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Les 12 recommandations de Kabila : une feuille de route ou une stratégie politique voilée ? (Tribune de Joachim Cokola)

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Le 23 mai 2025, Joseph Kabila, ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), a pris la parole dans une « adresse à la nation » diffusée en ligne, rompant ainsi un long silence. Ce discours, présenté comme une réponse aux crises multiples qui secouent le pays, met en avant 12 recommandations visant ce qu’il appelle la « refondation de l’État congolais ». Prononcé dans un climat politique explosif marqué par la levée de son immunité parlementaire et des accusations de collusion avec le groupe rebelle l’Alliance Fleuve Congo (AFC) qui inclue le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda, cet appel intervient alors que la RDC fait face à des défis sécuritaires et institutionnels majeurs. Mais derrière ces propositions, se cache-t-il une volonté sincère de redresser le pays, ou une manœuvre calculée pour déstabiliser le président légitime Félix Tshisekedi et orchestrer un retour au pouvoir ?

Cette tribune revient sur ces 12 recommandations pour en explorer les significations, les implications et les sous-entendus politiques. Loin d’être un simple programme de réformes, elles semblent refléter une stratégie où les critiques acerbes lancées contre le pouvoir du président de la République Félix Tshisekedi se mêlent à une tentative de retour de Kabila à la tête du pays, dans un contexte régional complexe dominé par les tensions avec le Rwanda.

Dénoncer une « tyrannie » pour mieux oublier la sienne

Joseph Kabila, dans un discours virulent, qualifie le régime de Félix Tshisekedi de « dictature, pour ne pas dire tyrannie », dénonçant une dérive autoritaire des institutions. Cette accusation, venant d’un président ayant dirigé la RDC de 2001 à 2019, apparaît paradoxale. Son règne, qualifié d’autoritaire par l’opposition, les ONG et la communauté internationale, fut marqué par des violations massives des droits humains, une répression brutale et des abus contre l’opposition.

Après la proclamation des résultats de l’élection de 2011, qui ont donné Kabila vainqueur face à Étienne Tshisekedi, Human Rights Watch a rapporté au moins 24 morts. Étienne Tshisekedi, quant à lui, a été placé sous résidence surveillée, son domicile cerné par des gardes présidentiels, l’isolant pendant plusieurs mois.

D’autres manifestations ont été réprimées sous Kabila. En janvier 2015, les protestations contre une loi électorale ont fait des dizaines de morts. En septembre 2016, environ 50 personnes ont été tuées lors de manifestations exigeant des élections. En décembre 2016, 62 manifestants sont morts en demandant son départ. L’opposition était muselée : les députés Franck Diongo, Diomi Ndongala, Bertrand Ewanga, Mike Mukebayi étaient incarcérés, ainsi que des activistes des droits humains, à l’exemple de Firmin Yangambi. Son principal opposant, Moïse Katumbi, a quant à lui été empêché de rentrer au pays et forcé d’aller en exil. L’Agence Nationale de Renseignements détenait arbitrairement des activistes, souvent torturés.

En exigeant le départ de Tshisekedi comme préalable à toute négociation, alors qu’il dit soutenir les démarches prônées par la CENCO et l’ECC pour un dialogue inclusif, Kabila contredit l’inclusivité. Son silence sur une transition claire suggère une stratégie de blocage. Son passé : clientélisme, corruption, violences , disqualifie hélas son réquisitoire. Les cicatrices de son ère, marquées par la répression sanglante et l’opacité, rendent son discours dérisoire.

Arrêter la guerre : une ambiguïté calculée de Kabila

L’appel à « arrêter la guerre » dans l’Est de la RDC, lancé par Joseph Kabila, pourrait passer pour un plaidoyer humaniste. Qui, en effet, oserait s’opposer à la paix dans une région meurtrie par trois décennies de conflits dont l’intensification, depuis 1996, coïncide avec l’implication des armées rwandaise et ougandaise et l’ascension politique et financière de la famille Kabila ?

Pourtant, cette « recommandation » repose sur des omissions troublantes. Durant son discours de plus de 40 minutes, Kabila ne mentionne jamais le M23, mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et alors acteur clé des violences actuelles. Un silence d’autant plus suspect que la justice congolaise l’accuse de collusion avec ce groupe et Paul Kagame.

De même, s’il évoque le retrait des troupes étrangères (rwandaises), il en fait une priorité étonnamment très secondaire, comme si l’on pouvait éteindre l’incendie sans couper l’arrivée d’essence. Cette hiérarchisation de ses « recommandations », absolument non fortuite, révèle une stratégie : entretenir l’ambiguïté sur ses liens avec Kigali tout en critiquant Kinshasa pour son « échec » à pacifier l’Est, une région qui était en paix jusqu’à l’arrivée des Kabila, accompagnés des armées rwandaises et ougandaises, et qui, depuis, n’a jamais connu de véritable paix, causant des millions de morts. En réalité, sous couvert d’apaisement, Kabila réactive une vieille recette : instrumentaliser l’instabilité de l’Est pour peser sur le pouvoir central. Une tactique qui a servi les intérêts rwandais par le passé et dont ses recommandations actuelles pourraient bien préparer une nouvelle édition.

Rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire national

Restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire congolais, en particulier dans les zones de l’Est où les groupes armés et les ingérences rwandaises et ougandaises règnent en maîtres, est une ambition qui va au cœur des problèmes de souveraineté de la RDC. Kabila présente cette idée comme une nécessité urgente, pointant du doigt l’ « incapacité » de Tshisekedi à reprendre le contrôle de ces régions. Mais cette proposition reste désespérément vague, dénuée de toute stratégie ou méthode pour y parvenir.

Sous son propre règne, l’Est est resté un casse-tête insoluble, avec des groupes armés proliférant et des pans entiers du territoire échappant à l’autorité centrale. Accusé lui-même de déstabiliser le pays par son implication présumée avec la rébellion M23, Kabila ressemble à un pyromane qui se présente en pompier. En 2016, l’ONG Human Rights Watch a révélé dans un rapport que Kabila aurait eu recours au M23 pour réprimer des manifestations à Kinshasa, une révélation qui prouve amplement ses liens étroits avec des groupes armés. Cette preuve flagrante soulève une question cruciale : comment Kabila, qui qualifiait ces groupes de rebelles tout en collaborant avec eux, a-t-il pu les faire intervenir jusqu’à Kinshasa ? Comment peut-il prétendre incarner la solution avec une telle proximité avec le M23 ? Pourquoi réussirait-il aujourd’hui là où il a échoué pendant 18 ans ?

Derrière cet appel à la souveraineté, certains analystes décèlent une intention moins avouable : reprendre la main non seulement sur les richesses minières de l’Est, en s’appuyant sur des acteurs comme le M23, qui contrôlent déjà des zones d’extraction, mais aussi espérer reprendre le pouvoir. En conditionnant cette restauration à un changement de leadership, Kabila se pose en homme providentiel, le seul congolais dans un pays de plus de 100 millions d’habitants capable d’apporter la paix et le développement.

Restaurer la démocratie en revenant aux fondamentaux d’un véritable État de droit

Joseph Kabila se présente aujourd’hui en défenseur des principes démocratiques, appelant à un « retour aux fondamentaux de l’État de droit ». Un discours audacieux, pour ne pas dire cynique, venant d’un homme dont les dix-huit années au pouvoir ont méthodiquement sapé chaque pilier de la démocratie congolaise. Comment peut-il sérieusement invoquer l’indépendance des institutions, la justice impartiale ou la séparation des pouvoirs, alors que son règne en a été la négation même ?

La réalité est accablante. Sous Kabila, la justice congolaise s’est transformée en instrument de répression politique. La Cour constitutionnelle, loin d’être un contre-pouvoir, n’a-t-elle pas autorisé Joseph Kabila à rester au pouvoir au-delà de son mandat, en attendant l’élection d’un nouveau président ? N’était-ce pas une interprétation biaisée, suggérant qu’il aurait pu se maintenir indéfiniment à la tête du pays ?

En pratique, cette décision a permis à Kabila de prolonger son règne de deux années supplémentaires, en violation flagrante de la Constitution. N’eût été la pression populaire et internationale qui l’a contraint à organiser les élections, il serait sans doute resté au pouvoir jusqu’à ce jour.

Le Parlement, quant à lui, n’était plus qu’une chambre d’enregistrement, où les décisions se prenaient dans l’ombre du palais de la Nation avant d’être entérinées par des députés dociles. Qui pourrait oublier le spectacle humiliant de 2015, lorsque l’Assemblée nationale, cédant à des pressions inadmissibles, adopta une nouvelle loi électorale subordonnant l’organisation des élections à un recensement général de la population ? Ce vote, qui déclencha des manifestations d’une ampleur inédite et fit plus de 40 morts, ne visait qu’à prolonger indûment le maintien de Joseph Kabila au pouvoir.

Aujourd’hui, son soudain intérêt pour l’État de droit ne trompe personne. Ce n’est pas un programme, c’est une manœuvre. Derrière les grands principes affichés se cache la même vieille stratégie : réécrire les règles du jeu pour préparer un retour au pouvoir. En 2011, il avait déjà modifié la Constitution pour supprimer le second tour présidentiel, s’offrant une « victoire » très contestée. Aujourd’hui, il tente de se draper dans les oripeaux du réformateur, mais son bilan parle pour lui. Comment croire un homme dont le règne a laissé derrière lui des institutions dévoyées, une opposition muselée ? La démocratie mérite mieux que les leçons d’un ancien autocrate.

Rétablir les libertés fondamentales

La défense des libertés d’expression, de réunion et de la presse, mise en avant par Joseph Kabila, résonne profondément dans un pays où ces droits fondamentaux restent fragiles et inachevés. Il souligne implicitement les restrictions ou interdictions ponctuelles de manifestations pour se présenter en défenseur de ces valeurs essentielles à la démocratie.

Cependant, il convient de reconnaître que depuis son arrivée au pouvoir, Tshisekedi a engagé des réformes notables visant à assouplir le climat politique et à encourager un espace public plus ouvert. Malgré des défis persistants, le régime actuel a permis une plus grande diversité d’opinions et un pluralisme médiatique plus visible qu’auparavant. Cette évolution, même incomplète, répond à une aspiration populaire forte et témoigne d’une volonté réelle de renforcer les libertés dans un contexte national complexe.

Ainsi, si la rhétorique de Kabila peut trouver un écho auprès d’une population sensible aux atteintes aux libertés, elle ne doit pas occulter les progrès accomplis ni la détermination du pouvoir en place à poursuivre sur cette voie, malgré les résistances et les défis sécuritaires qui pèsent sur le pays.

Mais là encore, le passé de Kabila contredit ses paroles. Sous son régime, les manifestations étaient réprimées dans le sang, les médias critiques réduits au silence, et les opposants emprisonnés ou exilés. Cette recommandation apparaît comme une tentative opportuniste de se réinventer en champion des droits humains, une image qui peine à convaincre au regard de son histoire. Politiquement, elle vise à rallier l’opinion publique et les partenaires internationaux contre Tshisekedi, tout en détournant l’attention des violations commises sous son propre règne. Sans plan clair pour garantir ces libertés, ceci reste une posture plus qu’un engagement.

Réconcilier les Congolais et reconstruire la cohésion nationale

Dans un pays aussi multiethnique que la RDC, l’appel de Joseph Kabila à la réconciliation et à la cohésion nationale répond à un besoin profondément ressenti par la population. Il critique Félix Tshisekedi pour ce qu’il présente comme un échec à unir les Congolais, laissant entendre qu’il pourrait lui-même incarner celui capable de panser les divisions. Sur le principe, cette aspiration à un sentiment d’appartenance commune est incontestablement légitime et partagée par une majorité de Congolais.

Pourtant, il est important de rappeler que depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a multiplié les gestes en faveur du dialogue intercommunautaire et de la réconciliation nationale, notamment à travers des initiatives inclusives visant à rassembler les différentes composantes du pays. Malgré les défis structurels et les tensions héritées du passé, son gouvernement s’efforce de promouvoir un vivre-ensemble fondé sur le respect mutuel et la justice sociale.

De son côté, Kabila, durant ses années à la tête de l’État, a souvent été accusé d’avoir exacerbé les clivages ethniques et régionaux, favorisant certains groupes au détriment d’autres, ce qui a contribué à fragiliser l’unité nationale. Son discours actuel, bien que porteur d’un message séduisant, manque cependant de propositions concrètes : comment entend-il réellement réconcilier un peuple aussi divers et meurtri ? Sans une feuille de route claire, cette déclaration apparaît davantage comme une posture destinée à restaurer son image d’homme d’État capable de transcender les divisions.

Politiquement, cette rhétorique lui permet de se positionner en leader au-dessus des clivages, une carte qu’il pourrait jouer pour rallier des soutiens dans un paysage politique fragmenté. Mais face aux réalités du terrain et aux efforts visibles du régime Tshisekedi, son appel sonne plus comme un geste symbolique que comme une proposition pragmatique et crédible.

Relancer le développement du pays par la mise en place d’une bonne gouvernance

Au cours du régime de Joseph Kabila, la RDC perdait chaque année environ 15 milliards de dollars à cause des détournements de fonds publics, selon une révélation faite par le professeur Luzolo Bambi, lors de l’ouverture de la rencontre régionale Afrique de Transparency International tenue à Kinshasa en juin 2018. Ce montant colossal, représentant près de trois fois le budget national de l’époque, estimé entre 3 et 4 milliards de dollars, a gravement entravé le développement du pays. Cette fuite massive de ressources a compromis la fourniture des services publics essentiels, tels que l’accès à l’éducation, à la santé et aux infrastructures, aggravant la pauvreté dans un pays où près de 80 % de la population vivait avec moins de 1,90 dollar par jour.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, le budget national a connu une progression notable, atteignant environ 18 milliards de dollars, grâce à une meilleure mobilisation des ressources publiques. Des initiatives de lutte contre la corruption ont été lancées, notamment à travers des enquêtes et la condamnation de certains hauts responsables. Cependant, malgré ces avancées, la gouvernance transparente reste un défi majeur, les réseaux de corruption et les pratiques opaques demeurant profondément ancrés dans les institutions.

Dans ce contexte, l’appel de Joseph Kabila à une « bonne gouvernance » semble davantage relever d’une stratégie politique visant à critiquer la gestion de Félix Tshisekedi, sans pour autant proposer de solutions concrètes pour rompre avec les pratiques de détournement massives qui ont caractérisé son propre régime.

Relancer le dialogue sincère et permanent avec tous les pays voisins

Kabila prône un dialogue constructif avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi pour stabiliser la région des Grands Lacs, une proposition séduisante dans un contexte où les tensions régionales, notamment les conflits armés transfrontaliers, exacerbent l’instabilité en RDC. Cependant, cette recommandation est entachée par son propre bilan et les soupçons persistants de collusion. Des rapports de l’ONU (notamment le rapport du Groupe d’experts de 2012 et 2022) ont documenté le soutien du Rwanda au M23, avec des allégations crédibles impliquant des connexions avec l’entourage de Kabila durant son mandat. Ce passif jette un doute sur la sincérité de son appel au dialogue, qui pourrait masquer une volonté de maintenir une entente tacite avec Kigali, au détriment des intérêts congolais.

En outre, sous la présidence de Kabila, les relations avec les voisins étaient marquées par des tensions récurrentes : l’accord de paix de 2003 avec le Rwanda n’a pourtant pas empêché les incursions répétées du M23, et les négociations avec l’Ouganda sur les conflits frontaliers ont souvent stagné. Critiquer la diplomatie « erratique » de Tshisekedi semble opportuniste quand son propre bilan révèle une gestion chaotique des crises régionales, avec des accords opaques et peu de résultats concrets. Politiquement, cette proposition vise à repositionner Kabila comme un acteur géopolitique crédible, mais elle cacherait la volonté d’octroyer de concessions excessives au Rwanda, notamment sur des questions d’exploitation minières et l’influence permanente de Kagame dans l’Est du pays.

Sans garanties claires sur la transparence et la souveraineté, cet appel au dialogue alimente davantage les suspicions qu’il ne restaure la confiance.

Rétablir la crédibilité du pays auprès des partenaires au niveau tant régional, continental qu’international

Redorer l’image de la RDC sur la scène internationale, ternie par des décennies de conflits, de corruption et d’instabilité, est une ambition que Joseph Kabila présente comme essentielle. Il sous-entend que sous Félix Tshisekedi, le pays se serait isolé, perdant la confiance de ses partenaires étrangers. Si la RDC rencontre effectivement des difficultés à inspirer pleinement la confiance, il convient de souligner que cette marginalisation n’est pas née avec Tshisekedi : sous le long règne de Kabila, le pays était déjà souvent perçu comme un État fragile, incapable de respecter ses engagements internationaux.

Depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a multiplié les efforts pour renouer le dialogue avec la communauté internationale, obtenant un regain d’intérêt et de soutien, notamment à travers des partenariats stratégiques et des engagements concrets en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Ces avancées, bien que perfectibles, témoignent d’une volonté réelle de restaurer la crédibilité de la RDC et de repositionner le pays comme un acteur incontournable de la région des Grands Lacs.

En ce sens, la promesse de Kabila de restaurer la crédibilité internationale, sans plan d’action clair ni propositions concrètes pour rassurer bailleurs de fonds et investisseurs, apparaît davantage comme une posture politique destinée à se présenter en dirigeant plus compétent. Pour que la RDC regagne durablement la confiance de ses partenaires, il faudra dépasser les discours et s’appuyer sur les progrès déjà amorcés sous Tshisekedi, en consolidant les réformes et en assurant une gouvernance transparente et stable.

Neutraliser tous les groupes armés et rapatrier ces derniers dans leurs pays d’origine

Neutraliser les groupes armés et renvoyer les combattants étrangers chez eux constitue une réponse directe à l’insécurité chronique qui ravage l’Est congolais. Joseph Kabila critique vivement Félix Tshisekedi pour son incapacité à éradiquer ces menaces, mais sa proposition reste ambiguë, notamment par son silence sur le M23, principal acteur de la crise. Cette omission soulève des interrogations quant à ses liens éventuels avec ces groupes armés dans la région.

Sous le mandat de Kabila, ces milices ont souvent prospéré, bénéficiant parfois de la complicité tacite, voire active, des autorités. En se présentant aujourd’hui comme l’homme capable de les neutraliser, il joue la carte du leader fort, sans toutefois expliquer comment il réussirait là où il a échoué auparavant. Son refus de condamner clairement le M23 et le rôle du Rwanda, principal parrain de la majorité des groupes armés dans l’Est, comme l’a révélé l’ancien général rwandais Faustin Nyamwasa, cofondateur du Front patriotique rwandais (FPR) et ancien chef des renseignements militaires, cité dans le livre « L’Éloge de sang » de Judi River, renforce les doutes sur ses véritables intentions.

Ainsi, cette posture apparaît davantage comme une stratégie politique visant à capitaliser sur la frustration populaire face à l’insécurité, plutôt qu’une feuille de route crédible pour restaurer la paix et la stabilité dans l’Est congolais.

Mettre définitivement fin au recours et à l’utilisation des mercenaires

Mettre définitivement fin au recours aux mercenaires, est présenté par Joseph Kabila comme une nécessité pour renforcer les forces armées nationales. Il sous-entend que le recours à ces combattants extérieurs aurait affaibli la souveraineté de l’État, une critique implicite à l’encontre de Félix Tshisekedi, pour avoir recouru aux mercenaires afin d’aider les FARDC dans la guerre contre le M23.

Pourtant, cette critique oublie que sous le règne de Kabila, l’intégration massive d’anciens éléments du CNDP au sein des FARDC a profondément fragilisé l’armée nationale. Ce mélange a favorisé l’infiltration de groupes hostiles, affaiblissant la capacité des FARDC à mener une guerre efficace contre les rebelles soutenus par le Rwanda. Les mercenaires venus défendre la patrie n’ont souvent été qu’un renfort nécessaire face à une armée déstructurée, elle-même héritée d’un Kabila qui n’a pas laissé à son successeur une force militaire véritablement opérationnelle. Certains analystes vont jusqu’à soupçonner que cette situation a pu être entretenue délibérément, maintenant la RDC dans une vulnérabilité stratégique vis-à-vis du Rwanda.

Par ailleurs, Kabila lui-même a été accusé d’avoir eu recours à des mercenaires pour protéger ses intérêts personnels et politiques, ce qui rend sa condamnation actuelle du phénomène particulièrement cynique. Sa recommandation, vague et dénuée de propositions concrètes, semble davantage destinée à détourner l’attention de son propre passé et à se présenter comme un défenseur des normes internationales.

Ordonner le retrait sans délai de toutes les troupes étrangères du territoire national

Kabila exige le départ immédiat des forces étrangères, notamment rwandaises, du territoire congolais, un appel qui résonne avec la frustration populaire face à l’ingérence extérieure, particulièrement dans l’Est de la RDC, où les incursions rwandaises alimentent les conflits depuis des décennies. Cette revendication de souveraineté semble légitime, mais sa position en fin de liste dans ses propositions est troublante. Étant donné que la guerre et ses causes, dont la forte implication du Rwanda via le M23 est un facteur clé, sont une priorité, pourquoi reléguer une demande aussi cruciale à une place secondaire ? Cette incohérence révèle une possible manoeuvre stratégique.

Durant sa présidence, Kabila n’a jamais obtenu le retrait effectif des forces rwandaises ni coupé les soutiens logistiques au M23, malgré des accords comme celui de Nairobi en 2013. Au contraire, des enquêtes indépendantes, telles que celles du Groupe d’experts de l’ONU, ont pointé des liens troubles entre son régime et des acteurs rwandais, suggérant une tolérance calculée de l’ingérence pour des gains politiques ou économiques, notamment via l’exploitation illégale des minerais. En liant aujourd’hui le retrait des troupes rwandaises à un changement de leadership à la tête du pays, Joseph Kabila semble instrumentaliser la présence de l’armée rwandaise en RDC pour forcer le président de la République, Félix Tshisekedi, à abandonner le pouvoir sous la contrainte. Une menace à peine voilée : les soldats rwandais ne quitteront le sol congolais que lorsque Tshisekedi aura quitté la présidence. Cette manœuvre permettrait aussi à Kabila de préserver ses alliances stratégiques en Afrique de l’Est (avec l’Ouganda, le Rwanda et le Kenya), qui ont longtemps assuré sa protection politique. Cette posture opportuniste, déguisée en défense de la souveraineté, risque de prolonger l’instabilité plutôt que de la résoudre, et soulève des questions sur ses véritables intentions : cherche-t-il à apaiser les tensions ou à maintenir une pression rwandaise pour servir ses intérêts ? Sans un engagement clair pour des mécanismes de contrôle indépendants, cet appel sonne creux et alimente la méfiance envers son agenda.

Conclusion

Les 12 recommandations de Joseph Kabila ne sont pas un simple programme de réformes, mais un puzzle politique où se mêlent critiques acerbes, omissions calculées et ambitions personnelles. Elles visent systématiquement à discréditer Félix Tshisekedi, tout en masquant les échecs d’un homme qui a dirigé la RDC pendant 18 ans sans résoudre ses crises fondamentales. L’absence du M23 dans son discours et du Rwanda, la relégation du retrait rwandais en fin de liste et l’appel à une refondation institutionnelle trahissent une volonté de se repositionner comme leader, probablement avec le soutien du Rwanda.

Ce discours ne propose pas une feuille de route, mais brandit une arme de déstabilisation – un sinistre écho des rébellions passées : l’AFDL et le RCD, ces mouvements qui ont porté les Kabila au pouvoir grâce au soutien actif de Kigali. La RDC, déjà exsangue après des décennies de violences cycliques et d’ingérences étrangères, semble condamnée à endurer un nouveau chapitre de ces jeux de pouvoir mortifères.

Kabila appelle-t-il ici à une répétition de l’histoire ? À une nouvelle guerre par procuration, soutenue par Kigali, pour sacrifier encore des millions de Congolais sur l’autel de ses ambitions ? Entre posture sincère et calcul opportuniste, ses « recommandations », en réalité des exigences déguisées, posent une question cruciale : à qui profitent-elles vraiment ?

Joachim Cokola

Analyste politique

Expert des questions parlementaires congolaises

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RDC : l’économie face aux risques d’instabilité politique et de surendettement

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La République démocratique du Congo (RDC) est confrontée à une dette publique significative, tant au niveau intérieur qu’extérieur. Réduite de 14 à 3 milliards de dollars en 2010 et maintenue à ce montant jusqu’en 2019, l’encours de la dette a explosé ces dernières années, dépassant la barre de 10 milliards de dollars en 2023. Les résultats des projets liés à ces fonds empruntés restent encore mitigés. Ce qui alimente des soupçons de gabegie et interroge sur les retombées d’un tel endettement dans un pays menacé par une instabilité politique.

Depuis 2019, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont augmenté leur contribution financière dans la gouvernance en RDC. Le 3 mai 2025, la Banque mondiale a annoncé avoir approuvé un financement global de 1,49 milliard de dollars pour quatre projets dont celui du barrage hydroélectrique Inga 3 longtemps resté dans le tiroir des projets faute de financement. Dans ce montant global, 200 millions de dollars serviront à la résilience aux inondations dans les villes de Kinshasa et Kalemie ; un montant de 600 millions sera affecté à la gouvernance, transparence et résilience économique ; 440 millions sont prévus pour la construction de 200 km d’autoroute et un pont de 700 mètres à construire sur la rivière Lualaba et enfin 250 millions pour le projet Inga 3. Pour bien implémenter ce quatrième projet, la Banque mondiale a mené des consultations auprès des populations locales pour le volet développement communautaire du programme Inga 3. Pour ce faire, cette institution financière prévoit une enveloppe de 100 millions de dollars destinée à assurer un soutien aux habitants vivant à proximité du site hydroélectrique d’Inga, sur le fleuve Congo.

En dehors de cette enveloppe débloquée par la Banque mondiale, une autre institution financière internationale, le FMI, apporte énormément de liquidités à la RDC depuis 2020. Cet apport se matérialise par divers programmes de financement et d’assistance technique, visant à stabiliser l’économie, promouvoir une croissance durable et améliorer la gouvernance. Depuis l’établissement du programme avec le gouvernement congolais en 2020, le FMI a approuvé des accords de crédit pour un montant total de près de 3 milliards de dollars en faveur de la RDC. Ces accords, notamment la Facilité Elargie de Crédit (FEC) et la Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD), visent à soutenir la stabilité macroéconomique et à financer des réformes structurelles. Ces fonds sont octroyés sous forme d’aide, mais aussi de dettes que l’État congolais devra rembourser.

En janvier 2025, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un accord de 1,729 milliard de dollars au titre de la Facilité Elargie de Crédit. La principale inquiétude concernant ces financements massifs des institutions financières internationales est la capacité de solvabilité du pays, ainsi que l’utilisation de ces fonds par le gouvernement. Plusieurs rapports de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) accusent le gouvernement de gabegie financière.

Dans une étude sur la gouvernance de Félix Tshisekedi entre 2022 et 2024, cette ONG spécialisée dans les finances publiques note une mauvaise gouvernance budgétaire qui n’a permis ni de créer des richesses, ni d’améliorer les conditions sociales de la population, et encore moins d’être susceptible de rendre effective la décentralisation telle que prévue par la Constitution. Selon cette structure, cette mauvaise gouvernance ne place pas le pays sur la voie de l’émergence.

Les craintes d’un surendettement du pays

La RDC est encore classée parmi des pays à risque modéré de surendettement extérieur et global. Le FMI estime que les perspectives économiques du pays sont encore favorables, mais sujettes à des risques significatifs orientés à la baisse. Ces risques incluent notamment l’aggravation des conflits armés dans l’Est, les pressions inflationnistes et un ralentissement brusque de l’économie surtout pour un pays qui n’a pour principale source de revenu que ses mines. Un choc dans ce secteur pourrait immédiatement paralyser l’économie du pays.

Les tenants du pouvoir actuel rassurent au sujet de la dette publique, selon eux, est contrôlable. Le député national Flory Mapomboli, ancien cadre au ministère des Finances, avait estimé que la dette publique qui aurait été stabilisée en 2010, représentait 26% du PIB. Ce ratio est de près de 16% en 2024. « Où se trouve le surendettement entre les deux périodes susmentionnées ? Personne ne pourra me contredire sur ces chiffres avec lesquels il est presque impossible de faire du populisme. », précisait-il quand il répondait aux accusations de surendettement du pays lancées par l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Selon Flory Mapamboli, le niveau de vie de la population congolaise a augmenté, progressant de 24% en dollars entre 2018 et 2024. Concrètement, ce PIB est passé respectivement de 557 à 693 dollars.

Si au niveau du gouvernement central l’endettement est encore contrôlé, en provinces, les entités sombrent dans le surendettement. La Direction générale de la dette publique (DGDP), qui a la mission de proposer la politique nationale d’endettement, avait noté dans un rapport publié en juin 2022 que certaines provinces du pays négociaient des accords d’emprunt sans la garantie de l’Etat (DGDP), se mettant ainsi dans un état de surendettement. Une situation qui entrave le décollage de ces entités ainsi que la réalisation de leurs projets de développement. C’est le cas de la ville de Kinshasa. Selon l’état des lieux dressé par l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila, son prédécesseur (André Kimbuta) avait laissé des dettes dans toutes les banques, sauf à la BCDC. « Des dettes de plus de 60 millions de dollars. La plus grande de dettes que nous connaissons c’est à l’UBA, à quelques jours des élections présidentielle et législative nationale de 2018. André Kimbuta a contracté une dette de 14 millions de dollars. Là où cet argent est parti, on ne sait pas », déclarait-il en faisant le bilan de l’an un de sa gestion à la tête de la capitale.

Lui-même avant de partir, il a contacté une dette de plusieurs décennies pour la construction du Marché central de Kinshasa. Il en est de même pour certaines autres provinces comme le Maï-Ndombe. Ce surendettement de certaines provinces peut aussi affecter l’économie du gouvernement central car l’État central est censé être aussi responsable des dettes contractées ou garanties par les provinces, d’après la DGDP. Selon plusieurs rapports de cette structure publique, certaines provinces négocient des accords d’emprunt sans la garantie de l’Etat, se mettant ainsi dans un état de surendettement.

Les risques d’instabilité politique

Malgré l’embellie économique actuelle, la RDC n’est pas totalement sortie de zones de risques. La plus crainte, c’est le risque lié à l’instabilité politique, notamment en raison de conflits armés et de la crise humanitaire. L’instabilité politique a un impact négatif sur les entreprises et l’économie, tandis que les conflits armés et la crise humanitaire exacerbent les difficultés économiques. Malgré le budget national 2025 de 18 milliards de dollars, plus de 26 millions de Congolais sont atteints par une faim aigue, selon les chiffres publiés en octobre 2024 par le Programme alimentaire mondial (PAM). Cette famine a été accentuée par les conflits armés dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maï-Ndombe et de l’Ituri. Dans les Kivus, la présence des rebelles de l’AFC/M23 constitue une menace directe pour la stabilité des institutions du pays. Ces rebelles ont carrément créé une administration parallèle dans les zones occupées dont les villes de Goma et Bukavu.

Cette situation sécuritaire a provoqué une explosion des dépenses militaires et un creusement du déficit budgétaire. Mais malgré ces problèmes sécuritaires, l’économie congolaise a fait preuve de résilience, avec une croissance économique atteignant 6,5 % en 2024.

Heshima

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Go-Pass en RDC : 15 ans de ponction pour des aéroports toujours en ruine

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Depuis son instauration en janvier 2009, la taxe Go-Pass, officiellement nommée Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (IDEF), pèse sur chaque billet d’avion en République démocratique du Congo (RDC). Présentée comme un levier pour moderniser des aéroports vétustes, cette redevance devait transformer des infrastructures défaillantes en hubs modernes, capables de soutenir l’économie d’un pays vaste et riche en ressources. Quinze ans plus tard, les pistes dégradées, les équipements obsolètes et l’opacité persistante dans la gestion des fonds suscitent indignation et interrogations. Où est passé l’argent du Go-Pass ? Heshima Magazine dresse un état des lieux exhaustif de ce scandale qui illustre les défis de gouvernance en RDC.

Lancée le 1er janvier 2009, la taxe Go-Pass impose une redevance de 50 dollars pour les vols internationaux et 10 dollars pour les vols domestiques, perçue par la Régie des voies aériennes (RVA), un établissement public sous la tutelle du ministère des Transports. À l’époque, l’objectif était ambitieux : collecter 2 milliards de dollars pour réhabiliter des aéroports comme N’Djili à Kinshasa, Lubumbashi, Goma ou encore Mbuji-Mayi, dont les infrastructures souffraient de vétusté, avec des pistes mal entretenues, des tours de contrôle défaillantes et des normes de sécurité aérienne souvent ignorées. Selon un article de Zoom Eco publié en 2019, la taxe devait permettre de hisser les aéroports congolais au niveau des standards internationaux, renforçant ainsi la connectivité essentielle pour le commerce des minerais et le tourisme.

Dès son lancement, le Go-Pass a suscité des critiques. Pourquoi imposer une nouvelle taxe dans un pays où le coût des billets d’avion figure déjà parmi les plus élevés d’Afrique centrale ? Les autorités justifiaient cette mesure par l’absence de subventions étatiques suffisantes et le manque de financements internationaux pour moderniser les infrastructures. Pourtant, ce qui était présenté comme une solution temporaire s’est institutionnalisé, devenant une charge quasi permanente pour les voyageurs, sans résultats tangibles à la hauteur des attentes.

Une collecte massive, des résultats dérisoires

Les chiffres révèlent l’ampleur du décalage entre les promesses et la réalité. Selon un rapport confidentiel du ministère des Finances de 2022, près de 470 millions de dollars auraient été collectés entre 2009 et 2021. Un rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), relayé par Media Congo, estime quant à lui que 225 millions de dollars ont été perçus entre 2009 et 2019, tandis que RFI rapporte en mai 2021 que seulement 200 millions de dollars ont été collectés jusqu’en 2021, soit à peine 10 % de l’objectif initial de 2 milliards. Ces écarts dans les estimations soulignent déjà un manque de transparence dans la gestion des fonds.

Sur le terrain, les améliorations sont quasi invisibles. À l’aéroport international de N’Djili, vitrine du pays, quelques travaux ont été réalisés : un scanner a été installé, la salle d’embarquement légèrement agrandie, et une réhabilitation partielle de la piste entreprise. Une nouvelle aérogare modulaire, ouverte en juin 2015 et capable d’accueillir un million de passagers par an, a été financée à 85 % par un prêt chinois, comme l’a indiqué Radio Okapi. Cependant, ces efforts restent marginaux face à l’état général de l’aéroport, toujours marqué par des équipements obsolètes et des services inadéquats. Des travaux de réhabilitation plus ambitieux sont annoncés pour début 2025, mais ils suscitent un scepticisme légitime après des années de promesses non tenues.

Les aéroports secondaires, comme ceux de Goma, Kindu, Kalemie, Mbandaka, Gemena, Isiro, Mbuji-Mayi ou Kananga, sont dans un état encore plus préoccupant. À Mbandaka, le bâtiment principal n’a pas été rénové depuis l’époque de Mobutu, selon des témoignages locaux. À Kananga, les passagers embarquent sous la pluie, faute d’abris fonctionnels. À Mbuji-Mayi, des pannes récurrentes de radio-navigation obligent parfois les pilotes à se poser à vue. Quelques exceptions notables, Goma a bénéficié du Projet d’amélioration de la sécurité à l’aéroport de Goma (PASAG), financé par la Banque mondiale, avec une piste réhabilitée, une tour de contrôle modernisée et un balisage amélioré, inaugurés en novembre 2021. Ces travaux ont permis une augmentation de 10 % du trafic annuel de fret et de passagers, même pendant la pandémie de Covid-19, selon la Banque mondiale. À Kisangani, l’aéroport de Bangoka a été rénové mais toujours pas avec les revenus générés par Go-Pass. C’est un financement de la Banque africaine de développement (BAD) dans le cadre du projet prioritaire de sécurité aérienne phase 2. Actuellement, la salle d’embarquement de cet aéroport peut prendre en charge plus de 300 passagers en heure de pointe. Sa piste d’atterrissage a été aussi rénovée. Ces avancées, financées par des partenaires extérieurs, ne doivent rien au Go-Pass.

Une gestion opaque et des détournements avérés

La gestion des fonds Go-Pass est un scandale en soi. En 2023, le directeur général de la RVA, a admis devant la Commission économique, financière et budgétaire de l’Assemblée nationale que les recettes « n’ont pas toujours été utilisées exclusivement pour les investissements ». Selon un audit partiel de la Cour des comptes en 2021, plus de 60 % des fonds ont été affectés à des dépenses courantes (salaires, frais de fonctionnement, missions de contrôle) sans traçabilité claire. Le GEC, dans son rapport de 2021, précise que 37 millions de dollars ont servi à construire un pavillon présidentiel à N’Djili, 6 millions ont été injectés dans le capital de Congo Airways, et une autre partie a couvert les charges salariales de la RVA, au lieu de financer des projets d’infrastructure. RFI rapporte également le cas d’Abdallah Bilenge, ancien directeur de la RVA, condamné en janvier 2021 à 20 ans de prison pour détournement de fonds, bien que les charges portaient principalement sur des cotisations sociales. Les investigations du GEC suggèrent que les recettes du Go-Pass ont été affectées par des écarts comptables inexpliqués.

La RVA, qui gère seule la collecte et l’utilisation des fonds, est lourdement endettée, avec un passif de 60 à 130 millions de dollars selon les sources. Aucun compte séquestre, comme prévu en théorie pour sécuriser les recettes, n’a jamais été mis en place. Le ministère des Transports, chargé de la supervision, se limite à des rapports annuels lacunaires, tandis que le ministère des Finances se désengage, arguant que la taxe n’est pas sous sa gestion fiscale. En 2024, une mission conjointe de l’Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes a pointé une gestion anarchique, marquée par l’absence d’appels d’offres et des soupçons de rétrocommissions et de surfacturations.

Cette opacité a alimenté la colère populaire. En 2023, le Programme Multisectoriel de Vulgarisation et Sensibilisation (PMVS) a organisé des sit-in à Kinshasa pour exiger la suppression du Go-Pass, qualifié d’« usurpateur et injuste ». Les citoyens dénoncent une taxe qui ponctionne sans offrir de services en retour, dans un pays où les vols restent essentiels pour relier des régions enclavées.

Un impact économique et social désastreux

L’absence de modernisation des aéroports a des conséquences profondes. Dans un pays de 2, 345 millions de kilomètres carrés, où les routes sont souvent impraticables, le transport aérien est une bouée de sauvetage pour le commerce, l’administration et les urgences humanitaires. Pourtant, les infrastructures vétustes limitent la capacité des compagnies aériennes à opérer efficacement. Selon Businessday NG, la RDC compte 272 aéroports « utilisables », mais leur état freine leur compétitivité face à des hubs comme Nairobi ou Johannesburg. Concrètement, sur ce nombre d’aéroports et aérodromes, seuls 38 sont opérationnels et seulement 20 reçoivent régulièrement des vols. Cette situation entrave les exportations minières, décourage les investisseurs et limite le potentiel touristique, malgré les richesses naturelles du pays.

La sécurité aérienne est un autre point noir. Les avis de voyage, comme ceux du gouvernement britannique, soulignent les risques liés à l’état des infrastructures et à l’absence de normes fiables. À Kisangani ou Mbuji-Mayi, les pannes de radio-navigation exposent les passagers à des dangers inutiles. Cette insécurité, couplée à des coûts élevés de transport aérien, renforce l’isolement de certaines régions et freine le développement économique.

Sur le plan social, le Go-Pass est devenu un symbole de défiance envers les institutions. « On paie 10 dollars à Bangoka, mais l’aéroport n’a ni électricité ni toilettes décentes », témoigne un commerçant de Kisangani. À Goma, un cadre de la RVA, sous couvert d’anonymat, confie au téléphone : « Les lampes solaires viennent d’un don, le balisage d’un projet japonais. Le Go-Pass n’a rien financé ici. » Ces témoignages reflètent une frustration croissante, exacerbée par l’absence de transparence et de résultats concrets.

Vers une réforme ou la fin du Go-Pass ?

Face à ce fiasco, les appels à la réforme se multiplient. Certains, comme Me Armand Mikadi, avocat à Lubumbashi, plaident pour la suppression pure et simple de la taxe : « La RDC est le seul pays où l’on paie une surtaxe pour des services inexistants. » D’autres, comme le Syndicat des travailleurs de l’aviation civile, proposent une refonte : réduction du montant, création d’un compte public supervisé par la Cour des comptes, publication annuelle des recettes et des projets financés, et implication des usagers dans le suivi. « Tant que la RVA est en quasi-faillite et sans audit indépendant, le Go-Pass restera un puits sans fond », résume Bernard, consultant en transport aérien.

Des initiatives récentes laissent entrevoir un espoir timide. Les travaux prévus à N’Djili pour 2025 et la modernisation de Mbuji-Mayi, financée par la Chine, pourraient marquer un tournant, à condition que les fonds soient gérés avec rigueur. Mais sans une volonté politique forte pour imposer des audits indépendants, des appels d’offres transparents et des sanctions en cas de détournement, ces projets risquent de rester des annonces sans lendemain.

Le Go-Pass, conçu comme un outil de progrès, s’est transformé en un symbole des dérives de la gouvernance congolaise. Dans un pays où l’avion est souvent le seul lien entre les provinces, la modernisation des aéroports ne devrait pas être une chimère. Quinze ans après, les Congolais attendent toujours des infrastructures dignes de leurs contributions. La balle est dans le camp des autorités : restaurer la confiance passe par des actes, pas par des promesses.

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Bukanga Lonzo, ce parc agro-industriel fantôme, peut-il revivre ?

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À 250 kilomètres au sud-est de Kinshasa, dans les vastes plaines du Kwango et du Kwilu, le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo devait marquer un tournant pour la République démocratique du Congo (RDC). Lancé en 2014, ce projet ambitieux promettait de révolutionner l’agriculture congolaise, de réduire une facture d’importations alimentaires de 1,5 milliard de dollars par an et de faire de la région un grenier pour le pays. Mais en 2017, l’élan s’est brisé. Gestion chaotique, soupçons de corruption et marginalisation des communautés locales ont transformé ce rêve en cauchemar. Une timide relance en 2021 a redonné un brin d’espoir avec 6 000 tonnes de maïs produites, mais l’insécurité et les spoliations ont de nouveau paralysé le site en 2024. En ce mois de juin 2025, le gouvernement annonce un nouvel élan. Bukanga Lonzo peut-il enfin renaître de ses cendres, ou restera-t-il un symbole d’échec cuisant d’une politique agricole de cette dernière décennie ?

En 2013, face à une dépendance écrasante aux importations alimentaires, le gouvernement congolais, alors dirigé par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, mise sur Bukanga Lonzo comme projet pilote du Programme national d’investissement agricole. Étendu sur 80 000 hectares à cheval entre les provinces du Kwango et du Kwilu, le parc devait approvisionner Kinshasa, le Kongo Central et même Brazzaville en maïs, manioc, légumes et fruits. L’objectif ? Produire 350 000 tonnes de maïs par an et créer 5 000 emplois directs. « Bukanga Lonzo devait devenir le plus grand parc agro-industriel d’Afrique », proclamait Ida Kamonji Naserwa Sabangu, alors directrice du projet.

Ce rêve reposait sur un partenariat public-privé avec Africom Commodities, une entreprise sud-africaine. Le gouvernement a injecté 83 millions de dollars dans des infrastructures impressionnantes : une route de 30 km, une piste d’atterrissage de 2,5 km, un bassin de rétention d’eau de 45 millions de litres, selon le site Parc Agro. La Banque mondiale, via son Projet d’appui à la réhabilitation et à la relance du secteur agricole, a mobilisé une partie de ses 120 millions de dollars pour soutenir l’initiative. « Ce projet pouvait transformer l’agriculture congolaise et favoriser une croissance inclusive », affirmait Séverin Kodderitzach, directeur sectoriel de la Banque mondiale, sur les ondes de Radio Okapi. Des villages modernes, dotés d’écoles, de cliniques et d’électricité, étaient promis aux 4 490 habitants des six villages de la concession.

Le plan était audacieux : 20 000 hectares dédiés aux cultures, le reste pour des vergers, des élevages et des infrastructures communautaires. La première phase, centrée sur le maïs, visait à briser la dépendance aux importations et à positionner la RDC comme exportateur. « On rêvait d’une Kinshasa autosuffisante », confie, nostalgique, un ancien fonctionnaire du ministère de l’Agriculture à Heshima Magazine.

Un fiasco aux racines profondes

Mais le rêve s’est vite effrité. Le sol sableux de Bukanga Lonzo, inadapté à la culture intensive du maïs, a plombé les rendements. Selon un rapport de l’Oakland Institute daté du 12 avril 2019, la superficie cultivée a chuté de 5 000 à 2 000 hectares en 2016, loin des 350 000 tonnes promises. « Les récoltes pourrissaient sur place, faute de logistique », raconte un ancien employé du parc à Heshima Magazine, sous couvert d’anonymat. José Masikini, ancien sénateur, pointait sur Radio Okapi un choix de site dicté par des intérêts politiques, une erreur fatale.

La gestion financière a viré au scandale. Un audit de l’Inspection Générale des Finances (IGF) a révélé que, sur 285 millions de dollars décaissés, seuls 80 millions ont servi au projet. Les 205 millions restants ? Volatilisés. « Un échec planifié dans sa conception », dénonçait Jules Alingete, alors inspecteur général des finances, chef de service, sur Radio Okapi.

Pire encore, les communautés locales ont été laissées pour compte. Neuf villages ont été dépossédés de leurs terres sans consultation, en violation de la loi. Les compensations, dérisoires, se limitaient à des pagnes ou 2 000 FC, selon l’Oakland Institute. « On nous a volé nos terres et notre dignité », pleure Kawaka Matondo, chef coutumier. En 2017, Africom jette l’éponge, abandonnant équipements et travailleurs sans salaire.

Des cicatrices qui marquent

L’effondrement de Bukanga Lonzo a semé la désolation. Plus de 5 000 personnes ont été déplacées, certaines brutalisées pour avoir résisté. Frédéric Mousseau, de l’Oakland Institute, rapporte des cas d’agriculteurs attachés à des arbres et fouettés pour avoir tenté de récupérer leurs terres. « Ils ont promis des emplois, mais nous n’avons eu que des larmes », soupire Marie-Ange Kabasu, une victime de spoliation. Les 5 000 emplois directs et 12 000 indirects promis n’ont jamais vu le jour, aggravant la misère locale.

L’environnement a aussi payé un lourd tribut. L’utilisation massive de 60 000 litres de glyphosate a pollué les rivières Lonzo et Kwango, causant des maladies de peau, des troubles respiratoires et des fausses couches, selon l’Oakland Institute. « Nos rivières sont devenues toxiques, nous n’avions plus d’eau potable », se désole Albert Mbey Moju, habitant de Wamba. Une étude de 2018 a confirmé la contamination des sols, rendant certaines zones incultivables. Les opportunités économiques, comme la production de 500 tonnes de fruits et légumes par jour, se sont évaporées, renforçant la dépendance aux importations.

Les travailleurs, eux, ont été abandonnés. Ils ont réclamé 15 à 30 mois d’arriérés de salaire lors de sit-ins à Kinshasa. « Nous sommes devenus irresponsables vis-à-vis de nos familles », déplore Patrick Tshibangu, représentant des agents du parc. La vente d’équipements agricoles à Maluku, estimée à 50 000 dollars, n’a pas servi à les payer, alimentant les soupçons de corruption.

Un sursaut fragile et une nouvelle ambition

En août 2020, le gouvernement tente une relance. En 2021, 6 000 tonnes de maïs sont produites sur 1 500 hectares. « C’est le fruit d’un travail bien fait », se félicitait Joseph Lumbala, ancien conseiller du ministre de l’Agriculture, cité par Financial Afrik. « Les gens se bousculaient pour acheter la semoule de Bukanga Lonzo car le prix était abordable », se souvient Maguy Olundu, vendeuse au marché de Yolo Médical.

Mais en 2024, l’insécurité stoppe net cet élan. Les conflits ethniques entre Teke et Yaka, qui sévissent depuis 2022, ont causé des morts et des destructions par des feux de brousse. Adèle Kahinda Mahina, alors ministre du Portefeuille, a alerté sur le pillage des entrepôts. En juin 2025, le gouvernement relance le projet, promettant un audit préalable. « Nous voulons faire de Bukanga Lonzo un moteur d’abondance », clame Jean-Lucien Bussa, ministre du Commerce extérieur, dans Zoom Eco.

Le nouveau modèle s’appuie sur trois sociétés créées en 2020 : une pour la gestion, une pour l’exploitation, et une pour la commercialisation via le Marché international de Kinshasa. Le gouvernement envisage d’ouvrir le capital au privé et de payer 30 mois d’arriérés de salaire, selon l’Agence congolaise de presse le 2 juin 2025. Mais la société civile reste méfiante. « Sans transparence ni inclusion des communautés, cette relance est vouée à l’échec », prévient un activiste du Kwilu.

Les leçons d’ailleurs et un espoir prudent

L’échec de Bukanga Lonzo contraste avec des réussites comme le parc de Bulbula en Éthiopie, qui a intégré 55 % de producteurs locaux en 2024 grâce à une localisation stratégique et un soutien public, selon un rapport de l’UNIDO du 15 janvier 2024. « Les parcs réussis connectent les agriculteurs aux chaînes de valeur », explique un expert. En RDC, le sol inadapté, l’insécurité et la corruption ont tout saboté.

Pour une relance durable, Floribert Kabayu, expert en économie agricole, plaide pour une acquisition foncière transparente, des études pédologiques sérieuses, une gouvernance rigoureuse et une sécurisation du site. Carlos Ngwapitshi Ngwamashi, auteur d’un livre sur le fiasco, propose une justice négociée pour récupérer les fonds détournés. « Bukanga Lonzo peut réussir si nous apprenons de nos erreurs », insiste-t-il. La FAO, dans un rapport de 2023, souligne l’importance d’impliquer les petits agriculteurs pour maximiser l’impact.

Un pari sur l’avenir

Bukanga Lonzo, c’est l’histoire d’espoirs brisés et d’ambitions démesurées. L’annonce, le 30 mai 2025, d’une nouvelle relance avec un audit et un modèle repensé ravive l’espoir d’une autosuffisance alimentaire. Mais les défis sont colossaux : sécuriser le site, restaurer la confiance des communautés et garantir une gestion intègre. D’ici 2030, Bukanga Lonzo pourrait devenir un moteur de développement, à condition de tirer les leçons des échecs passés et des succès d’ailleurs. Pour l’instant, il reste un symbole d’opportunités gâchées, mais aussi un appel à repenser l’agriculture congolaise avec audace et responsabilité.

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