Les États-Unis ont sanctionné, jeudi 20 février, le ministre d’État rwandais de l’Intégration régionale, James Kabarebe, mais aussi le porte-parole du Mouvement du 23 mars (M23), Lawrence Kanyuka, pour leur rôle dans la déstabilisation de la République démocratique du Congo (RDC) par la guerre d’agression menée par Kigali et ce groupe rebelle sur le sol congolais. Mais ces mesures individuelles n’ont presque jamais réussi à changer le cours des choses dans les conflits qui sévissent au pays de Lumumba.
D’après le Trésor américain, James Kabarebe est au centre du soutien du Rwanda au Mouvement du 23 mars (M23). Washington dit vouloir demander « des comptes » aux auteurs des activités déstabilisatrices perpétrées par l’armée rwandaise et les rebelles du M23 en RDC. « L’action d’aujourd’hui souligne notre intention de demander des comptes aux responsables et dirigeants clés comme Kabarebe et Kanyuka, qui permettent les activités déstabilisatrices des RDF et du M23 dans l’est de la RDC », a déclaré le sous-secrétaire intérimaire du Trésor américain chargé du terrorisme et du renseignement financier, Bradley T. Smith.
Malgré l’annonce de ces sanctions, Washington reste conscient de la nécessité d’une issue pacifique à cette crise, soulignant que « les États-Unis restent déterminés à garantir une résolution pacifique de ce conflit. » Ces sanctions comprennent généralement le gel des avoirs de ces individus aux États-Unis et l’interdiction pour tout citoyen américain de faire commerce avec eux.
Le Rwanda minimise les sanctions
Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères du Rwanda consulté par le Magazine Heshima, Kigali interprète ces sanctions comme une ingérence extérieure dans un processus de paix pris en charge par l’Afrique. « Les mesures punitives, y compris les sanctions, ne contribuent en rien à la sécurité, à la paix et à la stabilité à long terme dans la région des Grands Lacs. De telles mesures ne peuvent être interprétées que comme une ingérence extérieure injustifiée, risquant de retarder la résolution du conflit », peut-on lire dans ce document. Le Rwanda pense que ces sanctions ne vont donc pas précipiter l’arrivée de la paix dans la région des Grands Lacs, ce qui suggère que Kigali poursuivra son agression sur le territoire congolais.
Des sanctions sans effet sur Nangaa
Sanctionné depuis 2019 pour corruption et entrave au processus démocratique en RDC, alors qu’il dirigeait encore la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa a toujours agi comme si de rien n’était. Nangaa était accusé également de surfacturation de plus de 100 millions de dollars pour l’acquisition de machines à voter, détournement de fonds opérationnels de la CENI et financement de la campagne électorale d’Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat président de la République désigné par le camp du président sortant, Joseph Kabila.
Même si ces sanctions peuvent réduire sa marge de manœuvre, l’homme est devenu encore plus radical en créant une rébellion armée en décembre 2023 depuis Nairobi, au Kenya. Il est devenu le coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une structure politico-militaire créée avec le M23. Corneille Nangaa s’est allié au Rwanda pour tenter de faire tomber le régime de Félix Tshisekedi. À ce jour, sa rébellion, aidée par les troupes rwandaises, occupe une grande partie des deux Kivus, menaçant les provinces du Maniema, du Tanganyika et de l’Ituri.
Aucun impact sur les ADF
Depuis 2019, cinq membres de la rébellion ougandaise des ADF ont été également visés par des sanctions américaines, dont le leader du mouvement, Musa Baluku. Cette rébellion ougandaise, qui a fait allégeance à l’Etat islamique, opère dans l’Est de la RDC depuis près d’un quart de siècle. Elle est responsable de nombreux massacres de civils depuis 2014 dans les territoires de Beni, Lubero et dans la province de l’Ituri, plus au nord-est de la RDC. Mais depuis 2019, Musa Baluku se pavane en RDC et multiplie des massacres contre des civils congolais qu’il accuse d’être des « infidèles ». Dans le communiqué annonçant ces sanctions en 2019, Washington accusait les ADF de commettre de graves violations des droits de l’homme, dont l’enlèvement et l’utilisation d’enfants soldats.
Il faut viser le porte-monnaie du Rwanda
Il est vrai que le peuple rwandais ne décide pas de la politique violente que mène le président Paul Kagame dans la région, mais il est démontré qu’une fois que le porte-monnaie du Rwanda est visé, Kigali a toujours reculé. James Kabarebe, qui a causé autant de tort à la RDC depuis 1997-1998, ne va pas changer d’attitude parce qu’il est sanctionné par le Trésor américain. Paul Kagame, son leader, avait déjà avisé l’opinion internationale qu’entre les sanctions contre son régime et lutter contre une menace existentielle, il choisirait le second. Pour l’infléchir, il faudrait passer par des sanctions contre son État, en visant des secteurs comme la défense. Sous Barack Obama, Washington avait coupé l’aide militaire au Rwanda en 2013. Berlin et Londres avaient fait pareil. Ce qui avait poussé Kigali à cesser son soutien au M23 et le mouvement avait fini par être vaincu militairement par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), aidées par une Brigade d’intervention de l’ONU (FIB).
Actuellement, l’Occident continue de ménager Kigali, même si des condamnations verbales existent. Par exemple, la France a laissé la liberté sur son territoire qu’un rebelle puisse ériger un cabinet de conseil minier alors que Lawrence Kanyuka et le M23 contrôlent des mines dans l’Est de la RDC, notamment la mine de coltan de Rubaya. Ce cabinet, baptisé « Kingston Holding », fonctionne depuis 2017 sur l’une des artères les plus chères de la capitale française, rue Saint-Honoré. Cela démontre le laxisme de Paris vis-à-vis de la rébellion du M23 et de Kigali, son parrain direct. Si la communauté internationale campe uniquement sur des sanctions individuelles, cela n’apportera pas l’effet escompté sur le terrain.
Heshima