nomination de figures comme Jean Nguza Karl-i-Bond, un ancien opposant rallié à Mobutu, au poste de vice-Premier ministre et ministre de la Défense, renforce la mainmise du président sur l’appareil sécuritaire, pièce maîtresse du pouvoir. L’absence d’opposants de poids dans le gouvernement, à l’exception de Birindwa lui-même, le prive de toute légitimité aux yeux de l’USOR et des chancelleries occidentales. Ces dernières, toujours fidèles à leur reconnaissance de Tshisekedi comme Premier ministre légitime, tournent désormais le dos à ce gouvernement de façade, qu’elles considèrent comme un simple instrument dans la stratégie de temporisation de Mobutu.

La mission confiée à Birindwa est claire : rétablir un semblant d’ordre et surtout préserver l’hégémonie de Mobutu face à une opposition de plus en plus audacieuse. En octobre 1993, le gouvernement tente de résoudre la crise économique en lançant une réforme monétaire ambitieuse, le « Nouveau Zaïre ». Ce projet, consistant à changer de monnaie à un taux de conversion astronomique (3 millions de vieux zaïres pour une nouvelle unité), est censé stabiliser l’économie et juguler l’hyperinflation. Cependant, le « Nouveau Zaïre » s’effondre rapidement : de 2,67 zaïres par dollar, la monnaie dégringole à 36,67 zaïres en décembre, ce qui accentue encore la défiance des Zaïrois et exacerbe la crise économique.

Dans le même temps, la répression politique s’intensifie. Les médias critiques sont réduits au silence, leurs bureaux sont fermés ou attaqués. Les voix dissidentes, qu’elles soient de simples militants ou de figures politiques de l’opposition, sont arrêtées arbitrairement. Les manifestations populaires, provoquées par un mécontentement grandissant, sont écrasées sous une violence inouïe. Loin de restaurer l’ordre, ces mesures répressives alimentent la colère populaire et engendrent une radicalisation des tensions sociales.

Birindwa, bien que propulsé par Mobutu, se retrouve rapidement acculé par des défis de taille. Le manque de soutien extérieur, en particulier des bailleurs de fonds internationaux comme le FMI ou les États-Unis, étouffe un pays déjà au bord de la faillite. Les espoirs de relance, notamment grâce aux ressources minières, se dissipent rapidement en raison de la corruption systémique et de l’insécurité généralisée. Les vastes gisements du Shaba, cœur économique du Zaïre, sont hors d’atteinte, contrôlés par des milices locales et minés par des luttes de pouvoir incessantes. La misère généralisée alimente des grèves, des émeutes et des vagues de désespoir, tandis que les tensions ethniques, exacerbées par le régime, dégénèrent en violences communautaires dans les régions du Shaba et du Kasaï.

Le climat politique devient encore plus complexe à partir de janvier 1994, lorsque des négociations entre les forces de Mobutu et une opposition affaiblie aboutissent à la création du Haut Conseil de la République-Parlement de Transition (HCR-PT), une structure hybride fusionnant le Parlement et le HCR. Dans ce contexte de division, Faustin Birindwa, devenu un symbole d’impuissance, présente sa démission le 14 janvier 1994, mettant ainsi fin à un mandat de moins de dix mois.

Le gouvernement de Faustin Birindwa est un échec cuisant sur tous les plans. Les objectifs affichés de stabilisation économique, de restauration de l’ordre et d’ouverture démocratique sont restés largement inaccessibles. La réforme monétaire, bien que symboliquement forte, a échoué à produire les résultats escomptés et a exacerbé les tensions sociales. Politiquement, la persistance de la répression a non seulement fragilisé davantage le régime, mais a aussi précipité une rupture entre le pouvoir et une grande partie de la population.

Au final, Birindwa quitte ses fonctions sans avoir réussi à restaurer la cohésion de l’État ou à résoudre les problèmes économiques et sociaux du Zaïre. Son passage à la tête du gouvernement a incarné la tentative de Mobutu de maintenir un semblant d’autorité, mais sans les moyens de restaurer véritablement l’ordre dans un pays profondément déstabilisé. Cette période précède de peu l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila en 1997, qui marquera la fin définitive du régime mobutiste et l’ouverture d’un nouveau chapitre de l’histoire congolaise.

Heshima Magazine poursuivra la publication de ce dossier le vendredi 25 avril 2025, avec un éclairage sur l’amorce de la transition dite 1+4.

Continue Reading

Nation

RDC : un développement des provinces toujours à géométrie variable

Published

on

En République démocratique du Congo (RDC), la ville de Kolwezi a reçu la 12ème Conférence des gouverneurs des provinces. Malgré l’existence des instruments juridiques pour équilibrer leur gestion, toutes les provinces ne reçoivent toujours pas le même budget pour leur fonctionnement, ce qui déséquilibre le développement de ces entités. Le Lualaba et le Haut-Katanga semblent marquer le pas, laissant derrière eux le Haut-Lomami, le Sankuru, la Mongala et tant d’autres provinces moins nanties. La caisse de péréquation, conçue pour couvrir ces écarts, ne fonctionne plus depuis le dernier découpage territorial.

Seize ans après la décentralisation, les provinces ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Lors de l’ouverture de la 12ème Conférence des gouverneurs, le 10 juin 2025 à Kolwezi, chef-lieu de la province du Lualaba, les gouverneurs ont adressé un mémorandum dans lequel ils insistent pour la mise en application de la Caisse nationale de péréquation. Si certaines provinces telles que le Lualaba et le Haut-Katanga ont hérité d’une activité minière florissante, d’autres parties du pays ne connaissent pas une attractivité économique susceptible de soutenir le développement de ces entités, bien qu’elles soient également dotées de ressources naturelles.

Pour essayer de renforcer le développement à la base, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait initié le programme de développement local de 145 territoires (PDL-145T). Ce projet vise à améliorer le cadre de vie des populations rurales et à réduire la pauvreté et les inégalités sociales. Financé à hauteur d’environ 1,6 milliard de dollars, ce programme ambitieux vise à autonomiser les 145 territoires répartis dans les 26 provinces. Le gouvernement travaille également à renforcer la gouvernance locale et la planification du développement dans les provinces, avec l’appui du PNUD et d’autres partenaires locaux. Mais ce programme – encore inachevé – rencontre des défis notamment de financement. Lors de leurs précédentes résolutions, les gouverneurs ont notamment plaidé pour la rétrocession des 40 % dus aux provinces.

Etat des lieux des précédentes résolutions

Lors de la 11ème Conférence des gouverneurs organisée à Kalemie, dans la province du Tanganyika, ces responsables de provinces avaient formulé 68 recommandations. Elles visaient à améliorer la gestion publique dans leurs entités, à construire ou améliorer les infrastructures, à renforcer le financement et la fiscalité des provinces, à mieux gérer les risques locaux, à stabiliser les institutions provinciales et à accroître l’implication des exécutifs provinciaux dans le PDL-145T. Les gouverneurs avaient aussi recommandé de revoir le mode de scrutin pour l’élection des gouverneurs et des députés provinciaux, modifier les critères d’accession au pouvoir des administrateurs de territoires et des animateurs des entités territoriales décentralisées, assurer le paiement régulier des salaires des responsables politiques et des frais de fonctionnement des exécutifs provinciaux, et enfin achever les chantiers d’infrastructures du projet PDL-145T. Très peu de ces recommandations ont été mises en œuvre aussi bien du côté des gouverneurs que du gouvernement central. Félix Tshisekedi, lors de la clôture de ces assises, avait demandé au Secrétariat permanent de la Conférence des gouverneurs de province d’en assurer le suivi permanent.

Les gouverneurs insistent sur la Caisse de péréquation

Véritable outil d’équilibre entre les provinces nanties et les moins nanties, la Caisse nationale de péréquation (CNP) n’est toujours pas opérationnelle. Pourtant, la péréquation vise à atténuer les disparités de ressources entre provinces afin de favoriser une répartition plus équitable des charges et de garantir un niveau minimum de services publics, créant une solidarité nationale. Cette caisse était censée disposer d’un budget alimenté par le trésor public à concurrence de dix pour cent (10 %) de la totalité des recettes nationales revenant à l’État chaque année.
Prévue par la Constitution (article 181), la Caisse nationale de péréquation a été légalement créée en 2018 (Ordonnance n°18/037 du 24 novembre 2018), soit 10 ans après la promulgation de la Constitution. Malgré sa mise en œuvre, son fonctionnement continue à poser problème. Certains responsables provinciaux accusent le gouvernement central d’être à la base de ces retards et blocages politiques. « Le gouvernement central ne manifeste aucune volonté politique pour rendre opérationnelle la Caisse nationale de péréquation. C’est inadmissible que des provinces comme le Sankuru et le Maï-Ndombe continuent toujours de présenter un visage moyenâgeux alors qu’il y a une possibilité de suppléer ce manque de moyens », estime un élu provincial de Maï-Ndombe.
Lors de l’investiture du gouvernement de la Première ministre Judith Suminwa en 2024, les députés nationaux Ngoyi Kasanji et Paul Tshilumbu avaient dénoncé les difficultés de fonctionnement que connaissait la Caisse nationale de péréquation. Quelques jours plus tard, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamarhe, avait tenté de résoudre le problème en invitant le comité de gestion de la CNP à l’Assemblée nationale. « La Caisse ne bénéficie d’aucun financement du gouvernement », avait tranché le président de son conseil d’administration, Izato Nzege, ainsi que le Directeur général Coco-Jacques Mulongo Nzemba. Il était prévu que cette structure soit relancée dans le cadre du budget de l’exercice 2025. Mais ce budget a été voté, mais les gouverneurs ne voient toujours rien tomber dans leur escarcelle.

En juillet 2023, le Centre des recherches en finances publiques et développement local (CREFDL) avait dénoncé des « intérêts obscurs » qui freinaient le fonctionnement de cette caisse. Cette structure notait qu’après analyse technique de plus d’une centaine de documents relatifs à l’opérationnalisation de cette caisse, le bilan reste catastrophique, y compris sous le président Félix Tshisekedi. « Le bilan reste catastrophique. La CNP n’a jamais été redynamisée malgré la nomination de nouveaux animateurs. Sur 4,1 milliards USD alignés dans la loi de Finances (2019-2023) pour financer les investissements des provinces et ETD, le Trésor public n’a décaissé que 76 millions USD, soit 2,7 % », dénonçait CREFDL. Cette insuffisance de financement des provinces moins nanties combinée avec les difficultés de rétrocession de 40 % des recettes nationales aux provinces constitue des obstacles majeurs pour l’autonomie financière de ces entités.

Un développement à géométrie variable

L’absence de la Caisse nationale de péréquation et la rétrocession de 40 % effectuée à « dent de scie » ne permettent pas aux provinces d’avoir un même rythme de développement. Le Lualaba, qui a accueilli cette 12ème Conférence, a présenté 14 nouvelles infrastructures inaugurées par le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi. Il s’agit de l’échangeur routier, de l’aérogare internationale de Kolwezi, une caserne anti-incendie, une salle de congrès de 1 500 places, des écoles publiques, des routes…

Avec une superficie bâtie de près de 10 000 mètres carrés, cette aérogare à 2 niveaux symbolise l’ouverture de Kolwezi au monde, selon Fifi Masuka, gouverneure du Lualaba. L’ouvrage intègre 2 ailes distinctes pour les vols domestiques, internationaux, des salons VIP, 2 bras satellitaires ainsi que d’autres commodités. Ce projet est conforme au standard de l’organisation de l’aviation civile internationale, précise Fifi Masuka, qui note également que ledit projet s’inscrit dans le cadre du programme d’investissement prioritaire 2024-2028 au travers du pilier 4 relatif aux infrastructures et à l’aménagement du territoire, sous l’axe 1 : infrastructure des transports.

Mais face à ce boom immobilier, d’autres chefs-lieux de provinces manquent même une simple piste d’aérodrome. A Lodja, dans le Sankuru, ce qui est présenté comme un aéroport laisse à désirer. L’ombre sous le feuillage des arbres est utilisée comme un lieu d’embarquement avec une piste presque en terre battue. Il y a un sérieux hiatus entre ce qui se fait à Kolwezi et ce qui s’observe à Lodja ou à Inongo. A Kinshasa, malgré l’avantage d’être une province-capitale, l’exécutif provincial peine aussi à mobiliser les ressources et se fait souvent assister financièrement par le gouvernement central. Lors de la première journée de la 12ème conférence des gouverneurs, le gouverneur Daniel Bumba a dressé un tableau contrasté de son propre programme « Kinshasa Ezo Bonga », un plan de développement chiffré à 10 milliards de dollars, aligné sur les trois initiatives et six engagements du quinquennat du président de la République. Il a vanté un plan global d’assainissement de la ville, la reconstruction de la voirie urbaine avec notamment la réhabilitation de 60 kilomètres de routes sur les 170 initialement prévus pour sortir Kinshasa de ses nombreux embouteillages.

Tant que la Caisse de péréquation et la rétrocession de 40 % ne seront pas totalement opérationnelles, le développement des provinces en RDC restera à géométrie variable. Plusieurs éléments confirment cette triste réalité, notamment les disparités économiques, l’inégalité des infrastructures, et les différences dans l’accès aux services sociaux de base, tels que les routes, les aéroports, les hôpitaux et les écoles publiques ou privées. Pour corriger cette situation, des politiques plus équitables de redistribution des ressources,

une véritable décentralisation, et des investissements ciblés dans les zones marginalisées seraient nécessaires.

Heshima

Continue Reading

Nation

Procès ou justice spectacle : retour sur les grands procès politiques et leurs implications judiciaires

Published

on

L’histoire de la République démocratique du Congo (RDC) est marquée par plusieurs procès politiques, souvent utilisés par les pouvoirs en place pour écarter des opposants, asseoir leur autorité ou répondre à des crises politiques. De Patrice Emery Lumumba à Moïse Katumbi ou Vital Kamerhe, les cas de politiciens poursuivis ou jugés sont nombreux. Retour sur des procès jugés politiques et leurs implications judiciaires.

Dans l’arène politique congolaise depuis l’indépendance, la justice est souvent utilisée pour régler des comptes à des adversaires politiques. Mais elle est aussi brandie par certains politiques comme un prétexte pour se soustraire à leurs obligations judiciaires après un abus ou une infraction, notamment de détournement des deniers publics. Depuis plus d’un mois, l’opinion congolaise assiste à un nouveau dossier impliquant le ministre d’Etat à la Justice et garde des Sceaux, Constant Mutamba. Ce dernier est soupçonné par le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, d’avoir détourné 19 millions de dollars destinés à la construction d’une prison à Kisangani, une ville du nord-est de la RDC. Mais, rapidement, le ministre de la Justice l’a perçu comme un procès politique, rejetant toute accusation de détournements. Constant Mutamba parle d’« acharnement » et de « complot politique ». Dans une correspondance consultée par Heshima Magazine, le ministre de la Justice annonce la récusation du procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, qui le poursuit pour détournement. Il récuse également les magistrats placés sous son autorité. Pour l’heure, le procureur attend la réponse sur la demande d’autorisation des poursuites adressée à l’Assemblée nationale.

Dans l’histoire du pays, la justice et la politique sont longtemps perçues comme intimement liées. La justice semble influencée par le pouvoir politique. En effet, plusieurs politiciens ont été confrontés à la justice. Certains des procès ont été qualifiés de politiques car motivés par le souci d’écarter un adversaire gênant ou carrément de liquider des potentiels concurrents.

Procès non tenu de Patrice Lumumba (1960-1961)

Après l’indépendance en juin 1960, Patrice Emery Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, entre en conflit avec le président Joseph Kasa-Vubu et le chef de l’armée, Joseph-Désiré Mobutu. Après avoir échappé à la résidence surveillée et espérant rejoindre Stanleyville (actuelle Kisangani), son fief politique, Lumumba est battu par des soldats au camp militaire Hardy de Thysville (actuelle Mbanza-Ngungu) avant d’être transféré à Élisabethville (actuelle Lubumbashi) au Katanga, où il a été assassiné le 17 janvier 1961. Cette exécution extrajudiciaire sera perçue comme un assassinat politique. En 2021, le média belge RTBF n’hésite pas à qualifier cet assassinat de « crime politique avec des responsabilités belges ». L’élimination politique d’un dirigeant nationaliste orchestrée avec la complicité belge et américaine.

Procès du groupe de Pierre Mulele (1964-1968)

Pierre Mulele, ancien ministre de l’Éducation sous Patrice Lumumba, mène une insurrection maoïste, également appelée rébellion Simba ou muleliste. Plusieurs de ses partisans sont arrêtés et exécutés parfois sans procès. En exil, Mulele lui-même est trompé en revenant au pays en 1968. Il sera arrêté et torturé puis exécuté sans procès équitable. En réalité, il n’a même pas eu droit à un procès juridique au sens traditionnel du terme, mais plutôt à un procès politique suivi d’une exécution sommaire. Sa mort sera suivie d’une répression brutale d’une opposition idéologique au régime de Mobutu.

Procès des « Martyrs de la Pentecôte » (1966)

La pendaison en public de quatre acteurs politiques en 1966 sur ordre du président Mobutu fait partie des sentences et crimes judiciaires des plus inoubliables. Il s’agit de Jérôme Anany, ministre de la Défense dans le gouvernement de Cyrille Adoula ; Emmanuel Bamba, sénateur et dignitaire de l’Église kimbanguiste ; Évariste Kimba, Premier ministre jusqu’en novembre 1965 et Alexandre Mahamba, ministre des Affaires foncières dans le gouvernement de Cyrille Adoula. Les quatre acteurs étaient accusés de préparer un plan de destitution du président Mobutu et de son Premier ministre, le général Mulamba. Mobutu va signer le 30 juin une ordonnance-loi créant un tribunal militaire d’exception pour juger les quatre politiciens pour complot contre les institutions de l’Etat. Le jury est composé de trois officiers : le colonel Pierre Ingila, président, le colonel Ferdinand Malila, juge et le colonel Honoré Nkulufa, juge. Plus de 20 000 personnes sont conviées à assister à ce procès de visu où les quatre accusés comparaîtront ligotés et pieds nus. Dans un procès déséquilibré et dont le sort était déjà connu d’avance, les quatre « conjurés » vont être pendus en public sur le terrain où sera érigé plus tard le stade Kamanyola, débaptisé ensuite stade des Martyrs de la Pentecôte en référence à ces quatre martyrs. De nombreux observateurs ont vu dans ce procès une instrumentalisation de la justice pour consolider le pouvoir de Mobutu.

Le procès de Jean Nguza Karl-i-Bond (1977) : une purge sous Mobutu

En 1977, Jean Nguza Karl-i-Bond, ministre des Affaires étrangères et figure influente du régime de Mobutu Sese Seko, devient la cible d’un procès retentissant. Accusé de haute trahison pour son prétendu rôle dans l’invasion du Shaba par les gendarmes katangais et d’avoir tenté de séduire la première dame, il est arrêté en août 1977. Ces charges, largement considérées comme politiquement motivées, visent à neutraliser un rival perçu comme un possible successeur de Mobutu. Le 13 septembre 1977, un tribunal à Kinshasa, dans une mise en scène de justice spectacle, le condamne à mort. Deux jours plus tard, Mobutu commue sa peine en prison à vie, une décision qui reflète la stratégie du régime : punir pour intimider, mais préserver pour manipuler. Libéré en juillet 1978, Nguza est réintégré comme ministre des Affaires étrangères en 1979, puis nommé Premier ministre à deux reprises (1980-1981, 1991-1992), illustrant la volatilité des alliances sous Mobutu.
Durant son incarcération, Nguza subit des tortures brutales, y compris des sévices sexuels, qui le laissent physiquement diminué, selon des témoignages d’époque (Der Spiegel, 1977). Ce procès met en lumière l’instrumentalisation de la justice par Mobutu pour maintenir son emprise, éliminant les rivaux tout en renforçant son image de maître absolu. « C’était une leçon pour tous : Mobutu pouvait détruire ou gracier à sa guise », confie un ancien diplomate congolais. Ce cas, emblématique de l’arbitraire judiciaire, souligne les tensions ethniques – Nguza étant Lunda – et les luttes internes au sein de l’élite zaïroise. Il incarne une justice au service du pouvoir, une pratique récurrente dans l’histoire congolaise, où les tribunaux deviennent des arènes de règlements de comptes politiques.

Procès de Jean-Bertrand Ewanga (2014)

A l’époque, secrétaire général de l’Union pour la nation congolaise (UNC), la troisième force de l’opposition représentée au Parlement, Jean-Bertrand Ewanga avait été brutalement arrêté au lendemain d’un rassemblement de l’opposition tenu à la place Sainte Thérèse de N’djili, dans l’Est de Kinshasa. Il sera condamné à un an de prison ferme pour « outrage au chef de l’État », mais aussi au président du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Premier ministre sans possibilité de faire appel. L’opposant se savait condamné d’avance dans ce procès que ses avocats qualifiaient déjà de politique et d’arbitraire. Avant la sentence, Jean-Bertrand Ewanaga savait déjà ce qui l’attendait. Dans sa prise de parole, il déclarera laconiquement aux juges : « Faites ce que vous devez faire et envoyez-moi à Makala, mais je ne cautionne pas cette parodie de justice ». Des ONG des droits de l’homme dénonceront également un « procès politique » intenté contre un opposant qui dérange.

Procès Katumbi, sous l’ère Joseph Kabila (2016-2019)

Après son départ de la majorité présidentielle fin 2014, Moïse Katumbi devient l’un de plus grands opposants au président de la République, Joseph Kabila. Il se positionne aussi comme un challenger politique pour la présidentielle qui devrait se tenir en 2016. L’homme sera poursuivi dans deux affaires différentes : spoliation d’un immeuble d’un sujet grec et recrutement des mercenaires étrangers. Dans le dossier des mercenaires, il était donc poursuivi pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » avec six autres co-accusés dont un Américain. A Lubumbashi, ses partisans vont dénoncer un « procès politique » et un « acharnement » contre leur leader. Mais l’ancien gouverneur du Katanga sera contraint à l’exil. Officiellement, le procureur l’autorisera à quitter le pays pour aller se faire soigner à l’étranger. Dans l’entre-temps, Moise Katumbi sera condamné à 3 ans de prison ferme dans le premier dossier lié à la spoliation d’un immeuble appartenant à Alexandros Stoupis, un sujet grec. En exil à Bruxelles depuis plus de deux ans, l’ex-gouverneur du Katanga avait décidé en 2018 de revenir au pays pour déposer sa candidature à la présidentielle entre le 24 juillet et le 8 août 2018. En RDC, les autorités politiques préviennent qu’il doit toujours répondre de sa condamnation à trois ans de prison dans cette affaire d’immeuble dont il contestait d’ailleurs tout fondement. D’ailleurs, plus tard, après l’accession de Félix Tshisekedi au pouvoir, il a été innocenté dans les deux affaires. Ces procès ont été jugés comme « politiquement motivés » par de nombreuses ONG et organisations internationales. Selon ces organisations dont la Voix de sans voix (VSV), ces manœuvres judiciaires étaient une tentative d’écarter un opposant majeur avant les élections de 2018. Katumbi tentera un forcing en essayant de rentrer au pays par la frontière de la Zambie, sans succès.

Ernest Kyaviro, 17 mois de prison pour des infractions politiques (2015)

Cadre du RCD/KML, parti d’Antipas Mbusa Nyamwisi, l’ancien député Ernest Kyaviro avait purgé 17 mois de prison au Centre pénitencier et de rééducation de Makala à Kinshasa. Il avait été arrêté à Goma, au cours d’une manifestation initiée par l’opposition le 22 janvier 2015 contre le pouvoir de Joseph Kabila. Après son arrestation, il avait été transféré à Kinshasa, avant d’être condamné à 3 ans de prison pour « incitation à la désobéissance civile ». En appel, sa peine avait été réduite à 17 mois. En avril 2016, lors d’un constat du reporteur de Radio Okapi, l’homme purgeait sa peine dans l’hôpital pénitencier de Makala où il était retenu pour des raisons de santé. Il clamait toujours que son arrestation était politique. Dans un rapport publié quelques mois après, Dans un rapport publié jeudi 26 novembre, Amnesty International dénonce la répression qui l’ONG Amnesty International dénonçait une répression qui « s’abat sur la société civile et l’opposition en République démocratique du Congo ». Cette organisation de lutte pour les droits de l’homme critiquait une justice congolaise « instrumentalisée pour « réduire au silence ceux qui sont en désaccord avec l’idée d’un troisième mandat pour le président Kabila ».

Jean-Claude Muyambo, condamné pour « abus de confiance » (2015)

Arrêté en janvier 2015 dans la foulée des manifestations contre la modification de la loi électorale, l’ancien bâtonnier Jean-Claude Muyambo a été condamné à 5 ans de prison. Mais curieusement, lors du procès, les faits pour lesquels il a été arrêté ne seront pas évoqués. Le tribunal brandit plutôt un dossier d’abus de confiance et de stellionat dans le cadre d’une affaire d’immeuble appartenant toujours au même sujet grec (Alexandros Stoupis) qui avait fait condamner Moise Katumbi. Depuis son incarcération à la prison de Makala, il se plaignait de l’état de son pied gauche tuméfié à la suite du traitement qu’il aurait subi lors de son arrestation. Jean-Claude Muyambo sera finalement gracié après l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir en 2019, soit une année avant la fin de sa peine.

Christopher Ngoyi, un activiste derrière les barreaux (2015)

Militant de la société civile, Christopher Ngoyi Mutamba faisait partie des personnalités arrêtées en janvier 2015 lors des manifestations contre la modification de la loi électorale qui conditionnait l’organisation des élections de 2016 au recensement général de la population. Pour plusieurs de ses proches, Christopher Ngoyi n’était rien d’autre qu’un « prisonnier d’opinion ». Il sera libéré plus d’une année après au même moment que Fred Bauma et Yves Makwambala, deux activistes du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUCHA). Ils avaient été relâchés sur décision de la Cour Suprême de Justice, bénéficiant d’une « liberté provisoire » après 18 mois et 15 jours de détention sans procès. Officiellement, Christopher Ngoyi était accusé d’incendie volontaire, actes de pillage et incitation à la haine raciale.

Procès Franck Diongo (2016)

Jugé en procédure de flagrance pour séquestration de trois militaires de la Garde républicaine en marge d’une manifestation populaire contre le maintien de Joseph Kabila au pouvoir, l’opposant Franck Diongo a été condamné le 28 décembre 2016 à cinq ans de prison ferme. Les sympathisants du leader du Mouvement lumumbiste progressiste (MLP) avaient déployé devant la Cour suprême de justice à Kinshasa plusieurs banderoles avec ces inscriptions : « Libérez Franck Diongo », « Franck Diongo innocent », « Franck Diongo héros vivant », rapportait RFI lors du procès en révision de sa condamnation. Même des journalistes ont été interdits d’accéder dans la salle d’audience le jour de ce procès en révision de sa peine. Mais Franck Diongo ne sera libéré qu’en mars 2019 après la prise de pouvoir par Félix Tshisekedi.

Proche de Tshisekedi, Kamerhe devant la barre (2020)

A l’époque directeur de cabinet du président de la République, Félix Tshisekedi, Vital Kamarhe a été arrêté et emprisonné pour détournement de fonds publics dans le cadre du programme des “100 jours”. Ce programme d’urgence a été présenté comme une initiative visant à répondre aux besoins de la population et à apporter des changements positifs dès l’entame du mandat du président Félix Tshisekedi en 2019. Cependant, des accusations d’irrégularités, de corruption et d’utilisation abusive du pouvoir ont été formulées. Pour la première fois depuis l’indépendance du pays, un directeur de cabinet du chef de l’Etat en fonction est non seulement mis en cause par la justice mais aussi condamné. Certains y ont vu un signal fort contre la corruption, d’autres une lutte de pouvoir interne. Avec la mort soudaine du juge Raphaël Yanyi qui dirigeait l’affaire, ce procès a été perçu comme un règlement de comptes politique contre Vital Kamerhe par certaines personnes dans l’entourage de Félix Tshisekedi. Condamné à 20 ans de prison en 2020, la peine sera réduite à 13 ans après un second jugement en appel.

Arrêté le 8 avril 2020, Vital Kamerhe sera « totalement acquitté » le 23 juin 2020. « Il n’y a pas de preuve contre lui. C’en est définitivement fini avec cette affaire », avait clamé son avocat, Jean-Marie Kabengela. La Cour de cassation a cassé la condamnation à treize ans de prison prise par la Cour d’appel, demandant à celle-ci, constituée d’autres juges, de rejuger l’affaire. Mais le dossier n’a plus jamais été rejugé. En décembre 2021, cette haute juridiction avait déjà accordé une libération conditionnelle à Vital Kamerhe pour raisons de santé, lui permettant d’effectuer un déplacement en France.

Condamné dans le même procès, l’homme d’affaires libanais Samir Jammal avait également été « acquitté par la cour d’appel de Kinshasa/Gombe », selon son avocat, Tshitsha Bokolombe. Dans l’entretemps, les maisons préfabriquées pour lesquelles ces personnes avaient été arrêtées n’ont jamais été rendues totalement à l’Etat congolais qui avait déboursé 57 millions de dollars pour ce volet du programme de « 100 jours ».

Jean-Marc Kabund : un ancien chef du parti présidentiel en procès (2022)

Fin 2021, l’ancien président intérimaire de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) Jean-Marc Kabund commence à prendre des positions contraires à la ligne de son parti, dénonçant notamment une « justice à deux vitesses ». En 2022, Kabund s’en prend directement au chef de l’État, Félix Tshisekedi, l’accusant d’« incompétence notoire » et de « dérive monarchique ». Le 18 juillet 2022, lors d’une conférence de presse pour le lancement de son nouveau parti, l’Alliance pour le changement, il indique que Félix Tshisekedi est un « danger au sommet de l’État » et qu’il fallait s’en débarrasser. C’était visiblement des mots de trop adressés contre le régime en place. Arrêté en août 2022, Kabund a été condamné, en septembre 2023, à une peine de sept ans de prison par la Cour de cassation. Cette condamnation faisait suite à une série d’accusations, notamment « d’outrage au chef de l’Etat », « offense aux institutions de la République » et « propagation de faux bruits ».

Pilier du parti présidentiel, l’homme était tombé en disgrâce en janvier 2022. Passé dans l’opposition après sa mise à l’écart de l’UDPS et son éviction de son poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale, il avait progressivement radicalisé son discours vis-à-vis des autorités congolaises. En 2025, il sera finalement libéré de la prison. Des rumeurs évoquent une grâce présidentielle accordée par Félix Tshisekedi. Mais son entourage se défend. « Dans le cadre d’un recours extraordinaire introduit par le biais d’une procédure en révision, la Cour de cassation a rendu son arrêt d’acquittement en faveur du Président Jean-Marc Kabund le 21 février. Ainsi, les infractions retenues dans le précédent arrêt de sa condamnation sont effacées et son casier judiciaire devient désormais vierge », avait déclaré en février Me Emmanuelli Kahaya, un de ses avocats.

Procès Salomon Kalonda (2023)

Accusé par l’Auditorat militaire supérieur d’être en intelligence avec quelques officiers rwandais dans un contexte d’agression rwandaise contre la RDC, Salomon Kalonda, conseiller politique de l’opposant Moise Katumbi avait été arrêté le 30 mai 2023 à l’aéroport de N’djili, à Kinshasa. Plusieurs fois, ses avocats contestaient les accusations portées contre leur client et remettaient en question la légalité de la procédure ayant conduit à sa détention. Salomon Kalonda était aussi accusé de détention d’arme à feu. Mais cette prévention avait été élaguée car l’arme appartenait au garde du corps de l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo. Des accusations de collusion avec des officiers rwandais ont été aussi rejetées par le parti de Katumbi. Son secrétaire général, Dieudonné Bolengetenge avait qualifié de « mensonges et des affabulations » ces accusations « fantaisistes » criant à un procès politique visant à affaiblir Moise Katumbi avant les élections de décembre 2023. Plus tard, élu député provincial du Maniema puis sénateur du Haut-Katanga sans battre campagne, Salomon Kalonda sera relâché par la justice militaire après la validation de son mandat de sénateur au Sénat. Il sera d’abord autorisé à aller se faire soigner en Belgique, avant de revenir siéger au Sénat.

Condamné à 10 ans de travaux forcés, Matata évoque un procès politique

Premier ministre de 2012 à 2016 sous le régime du président Joseph Kabila, Augustin Matata Ponyo a été condamné, le 20 mai 2025, à 10 ans de travaux forcés. La Cour constitutionnelle l’a reconnu coupable de détournements de fonds publics d’un montant de 247 millions de dollars, selon le président de la haute cour, Dieudonné Kamuleta. Ces fonds étaient destinés au projet du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, un projet pilote à 250 kilomètres au sud-est de Kinshasa.

Tout avait commencé en novembre 2020, lorsque l’inspection générale des finances (IGF) avait conclu dans un rapport que 205 millions de dollars, sur 285 millions décaissés par le Trésor public pour ce projet avaient été égarés.

Matata Ponyo, qui clamait son innocence, avait cessé de participer aux audiences, accusant la justice de n’avoir pas sollicité la levée de ses immunités à l’Assemblée nationale. De son côté, la Cour affirme l’avoir déjà fait pendant que l’incriminé était sénateur. Mais l’ancien chef du gouvernement ne l’entend pas de cette oreille et accuse la cour de lui intenter un procès politique parce qu’il aurait refusé de choisir l’Union sacrée de la nation, plateforme politique de la majorité au pouvoir. Actuellement député et président du parti d’opposition Leadership et gouvernance pour le développement (LGD), Matata Ponyo est porté disparu depuis ce verdict rendu par la Cour constitutionnelle. D’après Laurent Onyemba, son avocat, par sa « décision inique » de condamnation de Matata, la « Cour a démontré que c’est une affaire politique ».

Dans l’histoire de la justice congolaise, d’autres personnalités politiques ont eu à crier au « procès politique » à tort ou à raison. C’est le cas de l’ancien ministre des Mines, Eugène Diomi Ndongala arrêté en 2013 après une période de clandestinité. Devenu opposant à Joseph Kabila, il avait été condamné le 26 mars 2014 par la Cour suprême de justice à 10 ans de servitude pénale principale pour viol avec violence, exposition d’enfants à la pornographie, détention d’enfants et tentative de viol d’enfants. Lors de sa libération conditionnelle en 2019, le ministre de la Justice avait interdit à l’intéressé de pénétrer dans un rayon de 500 mètres d’une école de filles. Il y a également le cas du procès de François Beya, conseiller spécial en matière de sécurité du président Félix Tshisekedi. Accusé de complot contre la sûreté de l’État, son procès avait été critiqué pour son opacité et son caractère politique. L’affaire était perçue comme un règlement de compte interne au sein du pouvoir.

Heshima

Continue Reading

Nation

Députés provinciaux en RDC : entre impuissance et conflits institutionnels

Published

on

Ils sont élus pour représenter leurs provinces, mais en République démocratique du Congo (RDC), les députés provinciaux se retrouvent souvent relégués à un rôle marginal, pris en étau entre les contraintes imposées par Kinshasa, les conflits avec les gouverneurs provinciaux et leurs propres pratiques parfois controversées. La décentralisation, inscrite dans la Constitution de 2006, promettait une autonomie accrue pour les provinces, mais les réalités institutionnelles, financières et politiques entravent leur capacité à agir. Selon un rapport du Congo Research Group publié en 2024, près de 70 % des édits votés par les assemblées provinciales sont bloqués ou annulés par le gouvernement central. Pendant ce temps, les citoyens, comme Roger Nzuzi, agriculteur du Kwilu, s’interrogent : « À quoi servent nos élus s’ils ne peuvent même pas décider du budget d’un hôpital ? » Heshima Magazine explore les limites institutionnelles, les blocages politiques, les comportements problématiques des acteurs provinciaux et les conséquences pour les populations locales, révélant une démocratie congolaise encore en quête d’équilibre.

La Constitution de 2006 établit un cadre ambitieux pour la décentralisation, conférant aux provinces des compétences exclusives dans des domaines comme l’éducation, les taxes locales, les infrastructures et la gestion des ressources naturelles. L’article 204 énumère ces compétences, tandis que l’article 197 définit les assemblées provinciales comme des organes délibératifs élus au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, chargés de légiférer par des édits. Cependant, cette autonomie est limitée par l’article 205, qui stipule que dans les domaines de compétence partagée, les lois nationales priment sur les édits provinciaux en cas d’incompatibilité. « Le système actuel réduit les assemblées provinciales à des chambres d’enregistrement », explique Miché Kanimbu, politologue à l’Université de Lubumbashi. Cette prééminence du pouvoir central freine les initiatives locales, rendant les députés provinciaux dépendants des décisions de Kinshasa.

Un exemple frappant est la difficulté des assemblées à faire appliquer leurs édits. Selon un rapport de l’Institut d’Études de Sécurité, entre 2007 et 2013, seulement 6 à 7 % des revenus nationaux ont été transférés aux provinces, loin des 40 % prescrits par la Constitution. Cette rétention financière limite la capacité des assemblées à financer des projets, les obligeant à quémander l’approbation du gouvernement central. « Nos propositions sont systématiquement bloquées par l’administration centrale », confie un ancien député provincial dans un article de Jeune Afrique publié le 15 mars 2024.

L’Étau financier de Kinshasa

Le manque de ressources financières est un obstacle majeur. L’article 175 de la Constitution stipule que 40 % des recettes nationales doivent être retenues à la source par les provinces, mais cette disposition est rarement respectée. Un rapport de la Banque mondiale publié en 2023 indique que seulement 12 % des budgets provinciaux sont exécutés sans l’aval de Kinshasa. Cette centralisation financière paralyse les provinces, qui peinent à payer les salaires des fonctionnaires ou à financer des projets d’infrastructures. Par exemple, dans le Nord-Kivu, un article de Global Press Journal rapporte qu’en 2016, 6 millions de dollars alloués à la construction de routes n’ont jamais été décaissés en raison de « problèmes financiers » au niveau provincial.

Les retards dans le paiement des émoluments des députés provinciaux aggravent leur marginalisation. En septembre 2023, des députés provinciaux ont organisé un sit-in devant la primature à Kinshasa pour protester contre quatre mois d’arriérés de salaire. « Nous passons des mois sans salaire, ce qui nous empêche de travailler efficacement », témoigne un député provincial du Haut-Katanga. Ces retards, souvent dus à des lenteurs bureaucratiques ou à des détournements présumés, sapent la légitimité des élus aux yeux des citoyens. Un rapport de la Cour des Comptes de 2021 souligne des dépassements budgétaires massifs au niveau national, suggérant des problèmes similaires dans les provinces, où les budgets d’investissement sont souvent sous-exécutés au profit des dépenses courantes comme les salaires.

Conflits entre gouverneurs et Assemblées provinciales

Les relations entre les gouverneurs et les Assemblées provinciales sont marquées par des tensions fréquentes, souvent exacerbées par des motions de censure ou de défiance. Selon un rapport du Sénat adopté en juin 2021, 15 gouverneurs ont été destitués par les assemblées provinciales en une seule année, illustrant une instabilité chronique. Les assemblées justifient ces destitutions par des accusations de mauvaise gestion ou de corruption. Par exemple, en 2017, l’Assemblée provinciale du Haut-Katanga a destitué le gouverneur Jean-Claude Kazembe pour des « irrégularités dans la gestion des fonds publics et des marchés publics ». De même, en 2021, Zoé Kabila, gouverneur du Tanganyika, a été destitué pour « mauvaise gestion » et « manque de respect » envers l’assemblée provinciale.

Cependant, ces destitutions sont souvent controversées. Certains observateurs, comme ceux cités dans un article du site belge La Libre, suggèrent que les motions de censure sont parfois utilisées comme des outils de chantage ou de règlement de comptes politiques. « Les députés provinciaux, toujours en quête d’argent et dépendants financièrement du gouverneur, peuvent être tentés de monnayer leurs votes », explique Élodie Ndiya, experte en gouvernance à l’Université de Kinshasa. Un article de Forum des As va plus loin, décrivant les assemblées comme des « espaces de guerre » où les députés passent leur temps à initier des motions de défiance pour des raisons opportunistes, parfois après avoir été « achetés » par des acteurs extérieurs.

Les gouverneurs, de leur côté, se plaignent de cette instabilité. Lors de la huitième conférence des gouverneurs en décembre 2021, ils ont recommandé un moratoire de deux ans sur les motions de censure pour garantir la stabilité de la gouvernance provinciale. Cette proposition reflète leur frustration face à la menace constante de destitution, qui entrave leur capacité à mettre en œuvre des politiques à long terme. « Les assemblées provinciales devraient contrôler les gouverneurs, pas les déstabiliser pour des gains personnels », déclare un gouverneur sous couvert d’anonymat.

Interventions du gouvernement central

Face à ces conflits, le ministre de l’Intérieur intervient parfois pour suspendre les activités des assemblées provinciales, une mesure qui soulève des questions sur l’autonomie provinciale. En octobre 2023, l’ancien vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, a suspendu toutes les activités de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, y compris les tentatives de convocation de plénières, en raison de tensions internes entre le Bureau et les députés. De même, en 2012, Adolphe Lumanu, alors ministre de l’Intérieur, a suspendu les plénières de l’assemblée du Nord-Kivu après que certains députés ont quitté leurs partis politiques, une décision qualifiée d’« assassinat de la démocratie » par le rapporteur de l’assemblée de l’époque. Ces interventions, bien que parfois justifiées par la nécessité de rétablir l’ordre, sont critiquées pour leur impact sur la décentralisation. « Le gouvernement central utilise ces suspensions pour maintenir son contrôle sur les provinces », analyse Dr. Kabeya.

Dans les provinces de Nord-Kivu et Ituri, l’état de siège décrété en mai 2021 a suspendu les assemblées provinciales, transférant leurs prérogatives à des autorités militaires. Prolongé à plusieurs reprises, cet état d’exception illustre comment le gouvernement central peut neutraliser les institutions provinciales sous prétexte de sécurité. « Nous sommes élus, mais sans pouvoir réel sous l’état de siège », déplore Aline Furaha, étudiante en Droit.

Une faible participation électorale

La frustration des citoyens se reflète dans les taux de participation aux élections provinciales. Selon l’International Foundation for Electoral Systems, les élections provinciales de 2023 ont vu une participation d’environ 40 millions d’électeurs inscrits, mais les irrégularités et la désillusion ont conduit à une abstention significative, notamment dans les provinces en conflit comme le Nord-Kivu. « Nous votons pour des députés qui ne peuvent impulser la construction même d’une école. À quoi bon ? » s’interroge Julienne Mbuyi, commerçante à Mbuji-Mayi. Cette désaffection menace la légitimité des institutions provinciales et renforce la centralisation du pouvoir.

Des lois provinciales sous contrôle central

Les assemblées provinciales ont le pouvoir de légiférer par des édits dans leurs domaines de compétence, mais ces initiatives sont souvent bloquées ou annulées par le gouvernement central. Le Congo Research Group estime que 70 % des édits provinciaux sont contestés ou invalidés par Kinshasa, souvent pour des raisons de conformité avec les lois nationales. Par exemple, dans le Haut-Katanga, un édit visant à réguler les taxes minières a été suspendu par le ministère des Mines en 2022, arguant d’une incompatibilité avec la législation nationale. Cette situation limite la capacité des provinces à répondre aux besoins locaux et renforce leur dépendance envers Kinshasa.

Conséquences pour les populations locales

L’impuissance des députés provinciaux et les conflits avec les gouverneurs ont un impact direct sur les citoyens. Dans le Kasaï, par exemple, les écoles et les hôpitaux manquent de financement, car les budgets d’investissement sont souvent sous-exécutés. Un rapport du Fnds monétaire international (FMI) de 2024 note que seulement 13 % des investissements prévus dans l’éducation ont été réalisés en 2022, contre 111 % des dépenses courantes, principalement des salaires. Cette priorisation des dépenses courantes au détriment des investissements limite le développement local et alimente la méfiance des citoyens envers leurs élus.

Dans le Nord-Kivu, la suspension de l’assemblée provinciale sous l’état de siège a exacerbé l’insécurité, les habitants se sentant abandonnés face aux groupes armés. « Nos élus sont invisibles, et Kinshasa décide de tout », témoigne Pierre Kahindo, habitant de Masisi. Cette situation renforce les tensions sociales et le sentiment d’exclusion dans les provinces éloignées de la capitale.

Un avenir incertain pour la décentralisation

L’impuissance des députés provinciaux, les conflits avec les gouverneurs et les interventions du gouvernement central soulèvent une question cruciale : la décentralisation en RDC peut-elle devenir une réalité ? Les obstacles institutionnels, financiers et politiques suggèrent que sans réformes majeures, les assemblées provinciales resteront des institutions marginalisées. La proposition de révision constitutionnelle annoncée par le président Tshisekedi en octobre 2024 pourrait offrir une opportunité de renforcer l’autonomie provinciale, mais elle suscite aussi des craintes de recentralisation. « Si la révision renforce Kinshasa au détriment des provinces, la décentralisation ne sera qu’un slogan », prévient Dr. Ndaya, médecin à Kinshasa.

Pour les citoyens congolais, l’enjeu est clair : sans une décentralisation effective, les provinces resteront sous la tutelle de Kinshasa, les gouverneurs seront fragilisés par des destitutions fréquentes, et les députés provinciaux, tiraillés entre impuissance et pratiques controversées, peineront à représenter leurs électeurs. La question demeure : la RDC parviendra-t-elle à libérer ses provinces des chaînes d’un système dysfonctionnel, ou la décentralisation restera-t-elle une promesse non tenue pour des millions de Congolais ?

Heshima Magazine

Continue Reading

NOUS SOMMES AUSSI SUR FACEBOOK

Trending

You cannot copy content of this page

WeCreativez WhatsApp Support
Notre rédaction est là pour répondre à toutes vos préoccupations. N'hésitez pas !
👋Bonjour, comment puis-je vous aider ?