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CENI-RDC : Entre crédibilité et contestation, comment restaurer la confiance électorale ?

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Depuis sa création en 2006, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) de la République démocratique du Congo (RDC) joue un rôle clé dans l’organisation des élections, mais elle fait face à des critiques récurrentes sur ses défaillances. Malgré des innovations comme les technologies biométriques, les élections passées ont révélé des problèmes persistants : politisation, manque de transparence, retards logistiques. À l’approche des élections de 2028, des réformes sont nécessaires pour restaurer la confiance, notamment en garantissant l’impartialité, en modernisant l’infrastructure et en renforçant le contrôle citoyen.

La CENI tire sa légitimité de la Constitution du 18 février 2006, qui établit un organe public indépendant doté d’une autonomie financière et administrative pour organiser les élections nationales, provinciales, locales et les référendums. Une loi organique adoptée en juillet 2010, amendée en avril 2013 puis en juillet 2021, précise ses missions : tenir à jour le fichier électoral, superviser l’organisation des scrutins, assurer le dépouillement des votes et proclamer les résultats provisoires. Succédant à la Commission Électorale Indépendante (CEI), qui avait orchestré le référendum constitutionnel de 2005 et les premières élections multipartites de 2006, la CENI se compose de 15 membres, désignés par les forces politiques représentées à l’Assemblée nationale et la société civile sur la base d’un équilibre.

En théorie, la composition de la CENI vise à garantir un équilibre entre les forces politiques et à prévenir toute emprise partisane. Mais dans les faits, son indépendance reste souvent mise à mal. Les nominations, sous la responsabilité de l’Assemblée nationale, sont régulièrement marquées par d’intenses tractations politiques. Toutes les désignations des présidents de la CENI en portent la trace, à l’exception notable de celle de l’abbé Apollinaire Malu-Malu en 2003, fruit d’un consensus entre les parties prenantes du Dialogue intercongolais de Sun City, dans le cadre de l’Accord global et inclusif signé en décembre 2002.

Le parcours des présidents successifs de la CENI illustre les turbulences institutionnelles de l’organisme. L’abbé Apollinaire Malu-Malu, premier président, est officiellement décédé en 2016 des suites d’une maladie. Toutefois, certains remettent en question cette version : « Le pauvre Malu-Malu est mort d’empoisonnement et non d’une maladie », affirme Yvan Kambale, ancien séminariste devenu ingénieur à Kinshasa. Son successeur, Daniel Ngoy Mulunda, purge actuellement une peine de prison pour incitation à la haine et atteinte à la sûreté de l’État. Corneille Nangaa, qui lui a succédé, a été sanctionné en 2019 par les États-Unis pour sa responsabilité présumée dans des actes de corruption électorale. En 2023, il a annoncé la création d’un mouvement armé et contrôle, avec l’appui du Rwanda, certaines localités stratégiques des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, alimentant de vives inquiétudes quant à ses ambitions réelles. L’actuel président, Denis Kadima, nommé en 2021 malgré les objections de plusieurs confessions religieuses, est régulièrement critiqué pour sa proximité supposée avec le président Félix Tshisekedi.

La dépendance financière de la CENI vis-à-vis des bailleurs internationaux, tels que l’Union européenne, les Nations unies et les États-Unis, constitue une autre vulnérabilité. Si ces financements permettent de pallier les insuffisances budgétaires de l’État congolais, ils exposent l’institution à des pressions externes, notamment sur les calendriers électoraux et les réformes à entreprendre. Ce paradoxe, une indépendance juridique mais une dépendance financière, fragilise la légitimité de cette institution.

Pour comprendre les forces et les failles de la CENI, un retour sur les scrutins majeurs de 2006, 2011, 2018 et 2023 est nécessaire. Ces élections, organisées dans des contextes politiques et logistiques variés, illustrent les progrès réalisés et les défis persistants.

Les élections de 2006 : un tournant post-conflit

Au terme d’une transition douloureuse, les élections générales de 2006 ont marqué un moment historique pour la RDC. C’était la première fois, depuis l’indépendance en 1960, que les Congolais votaient dans un scrutin présidentiel et législatif multipartite organisé sur l’ensemble du territoire. Le pays sortait à peine de la deuxième guerre du Congo, la plus meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un État fragilisé, des groupes armés encore actifs à l’Est, des institutions embryonnaires et une société civile en quête de paix.

La désignation de l’abbé Apollinaire Malu-Malu à la tête de la Commission électorale indépendante (CEI) en juin 2003 survient dans ce contexte chaotique. Le pays est alors profondément divisé, et le pouvoir central n’a que peu de contrôle sur l’ensemble du territoire. Plusieurs provinces échappent à l’autorité de Kinshasa et sont sous la domination de groupes rebelles, soutenus par des puissances étrangères comme le Rwanda et l’Ouganda. L’État, dévasté par plus de cinq années de guerre, se trouve dans une situation d’effondrement. Les milices armées prolifèrent, rendant difficile la mise en place de structures démocratiques.

C’est dans ce climat de fragmentation et d’instabilité que, suite aux accords de paix signés à Pretoria en décembre 2002, un gouvernement de transition est mis en place. L’accord global et inclusif réunit les belligérants, l’opposition politique et la société civile, avec l’objectif d’organiser des élections libres et transparentes pour sortir le pays du chaos. La création d’une CEI indépendante est l’un des jalons essentiels de cet accord.

La désignation de Malu-Malu, prêtre catholique et universitaire respecté, à la tête de la CEI se fait donc dans un contexte de grande fragilité, mais aussi de besoin impérieux d’organisation et de crédibilité. Bien qu’il soit perçu comme un choix neutre et respecté, sa nomination n’est pas exempte de tensions. Il parvient cependant à obtenir l’adhésion des principaux acteurs politiques et des confessions religieuses, qui voient en lui une personnalité impartiale, capable de mener le pays vers une transition démocratique. Ce choix est salué par la communauté internationale, mais reste sous haute surveillance, les défis logistiques et sécuritaires étant considérables.

Dans ce contexte de reconstruction chaotique, l’organisation des élections par la CEI dirigée par Malu-Malu relevait d’un défi logistique monumental. Il a fallu transporter du matériel électoral dans des zones enclavées, parfois à dos d’homme ou par voie fluviale, dans un pays grand comme l’Europe de l’Ouest. Malgré cela, la participation a dépassé les 70 % au premier tour, le 30 juillet, traduisant un véritable engouement populaire pour ce rendez-vous démocratique inédit.

Le 30 juillet 2006, à la clôture du premier tour, l’annonce imminente des résultats plonge Kinshasa dans une atmosphère électrique. Face à des menaces de troubles urbains, l’abbé Apollinaire Malu-Malu et plusieurs membres de la CEI doivent se rendre au palais du peuple pour la proclamation officielle, escortés à bord d’un char de combat de la Mission de l’ONU au Congo (MONUC), afin de garantir leur sécurité et de parer à toute tentative d’intimidation. Cette image, aujourd’hui restée dans les mémoires, symbolise le pari dangereux mais réussi de proclamer des scores jugés satisfaisants par plus de 70 % des électeurs.

Jean-Pierre Bemba, arrivé deuxième, a aussitôt contesté les résultats, dénonçant des irrégularités dans plusieurs provinces. Le second tour, tenu le 29 octobre, a vu s’affronter Joseph Kabila et Bemba dans un duel tendu, marqué par des discours clivants et une campagne polarisée. Lorsque la CEI proclame la victoire de Kabila avec près de 58 % des voix, les tensions politiques basculent brièvement dans la confrontation armée.

En novembre 2006, des affrontements violents éclatent à Kinshasa entre la garde républicaine de Joseph Kabila et les forces de sécurité privées de Jean-Pierre Bemba, installées dans son quartier général de la Gombe. Ces heurts, bien qu’alimentés par un climat post-électoral explosif, ne sont pas officiellement liés à une contestation directe des résultats, mais à des rivalités de commandement et des provocations sur fond de méfiance militaire réciproque. Ils soulignent toutefois combien la transition démocratique restait sous tension permanente, à la merci de la moindre étincelle.

Malgré les violences et les suspicions, les observateurs internationaux, dont l’Union européenne, l’EISA et les Nations unies, ont salué un scrutin jugé globalement crédible. La CEI a réussi, dans un contexte instable, à faire tenir un processus électoral inédit, posant les premières bases d’une légitimité démocratique. Mais ces élections, loin de marquer une rupture définitive avec les crises du passé, ont aussi révélé la fragilité d’un État encore en construction.

Les élections de 2011 : les premières controverses de la CENI

Avant même la tenue du scrutin, la nomination de Daniel Ngoy Mulunda à la tête de la CENI en février 2011 crée une onde de choc. Pasteur méthodiste et fondateur de l’ONG LINELIT, il est également connu pour sa proximité personnelle avec Joseph Kabila, dont il a été l’aumônier. Sa désignation, validée par l’Assemblée nationale dominée par la majorité présidentielle, est aussitôt contestée par l’opposition, une partie de la société civile, ainsi que par l’Église catholique. Ces voix dénoncent une mainmise du pouvoir sur une institution censée être indépendante, compromettant dès le départ la confiance dans le processus électoral.

Plusieurs organisations de la société civile dont la Synergie des missions d’observation citoyenne des élections (SYMOCEL) et la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), réclament en vain une révision du choix ou, à tout le moins, des garanties d’indépendance. La méfiance est installée.

Organisé le 28 novembre 2011, le double scrutin présidentiel et législatif vire rapidement au chaos organisationnel. Des listes électorales incomplètes, des bulletins de vote égarés, des kits informatiques défaillants ou absents, des retards dans l’ouverture des bureaux de vote : les ratés logistiques sont massifs. Dans plusieurs zones, les dépouillements se font sans procès-verbal clair ou en l’absence d’observateurs.

Le Centre Carter Center, la SADC, l’Union européenne et de nombreuses organisations locales rapportent des anomalies systématiques, particulièrement dans les bastions du président sortant. Certaines circonscriptions du Katanga affichent des taux de participation proches de 100 %, soulevant des soupçons de bourrage d’urnes.

La CENI proclame Joseph Kabila vainqueur avec 48,95 % des voix, devant Étienne Tshisekedi (32,33 %) et Vital Kamerhe. Étienne Tshisekedi dénonce aussitôt une fraude électorale massive. Il se proclame président élu et, dans un geste sans précédent, prête serment depuis sa résidence à Limete, devant une foule restreinte mais symbolique. Il déclare :« C’est moi le président élu du peuple congolais. Joseph Kabila doit partir. »

Le pouvoir réagit avec fermeté : la résidence de Tshisekedi est encerclée par la police, transformée de fait en prison à ciel ouvert. Ses partisans sont empêchés de s’y rendre, des journalistes sont intimidés, et des manifestations à Kinshasa et Mbuji-Mayi sont violemment réprimées, causant plusieurs dizaines de morts.

L’Église catholique, à travers la CENCO, ainsi que l’Église du Christ au Congo (ECC), dénoncent un scrutin non crédible. Plusieurs évêques appellent à « ne pas sacrifier la vérité des urnes sur l’autel de la stabilité ». La société civile, des organisations de jeunes, des coalitions d’observation électorale et plusieurs chancelleries occidentales expriment des réserves profondes sur la transparence du processus. L’Union européenne déclare que les résultats « manquent de crédibilité », tandis que le Centre Carter évoque une opacité inquiétante dans la compilation des résultats.

La crise de légitimité née de ces élections plonge la RDC dans une impasse politique durable. Le dialogue entre majorité et opposition est rompu, les institutions s’en trouvent fragilisées, et la polarisation du paysage politique s’aggrave. C’est dans ce climat tendu que Joseph Kabila convoque, en 2013, les Concertations nationales, officiellement pour apaiser les tensions et réconcilier les forces vives du pays.

Mais pour une large partie de l’opinion, il s’agit avant tout d’une manœuvre visant à restaurer une légitimité contestée depuis le scrutin de 2011. Les principaux partis de l’opposition refusent d’y participer, dénonçant une opération de façade. Le pouvoir tente alors de sauver l’image du dialogue en débauchant quelques personnalités issues de l’opposition, dans le but de légitimer la démarche.

Les élections de 2018 : l’ombre des machines à voter et le spectre d’un deal

Le scrutin présidentiel du 30 décembre 2018 s’est tenu dans un climat de méfiance et de contestations, renforcé par des tensions politiques et sociales qui ont marqué la période. Ces élections étaient censées marquer la première alternance pacifique du pouvoir depuis l’indépendance, mais le processus électoral a été entaché de nombreux débats et accusations. Le pays venait d’être secoué par plusieurs reports successifs du scrutin, et une partie du territoire, notamment l’Est, était en proie à des épidémies et à une insécurité persistante. C’est dans ce contexte qu’a été désignée la CENI, sous la présidence de Corneille Nangaa, un choix qui allait rapidement devenir un point de friction majeur.

La nomination de Nangaa à la tête de la CENI en 2015 avait déclenché une onde de choc politique. Dès son arrivée, l’opposition et la société civile dénoncèrent un coup de force institutionnel, pointant du doigt ses « anciennes affiliations » au Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila. Pour ses détracteurs, dont les poids lourds Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, cette désignation scellait un scénario de mainmise sur le processus électoral.

Les critiques fusaient sur un point central : comment un ancien cadre du régime pourrait-il incarner la neutralité requise pour organiser des scrutins crédibles ? Les accusations de partialité structurelle prenaient corps, alimentant les craintes d’un scrutin taillé sur mesure pour assurer la pérennité du pouvoir en place. La polémique révélait une fracture plus profonde : la défiance historique envers une institution électorale perçue comme le prolongement de l’appareil d’État plutôt que comme son contre-pouvoir.

Les confessions religieuses, en particulier l’Église catholique par l’intermédiaire de la CENCO, ont également exprimé leur désaveu. Bien que l’Église catholique ait été historiquement un acteur clé dans l’observation des élections, elle n’a pas participé à la désignation de Nangaa, se distanciant ainsi du processus. L’abbé Léonard Santedi, secrétaire général de la CENCO, a clairement indiqué que la CENCO n’avait pas été associée à la nomination, et que cette absence de consensus interreligieux était source de méfiance. De nombreuses organisations de la société civile, quant à elles, ont dénoncé la partialité présumée de la CENI et ont mis en doute la capacité de Nangaa à organiser des élections transparentes.

Le climat de tension s’est intensifié avec l’introduction des « machines à voter », présentées comme une solution moderne pour accélérer et sécuriser le processus électoral. Mais rapidement, elles ont été perçues comme un outil de manipulation. L’opposition, y compris des figures comme Martin Fayulu, a dénoncé ces machines comme des « machines à tricher », estimant qu’elles étaient conçues pour favoriser le candidat du pouvoir. Des observateurs ont critiqué leur manque de transparence et les dysfonctionnements notables qui ont accompagné leur déploiement.

Quelques jours avant le vote, un incendie criminel a ravagé un entrepôt de la CENI à Kinshasa, détruisant une partie du matériel électoral, dont des machines à voter destinées à la capitale. Cet incident a alimenté les soupçons de sabotage et de manipulation politique. Le 3 janvier 2019, la CENCO a rendu public un communiqué où elle a dénoncé des incohérences entre les résultats compilés par son réseau d’observateurs et ceux annoncés par la CENI. La CENCO a exprimé des réserves sur la transparence du processus, mais n’a pas directement contesté la victoire de Félix Tshisekedi. Toutefois, ces préoccupations ont contribué à exacerber la polarisation du climat politique.

Lorsque la CENI a annoncé la victoire de Félix Tshisekedi avec 38,57 % des voix, devant Martin Fayulu (34,83 %) et Emmanuel Ramazani Shadary (23,84 %), la contestation a été immédiate. Fayulu a qualifié cette victoire de « volée », et a affirmé que des arrangements avaient été conclus entre Kabila et Tshisekedi pour écarter l’opposition radicale. Bien que cet appel à la mobilisation populaire n’ait pas eu le même impact qu’escompté, il a toutefois mis en lumière la fracture persistante entre les soutiens de Tshisekedi et ceux de Fayulu. En parallèle, les observations de missions internationales telles que le Centre Carter ont souligné les irrégularités dans la centralisation des résultats, mais ont estimé que ces problèmes n’étaient pas suffisants pour remettre en cause l’issue du scrutin.

Malgré ces critiques, la Cour constitutionnelle a validé la victoire de Tshisekedi, et la communauté internationale, dans un souci de stabilisation, a largement accepté les résultats. Toutefois, les élections de 2018, bien qu’elles marquent un tournant historique en raison de la passation pacifique du pouvoir, ont laissé le pays profondément divisé, et la question de la transparence des élections demeure une préoccupation centrale pour une partie de la population congolaise. L’ombre du deal politique et des manipulations électorales a plané sur ce processus, alimentant des doutes quant à l’avenir de la démocratie en RDC.

Les élections de 2023 : entre chaos logistique et victoire incontestée de Tshisekedi

Le scrutin du 20 décembre 2023, organisé sous la présidence de Denis Kadima à la tête de la CENI, s’est tenu dans un climat lourd de tensions et de méfiance, malgré l’enjeu crucial de consolider la jeune démocratie congolaise.

Bien avant cette échéance, la désignation de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale cristallise les tensions. Expert électoral au profil internationalement reconnu, Kadima est néanmoins accusé par plusieurs figures politiques et religieuses congolaises d’entretenir des liens étroits avec le président Félix Tshisekedi. Sa nomination, entérinée en octobre 2021 par l’Assemblée nationale dans un climat d’absence de consensus, suscite une forte controverse.

Deux grandes confessions religieuses, la CENCO  et l’ECC, rejettent fermement ce choix. Elles dénoncent un « passage en force » orchestré sous pression du pouvoir exécutif, et pointent un processus de désignation entaché d’irrégularités. L’abbé Donatien Nshole, porte-parole de la CENCO, parle d’un « processus biaisé dès le départ », tandis que le président de l’ECC alerte sur une nomination qui « compromet la transparence du processus électoral ». Cette rupture du consensus, pourtant indispensable à la crédibilité de la CENI, installe une méfiance durable chez de nombreux Congolais à l’approche du vote.

Le jour du scrutin, le pays fait face à une série de dysfonctionnements inédits : près de 25 % des bureaux de vote n’ouvrent pas à l’heure, voire pas du tout, et de nombreux électeurs peinent à retrouver leurs noms sur les listes. La CENI décide de prolonger le vote sur plusieurs jours dans certaines circonscriptions, une décision vivement critiquée par des missions d’observation telles que le Centre Carter, qui y voit une entorse aux standards électoraux internationaux. Malgré ces problèmes logistiques majeurs, la participation s’établit à environ 43 %, un recul notable par rapport aux scrutins précédents.

Félix Tshisekedi a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle avec plus de 73% des suffrages, distançant largement ses principaux concurrents Moïse Katumbi et Martin Fayulu. Cette victoire écrasante, bien que marquée par des irrégularités localisées signalées par les observateurs, n’a pas suscité de contestation majeure quant à la légitimité du résultat final. Les missions d’observation tant nationales qu’internationales, y compris le monitoring conjoint de la CENCO et de l’ECC, ont certes relevé des cas de bourrages d’urnes et des dysfonctionnements organisationnels, mais sans remettre en cause l’issue globale du scrutin. Aucune institution internationale ni capitale étrangère n’a émis de doute sérieux sur la proclamation du vainqueur ou avancé de résultats alternatifs, confirmant ainsi une acceptation générale du verdict des urnes malgré les imperfections du processus.

Toutefois, l’opposition rejette le processus électoral dans son ensemble, dénonçant un scrutin entaché d’irrégularités et le qualifiant de « parodie électorale ». Elle exige l’annulation des résultats, pointant notamment l’opacité du dépouillement et l’absence de publication des résultats dans certains bureaux. Ces critiques ravivent le débat sur la crédibilité de l’organisation, mais elles n’ébranlent pas la reconnaissance du gagnant. En dépit du climat chaotique ayant entouré le scrutin, cette élection consacre la réélection de Félix Tshisekedi.

Encore une fois, et en dépit de tout, cette élection a davantage divisé que rassemblé les Congolais. Certains candidats de l’opposition continuent de rejeter cette victoire et appellent toujours à son annulation.

Politisation et manque d’indépendance

La politisation de la CENI est un problème central. Les nominations de ses membres et du président, bien que prévues pour refléter un équilibre politique, sont souvent le fruit de marchandages entre la majorité et l’opposition. La désignation de Denis Kadima en 2021, malgré l’opposition des confessions religieuses, illustre cette problématique. La dépendance financière vis-à-vis des bailleurs internationaux expose l’institution à des pressions externes, tandis que les pressions internes, notamment de la part du pouvoir exécutif, limitent son autonomie. Cette perception de partialité érode la confiance des électeurs et des partis d’opposition.

Contraintes logistiques dans un pays immense

La RDC, avec sa superficie comparable à celle de l’Europe occidentale, pose des défis logistiques uniques. L’acheminement du matériel électoral : urnes, bulletins, machines à voter, vers des zones reculées est une tâche complexe, aggravée par des infrastructures routières souvent impraticables. En 2023, de nombreux bureaux de vote n’ont pas reçu le matériel à temps, et la formation des agents électoraux reste insuffisante, entraînant des erreurs dans le dépouillement et la transmission des résultats. Ces problèmes logistiques, bien que partiellement dus à la géographie du pays, reflètent également un manque de planification et de coordination.

Opacité et manque de transparence

Si la CENI a progressé en publiant les résultats bureau de vote par bureau de vote, une avancée notable par rapport aux scrutins de 2011 et 2018, elle reste loin des standards de transparence en vigueur dans d’autres démocraties africaines.

Au Ghana, par exemple, les résultats sont accessibles en temps réel sur des plateformes publiques, permettant un suivi citoyen et une vérification indépendante. En RDC, en revanche, la CENI maintient un système centralisé et opaque, où la compilation des données échappe à tout contrôle extérieur. Cette opacité nourrit les soupçons de fraude, comme lors des élections de 2011, 2018 et 2023, où des écarts inexplicables ont été relevés entre les chiffres officiels et ceux recueillis par les observateurs. Un manque de transparence qui, à chaque scrutin, alimente la défiance et les contestations.

Exclusion régionale et insécurité

Les conflits armés dans l’Est de la RDC, notamment au Nord-Kivu et en Ituri, privent des millions de citoyens de leur droit de vote. En 2018, le report du scrutin à Beni, Butembo et Yumbi, officiellement pour des raisons sanitaires et sécuritaires, a, en dépit de tout, été perçu comme une exclusion stratégique par l’opposition. En 2023, des régions entières n’ont pas pu voter en raison de l’insécurité, accentuant le sentiment d’injustice parmi les populations des provinces les plus touchées. Cette exclusion régionale compromet l’inclusivité des élections et renforce la perception d’un système électoral inégalitaire.

La société civile : un appel à la transparence

La société civile congolaise, représentée par des organisations comme la CENCO, l’ECC et plusieurs dizaines d’autres, milite pour des élections libres, transparentes et inclusives. En 2022, une déclaration conjointe de 61 organisations a appelé à une CENI indépendante, une révision du fichier électoral et un accès élargi aux observateurs. Ces organisations jouent un rôle crucial dans l’observation électorale, mais leur accès aux données reste limité par la CENI, ce qui entrave leur capacité à vérifier les résultats. La société civile insiste sur la nécessité d’une réforme institutionnelle pour garantir l’impartialité et la transparence.

Un rejet éternel des résultats ?

Les leaders de l’opposition congolaise ont régulièrement contesté les résultats électoraux, accusant les régimes successifs de frauder avec la complicité de la CENI. En 2023, ils ont réclamé de nouvelles élections sous une direction différente pour l’institution électorale, arguant que celle-ci manquait de légitimité. Ces critiques, profondément enracinées, témoignent d’une défiance persistante à l’égard du processus électoral en RDC.

Les observateurs internationaux : un regard critique

Les rapports du Centre Carter, de l’Union européenne et d’autres missions internationales ont constamment pointé du doigt les irrégularités dans les processus électoraux congolais. En 2023, l’Union européenne a déploré un manque de transparence et des irrégularités dans la collecte, la compilation et la publication des résultats. Ces critiques soulignent la nécessité d’une réforme structurelle pour aligner la CENI sur les normes internationales.

Modèles africains inspirants

Pour réformer la CENI, la RDC pourrait puiser dans les expériences de pays africains ayant réussi à instaurer la confiance dans leurs processus électoraux. Au Ghana, la Commission électorale est saluée pour sa transparence, en particulier grâce à la publication en temps réel des résultats bureau par bureau via des plateformes telles que LiveResult, gérée par CivicHive. Cette démarche permet à la population et aux observateurs d’accéder aux résultats, réduisant ainsi les risques de contestation. La RDC pourrait s’inspirer de ce modèle en mettant en place une plateforme numérique sécurisée, accessible à tous, pour publier les résultats des élections.

En Afrique du Sud, l’Electoral Commission of South Africa (IEC) constitue un modèle d’indépendance institutionnelle. Ses membres sont désignés par un comité parlementaire multipartite, et son financement est garanti par l’État, minimisant ainsi la dépendance aux bailleurs externes. Un mécanisme similaire pourrait être envisagé en RDC, en établissant un processus de nomination des membres de la CENI basé sur un large consensus, tout en renforçant l’autonomie budgétaire de l’institution.

L’Independent National Electoral Commission (INEC) du Nigeria, quant à elle, a instauré un système biométrique avancé pour l’enregistrement des électeurs, réduisant les risques de doublons et de fraudes. Bien qu’il puisse être perfectionné, ce système a contribué à améliorer la crédibilité des élections nigérianes. La RDC pourrait adopter une infrastructure biométrique similaire, accompagnée d’un plan de maintenance et de formation pour en assurer la fiabilité.

Des réformes pour restaurer la confiance

Des experts s’accordent sur l’urgence de repenser le processus électoral congolais en profondeur. Le politologue Christian Mulumba, de l’Université de Kinshasa, estime que « la CENI ne redeviendra crédible que si ses membres sont nommés selon une procédure transparente, reposant sur un consensus élargi et validée par des instances indépendantes telles que la société civile et les Églises ». Il propose un modèle inspiré de l’Afrique du Sud, où un comité multipartite élabore une liste de candidats, validée par le Parlement.

De son côté, la juriste Fatuma Kanyamanza souligne que « tant que la CENI sera perçue comme un instrument politique, les doutes subsisteront ». Elle préconise l’inscription dans la loi d’un processus de validation des nominations par une instance ad hoc réunissant ONG, confessions religieuses et observateurs internationaux.

Sur le plan technologique, l’économiste Jean-Baptiste Nzuzi, de l’Observatoire de la Gouvernance en Afrique, plaide pour l’utilisation de plateformes en ligne permettant la diffusion instantanée des résultats, à l’instar du Ghana. « Un système sécurisé, hébergé sur des serveurs tiers, offrirait un accès libre aux procès-verbaux, réduisant ainsi le risque de manipulation », explique-t-il. Quant à Sarah Mbuyi, experte en innovations électorales, elle propose d’explorer l’utilisation de la blockchain pour assurer la traçabilité du dépouillement des votes, comme cela est fait par la Commission électorale kényane.

D’un point de vue logistique, l’ingénieur Patrick Luhaka recommande à la CENI de collaborer avec le PNUD et la MONUSCO pour acheminer le matériel électoral vers les zones les plus reculées. « Un partenariat durable serait la clé pour éviter les retards et garantir le bon déroulement des scrutins », souligne-t-il.

Pour renforcer le suivi citoyen, l’ONG Regard Citoyen, représentée par Maître Gloria Lisenga, appelle à l’agrément automatique des observateurs nationaux et internationaux, sans quotas ni entraves. Enfin, l’ex-colonel Albert Mwamba, ancien responsable logistique de la MONUSCO, plaide pour des formations régulières à destination des personnels de terrain, indispensables pour assurer le bon fonctionnement des élections.

Comme le souligne Christian Mulumba, « si ces recommandations sont mises en œuvre, la RDC pourrait tourner définitivement la page des scrutins contestés ». Toutefois, il met en garde : « tout dépendra de la volonté politique de rompre une fois pour toutes avec les pratiques passées ».

Entre progrès et échecs : le temps des réformes

À l’approche des échéances de 2028, la RDC se trouve confrontée à une urgence démocratique. Les ombres des scrutins contestés de 2018 et 2023 planent toujours sur la CENI, érodant chaque jour un peu plus la confiance des citoyens dans le processus électoral. Sans une refonte en profondeur du système, le spectre de nouvelles violences post-électorales menace de replonger le pays dans le cycle infernal des crises politiques.

La construction d’une démocratie électorale crédible exige une mobilisation sans précédent. Autorités politiques, société civile, confessions religieuses et partenaires internationaux doivent conjuguer leurs efforts pour transformer la CENI en une institution réellement indépendante et transparente. Cet impératif dépasse les simples ajustements techniques : il appelle un dialogue national inclusif capable de définir de nouvelles règles du jeu acceptées par tous.

Si les élections passées de 2006 à 2023 ont permis certaines avancées, comme l’introduction de la biométrie, elles ont aussi exposé des failles criantes : instrumentalisation politique, manque de transparence, dysfonctionnements logistiques et marginalisation de certaines régions. Pourtant, des solutions existent. En s’inspirant des réussites ghanéenne et sud-africaine où transparence des résultats et indépendance institutionnelle font loi, la RDC pourrait réinventer son modèle électoral.

La voie est étroite mais claire : seule une CENI profondément réformée, dotée de moyens techniques modernes et soumise au contrôle citoyen, pourra restaurer la confiance. Les élections de 8 représenteront alors bien plus qu’une simple consultation, elles deviendront l’expression authentique de la souveraineté populaire. Le défi est immense, mais le prix de l’échec le serait encore plus.

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65 ans d’indépendance et 30 ans d’instabilité sécuritaire : la RDC à la croisée des chemins

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La République démocratique du Congo (RDC) célèbre, ce 30 juin 2025, 65 ans de son indépendance. Cet anniversaire intervient trois jours après la signature, à Washington DC, d’un important accord de paix entre Kinshasa et Kigali pour tenter de mettre fin aux violences armées qui durent depuis 30 ans dans l’Est du pays. Cet accord pourrait-il marquer un tournant décisif dans la résolution du conflit ? Décryptage. 

De 1960 à 2025, la RDC a connu des avancées, comme des réformes institutionnelles ou des périodes de croissance économique, mais aussi de profondes régressions, marquées par des crises politiques et des conflits armés dans plusieurs secteurs : politique, économique, sociale, sécuritaire et géopolitique. De Joseph Kasa-Vubu à Félix Tshisekedi, en passant par Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila, le pays a connu plusieurs insurrections. Mais l’instabilité sécuritaire s’est aggravée au lendemain du génocide rwandais de 1994. Depuis le milieu des années 1990, l’Est de la RDC est marqu­é par des conflits armés successifs, menés par des groupes comme l’AFDL (1996-1997), le RCD (1998-2003), le MLC (1998-2003), le CNDP (2006-2009) et le M23 (2012-2013 et depuis 2021).

Dans ce pays aux dimensions continentales, Joseph Kasa-Vubu et Lumumba ont fait face à des sécessions (Katanga et le Sud Kasaï), plus tard, le président Mobutu fera face à la rébellion de Pierre Mulele ainsi que de Laurent-Désiré Kabila. Quand ce dernier devient président de la République, il fera face non seulement à des multiples insurrections (RCD, MLC, RCD-KML) mais aussi à une guerre d’agression rwandaise, burundaise et ougandaise en 1998. Son fils, Joseph Kabila, sera confronté au CNDP de Laurent Nkunda, puis le M23 en 2012-2013. A son tour, Félix Tshisekedi est également confronté à une agression rwandaise déguisée en rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition incluant le M23, soutenue par le Rwanda. 

Malgré les ingérences étrangères et toutes ces rébellions, la RDC a résisté à de nombreuses tentatives de balkanisation. Amputé de ses deux capitales provinciales (Goma et Bukavu) depuis plus de cinq mois par la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) soutenue par le Rwanda, le pays est – 65 ans après – à la croisée des chemins pour tenter de refaire encore son unité. L’accord de paix signé le 27 juin 2025 à Washington DC, sous la médiation américaine, pourrait être un début de solution à ces 30 années de violence. 

L’Accord signé est-il différent des autres traités avec le Rwanda ?

Le texte signé à Washington énonce le respect de l’intégrité territoriale de deux pays, la RDC et le Rwanda, il prévoit l’arrêt des hostilités, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés, ainsi qu’un mécanisme conjoint de coordination en matière de sécurité. Mais l’élément central de l’accord est le retrait des troupes rwandaises du sol congolais, un point particulièrement sensible. En effet, les rebelles de l’AFC/M23 n’ont pas agi seuls dans la conquête du vaste espace congolais qu’ils occupent actuellement dans les provinces du Nord et Sud-Kivu. Ils ont bénéficié du commandement, appui logistique et en hommes de l’armée rwandaise selon un rapport des experts des Nations unies publié en 2024. L’accord prévoit donc le retrait ou le désengagement de ces troupes rwandaises du sol congolais. Mais ce retrait devrait se faire concomitamment avec la neutralisation par le gouvernement congolais des rebelles des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) formées par d’anciens responsables du génocide rwandais après 1994, présentes dans l’Est de la RDC depuis les années 1990. Kigali considère ce mouvement créé par d’anciens génocidaires comme une menace « existentielle » à la sécurité du Rwanda. 

L’accord prévoit aussi une coopération autour des richesses naturelles, notamment la gestion des parcs nationaux et des ressources transfrontalières. Dans l’ensemble, ce document a repris des points classiques que Kinshasa et Kigali revendiquent souvent. Mais la seule nouveauté, c’est l’implication active des Etats-Unis comme médiateurs de dernière minute dans cette crise. Peut-être que cela pourrait aider enfin à la mise en œuvre de cet accord. C’est le seul point de différence avec les accords signés précédemment, notamment l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix en RDC et dans la région des Grands Lacs. 

Le gouvernement trouvera-t-il les FDLR à neutraliser ?

Dans ce document, l’engagement pris par le gouvernement congolais de neutraliser les rebelles des FDLR représente un défi majeur. Le premier couac pourrait venir de cette incise qui est d’ailleurs liée au désengagement des forces rwandaises du sol congolais. Les deux séquences sont liées, ce qui met un coup de pression sur le gouvernement congolais pour mettre rapidement la main sur les FDLR.

Mais le problème, c’est que la zone de localisation de ces rebelles est celle occupée actuellement par l’armée rwandaise et les rebelles de l’AFC/M23. Pourquoi n’ont-ils pas eux-mêmes neutralisé ces rebelles ? En acceptant ce pari, le gouvernement congolais va-t-il trouver cette force résiduelle dans quel autre coin du pays ? Dans le Maniema ou dans le Kasaï ? Le quartier général des FDLR étant souvent à Rutshuru ou à Masisi, deux territoires congolais actuellement sous contrôle de l’armée rwandaise et des rebelles du M23.

L’autre incertitude, c’est que depuis 20 ans la lutte contre les FDLR n’a jamais définitivement abouti malgré les opérations conjointes menées avec l’armée rwandaise notamment dans l’opération « Kimia II » en 2005 et « Amani leo » en 2009. Sous Félix Tshisekedi en 2020, l’armée a remis au Rwanda des centaines des FLDR et leurs dépendants. Certaines affirmations qui ne sont pas sourcées, certains rebelles des FDLR capturés et extradés vers le Rwanda sont revenus sur le sol congolais. Cet engagement visant à neutraliser les FDLR pourrait donc être une épine sous le pied du gouvernement. Il risque de se transformer en opération conjointe entre les armées congolaise et rwandaise. Outre les défis liés aux FDLR, l’accord de paix a également des répercussions sur les acteurs locaux, notamment Corneille Nangaa, leader de l’AFC/M23.

Conquête de Kinshasa, Corneille Nangaa abdique ? 

Après la signature de l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali, le coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23), Corneille Nangaa a été obligé de changer de langage. L’homme qui rêvait de « défaire le monstre » (Félix Tshisekedi) qu’il disait avoir lui-même créé, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) semble perdre cette ambition. Dans une allocution à l’occasion du 30 juin, fête de l’indépendance, Corneille Nangaa a quasiment renié cet agenda subversif en affirmant que son mouvement ne poursuivait ni la gloire ni le pouvoir. « Nous ne poursuivons ni la gloire, ni le pouvoir : notre engagement vise à sortir la RDC du cycle d’insécurité, de pauvreté, d’exclusion, de discriminations, de médiocrité, de l’arbitraire, de la dictature et des injustices. Nous sommes un peuple debout, uni dans sa diversité, mû par la volonté de vivre ensemble dans la dignité », a-t-il déclaré. 

En réalité, le M23 n’a jamais eu des revendications de nature à renverser le pouvoir à Kinshasa. Corneille Nangaa semblait plutôt se servir de ce mouvement pour assouvir sa soif de vageance politique contre Félix Tshisekedi après la rupture des liens politiques entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Selon une analyse de François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique, publiée en 2024, « dans le jeu de Kigali, Joseph Kabila apparaît comme une carte pour faire pression sur Félix Tshisekedi, rien de plus. » 

D’après Pierre Boisselet, directeur du pilier violence de l’institut congolais Ebuteli, si le Rwanda retire son soutien à l’AFC/M23, rien ne prouve la capacité de cette rébellion à défaire les FARDC malgré le recrutement et la formation en cours des nouveaux combattants. « Lors de toutes les campagnes qui ont permis de gagner du territoire, c’était, à priori, toute l’armée rwandaise qui était en première ligne. Donc, le M23 n’a pas forcément non plus démontré sa capacité à soutenir un conflit contre les FARDC », a-t-il analysé sur les antennes de RFI. 

Avec cet accord de paix signé à Washington, il pourrait être de plus en plus difficile pour Nangaa ou Kabila de réaliser la chute du régime Tshisekedi. Mais cela n’est pas non plus un gage de retour de la paix dans l’ensemble du pays. Il faudrait maintenant pointer le curseur sur Doha, au Qatar, pour régler la question de l’AFC/M23 et projeter – peut-être – l’organisation d’un dialogue national au pays avec l’initiative de la CENCO-ECC. 

Cet accord de paix obtenu avec une grande implication des Etats-Unis – un médiateur qui a les moyens de faire pression sur Kigali et Kinshasa – cela peut être un élément majeur dans le début de la résolution de cette crise qui date. « Mais pour que l’accord se concrétise sur le terrain, il faudra que la pression américaine soit maximale, et surtout, s’inscrive dans la durée. La paix ne reviendra pas d’un coup de baguette magique, car les difficultés ne manquent pas pour mettre fin à une guerre de 30 ans », estime le journaliste français Christophe Rigaud. 

L’accord de Washington représente une opportunité historique pour la RDC, mais sa réussite dépendra de la volonté politique, de la pression internationale et d’une stratégie globale pour désarmer les groupes armés, réintégrer les ex-combattants et promouvoir un dialogue national inclusif. 

Heshima 

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Les enfants de la guerre en RDC : grandir sous les bâches, survivre sous les bombes

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Dans les plaines boueuses du Nord-Kivu, entre les collines de l’Ituri et les abords de Goma, une génération d’enfants grandit sans jamais avoir connu la paix. Là-bas, les camps de déplacés ne sont pas des lieux de passage, mais de vie. Selon le Centre de surveillance des déplacements internes, la République démocratique du Congo (RDC) comptait déjà plus de 6 millions de personnes déplacées en 2023, un chiffre qui aurait franchi la barre des 7 millions en 2024. À Lushagala, près de Goma, plus de 71 000 personnes survivaient dans des abris de fortune, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). Ces déplacés ont été ensuite forcés de retourner dans leurs habitations depuis février 2025 après la conquête de la ville de Goma par les rebelles du M23. À Kanyaruchinya, le chiffre frôlait déjà 60 000 il y a plus de dix ans. Au cœur de ces camps, des milliers d’enfants naissent, jouent, espèrent et parfois meurent sans avoir jamais connu autre chose que la guerre.

Un quotidien de privations et de dangers

Dans ces labyrinthes de bâches et de tentes effilochées, la vie s’organise autour de la survie. L’accès à l’eau potable relève de l’épreuve, les points d’eau étant souvent éloignés, surpeuplés et parfois contaminés. Les installations sanitaires, rares et vétustes, sont partagées par des centaines de personnes, favorisant la propagation de maladies. « Les enfants jouent dans la boue entre les tentes, leurs rires contrastant avec la dureté de leur environnement », constate un travailleur humanitaire à Goma.

Selon un rapport de l’UNICEF paru en juillet 2023, les camps autour de la ville souffrent d’un manque chronique d’eau et d’assainissement, exposant les enfants à des risques sanitaires graves. Les distributions de nourriture, vitales, sont irrégulières et insuffisantes. Dans ces conditions, la faim façonne le quotidien, et la moindre fièvre inquiète les mères.

La santé des enfants : une lutte de chaque instant

La malnutrition aiguë frappe plus de 1,5 million d’enfants en RDC, selon l’UNICEF. Dans les camps, les cas de kwashiorkor, cette maladie de la faim, ont pu reculer grâce à l’arrivée de l’aide humanitaire. « Avant l’aide, nos enfants souffraient de kwashiorkor. Ce n’est plus le cas, mais la sous-alimentation reste notre lot quotidien », confie un père déplacé à Irumu, en Ituri.

Les épidémies, elles, ne connaissent pas de répit. En 2023, plus de 28 000 cas suspects de choléra ont été signalés, dont 80 % dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. La surpopulation et l’insalubrité créent un terreau idéal pour la maladie. Les campagnes de vaccination, comme celle de janvier 2023 à Goma, ont permis d’atteindre 365 000 personnes, mais restent insuffisantes face à l’ampleur de la crise.

L’école, un rêve lointain

Pour la majorité des enfants déplacés, l’école est un mirage. Plus de 1 000 écoles ont été détruites en RDC en 2023, selon l’OCHA. Dans les camps, les rares classes improvisées manquent de tout : cahiers, bancs, enseignants. Les enfants passent leurs journées à aider leurs parents ou à errer sans occupation. « Je rêve d’apprendre à lire pour aider ma famille », confie Amina, 12 ans.

Quelques ONG, comme Save the Children, tentent de recréer des espaces adaptés aux enfants, offrant un peu d’apprentissage informel et de soutien psychologique. Mais ces initiatives restent des îlots fragiles dans un océan de besoins. Sans éducation, ces enfants risquent de rester prisonniers d’un cycle de pauvreté et d’exclusion.

Grandir sous la menace : insécurité et violences

Les camps de déplacés ne sont pas des refuges sûrs. Les enfants, surtout les filles, y sont exposés à toutes les formes de violence, y compris sexuelles. Selon l’UNICEF, les cas de violences basées sur le genre ont augmenté de 37 % dans le Nord-Kivu au premier trimestre 2023. « Les agressions se produisent parfois en plein jour, jusque dans les allées du camp », s’alarme Pramila Patten, représentante spéciale de l’ONU.

Les attaques de groupes armés, comme celle de la milice CODECO en 2023 qui a fait 45 morts dans le camp de Lala en Ituri, rappellent la vulnérabilité extrême des déplacés. Les patrouilles de la MONUSCO ne suffisent pas à garantir la sécurité, et la peur reste omniprésente.

Les cicatrices invisibles : le poids du traumatisme

Pour le psychologue humanitaire Giscard Kabeti,grandir dans un camp laisse des traces profondes. Les enfants y sont confrontés à la violence, à la perte de proches, à l’insécurité constante. Selon lui,le manque d’éducation et de routine aggrave leur détresse psychologique. Il faut des programmes de soutien psychosocial et des opportunités d’apprentissage pour leur redonner espoir. Mais les ressources sont limitées, et il est urgent d’investir davantage dans leur avenir. Sans prise en charge, ces traumatismes risquent de se transmettre de génération en génération, perpétuant le cycle de la pauvreté et du déplacement.

Un appel à la mobilisation

Les enfants des camps de déplacés en RDC incarnent une résilience bouleversante, mais ils méritent bien plus qu’une simple survie. Selon l’OCHA, près de 25 millions de personnes en RDC ont aujourd’hui besoin d’aide humanitaire. La communauté internationale doit intensifier son soutien, non seulement en apportant une aide d’urgence, mais aussi en investissant dans l’éducation, la santé mentale et la protection des plus vulnérables.

Les organisations comme l’UNICEF, CARE et Save the Children accomplissent un travail remarquable, mais l’ampleur de la crise dépasse leurs capacités. Ces enfants, qui rêvent d’un avenir meilleur, rappellent l’urgence d’agir pour qu’un jour, l’enfance rime enfin avec innocence, et non avec exil.

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RDC : ce géant du tourisme en Afrique centrale qui s’endort

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La République démocratique du Congo (RDC) possède un extraordinaire potentiel touristique, avec une faune et flore riches, des parcs nationaux, des sites naturels (chutes, lacs, montagnes) et des sites culturels. Mais cette manne naturelle est faiblement accessible aux touristes internationaux. L’insécurité dans une bonne partie du pays et des problèmes de gouvernance freinent l’éclosion d’un secteur qui pourrait rapporter plus de 10 % de la valeur du PIB congolais.

Grâce à sa position stratégique à l’équateur au cœur de l’Afrique, la RDC est située au carrefour des destinations finales ou initiales des circuits touristiques d’Afrique Australe, Centrale et de l’Est. Le pays présente une gamme variée d’attraits touristiques à travers ses 26 provinces. Les chutes de Zongo au Kongo central, des attractions touristiques comme le Jardin botanique d’Eala et le Parc de la Vallée de la N’sele à Kinshasa, le lac Kivu, le fleuve Congo, et les montagnes telles que le Ruwenzori offrent des paysages spectaculaires pour les touristes. Chaque province présente des particularités variées. Le pays de Lumumba possède 7 parcs nationaux et 57 réserves et domaines de chasse dont 5 figurent sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Il s’agit du Parc national des Virunga, le Parc national de la Garamba, Kahuzi Biega, la Salonga et la Réserve de faune à okapis. En dehors des parcs, la RDC possède des montagnes et chutes qui offrent la possibilité d’exploiter tout type de tourisme (balnéaire, culturel, de loisirs, d’affaires). Sur le plan de la flore, il y a une variété d’écosystème couvrant près de 145 millions d’hectares, soit le second massif de forêts tropicales du monde après l’Amazonie et une des réserves de biodiversité de la planète. La RDC possède 4 espèces endémiques : Gorille de montagne, Okapi, Bonobo (chimpanzé nain), Paon congolais. À côté, il y a d’innombrables espèces d’oiseaux et de poissons. Face à un tel potentiel, le pays ne devrait pas être à la traine en matière de tourisme.

L’insécurité, l’ennemi numéro 1 du tourisme

Depuis près de 30 ans, la partie orientale du pays demeure en insécurité. Pourtant, les Kivus et l’Ituri regorgent d’atouts pour le développement du tourisme avec des paysages magnifiques, une faune diversifiée et une culture unique. Cependant, cette région reste marquée par l’instabilité sécuritaire, ce qui a affecté le développement du tourisme. Malgré ces défis, des initiatives sont en cours pour relancer le secteur et mettre en valeur les atouts touristiques de la région, notamment le Parc National des Virunga et le Lac Kivu. La chaîne de volcans entre la RDC et le Rwanda, avec des sommets comme le Nyiragongo, constitue une attraction touristique particulière. Mais la zone est quasiment infréquentable par des touristes suite à l’insécurité. Le parc national des Virunga est souvent le théâtre des affrontements entre des groupe armés et forces loyalistes. Des gardiens du parc sont souvent tués lors d’attaques de groupes rebelles. Le 22 février 2021, l’ambassadeur d’Italie en RDC, Luca Attanasio, a été tué dans cette région alors qu’il allait visiter un projet scolaire dans un village près de Rutshuru, dans le Nord-Kivu. Cette zone était quasiment dans le périmètre du Parc national des Virunga. Un événement tragique qui a davantage refroidi des potentiels touristes. Par exemple, Israël a vu son tourisme chuter de 64 % depuis octobre 2024 en raison de tensions régionales.

Pas de marketing avant les infrastructures

Selon les chiffres publiés par l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANAPI), la RDC a révisé en 2013 son plan directeur projeté sur 15 ans avec comme objectifs d’atteindre à terme 1.146.962 touristes internationaux et des recettes de 17,3 millions de dollars. Un montant estimé à 10 % de la valeur du PIB congolais en 2012. Mais pour que ce plan de 15 ans puisse fonctionner, l’ANAPI avait précisé qu’il fallait mettre en place une politique de promotion et de préservation des espèces animales phares ; réhabiliter des parcs nationaux, créer des niches écologiques, réhabiliter des voies d’accès aux différents sites et promouvoir le Tourisme vert pour renforcer la conservation de l’environnement. Il fallait aussi développer l’offre en transports touristiques (aérien, routier, fluvial et lacustre) ; créer des sites d’hébergement (hôtels et infrastructures d’accueil et d’animation touristiques). Avec la décentralisation, il est aussi nécessaire de mettre en place des services des agences et bureaux de tourisme dans les différentes entités décentralisées. Plus de 12 ans après avoir élaboré ce plan, rien de concret n’a été fait pour développer ce secteur.

Actuellement, le ministre du Tourisme, Didier M’Pambia, s’est empressé de signer un contrat de marketing de plus de 4 millions de dollars avec le club prestigieux AC Milan pour promouvoir le tourisme en RDC. Pourtant, les préalables énumérés notamment par l’ANAPI n’ont pas toujours été remplis. Il sera difficile dans un tel contexte de capter les touristes du monde. Les fonds investis dans le marketing risquent de ne pas produire de résultats tant que le secteur n’est pas restructuré. Le contrat signé également par le ministre des Sports, Didier Budimbu avec l’As Monaco (4,8 millions d’euros pour 3 saisons), qui comporte un volet de visibilité du pays, n’échappe pas à la logique de ces préalables. « Il faut d’abord développer tout un écosystème touristique au pays avant d’envisager un marketing à l’international », estime Eddy Mbala, guide touristique dans un site de Mbanza-Ngungu, au Kongo Central.

Cet écosystème implique une harmonie entre les différents services du pays. Des infrastructures d’accueil comme les aéroports et la qualité du personnel d’accueil devraient être prises en compte dans cet alliage. Il y a aussi des agences de voyages, des hôtels non classés et classés ; le développement des 4.500 km de voies navigables du pays ainsi que des services d’appui au déploiement des activités touristiques. C’est l’existence de cet ensemble des infrastructures qui permettra au pays de lancer son marketing à l’international tout en s’assurant de la qualité de la délivrance des visas pour les touristes.

Saisir chaque opportunité pour mieux vendre le pays

Pour mieux capitaliser ce secteur, le pays doit mettre en valeur chacun de ses atouts naturels. Cela n’est possible que grâce à une gouvernance efficace de ce domaine. Si les efforts en cours pour trouver un accord de paix entre la RDC et le Rwanda arrivent à aboutir, il faudrait en ce moment activer un autre levier politique interne : la gouvernance de qualité dans ce secteur. Cela permettra de créer l’attractivité autour du tourisme. Il faudrait aussi saisir chaque occasion pour mieux vendre le pays. Le Festival mondial de la musique et du tourisme, prévu du 16 au 18 juillet 2025 à Kinshasa, devrait être une opportunité de mettre à profit le potentiel touristique de la RDC. Beaucoup d’experts du secteur s’accordent à dire que si le pays parvient à surmonter ses défis sécuritaires et à développer ses infrastructures touristiques, il pourrait devenir une destination majeure en Afrique centrale. Le programme de réhabilitation des aéroports du pays est un signe dans la bonne direction.

Heshima

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