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CENI-RDC : Entre crédibilité et contestation, comment restaurer la confiance électorale ?
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La redaction
Depuis sa création en 2006, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) de la République démocratique du Congo (RDC) joue un rôle clé dans l’organisation des élections, mais elle fait face à des critiques récurrentes sur ses défaillances. Malgré des innovations comme les technologies biométriques, les élections passées ont révélé des problèmes persistants : politisation, manque de transparence, retards logistiques. À l’approche des élections de 2028, des réformes sont nécessaires pour restaurer la confiance, notamment en garantissant l’impartialité, en modernisant l’infrastructure et en renforçant le contrôle citoyen.
La CENI tire sa légitimité de la Constitution du 18 février 2006, qui établit un organe public indépendant doté d’une autonomie financière et administrative pour organiser les élections nationales, provinciales, locales et les référendums. Une loi organique adoptée en juillet 2010, amendée en avril 2013 puis en juillet 2021, précise ses missions : tenir à jour le fichier électoral, superviser l’organisation des scrutins, assurer le dépouillement des votes et proclamer les résultats provisoires. Succédant à la Commission Électorale Indépendante (CEI), qui avait orchestré le référendum constitutionnel de 2005 et les premières élections multipartites de 2006, la CENI se compose de 15 membres, désignés par les forces politiques représentées à l’Assemblée nationale et la société civile sur la base d’un équilibre.
En théorie, la composition de la CENI vise à garantir un équilibre entre les forces politiques et à prévenir toute emprise partisane. Mais dans les faits, son indépendance reste souvent mise à mal. Les nominations, sous la responsabilité de l’Assemblée nationale, sont régulièrement marquées par d’intenses tractations politiques. Toutes les désignations des présidents de la CENI en portent la trace, à l’exception notable de celle de l’abbé Apollinaire Malu-Malu en 2003, fruit d’un consensus entre les parties prenantes du Dialogue intercongolais de Sun City, dans le cadre de l’Accord global et inclusif signé en décembre 2002.
Le parcours des présidents successifs de la CENI illustre les turbulences institutionnelles de l’organisme. L’abbé Apollinaire Malu-Malu, premier président, est officiellement décédé en 2016 des suites d’une maladie. Toutefois, certains remettent en question cette version : « Le pauvre Malu-Malu est mort d’empoisonnement et non d’une maladie », affirme Yvan Kambale, ancien séminariste devenu ingénieur à Kinshasa. Son successeur, Daniel Ngoy Mulunda, purge actuellement une peine de prison pour incitation à la haine et atteinte à la sûreté de l’État. Corneille Nangaa, qui lui a succédé, a été sanctionné en 2019 par les États-Unis pour sa responsabilité présumée dans des actes de corruption électorale. En 2023, il a annoncé la création d’un mouvement armé et contrôle, avec l’appui du Rwanda, certaines localités stratégiques des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, alimentant de vives inquiétudes quant à ses ambitions réelles. L’actuel président, Denis Kadima, nommé en 2021 malgré les objections de plusieurs confessions religieuses, est régulièrement critiqué pour sa proximité supposée avec le président Félix Tshisekedi.
La dépendance financière de la CENI vis-à-vis des bailleurs internationaux, tels que l’Union européenne, les Nations unies et les États-Unis, constitue une autre vulnérabilité. Si ces financements permettent de pallier les insuffisances budgétaires de l’État congolais, ils exposent l’institution à des pressions externes, notamment sur les calendriers électoraux et les réformes à entreprendre. Ce paradoxe, une indépendance juridique mais une dépendance financière, fragilise la légitimité de cette institution.
Pour comprendre les forces et les failles de la CENI, un retour sur les scrutins majeurs de 2006, 2011, 2018 et 2023 est nécessaire. Ces élections, organisées dans des contextes politiques et logistiques variés, illustrent les progrès réalisés et les défis persistants.
Les élections de 2006 : un tournant post-conflit
Au terme d’une transition douloureuse, les élections générales de 2006 ont marqué un moment historique pour la RDC. C’était la première fois, depuis l’indépendance en 1960, que les Congolais votaient dans un scrutin présidentiel et législatif multipartite organisé sur l’ensemble du territoire. Le pays sortait à peine de la deuxième guerre du Congo, la plus meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un État fragilisé, des groupes armés encore actifs à l’Est, des institutions embryonnaires et une société civile en quête de paix.
La désignation de l’abbé Apollinaire Malu-Malu à la tête de la Commission électorale indépendante (CEI) en juin 2003 survient dans ce contexte chaotique. Le pays est alors profondément divisé, et le pouvoir central n’a que peu de contrôle sur l’ensemble du territoire. Plusieurs provinces échappent à l’autorité de Kinshasa et sont sous la domination de groupes rebelles, soutenus par des puissances étrangères comme le Rwanda et l’Ouganda. L’État, dévasté par plus de cinq années de guerre, se trouve dans une situation d’effondrement. Les milices armées prolifèrent, rendant difficile la mise en place de structures démocratiques.
C’est dans ce climat de fragmentation et d’instabilité que, suite aux accords de paix signés à Pretoria en décembre 2002, un gouvernement de transition est mis en place. L’accord global et inclusif réunit les belligérants, l’opposition politique et la société civile, avec l’objectif d’organiser des élections libres et transparentes pour sortir le pays du chaos. La création d’une CEI indépendante est l’un des jalons essentiels de cet accord.
La désignation de Malu-Malu, prêtre catholique et universitaire respecté, à la tête de la CEI se fait donc dans un contexte de grande fragilité, mais aussi de besoin impérieux d’organisation et de crédibilité. Bien qu’il soit perçu comme un choix neutre et respecté, sa nomination n’est pas exempte de tensions. Il parvient cependant à obtenir l’adhésion des principaux acteurs politiques et des confessions religieuses, qui voient en lui une personnalité impartiale, capable de mener le pays vers une transition démocratique. Ce choix est salué par la communauté internationale, mais reste sous haute surveillance, les défis logistiques et sécuritaires étant considérables.
Dans ce contexte de reconstruction chaotique, l’organisation des élections par la CEI dirigée par Malu-Malu relevait d’un défi logistique monumental. Il a fallu transporter du matériel électoral dans des zones enclavées, parfois à dos d’homme ou par voie fluviale, dans un pays grand comme l’Europe de l’Ouest. Malgré cela, la participation a dépassé les 70 % au premier tour, le 30 juillet, traduisant un véritable engouement populaire pour ce rendez-vous démocratique inédit.
Le 30 juillet 2006, à la clôture du premier tour, l’annonce imminente des résultats plonge Kinshasa dans une atmosphère électrique. Face à des menaces de troubles urbains, l’abbé Apollinaire Malu-Malu et plusieurs membres de la CEI doivent se rendre au palais du peuple pour la proclamation officielle, escortés à bord d’un char de combat de la Mission de l’ONU au Congo (MONUC), afin de garantir leur sécurité et de parer à toute tentative d’intimidation. Cette image, aujourd’hui restée dans les mémoires, symbolise le pari dangereux mais réussi de proclamer des scores jugés satisfaisants par plus de 70 % des électeurs.
Jean-Pierre Bemba, arrivé deuxième, a aussitôt contesté les résultats, dénonçant des irrégularités dans plusieurs provinces. Le second tour, tenu le 29 octobre, a vu s’affronter Joseph Kabila et Bemba dans un duel tendu, marqué par des discours clivants et une campagne polarisée. Lorsque la CEI proclame la victoire de Kabila avec près de 58 % des voix, les tensions politiques basculent brièvement dans la confrontation armée.
En novembre 2006, des affrontements violents éclatent à Kinshasa entre la garde républicaine de Joseph Kabila et les forces de sécurité privées de Jean-Pierre Bemba, installées dans son quartier général de la Gombe. Ces heurts, bien qu’alimentés par un climat post-électoral explosif, ne sont pas officiellement liés à une contestation directe des résultats, mais à des rivalités de commandement et des provocations sur fond de méfiance militaire réciproque. Ils soulignent toutefois combien la transition démocratique restait sous tension permanente, à la merci de la moindre étincelle.
Malgré les violences et les suspicions, les observateurs internationaux, dont l’Union européenne, l’EISA et les Nations unies, ont salué un scrutin jugé globalement crédible. La CEI a réussi, dans un contexte instable, à faire tenir un processus électoral inédit, posant les premières bases d’une légitimité démocratique. Mais ces élections, loin de marquer une rupture définitive avec les crises du passé, ont aussi révélé la fragilité d’un État encore en construction.
Les élections de 2011 : les premières controverses de la CENI
Avant même la tenue du scrutin, la nomination de Daniel Ngoy Mulunda à la tête de la CENI en février 2011 crée une onde de choc. Pasteur méthodiste et fondateur de l’ONG LINELIT, il est également connu pour sa proximité personnelle avec Joseph Kabila, dont il a été l’aumônier. Sa désignation, validée par l’Assemblée nationale dominée par la majorité présidentielle, est aussitôt contestée par l’opposition, une partie de la société civile, ainsi que par l’Église catholique. Ces voix dénoncent une mainmise du pouvoir sur une institution censée être indépendante, compromettant dès le départ la confiance dans le processus électoral.
Plusieurs organisations de la société civile dont la Synergie des missions d’observation citoyenne des élections (SYMOCEL) et la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), réclament en vain une révision du choix ou, à tout le moins, des garanties d’indépendance. La méfiance est installée.
Organisé le 28 novembre 2011, le double scrutin présidentiel et législatif vire rapidement au chaos organisationnel. Des listes électorales incomplètes, des bulletins de vote égarés, des kits informatiques défaillants ou absents, des retards dans l’ouverture des bureaux de vote : les ratés logistiques sont massifs. Dans plusieurs zones, les dépouillements se font sans procès-verbal clair ou en l’absence d’observateurs.
Le Centre Carter Center, la SADC, l’Union européenne et de nombreuses organisations locales rapportent des anomalies systématiques, particulièrement dans les bastions du président sortant. Certaines circonscriptions du Katanga affichent des taux de participation proches de 100 %, soulevant des soupçons de bourrage d’urnes.
La CENI proclame Joseph Kabila vainqueur avec 48,95 % des voix, devant Étienne Tshisekedi (32,33 %) et Vital Kamerhe. Étienne Tshisekedi dénonce aussitôt une fraude électorale massive. Il se proclame président élu et, dans un geste sans précédent, prête serment depuis sa résidence à Limete, devant une foule restreinte mais symbolique. Il déclare :« C’est moi le président élu du peuple congolais. Joseph Kabila doit partir. »
Le pouvoir réagit avec fermeté : la résidence de Tshisekedi est encerclée par la police, transformée de fait en prison à ciel ouvert. Ses partisans sont empêchés de s’y rendre, des journalistes sont intimidés, et des manifestations à Kinshasa et Mbuji-Mayi sont violemment réprimées, causant plusieurs dizaines de morts.
L’Église catholique, à travers la CENCO, ainsi que l’Église du Christ au Congo (ECC), dénoncent un scrutin non crédible. Plusieurs évêques appellent à « ne pas sacrifier la vérité des urnes sur l’autel de la stabilité ». La société civile, des organisations de jeunes, des coalitions d’observation électorale et plusieurs chancelleries occidentales expriment des réserves profondes sur la transparence du processus. L’Union européenne déclare que les résultats « manquent de crédibilité », tandis que le Centre Carter évoque une opacité inquiétante dans la compilation des résultats.
La crise de légitimité née de ces élections plonge la RDC dans une impasse politique durable. Le dialogue entre majorité et opposition est rompu, les institutions s’en trouvent fragilisées, et la polarisation du paysage politique s’aggrave. C’est dans ce climat tendu que Joseph Kabila convoque, en 2013, les Concertations nationales, officiellement pour apaiser les tensions et réconcilier les forces vives du pays.
Mais pour une large partie de l’opinion, il s’agit avant tout d’une manœuvre visant à restaurer une légitimité contestée depuis le scrutin de 2011. Les principaux partis de l’opposition refusent d’y participer, dénonçant une opération de façade. Le pouvoir tente alors de sauver l’image du dialogue en débauchant quelques personnalités issues de l’opposition, dans le but de légitimer la démarche.
Les élections de 2018 : l’ombre des machines à voter et le spectre d’un deal
Le scrutin présidentiel du 30 décembre 2018 s’est tenu dans un climat de méfiance et de contestations, renforcé par des tensions politiques et sociales qui ont marqué la période. Ces élections étaient censées marquer la première alternance pacifique du pouvoir depuis l’indépendance, mais le processus électoral a été entaché de nombreux débats et accusations. Le pays venait d’être secoué par plusieurs reports successifs du scrutin, et une partie du territoire, notamment l’Est, était en proie à des épidémies et à une insécurité persistante. C’est dans ce contexte qu’a été désignée la CENI, sous la présidence de Corneille Nangaa, un choix qui allait rapidement devenir un point de friction majeur.
La nomination de Nangaa à la tête de la CENI en 2015 avait déclenché une onde de choc politique. Dès son arrivée, l’opposition et la société civile dénoncèrent un coup de force institutionnel, pointant du doigt ses « anciennes affiliations » au Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila. Pour ses détracteurs, dont les poids lourds Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, cette désignation scellait un scénario de mainmise sur le processus électoral.
Les critiques fusaient sur un point central : comment un ancien cadre du régime pourrait-il incarner la neutralité requise pour organiser des scrutins crédibles ? Les accusations de partialité structurelle prenaient corps, alimentant les craintes d’un scrutin taillé sur mesure pour assurer la pérennité du pouvoir en place. La polémique révélait une fracture plus profonde : la défiance historique envers une institution électorale perçue comme le prolongement de l’appareil d’État plutôt que comme son contre-pouvoir.
Les confessions religieuses, en particulier l’Église catholique par l’intermédiaire de la CENCO, ont également exprimé leur désaveu. Bien que l’Église catholique ait été historiquement un acteur clé dans l’observation des élections, elle n’a pas participé à la désignation de Nangaa, se distanciant ainsi du processus. L’abbé Léonard Santedi, secrétaire général de la CENCO, a clairement indiqué que la CENCO n’avait pas été associée à la nomination, et que cette absence de consensus interreligieux était source de méfiance. De nombreuses organisations de la société civile, quant à elles, ont dénoncé la partialité présumée de la CENI et ont mis en doute la capacité de Nangaa à organiser des élections transparentes.
Le climat de tension s’est intensifié avec l’introduction des « machines à voter », présentées comme une solution moderne pour accélérer et sécuriser le processus électoral. Mais rapidement, elles ont été perçues comme un outil de manipulation. L’opposition, y compris des figures comme Martin Fayulu, a dénoncé ces machines comme des « machines à tricher », estimant qu’elles étaient conçues pour favoriser le candidat du pouvoir. Des observateurs ont critiqué leur manque de transparence et les dysfonctionnements notables qui ont accompagné leur déploiement.
Quelques jours avant le vote, un incendie criminel a ravagé un entrepôt de la CENI à Kinshasa, détruisant une partie du matériel électoral, dont des machines à voter destinées à la capitale. Cet incident a alimenté les soupçons de sabotage et de manipulation politique. Le 3 janvier 2019, la CENCO a rendu public un communiqué où elle a dénoncé des incohérences entre les résultats compilés par son réseau d’observateurs et ceux annoncés par la CENI. La CENCO a exprimé des réserves sur la transparence du processus, mais n’a pas directement contesté la victoire de Félix Tshisekedi. Toutefois, ces préoccupations ont contribué à exacerber la polarisation du climat politique.
Lorsque la CENI a annoncé la victoire de Félix Tshisekedi avec 38,57 % des voix, devant Martin Fayulu (34,83 %) et Emmanuel Ramazani Shadary (23,84 %), la contestation a été immédiate. Fayulu a qualifié cette victoire de « volée », et a affirmé que des arrangements avaient été conclus entre Kabila et Tshisekedi pour écarter l’opposition radicale. Bien que cet appel à la mobilisation populaire n’ait pas eu le même impact qu’escompté, il a toutefois mis en lumière la fracture persistante entre les soutiens de Tshisekedi et ceux de Fayulu. En parallèle, les observations de missions internationales telles que le Centre Carter ont souligné les irrégularités dans la centralisation des résultats, mais ont estimé que ces problèmes n’étaient pas suffisants pour remettre en cause l’issue du scrutin.
Malgré ces critiques, la Cour constitutionnelle a validé la victoire de Tshisekedi, et la communauté internationale, dans un souci de stabilisation, a largement accepté les résultats. Toutefois, les élections de 2018, bien qu’elles marquent un tournant historique en raison de la passation pacifique du pouvoir, ont laissé le pays profondément divisé, et la question de la transparence des élections demeure une préoccupation centrale pour une partie de la population congolaise. L’ombre du deal politique et des manipulations électorales a plané sur ce processus, alimentant des doutes quant à l’avenir de la démocratie en RDC.
Les élections de 2023 : entre chaos logistique et victoire incontestée de Tshisekedi
Le scrutin du 20 décembre 2023, organisé sous la présidence de Denis Kadima à la tête de la CENI, s’est tenu dans un climat lourd de tensions et de méfiance, malgré l’enjeu crucial de consolider la jeune démocratie congolaise.
Bien avant cette échéance, la désignation de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale cristallise les tensions. Expert électoral au profil internationalement reconnu, Kadima est néanmoins accusé par plusieurs figures politiques et religieuses congolaises d’entretenir des liens étroits avec le président Félix Tshisekedi. Sa nomination, entérinée en octobre 2021 par l’Assemblée nationale dans un climat d’absence de consensus, suscite une forte controverse.
Deux grandes confessions religieuses, la CENCO et l’ECC, rejettent fermement ce choix. Elles dénoncent un « passage en force » orchestré sous pression du pouvoir exécutif, et pointent un processus de désignation entaché d’irrégularités. L’abbé Donatien Nshole, porte-parole de la CENCO, parle d’un « processus biaisé dès le départ », tandis que le président de l’ECC alerte sur une nomination qui « compromet la transparence du processus électoral ». Cette rupture du consensus, pourtant indispensable à la crédibilité de la CENI, installe une méfiance durable chez de nombreux Congolais à l’approche du vote.
Le jour du scrutin, le pays fait face à une série de dysfonctionnements inédits : près de 25 % des bureaux de vote n’ouvrent pas à l’heure, voire pas du tout, et de nombreux électeurs peinent à retrouver leurs noms sur les listes. La CENI décide de prolonger le vote sur plusieurs jours dans certaines circonscriptions, une décision vivement critiquée par des missions d’observation telles que le Centre Carter, qui y voit une entorse aux standards électoraux internationaux. Malgré ces problèmes logistiques majeurs, la participation s’établit à environ 43 %, un recul notable par rapport aux scrutins précédents.
Félix Tshisekedi a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle avec plus de 73% des suffrages, distançant largement ses principaux concurrents Moïse Katumbi et Martin Fayulu. Cette victoire écrasante, bien que marquée par des irrégularités localisées signalées par les observateurs, n’a pas suscité de contestation majeure quant à la légitimité du résultat final. Les missions d’observation tant nationales qu’internationales, y compris le monitoring conjoint de la CENCO et de l’ECC, ont certes relevé des cas de bourrages d’urnes et des dysfonctionnements organisationnels, mais sans remettre en cause l’issue globale du scrutin. Aucune institution internationale ni capitale étrangère n’a émis de doute sérieux sur la proclamation du vainqueur ou avancé de résultats alternatifs, confirmant ainsi une acceptation générale du verdict des urnes malgré les imperfections du processus.
Toutefois, l’opposition rejette le processus électoral dans son ensemble, dénonçant un scrutin entaché d’irrégularités et le qualifiant de « parodie électorale ». Elle exige l’annulation des résultats, pointant notamment l’opacité du dépouillement et l’absence de publication des résultats dans certains bureaux. Ces critiques ravivent le débat sur la crédibilité de l’organisation, mais elles n’ébranlent pas la reconnaissance du gagnant. En dépit du climat chaotique ayant entouré le scrutin, cette élection consacre la réélection de Félix Tshisekedi.
Encore une fois, et en dépit de tout, cette élection a davantage divisé que rassemblé les Congolais. Certains candidats de l’opposition continuent de rejeter cette victoire et appellent toujours à son annulation.
Politisation et manque d’indépendance
La politisation de la CENI est un problème central. Les nominations de ses membres et du président, bien que prévues pour refléter un équilibre politique, sont souvent le fruit de marchandages entre la majorité et l’opposition. La désignation de Denis Kadima en 2021, malgré l’opposition des confessions religieuses, illustre cette problématique. La dépendance financière vis-à-vis des bailleurs internationaux expose l’institution à des pressions externes, tandis que les pressions internes, notamment de la part du pouvoir exécutif, limitent son autonomie. Cette perception de partialité érode la confiance des électeurs et des partis d’opposition.
Contraintes logistiques dans un pays immense
La RDC, avec sa superficie comparable à celle de l’Europe occidentale, pose des défis logistiques uniques. L’acheminement du matériel électoral : urnes, bulletins, machines à voter, vers des zones reculées est une tâche complexe, aggravée par des infrastructures routières souvent impraticables. En 2023, de nombreux bureaux de vote n’ont pas reçu le matériel à temps, et la formation des agents électoraux reste insuffisante, entraînant des erreurs dans le dépouillement et la transmission des résultats. Ces problèmes logistiques, bien que partiellement dus à la géographie du pays, reflètent également un manque de planification et de coordination.
Opacité et manque de transparence
Si la CENI a progressé en publiant les résultats bureau de vote par bureau de vote, une avancée notable par rapport aux scrutins de 2011 et 2018, elle reste loin des standards de transparence en vigueur dans d’autres démocraties africaines.
Au Ghana, par exemple, les résultats sont accessibles en temps réel sur des plateformes publiques, permettant un suivi citoyen et une vérification indépendante. En RDC, en revanche, la CENI maintient un système centralisé et opaque, où la compilation des données échappe à tout contrôle extérieur. Cette opacité nourrit les soupçons de fraude, comme lors des élections de 2011, 2018 et 2023, où des écarts inexplicables ont été relevés entre les chiffres officiels et ceux recueillis par les observateurs. Un manque de transparence qui, à chaque scrutin, alimente la défiance et les contestations.
Exclusion régionale et insécurité
Les conflits armés dans l’Est de la RDC, notamment au Nord-Kivu et en Ituri, privent des millions de citoyens de leur droit de vote. En 2018, le report du scrutin à Beni, Butembo et Yumbi, officiellement pour des raisons sanitaires et sécuritaires, a, en dépit de tout, été perçu comme une exclusion stratégique par l’opposition. En 2023, des régions entières n’ont pas pu voter en raison de l’insécurité, accentuant le sentiment d’injustice parmi les populations des provinces les plus touchées. Cette exclusion régionale compromet l’inclusivité des élections et renforce la perception d’un système électoral inégalitaire.
La société civile : un appel à la transparence
La société civile congolaise, représentée par des organisations comme la CENCO, l’ECC et plusieurs dizaines d’autres, milite pour des élections libres, transparentes et inclusives. En 2022, une déclaration conjointe de 61 organisations a appelé à une CENI indépendante, une révision du fichier électoral et un accès élargi aux observateurs. Ces organisations jouent un rôle crucial dans l’observation électorale, mais leur accès aux données reste limité par la CENI, ce qui entrave leur capacité à vérifier les résultats. La société civile insiste sur la nécessité d’une réforme institutionnelle pour garantir l’impartialité et la transparence.
Un rejet éternel des résultats ?
Les leaders de l’opposition congolaise ont régulièrement contesté les résultats électoraux, accusant les régimes successifs de frauder avec la complicité de la CENI. En 2023, ils ont réclamé de nouvelles élections sous une direction différente pour l’institution électorale, arguant que celle-ci manquait de légitimité. Ces critiques, profondément enracinées, témoignent d’une défiance persistante à l’égard du processus électoral en RDC.
Les observateurs internationaux : un regard critique
Les rapports du Centre Carter, de l’Union européenne et d’autres missions internationales ont constamment pointé du doigt les irrégularités dans les processus électoraux congolais. En 2023, l’Union européenne a déploré un manque de transparence et des irrégularités dans la collecte, la compilation et la publication des résultats. Ces critiques soulignent la nécessité d’une réforme structurelle pour aligner la CENI sur les normes internationales.
Modèles africains inspirants
Pour réformer la CENI, la RDC pourrait puiser dans les expériences de pays africains ayant réussi à instaurer la confiance dans leurs processus électoraux. Au Ghana, la Commission électorale est saluée pour sa transparence, en particulier grâce à la publication en temps réel des résultats bureau par bureau via des plateformes telles que LiveResult, gérée par CivicHive. Cette démarche permet à la population et aux observateurs d’accéder aux résultats, réduisant ainsi les risques de contestation. La RDC pourrait s’inspirer de ce modèle en mettant en place une plateforme numérique sécurisée, accessible à tous, pour publier les résultats des élections.
En Afrique du Sud, l’Electoral Commission of South Africa (IEC) constitue un modèle d’indépendance institutionnelle. Ses membres sont désignés par un comité parlementaire multipartite, et son financement est garanti par l’État, minimisant ainsi la dépendance aux bailleurs externes. Un mécanisme similaire pourrait être envisagé en RDC, en établissant un processus de nomination des membres de la CENI basé sur un large consensus, tout en renforçant l’autonomie budgétaire de l’institution.
L’Independent National Electoral Commission (INEC) du Nigeria, quant à elle, a instauré un système biométrique avancé pour l’enregistrement des électeurs, réduisant les risques de doublons et de fraudes. Bien qu’il puisse être perfectionné, ce système a contribué à améliorer la crédibilité des élections nigérianes. La RDC pourrait adopter une infrastructure biométrique similaire, accompagnée d’un plan de maintenance et de formation pour en assurer la fiabilité.
Des réformes pour restaurer la confiance
Des experts s’accordent sur l’urgence de repenser le processus électoral congolais en profondeur. Le politologue Christian Mulumba, de l’Université de Kinshasa, estime que « la CENI ne redeviendra crédible que si ses membres sont nommés selon une procédure transparente, reposant sur un consensus élargi et validée par des instances indépendantes telles que la société civile et les Églises ». Il propose un modèle inspiré de l’Afrique du Sud, où un comité multipartite élabore une liste de candidats, validée par le Parlement.
De son côté, la juriste Fatuma Kanyamanza souligne que « tant que la CENI sera perçue comme un instrument politique, les doutes subsisteront ». Elle préconise l’inscription dans la loi d’un processus de validation des nominations par une instance ad hoc réunissant ONG, confessions religieuses et observateurs internationaux.
Sur le plan technologique, l’économiste Jean-Baptiste Nzuzi, de l’Observatoire de la Gouvernance en Afrique, plaide pour l’utilisation de plateformes en ligne permettant la diffusion instantanée des résultats, à l’instar du Ghana. « Un système sécurisé, hébergé sur des serveurs tiers, offrirait un accès libre aux procès-verbaux, réduisant ainsi le risque de manipulation », explique-t-il. Quant à Sarah Mbuyi, experte en innovations électorales, elle propose d’explorer l’utilisation de la blockchain pour assurer la traçabilité du dépouillement des votes, comme cela est fait par la Commission électorale kényane.
D’un point de vue logistique, l’ingénieur Patrick Luhaka recommande à la CENI de collaborer avec le PNUD et la MONUSCO pour acheminer le matériel électoral vers les zones les plus reculées. « Un partenariat durable serait la clé pour éviter les retards et garantir le bon déroulement des scrutins », souligne-t-il.
Pour renforcer le suivi citoyen, l’ONG Regard Citoyen, représentée par Maître Gloria Lisenga, appelle à l’agrément automatique des observateurs nationaux et internationaux, sans quotas ni entraves. Enfin, l’ex-colonel Albert Mwamba, ancien responsable logistique de la MONUSCO, plaide pour des formations régulières à destination des personnels de terrain, indispensables pour assurer le bon fonctionnement des élections.
Comme le souligne Christian Mulumba, « si ces recommandations sont mises en œuvre, la RDC pourrait tourner définitivement la page des scrutins contestés ». Toutefois, il met en garde : « tout dépendra de la volonté politique de rompre une fois pour toutes avec les pratiques passées ».
Entre progrès et échecs : le temps des réformes
À l’approche des échéances de 2028, la RDC se trouve confrontée à une urgence démocratique. Les ombres des scrutins contestés de 2018 et 2023 planent toujours sur la CENI, érodant chaque jour un peu plus la confiance des citoyens dans le processus électoral. Sans une refonte en profondeur du système, le spectre de nouvelles violences post-électorales menace de replonger le pays dans le cycle infernal des crises politiques.
La construction d’une démocratie électorale crédible exige une mobilisation sans précédent. Autorités politiques, société civile, confessions religieuses et partenaires internationaux doivent conjuguer leurs efforts pour transformer la CENI en une institution réellement indépendante et transparente. Cet impératif dépasse les simples ajustements techniques : il appelle un dialogue national inclusif capable de définir de nouvelles règles du jeu acceptées par tous.
Si les élections passées de 2006 à 2023 ont permis certaines avancées, comme l’introduction de la biométrie, elles ont aussi exposé des failles criantes : instrumentalisation politique, manque de transparence, dysfonctionnements logistiques et marginalisation de certaines régions. Pourtant, des solutions existent. En s’inspirant des réussites ghanéenne et sud-africaine où transparence des résultats et indépendance institutionnelle font loi, la RDC pourrait réinventer son modèle électoral.
La voie est étroite mais claire : seule une CENI profondément réformée, dotée de moyens techniques modernes et soumise au contrôle citoyen, pourra restaurer la confiance. Les élections de 8 représenteront alors bien plus qu’une simple consultation, elles deviendront l’expression authentique de la souveraineté populaire. Le défi est immense, mais le prix de l’échec le serait encore plus.
Heshima Magazine
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Du Budget au Perchoir : le parcours insoupçonné de Boji Sangara
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7 jours agoon
novembre 20, 2025By
La redaction
Économiste de formation britannique, réservé mais d’une méthode implacable, Aimé Boji Sangara a gravi les échelons de la politique congolaise loin des projecteurs et des coups d’éclat. Son élection à la présidence de l’Assemblée nationale marque le couronnement d’un parcours où rigueur académique, loyauté stratégique et sens aigu du détail ont façonné un personnage rarement bruyant, mais dont l’influence est désormais centrale. Portrait d’un homme qui, loin de l’ostentation, privilégie l’efficacité structurelle et le travail de fond.
Le jour de son élection, le 13 novembre 2025, Aimé Boji Sangara n’a pas cédé à l’euphorie. Là où d’autres auraient levé les bras en signe de triomphe, il s’est simplement avancé vers le pupitre. Il affichait une concentration presque austère, révélant plus l’homme d’État mesuré que le vainqueur exubérant. Chez lui, la retenue n’est pas un artifice tactique : elle est l’expression profonde d’un trait de caractère qui est devenu sa marque de fabrique dans l’arène politique.
Lors de son discours d’investiture à la tête de la chambre basse, Boji a immédiatement cherché à rassurer et à projeter une image de réformateur pragmatique. Il a promis de transformer l’institution parlementaire en « un parlement plus fort, plus crédible et plus proche du peuple », des objectifs qui nécessiteront une refonte interne des méthodes de travail et une collaboration renforcée, mais équilibrée, avec les autres institutions républicaines. Il a ainsi posé d’emblée les bases d’un mandat axé sur la rationalisation de l’action législative.
L’héritage politique du Kivu et l’exil académique
Né en 1968 dans le territoire de Walungu, au Sud-Kivu, Aimé Boji a été bercé par l’atmosphère du service public et de la politique. Son père, Dieudonné Boji, fut une figure respectée, notamment en tant que gouverneur du Kivu avant son éclatement en plusieurs provinces. Cette immersion précoce dans le sérail du pouvoir, loin d’engendrer une ambition politique prématurée, l’a plutôt orienté vers l’exigence de la méthode. Il s’est d’abord passionné pour la discipline des chiffres et la logique du raisonnement structuré. Après un diplôme de math-physique obtenu à Bukavu, il choisit de s’éloigner du tumulte national et de l’héritage familial pour poursuivre sa formation au Royaume-Uni.
Son voyage académique le mène d’abord à Oxford Brookes, puis à l’éminente Université d’East Anglia. Ces années passées outre-manche sont décisives. Il y acquiert non seulement un master en économie du développement, mais aussi un rapport au travail singulier : un culte de la méthode, de la recherche approfondie et de la gestion publique axée sur les résultats. Il s’engage ensuite dans des projets académiques et associatifs à Londres, se forgeant une réputation de professionnel sérieux, dont la rigueur et la précision, presque obsessionnelle, sont incontestables. Ces fondations jetées loin de Kinshasa expliquent sans doute sa capacité à rester serein et analytique face aux turbulences politiques.
Le technocrate au cœur de l’État
Lorsque Boji revient au pays au milieu des années 2000, c’est avec la conviction que son expertise doit servir l’appareil d’État. Élu député national en 2006, il est réélu sans discontinuer à chaque cycle électoral jusqu’à celui de 2023, faisant de son mandat parlementaire le socle de sa carrière.
Cependant, c’est au sein de l’Exécutif qu’il va véritablement affirmer son profil de technocrate fiable. Ses passages successifs aux portefeuilles du Commerce extérieur, du Budget et de l’Industrie sont remarqués par leur sérieux. Chaque nomination renforce l’image d’un homme capable d’écouter, d’analyser et de produire des résultats concrets, souvent mieux préparé sur le fond des dossiers que la moyenne de ses homologues.
Son mandat de quatre ans comme ministre du Budget est particulièrement éclairant. Il lui a permis d’acquérir une compréhension microscopique du fonctionnement de l’État, des rouages de la gestion des finances publiques et des impératifs de la transparence budgétaire. Malgré son passage prolongé au gouvernement, il n’a jamais renié ses années de parlementaire. « J’ai eu le privilège de siéger 13 ans durant dans cet hémicycle », a-t-il rappelé aux députés, soulignant qu’il y a appris la « noblesse du débat démocratique » et la valeur inestimable du consensus. Boji compte bien s’appuyer sur cette expérience bicéphale pour régénérer l’Assemblée. Il a clairement affiché sa volonté de replacer le député au centre de l’action parlementaire en privilégiant le travail de terrain et la proximité avec les réalités locales. Il souhaite notamment exploiter de manière plus systématique les rapports issus des vacances parlementaires pour identifier les besoins réels des circonscriptions et proposer au gouvernement des projets d’urgence concrets à financer en faveur des populations.
L’ascension stratégique : l’ancre de Tshisekedi
Dans un environnement politique souvent dominé par la théâtralité, les joutes oratoires et l’agitation, Boji incarne une forme de politique posée, presque administrativement efficace, qui tranche singulièrement. Ses collaborateurs le décrivent comme un homme qui « travaille en silence ». Le député Michel Moto, son camarade du parti politique Union pour la nation congolaise (UNC), le dépeint comme « un homme posé, conciliant et surtout un homme de dialogue », soulignant la dimension consensuelle de son leadership. Même ses détracteurs, en coulisse, concèdent volontiers qu’il « ne fait pas de vagues, mais il avance avec une détermination tranquille et méthodologique ».
Lorsque l’Union Sacrée de la Nation (USN) le désigne candidat au perchoir en septembre 2025, le choix n’est pas perçu comme audacieux, mais comme éminemment stratégique. Certains observateurs y voient un geste de prudence visant à installer une figure non clivante capable de gérer les dossiers techniques. D’autres y lisent une manœuvre pour stabiliser une institution qui a connu des périodes de crises internes et de vives tensions. Fidèle à lui-même, Boji mène sa campagne loin de l’agitation : il consulte, écoute, prend des notes méticuleuses et propose un programme centré sur la modernisation de l’institution. Son score, 413 voix sur les 423 votants, est un plébiscite qui témoigne de sa capacité à rallier un large consensus au-delà des chapelles politiques.
Un secret de polichinelle : la loyauté au Président
Le rapprochement entre Aimé Boji et le chef de l’État, Félix Tshisekedi, est l’élément fondamental qui explique cette ascension. Longtemps discret, il est devenu un secret de polichinelle au lendemain de sa démission du ministère de l’Industrie pour se présenter au Perchoir.
Un politologue souligne l’évidence de la stratégie : « Personne ne risque de quitter un portefeuille ministériel, surtout d’État, s’il n’a pas la certitude absolue d’avoir le soutien total du chef de l’État pour le Perchoir. Le fait qu’il ait quitté ses fonctions était le signe irréfutable de l’aval présidentiel. » Boji est l’homme clé chargé de garantir la cohésion et la productivité du pouvoir législatif au service de la vision présidentielle. Cette nouvelle proximité a d’ailleurs éclipsé l’influence de son mentor politique historique, Vital Kamerhe (VK), chef de l’UNC. Pressenti pour succéder à VK qui avait démissionné du Perchoir, Boji a réussi, depuis 2019, à gagner la confiance durable de Félix Tshisekedi, se positionnant comme un pilier fiable et loyal au sein de l’USN, essentiel à la matérialisation des ambitions de la majorité.
Des dossiers explosifs et un leadership à affirmer
Aimé Boji arrive à la tête de l’Assemblée nationale à un moment charnière. Les défis qui l’attendent sont considérables :
Il devra d’abord œuvrer en étroite collaboration avec l’Exécutif pour soutenir les efforts visant au rétablissement urgent de la paix et de la sécurité dans l’Est du pays. C’est la priorité nationale absolue qui pèsera sur tous les travaux législatifs. Au-delà, l’examen du budget 2026 est un travail technique colossal qui attend immédiatement la chambre basse pour garantir un budget réaliste, social et transparent, conforme aux promesses de l’Union Sacrée.
Enfin, un dossier potentiellement explosif pourrait faire un retour remarqué dans le débat parlementaire : la modification ou le changement de la Constitution. Dans son premier discours, Boji a déjà fixé un cap, sans éclats, mais avec une conviction de fer : moderniser l’institution et renforcer le dialogue constructif avec l’Exécutif. S’il réussit à créer un environnement de travail serein et à mettre les députés à l’aise par son style non conflictuel, un projet sensible comme celui de la révision constitutionnelle pourrait être abordé au sein de l’Union Sacrée avec moins de friction et plus de consensus technique.
En attendant, l’homme a fait des promesses sobres, presque techniciennes, mais parfaitement cohérentes avec sa personnalité. Aimé Boji n’est pas de ceux qui cherchent la lumière. Pourtant, le voici propulsé au cœur battant de la scène politique congolaise. Son défi majeur sera d’imposer son style : calme, méthodique, et parfois déroutant de discrétion, mais d’une efficacité que l’on dit redoutable. Reste à savoir si cette ascension tranquille saura se transformer en un leadership audacieux et assumé face aux enjeux colossaux qui attendent la République. Le Congo, lui, n’attend que de voir.
Heshima
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RDC : Les forces et les faiblesses de l’Accord-cadre signé entre Kinshasa et l’AFC/M23 à Doha
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1 semaine agoon
novembre 17, 2025By
La redaction
Réunis sous l’égide du Qatar, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et les représentants de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC-M23) ont signé le 15 novembre 2025 un Accord-cadre inédit visant à ouvrir la voie à un cessez-le-feu durable dans l’est du pays. Ce texte, qualifié de « première étape décisive » par les médiateurs, doit maintenant être suivi de discussions techniques sur la démobilisation et le retrait des combattants. Heshima Magazine explore les différents points de ces protocoles.
Après plusieurs sessions de discussions sans issue, les autorités congolaises et les rebelles de l’AFC/M23 ont finalement franchi une nouvelle étape dans le processus de paix que pilote le Qatar depuis le mois de mars. Cet Accord-cadre comporte 8 protocoles qui déterminent les matières à traiter et les modalités de leur mise en œuvre afin d’aboutir à un accord de paix définitif. Heshima Magazine explore chaque engagement souscrit par les parties dans cet accord-cadre.
Échange de prisonniers sous supervision internationale
Bien que toutes les négociations impliquent des concessions de la part des parties, l’engagement sur l’échange des prisonniers est délicat pour le gouvernement. La plus grande préoccupation sur ce point réside dans la nature des prisonniers à échanger. Si le gouvernement peut s’attendre à la libération des militaires arrêtés par la rébellion lors des combats, l’AFC/M23, de son côté, pourrait élargir la liste à des individus auteurs de crimes graves. Certaines sources évoquaient même des personnalités comme le député Edouard Mwangachuchu, condamné notamment pour détention d’armes à feu. Pour le gouvernement, il est hors de question que tous les individus soient libérés dans ce cadre. « Nous allons nous assurer qu’on applique les critères d’exclusion sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves selon le droit international », avait déclaré le nouveau ministre de la Justice, Guillaume Ngefa.
En septembre, Kinshasa et l’AFC/M23 ont signé ce « mécanisme d’échange de prisonniers ». Dans le cadre de ce dispositif, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) jouera le rôle d’intermédiaire neutre pour l’identification, la vérification et la libération sécurisée des détenus des deux camps. Le mouvement rebelle évoque environ 700 personnes arrêtées par Kinshasa. La mise en œuvre du mécanisme implique l’établissement et la certification des listes de prisonniers, avec l’aval de toutes les parties.
Si l’AFC/M23 s’attend à des têtes couronnées telles que Éric Nkuba alias Malembe, arrêté en Tanzanie puis condamné à mort à Kinshasa notamment pour participation à un mouvement insurrectionnel, le gouvernement, quant à lui, s’attend à la libération d’environ 1500 militaires congolais capturés et envoyés par la rébellion en janvier et février derniers au camp militaire de Rumangabo pour un « reconditionnement ». Même si plus d’une centaine d’entre eux ont réussi à s’échapper des mains de la rébellion, certains restent encore captifs. D’autres combattants cantonnés au quartier général de la MONUSCO avaient déjà été transférés de Goma à Kinshasa en avril grâce à la médiation du CICR. Sur ce point de libération des prisonniers, il reste à savoir si le gouvernement s’en tiendra toujours à son caractère « rigoureux » dans le choix des prisonniers à libérer en faveur de l’AFC/M23.
Mise en place d’un mécanisme conjoint de surveillance du cessez-le-feu
Depuis le 14 octobre, le gouvernement congolais et les rebelles de l’AFC-M23 ont signé ce « mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu » dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Ce mécanisme institue un comité constitué d’un nombre égal de représentants du gouvernement congolais et de l’AFC/M23 afin d’enquêter sur les violations signalées. Les membres de ce comité devraient se réunir à la demande de l’une des deux parties en cas de violations signalées. Le Qatar, les États-Unis et l’Union africaine pourront y prendre part en tant qu’observateurs et la MONUSCO lui fournira un appui logistique. La première réunion du comité était censée se tenir dans les sept jours suivant son institution.
Lors de la signature de cet engagement, Doha avait qualifié la mise en œuvre de ce comité de suivi d’« étape cruciale vers le renforcement de la confiance et la conclusion d’un accord de paix global ». De son côté, le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka, avait salué sur le réseau social X « une avancée significative ». Mais sur le terrain, ce mécanisme a accusé des faiblesses. Les deux camps ont continué à s’affronter sans que le mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu ne puisse s’activer. Par communiqué interposé, les deux camps s’accusent mutuellement de violation de ce cessez-le-feu. Tant que l’accord global n’aura pas intervenu, ce mécanisme – sans la bonne foi des parties – aurait du mal à fonctionner.
Restauration progressive de l’autorité de l’État dans les zones occupées
Ce point, qui figure dans l’Accord-cadre qui vient d’être signé, reste le plus difficile à digérer pour les rebelles de l’AFC/M23. Au début des discussions à Doha, cette rébellion voulait obtenir la gestion des zones conquises en collaboration avec le gouvernement à Kinshasa. Une option qui était dénoncée par l’opinion publique, la percevant comme une balkanisation du pays. La restauration de l’autorité de l’État, l’un des points clés de divergence dans les discussions, passe pour un arrêt de mort pour l’AFC/M23 dont l’avenir post-occupation n’est toujours pas décidé à Doha. Sur la question de la restauration de l’autorité de l’État, la Déclaration de principes signée entre les deux parties en juillet dernier notait que cette restauration de l’autorité de l’État allait constituer une conséquence logique du règlement « des causes profondes » du conflit. L’accord de paix global attendu devra préciser les modalités et le calendrier de cette restauration sur l’ensemble du territoire national.
Retour sécurisé et volontaire des réfugiés et déplacés
C’est l’un des sept points de la Déclaration de principe publiée le 19 juillet. Il a été également repris dans l’Accord-cadre du 15 novembre 2025. Les deux parties s’engagent à faciliter le retour sûr, volontaire et digne des réfugiés et des personnes déplacées vers leurs zones ou pays d’origine. Mais combien sont-ils de part et d’autre de la frontière entre la RDC et le Rwanda ? Ce retour, qui doit se faire en conformité avec le droit humanitaire international et dans le cadre des mécanismes tripartites associant la RDC, les pays d’accueil et le HCR, pourrait aussi constituer l’un des problèmes dans la mise en œuvre de l’accord final. Ce sujet est aussi l’un des points les plus sensibles. Le retour des réfugiés congolais fait partie des revendications historiques du M23, déjà présentes dans l’accord de paix signé en 2009 entre Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l’ancêtre du mouvement actuel. Problème : qui est Congolais et qui ne l’est pas ? Ces réfugiés, défendus bec et ongle par le M23, sont-ils en nombre conséquent ? Sur ce point, il faut d’abord régler la question des chiffres. Selon les dernières estimations avancées par RFI, le Rwanda accueille près de 137 000 réfugiés, principalement en provenance de la RDC et du Burundi. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 80 000 Congolais vivraient aujourd’hui au Rwanda. Mais pour Kinshasa, le problème reste l’identification : les autorités congolaises affirment ne pas connaître avec précision ni le nombre, ni l’identité de ces réfugiés. Pour le gouvernement congolais, on ne peut pas rapatrier des réfugiés dans une zone encore en conflit ou sous contrôle des rebelles du M23. Le gouvernement voudrait avoir le pouvoir nécessaire de contrôler l’identité de ceux qui veulent revenir au pays. Le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité, Jacquemain Shabani, alertait déjà sur une « transplantation » des populations venues d’ailleurs dans les zones contrôlées par les rebelles du M23.
Ce sujet fait craindre au gouvernement et à l’opinion l’arrivée d’une population compacte qui pourrait, un jour, exiger l’autonomie d’une des régions congolaises. Ainsi donc, Kinshasa insiste : le retour des réfugiés dans les zones aujourd’hui sous administration du M23 ne pourra avoir lieu qu’après le cessez-le-feu, la restauration de l’autorité de l’État et la vérification de la nationalité des candidats au retour. Autrement dit, cette question est loin d’être close. Elle pose aussi d’autres défis : quand ces réfugiés rentreront-ils ? Et où seront-ils installés ? Car il y a parmi eux des individus qui n’ont jamais mis les pieds en RDC. Des questions qui montrent, selon plusieurs experts, qu’il ne suffit pas de régler le volet sécuritaire, il faut un accord global, incluant aussi les aspects sociaux, fonciers et économiques. Les populations congolaises qui avaient fui l’arrivée du M23 dans leur zone avaient trouvé à leur retour des occupants venus d’ailleurs installés dans leurs maisons, cultivant également leurs champs.
Mesures de confiance
Ce point implique entre autres la communication entre parties, la fin de la propagande « haineuse » selon l’AFC/M23 et les libérations des prisonniers. Sur ce point, paradoxalement, rien ne rassure au regard des premières communications faites après la signature de cet Accord-cadre à Doha. « Cet accord ne comporte aucune clause contraignante », déclare Benjamin Mbonimpa, chef de la délégation de l’AFC/M23. Une communication qui annonce déjà que tout peut basculer à n’importe quel moment. « Il n’y a rien qui va changer sur le terrain », estime Bob Kabamba. Selon lui, il y a eu deux signatures qui n’ont pas produit des résultats sur le terrain. « Il faut s’inquiéter pour la suite car les deux parties se sont réarmées, elles se sont réorganisées », a-t-il expliqué, soulignant la mise en place par le M23 d’une administration parallèle qui fonctionne comme un État.
La relance économique et les services sociaux
Ce point du protocole de l’Accord-cadre est étroitement lié à la restauration de l’autorité de l’État. Un point qui reste parmi les plus difficiles à obtenir à Doha. Les rebelles ne veulent pas encore céder les zones sous leur contrôle sans connaître au préalable leur avenir politique et sécuritaire.
La justice, la vérité et la réconciliation
Alors que les combats se poursuivent dans l’Est du pays, Kinshasa et les rebelles laissent entrevoir, malgré des positions opposées, quelques signaux de réconciliation. Mais la méfiance reste profonde, et les conditions d’une véritable réconciliation demeurent toujours fragiles. La part de la justice dans cette démarche est essentielle pour ne pas laisser les bourreaux côtoyer les victimes. Cette réconciliation entre le gouvernement congolais et les rebelles AFC/M23 n’est pas impossible ; elle est simplement suspendue à une constellation de facteurs politiques, militaires et diplomatiques encore instables. Dans un conflit où chaque camp cherche une position de force, la paix reste pour l’instant un horizon plus qu’une réalité, mais un horizon que beaucoup, épuisés par des années de guerre, espèrent voir enfin se rapprocher.
Élaboration d’une feuille de route vers un accord de paix global
L’Accord-cadre de Doha fixe les bases d’un processus destiné à mettre fin aux hostilités, à rétablir l’autorité de l’État et à consolider la stabilité nationale. Il réaffirme la détermination du Gouvernement à placer la paix, la sécurité et la dignité du peuple congolais au centre de son action. C’est dans ce cadre que la protection des populations civiles, en particulier les femmes, les enfants et les personnes déplacées internes, demeure une priorité. Les protocoles qui découleront de cet Accord-cadre permettront notamment de sécuriser les corridors humanitaires, de faciliter l’accès des organisations humanitaires, et d’engager des actions urgentes pour répondre aux besoins essentiels des communautés affectées.
De son côté, le gouvernement précise que les six protocoles, en dehors de ceux relatifs au Mécanisme de libération des prisonniers ainsi qu’au Mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu, feront l’objet de discussions deux semaines après la signature de l’Accord-cadre. Il s’agira de préciser les modalités techniques, les calendriers d’exécution et les engagements respectifs des parties. Dans le communiqué du gouvernement, Kinshasa note qu’aucun statu quo n’est compatible avec cet objectif de paix : le processus engagé vise à créer, dans les plus brefs délais, les conditions d’un changement réel et mesurable pour les populations affectées. Les deux prochaines semaines vont permettre de percevoir les nouveaux efforts entre les deux parties.
Heshima
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Neutralisation des FDLR en RDC : quels résultats en 30 ans ?
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2 semaines agoon
novembre 13, 2025By
La redaction
Pour mettre en œuvre l’une des résolutions phares de l’Accord de paix signé à Washington le 30 juillet 2025 entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, les Forces armées de la RDC (FARDC) ont lancé, début novembre 2025, une vaste campagne de sensibilisation visant à pousser les combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à déposer volontairement les armes. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie mixte combinant dialogue politique, désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), avec l’appui de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO). Mais sur le terrain, ces rebelles hutus rwandais semblent bien fantomatiques, leur présence réduite à une ombre résiduelle qui complique la mise en œuvre de ce volet de l’accord.
Depuis leur émergence officielle en 2000, les FDLR, nées des exilés hutus fuyant le Rwanda après le génocide de 1994, ont été au cœur d’une rhétorique rwandaise les présentant comme une menace existentielle, justifiant des décennies d’interventions militaires et d’ingérences. Pourtant, une analyse approfondie révèle que cette menace est largement exagérée, servant avant tout d’alibi à des ambitions économiques et territoriales plus prosaïques.
Walikale : une mission bredouille face à l’absence des FDLR
Le 5 novembre 2025, une délégation des FARDC, conduite par le général Sasa Nzita, chef d’état-major adjoint chargé des renseignements militaires, s’est rendue à Walikale, dans la province du Nord-Kivu, pour un meeting avec la population locale. Ces échanges s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre des résolutions de l’accord de Washington, qui vise une paix durable par la neutralisation de ces rebelles rwandais. L’équation se pose avec acuité pour l’armée congolaise : les combattants FDLR ne sont plus présents sur l’ensemble du territoire de Walikale. D’après les témoignages recueillis auprès des habitants, ces éléments ont totalement disparu de la zone. La population a formellement rejeté l’allégation rwandaise selon laquelle la rive gauche de la rivière Lowa, en plein centre de Walikale, serait encore occupée par les FDLR, une affirmation qui, comme tant d’autres, semble sortie d’un manuel de propagande kigalie.
Le général Sasa Nzita a toutefois appelé les citoyens à s’impliquer activement dans cette campagne pour en assurer le succès, en sensibilisant d’éventuels combattants résiduels, s’ils existaient encore dans des recoins isolés de ce territoire. À l’issue de cette mission, l’officier est rentré bredouille : aucun combattant ne s’est rendu volontairement. Cette absence criante illustre la réalité d’un groupe qui, après trente ans de traque, s’est réduit à une présence sporadique, loin de l’image d’une armée d’invasion brandie par Kigali pour légitimer ses incursions répétées.
Bastions occupés par les RDF et l’AFC/M23 : l’impossible neutralisation
Les combattants résiduels de cette force négative étaient historiquement concentrés dans les territoires de Rutshuru, Nyiragongo et Masisi, au Nord-Kivu. Pourtant, ces trois entités sont en grande partie occupées, depuis janvier 2022, par les Forces armées rwandaises (RDF) et les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), un groupe armé que les rapports des experts des Nations unies qualifient sans ambiguïté de soutenu par Kigali. En occupant ces territoires avec des moyens militaires largement supérieurs (blindés, artillerie, drones et contingents bien entraînés), le Rwanda et ses supplétifs auraient dû, en toute logique, neutraliser ces éléments FDLR s’ils représentaient une menace réelle et imminente. Cela n’a pas été fait officiellement, et pour cause : les FDLR, dans leur configuration actuelle, ne constituent plus aucun danger militaire pour le Rwanda. Au contraire, ils coexistent ou s’affrontent sporadiquement avec l’AFC/M23 dans des poches isolées, comme à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où des accrochages récents ont été signalés.
Pour jouer pleinement sa partition, le gouvernement congolais, à travers l’armée, promet d’étendre la campagne de sensibilisation à d’autres territoires du Nord-Kivu, notamment Masisi et Rutshuru. L’objectif est clair : inciter la population à se désolidariser des groupes armés étrangers et encourager les combattants rwandais à se rendre volontairement auprès des FARDC ou de la MONUSCO. Mais dans un contexte où les RDF patrouillent ouvertement, cette extension risque de se heurter à la même opacité : comment sensibiliser des fantômes quand les vrais occupants du terrain sont les alliés de Kigali ?
Les FDLR exigent un dialogue inter-rwandais avant tout désarmement
Au cours d’une interview accordée à RFI le 8 novembre 2025, le lieutenant-colonel Octavien Mutimura, porte-parole des FDLR-FOCA (la branche armée du mouvement), a refusé catégoriquement tout désarmement unilatéral. Pour lui, il faut d’abord un dialogue inter-rwandais pour juger les causes profondes de leurs revendications. « On doit juger la cause de notre lutte armée. Nous sommes là pour nous protéger et protéger les réfugiés rwandais abandonnés. Remettre les armes sans que toutes les conditions soient réunies, c’est une utopie », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « Nous sommes parmi les cibles de Kigali. Nous résisterons jusqu’à ce que Kigali admette un dialogue inter-rwandais et un retour des réfugiés en toute dignité. » Interrogé sur le nombre de combattants encore actifs en RDC, ce porte-parole est resté évasif, évoquant simplement qu’ils sont la cible des attaques de l’AFC/M23, une rébellion étroitement liée à Kigali. « Nous sommes dans les zones où se mènent les combats.
L’AFC/M23 nous attaque et menace nos réfugiés. Nous sommes dans l’obligation de les protéger », a-t-il ajouté. Selon lui, les FDLR se trouvent actuellement dans des zones contrôlées par l’AFC/M23, notamment à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où elles affrontent régulièrement leurs adversaires. Pendant ce temps, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) poursuit le rapatriement de réfugiés rwandais vers le Rwanda, une procédure qui n’enchante guère les FDLR. « Les réfugiés, ce sont nos parents, nos enfants. On ne peut pas séparer une famille rwandaise comme ça. Certains des gens envoyés au Rwanda avec l’aide du HCR sont des Congolais. Et d’autres sont capturés, puis renvoyés de force. Nous accusons le HCR de jouer le jeu du Rwanda », a tonné Octavien Mutimura. Ces accusations soulignent une fracture profonde : les FDLR ne se voient plus comme une force offensive, mais comme un bouclier pour une communauté exilée, majoritairement composée de descendants de réfugiés hutus arrivés en RDC (alors Zaïre) après la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994. Parmi ces exilés se trouvaient à la fois des responsables du génocide, des militaires des ex-Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe, mais aussi des centaines de milliers de civils fuyant la répression. C’est dans les camps du Kivu que ces groupes se sont organisés, donnant naissance à l’Armée de libération du Rwanda (ALiR) en 1998, puis aux FDLR en 2000. Aujourd’hui, après trois décennies, le mouvement est bien loin de ses origines : ses rares tentatives d’attaque contre le Rwanda ont été insignifiantes et rapidement neutralisées, et ses activités se limitent à une survie précaire en RDC, marquée par des exactions contre les civils congolais : pillages, viols, enrôlement d’enfants soldats et exploitation illégale des ressources minières.
Trente ans d’opérations militaires : un bilan d’échecs répétés
En cas de refus de reddition, une neutralisation par la force ? Selon l’agenda décidé à Washington entre Kinshasa et Kigali, après la phase de sensibilisation à la reddition volontaire, il faudrait passer à des opérations militaires pour neutraliser ceux qui ne se rendront pas. Reste à savoir si ces opérations seront menées conjointement entre les FARDC et les RDF dans le cadre du concept d’opérations (CONOPS) défini à Washington. L’expérience des trois dernières décennies démontre que tant que les causes profondes ne sont pas traitées du côté du Rwanda notamment l’absence de dialogue politique inclusif et l’instrumentalisation persistante de la « menace FDLR », ces groupes parviennent toujours à se refaire comme une hydre.
Depuis deux décennies, plusieurs initiatives ont tenté de régler cette question sans succès majeur. En 2001, un premier processus avait conduit au désarmement et au cantonnement des combattants à Kamina, dans le Katanga, ainsi qu’à la destruction publique d’armes à Kinshasa, en présence de la communauté internationale, sous l’égide de la MONUSCO et de ses prédécesseurs. En 2014, plus de 1 500 combattants avaient remis leurs armes à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et à la MONUSCO, avant d’être cantonnés, avec leurs familles, dans les camps de Kisangani, Kanyabayonga et Walungu, toujours sous supervision internationale. De 2009 à 2015, plusieurs autres opérations militaires conjointes entre les FARDC, les RDF et la MONUSCO ont été lancées dans l’Est de la RDC, conjointement ou impliquant seulement les FARDC. Parmi elles : Umoja Wetu en 2009, une offensive transfrontalière qui a visé les FDLR dans le Nord-Kivu mais78 a provoqué des déplacements massifs de population ; Kimia I et II en 2009-2010, qui ont ciblé les bastions des FDLR au Sud-Kivu, avec un bilan lourd en victimes civiles ; Amani Leo en 2010, une opération plus focalisée sur la protection des civils mais qui n’a pas éradiqué le groupe ; Amani Kamilifu en 2012, une extension de la précédente avec un accent sur le DDR ; et enfin Sokola II en 2014-2015, qui a tenté une approche mixte mais s’est heurtée à la résilience des FDLR.
Ces offensives ont provoqué des centaines de milliers de déplacés internes, plus de 1,2 million rien qu’entre 2009 et 2012, selon les estimations de l’OCHA et de nombreuses pertes civiles, estimées à des milliers, sans jamais régler définitivement la question. Pourquoi cet échec récurrent ? Parce que ces opérations n’ont jamais abordé les racines du problème : l’exil forcé post-1994, le refus de Kigali d’intégrer les Hutus dans un dialogue national, et surtout l’utilisation des FDLR comme prétexte pour des interventions qui masquent des intérêts bien plus tangibles. Comme quoi la solution pourrait passer aussi par des discussions avec Kigali autant qu’on impose des discussions entre l’AFC/M23 et le gouvernement congolais. « Il faut qu’ils mettent la pression sur Paul Kagame pour avoir un dialogue inclusif entre Rwandais. La solution en Afrique centrale, c’est que les présidents s’assoient et se parlent en toute franchise, pour que les peuples de la région vivent en paix et en symbiose », estime le porte-parole des FDLR. Visiblement, sans engagement sincère et suivi des promesses de réinsertion, incluant des garanties de sécurité pour les ex-combattants et un retour volontaire des réfugiés, la campagne de reddition des FDLR risque de rester une opération symbolique face à une crise qui, depuis 30 ans, ensanglante l’Est du Congo.
Une menace fantôme au service du pillage des ressources
Cette crise trouve ses origines dans l’exode massif de près d’un million de Hutus vers le Zaïre après la victoire du FPR en juillet 1994. Les camps de réfugiés au Kivu, comme ceux de Mugungu ou Kibua, sont devenus des foyers de réorganisation pour les ex-FAR et les Interahamwe, qui y recrutaient et s’entraînaient pour un retour armé au Rwanda. La première guerre du Congo (1996-1997), menée par le Rwanda et l’Ouganda, a dispersé ces camps, mais les survivants se sont repliés dans les forêts du Kivu, formant l’ALiR puis les FDLR.
Kigali a depuis systématiquement présenté ces groupes comme une menace génocidaire persistante, justifiant ses alliances avec des rebelles du RCD (1998-2003) au CNDP (2006-2009), en passant par le M23 (2012-2013 et depuis 2022) qui ont contrôlé les mêmes zones sans jamais lancer d’opérations décisives contre les FDLR. Le RCD, par exemple, a dominé les provinces du Nord et du Sud-Kivu pendant près de cinq ans avec des contingents RDF intégrés, disposant de moyens militaires écrasants. Pourtant, aucune offensive d’envergure n’a été menée contre les FDLR, suggérant que leur survie servait d’alibi idéal pour prolonger l’occupation rwandaise. Une contradiction flagrante émerge aussi de l’intégration d’anciens membres des FDLR au sein des institutions rwandaises : Paul Rwarakabije, ancien commandant en chef des FDLR, a été promu général dans l’armée rwandaise après sa reddition en 2012, et d’autres officiers ont suivi un parcours similaire. Comment un groupe peut-il être à la fois une « menace existentielle » et source de recrutement pour l’armée adverse ? Cette instrumentalisation est patente : après trente ans, il est hautement improbable que les ex-FAR impliqués dans le génocide de 1994 soient encore actifs. La majorité ont été tués, capturés, jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou ont simplement vieilli. Les FDLR actuelles sont composées en grande partie de jeunes recrues nées en RDC, sans lien direct avec 1994, perpétuant un mythe de « génocidaires toujours actifs » pour justifier l’impunité rwandaise.
Derrière cette rhétorique sécuritaire se cachent des objectifs géopolitiques et économiques bien plus pragmatiques. Le Rwanda, un petit pays enclavé et pauvre en ressources naturelles, est devenu ces dernières années un exportateur majeur de minerais stratégiques comme le coltan, l’or et la cassitérite. Selon les rapports du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC (notamment ceux de 2023 et 2024), une grande partie de ces exportations estimée à plus de 1 milliard de dollars par an, provient de l’Est congolais, extraite dans des zones contrôlées par des groupes armés soutenus par Kigali, dont les profits alimentent directement l’économie rwandaise.
Des circuits de contrebande sophistiqués transitent par le lac Kivu ou les postes frontaliers, finançant à la fois les RDF et leurs proxies. Stéphanie Wolters, chercheuse principale à l’Institute for Security Studies (ISS) et spécialiste des dynamiques régionales en Afrique centrale, le souligne avec clarté : « Le Rwanda a des ambitions territoriales claires dans l’Est de la RDC, où il exerce un contrôle de facto sur des zones riches en minerais, au détriment de la souveraineté congolaise. » Cette réalité, longtemps ignorée par la communauté internationale séduite par le « miracle économique » rwandais, explique pourquoi les FDLR, malgré leur faiblesse militaire, sont maintenues en vie comme un épouvantail commode. Sans elles, quel prétexte pour les incursions répétées et le soutien aux rebelles ? L’accord de Washington, s’il est appliqué avec sincérité, pourrait forcer Kigali à abandonner ce narratif, mais l’histoire montre que les engagements passés comme ceux de l’Accord-cadre de paix, sécurité et coopération pour la RDC et la région de 2013 ont été bafoués sans conséquences.
Trente ans après le début de cette tragédie, qui a coûté la vie à plus de 7 millions de Congolais, un bilan qui dépasse de loin les 800 000 victimes du génocide rwandais et représente près de quatre fois la population de Paris, plus de six fois celle de Bruxelles et plus de deux fois celle de Berlin, le drame humanitaire de l’Est congolais reste le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Des millions de déplacés, des famines récurrentes, des épidémies de choléra et d’Ebola exacerbées par l’insécurité, et un pillage systématique des ressources qui prive la RDC de ses richesses légitimes. Combien de victimes faudra-t-il encore pour que la communauté internationale cesse de cautionner cette rhétorique fallacieuse ? Combien de souffrances pour que l’on reconnaisse l’instrumentalisation meurtrière des FDLR et impose un règlement politique inclusif, incluant un dialogue inter-rwandais véritable et la fin de l’exploitation illicite ?
La RDC mérite enfin de se reconstruire dans la paix et la stabilité, sans que des puissances étrangères, à travers des manœuvres cyniques, n’exploitent ses ressources et ne maintiennent son peuple dans une éternelle souffrance. La mémoire des millions de victimes congolaises doit être un appel impérieux à la démystification urgente de cette menace fantôme et à la fin de cette tragédie.
Heshima
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