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Kabila, c’est l’AFC-M23 : Tshisekedi avait-il raison ?
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2 mois agoon
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La redaction
L’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, a rompu son légendaire silence pour commenter la crise sécuritaire qui secoue l’Est du pays. Mais sa sortie médiatique a scandalisé une grande partie de l’opinion congolaise, principalement au sujet des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) qu’il a carrément absout. Ce qui laisse penser que la dénonciation de Félix Tshisekedi sur une collusion entre Joseph Kabila et l’AFC-M23 est authentique.
À force de vouloir à tout prix se venger de Félix Tshisekedi, Joseph Kabila a-t-il pactisé avec les rebelles du M23 qui commettent des massacres dans les provinces du Nord et Sud-Kivu ? C’est ce que certains semblent comprendre après avoir lu la tribune de l’ex-président parue, le week-end dernier, dans un journal sud-africain, The Sunday Times. Pour l’ancien président congolais, la solution pour mettre fin au conflit dans l’est de la RDC n’est pas militaire. Ni l’envoi de troupes ni d’équipements supplémentaires en soutien à l’armée congolaise ne pourront résoudre la crise. Pourtant, en 2013, lui-même, alors président de la République, avait bénéficié du même soutien de la SADC, dont certains pays (Afrique du Sud, Tanzanie et Malawi) avaient fourni des troupes pour composer la Brigade d’intervention de l’ONU qui avait aidé les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à défaire militairement le M23.
Kabila absout le M23
Au pouvoir en 2012, Joseph Kabila avait refusé plusieurs fois de négocier avec les rebelles du M23. Après la chute de la ville de Goma en novembre 2012, il avait finalement changé d’avis en acceptant des discussions. Il avait d’abord engagé un dialogue avec les pays voisins, à savoir le Rwanda et l’Ouganda, qui soutiennent cette rébellion. Après le retrait des insurgés de Goma sans coup de feu, le président Kabila avait fini par monter une opération militaire intitulée « Pomme orange » qui, ensemble avec la brigade d’intervention agissant sous la bannière de l’ONU, avait neutralisé cette rébellion.
Lors d’un échange avec la société civile de Goma, fin 2013, Joseph Kabila avait fini par reconnaître que l’accord du 23 mars 2009 signé avec les rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) était « une erreur » à ne plus commettre. Son porte-parole de l’époque, Lambert Mende, avait indiqué que s’il fallait faire la guerre pendant 100 ans, la RDC la ferait, pourvu que ces « bandits » ne soient plus intégrés dans l’armée. Mais aujourd’hui, Joseph Kabila absout le M23. « Contrairement à ce que les autorités de Kinshasa veulent faire croire, la crise ne se limite pas aux actions incontrôlées du M23 présenté à tort comme un groupe anarchiste, un proxy d’un État étranger sans revendications légitimes ni à un simple désaccord entre la RDC et le Rwanda. La crise en RDC remonte à 2021 et est multidimensionnelle », a écrit Joseph Kabila. Une incohérence majeure avec son appréhension de la rébellion pendant qu’il était au pouvoir.
Tshisekedi avait-il raison d’accuser Kabila ?
Avec ce masque qui tombe, beaucoup de Congolais pourraient donner raison à Félix Tshisekedi qui accuse toujours son prédécesseur d’être derrière l’autre appendice du M23, l’Alliance Fleuve Congo (AFC), dirigée par l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa, réputé proche de Joseph Kabila. Lors d’une interview accordée à certains médias congolais depuis Bruxelles, Félix Tshisekedi avait accusé, en août 2024, son prédécesseur d’être derrière l’alliance entre Corneille Nangaa et le M23. Et Félix Tshisekedi l’a encore répété récemment avec conviction. « Dans ce pays, il n’y a pas mieux informé que le président de la République », a réagi le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani.
Une autre opinion pense que Joseph Kabila est dans une logique d’insurrection pour renverser militairement Félix Tshisekedi. Le soutien militaire de l’Afrique du Sud gêne ce projet. Pour lui, l’envoi des troupes sud-africaines est un gaspillage des ressources pour soutenir un tyran. « Le monde observe attentivement si l’Afrique du Sud connue pour son humanisme et ses valeurs continuera d’envoyer des troupes en RDC pour soutenir un régime tyrannique et combattre les aspirations du peuple congolais. », a conclu Joseph Kabila.
Après cette tribune, il se dégage une sorte de pacte entre le président rwandais, Paul Kagame, Joseph Kabila, l’opposant Moise Katumbi et Corneille Nangaa pour renverser le régime de Félix Tshisekedi. Le M23, qui a toujours eu des revendications principalement centrées sur les Kivus, est devenu le bras armé de ces politiciens dans l’objectif de faire revivre l’AFDL aux Congolais, tout en nourrissant l’ambition de faire tomber Kinshasa. Cette démarche présumée indique que Joseph Kabila n’avait pas quitté le pouvoir de son plein gré. Il voulait jouer au bonneteau avec Félix Tshisekedi mais cela a mal tourné.
Heshima
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AFC/M23 : Corneille Nangaa entre enchères et désespoir
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21 heures agoon
avril 30, 2025By
La redaction
Le processus de paix enclenché par l’administration Trump entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda n’est visiblement pas du goût du coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), plateforme politico-militaire comprenant le Mouvement du 23 mars (M23) soutenu par Kigali. Nangaa affirme vouloir continuer la guerre jusqu’au départ du président Félix Tshisekedi et rejette les discussions sur un deal minier entre la RDC et Washington. Une enchère qui peut traduire la frustration d’un homme qui rêvait grand.
La région de l’Est de la RDC est le théâtre de conflits armés depuis des décennies, marquée par des tensions persistantes entre la RDC et le Rwanda. Ces affrontements trouvent leurs racines dans les séquelles des guerres des années 1990, notamment le génocide rwandais de 1994, qui a entraîné des flux de réfugiés et des luttes pour le contrôle des ressources dans les provinces du Nord et Sud-Kivu. Le M23, apparu en 2012 et relancé ces dernières années avec le soutien de Kigali, est l’un des nombreux groupes armés impliqués dans des violences ayant causé des déplacements massifs de populations. Les négociations de paix actuelles entre la RDC et le Rwanda s’inscrivent dans une tentative de mettre fin à ces cycles de conflits et de stabiliser une région riche en minerais mais fragilisée par l’insécurité.
Devant le miroir, dans son QG de Goma, Corneille Nangaa se serait déjà fait une image de lui, puissant et conquérant le pouvoir à Kinshasa. Mais les négociations de Doha et de Washington ont refroidi ses ardeurs, d’où sa colère suivie d’une surenchère guerrière. Sa dernière interview accordée au média britannique The Telegraph illustre un homme partagé entre deux extrêmes : la témérité pour une conquête de l’impérium et un désespoir d’avoir loupé ce coche. Cela, au point de se dresser sur le chemin de l’administration américaine en refusant les accords de paix en cours de préparation mais aussi le deal minier en vue entre Kinshasa et Washington.
En scrutant ses propos, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) n’arrive toujours pas à se départir du présumé « deal » signé entre le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur Joseph Kabila après l’élection présidentielle de 2018. Pour Nangaa, l’actuel chef de l’État ne peut rien signer au nom de la RDC, ne respectant pas, selon lui, des engagements. « Il n’est pas fiable », a-t-il lancé. « Tout ce qu’il acceptera aujourd’hui sera vite oublié », enchaîne Nangaa. Même si Kinshasa et Washington signent un accord, « le peuple congolais s’y opposera ». Corneille Nangaa estime par ailleurs que les Américains ont le droit de conclure ce genre d’accord, mais « ils doivent s’adresser aux bonnes personnes et aujourd’hui, les bonnes personnes à qui s’adresser sont les membres de l’Alliance Fleuve Congo ». Puisque ce n’est pas lui qui signe avec Washington, Nangaa a rejeté les appels à la fin des violences et promet de continuer sa rébellion jusqu’à Kinshasa.
Une surenchère pour négocier en position de force ?
Une autre lecture de la sortie médiatique de Corneille Nangaa suggère que son refus des négociations pourrait être une stratégie délibérée de surenchère. En rejetant publiquement les pourparlers, Nangaa pourrait chercher à faire pression sur Kinshasa et ses partenaires internationaux pour obtenir des concessions plus avantageuses. Le contrôle de villes stratégiques comme Goma et Bukavu, ainsi que des territoires riches en ressources minières, confère à l’AFC/M23 un levier économique et politique significatif. En laissant entendre qu’il pourrait se contenter de maintenir ces territoires sous son emprise, une sorte de « proto-État » autonome, Nangaa envoie un message clair : déposer les armes a un prix, et ce prix doit être à la hauteur des gains économiques et politiques que représente le statu quo. Cette posture pourrait viser à forcer le gouvernement congolais à offrir des garanties substantielles, comme une amnistie élargie, une intégration politique ou militaire, un poste politique de premier plan, voire une reconnaissance de certains acquis territoriaux, pour convaincre l’AFC/M23 de renoncer à la lutte armée. Une telle stratégie, bien que risquée, reflète la volonté de Nangaa de négocier en position de force, tout en capitalisant sur les ressources et l’influence que son mouvement tire des zones sous son contrôle.
Les derniers soubresauts de la mort de l’AFC ?
La réaction de Corneille Nangaa pourrait aussi traduire un malaise. Son avenir politique après la rébellion ne semble pas toujours pris en compte. Sa réaction pourrait être perçue comme les derniers soubresauts de la mort programmée de son mouvement insurrectionnel, l’AFC. Des négociations en cours à Doha et à Washington n’ont visiblement pas encore répondu à ses ambitions personnelles. Si les accords de paix entre la RDC et le Rwanda aboutissent, l’AFC n’aura plus de soutien militaire. Ce qui rend ce mouvement fragile. Le M23, comparativement à l’AFC, a des revendications identitaires. Les hommes de Sultani Makenga n’ont jamais rêvé de prendre le pouvoir à Kinshasa, avant leur alliance avec Corneille Nangaa. Ce qui pourrait provoquer un schisme entre l’AFC et le M23 au cas où ce dernier trouve des réponses à ses revendications identitaires.
Qu’est-ce que Nangaa peut gagner dans ces négociations ?
Condamné à mort le 8 août 2024 par la Cour militaire de Kinshasa-Gombe, le coordonnateur de l’AFC/M23 a été reconnu coupable de crimes de guerre, de trahison et de participation à un mouvement insurrectionnel. Parmi les autres personnes condamnées, il y a notamment Sultani Makenga et Bertrand Bisimwa, respectivement responsables militaire et civil de la branche M23. La justice militaire avait également ordonné « l’arrestation immédiate » de Nangaa, jugé par contumace, et la « confiscation de ses biens ».
Ces condamnations à mort pourraient être utilisées par le gouvernement comme monnaie d’échange dans les discussions en cours à Doha, au Qatar. Kinshasa, qui négocie également en position de faiblesse après avoir perdu le contrôle des villes clés comme Goma et Bukavu, pourrait faire d’énormes concessions aux rebelles. Une loi d’amnistie pourrait être votée au Parlement afin de disculper Corneille Nangaa et les autres cadres de l’AFC/M23 sous sanctions judiciaires. Mais une telle concession risque de ne pas être suffisante pour les rebelles. La prime à l’impunité pourrait aller jusqu’à les intégrer au sein du gouvernement en ce qui concerne des rebelles civils et au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour des combattants du M23. Cependant, de telles concessions pourraient susciter un tollé au sein de l’opinion congolaise.
Implications des négociations de paix pour les acteurs impliqués
Les pourparlers entre la RDC et le Rwanda portent des enjeux majeurs pour les différentes parties. Pour la RDC, un accord pourrait mettre fin aux violences dans l’Est et permettre une reconstruction économique et sociale. Pour le Rwanda, qui soutient toujours des groupes comme le M23 pour maintenir son influence régionale, un accord pourrait signifier une réduction de cette emprise, mais aussi une normalisation des relations avec son voisin. Pour le M23 et l’AFC, la fin du soutien rwandais risquerait d’affaiblir leurs capacités militaires et politiques, les obligeant à revoir leurs stratégies. Les populations locales, principales victimes des violences, pourraient enfin espérer une accalmie, bien que la mise en œuvre d’un tel accord reste incertaine face aux rivalités historiques et aux intérêts économiques en jeu.
Possible récupération de ses biens confisqués
Au-delà d’un éventuel gain politique, Corneille Nangaa pourrait d’abord militer pour la récupération de ses innombrables biens dont la majorité ont été confisqués par la justice. Il s’agit de plusieurs villas situées sur le Boulevard Tshatshi à Gombe ou à Ma Campagne (Ngaliema), des concessions et des appartements situés dans d’autres quartiers huppés de Kinshasa, y compris l’hôtel Castelo, sur Pince de Liège, à Gombe. Tous ces biens ont d’abord été mis en vente avant d’être placés finalement sous la responsabilité du ministère de la Justice.
Une source encore non authentifiée évoque une « note confidentielle » transmise par Corneille Nangaa au ministre des Affaires étrangères rwandais, Olivier Nduhungirehe, en prévision de la signature d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda aux États-Unis. Corneille Nangaa voudrait savoir le sort qui lui est réservé dans ces discussions interétatiques. Cette note porterait notamment sur la récupération de ses biens et l’abandon des charges judiciaires qui pèsent sur lui.
Nangaa, le basculement de la vie d’un technocrate
Né en 1970 à Bagboya, dans la province du Haut-Uele, Corneille Nangaa Yobeluo a eu une trajectoire politique insoupçonnée. Le basculement vers l’extrême est arrivé en décembre 2023, lorsqu’il annonce la création de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) depuis Nairobi, au Kenya. « Tout le monde est un peu pris de court : on a connu le Corneille Nangaa expert électoral, le Corneille Nangaa opposant politique, on découvre aujourd’hui le Corneille Nangaa rebelle, même s’il réfute l’usage de ce terme et préfère se présenter comme un “révolutionnaire” », rappelle Jeune Afrique dans un décryptage vidéo consacré à cet homme politique proche de Joseph Kabila.
Ce technocrate formé à la faculté de l’économie de l’Université de Kinshasa a joué un rôle dans l’organisation des élections de 2018, marquées par de multiples accusations de fraude, faisant de lui déjà une figure controversée. C’est au terme de ces élections qu’il se rapproche du nouveau président élu, Félix Tshisekedi, dont il devient un allié éphémère avant de se retourner contre lui.
En sa qualité de président de la CENI, Corneille Nangaa avait proclamé M. Tshisekedi vainqueur de cette présidentielle. La page électorale tournée, l’homme s’attendait visiblement à plus de récompense de la part du successeur de Joseph Kabila. La raison : il se vante d’avoir été dans les secrets des dieux au moment de la signature d’un « deal » entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Ce dernier aurait été préféré à Martin Fayulu supposé vrai vainqueur de la présidentielle mais qui ne présentait aucune garantie de sécurité pour le régime sortant. Depuis Goma, Nangaa a confirmé qu’il y a bien eu un accord entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur. D’ailleurs, il ne cessait de le répéter depuis son départ du pays pour l’exil. « Monsieur Tshisekedi devrait se regarder dans un miroir avant de parler de l’accord qui le lie à son prédécesseur. Il s’agit d’un acte d’État qui ne peut être remis en cause par des simples sautes d’humeur. En politique, nier sa signature est extrêmement dangereux. Tout ce que je déplore, c’est cette superficialité avec laquelle le président Tshisekedi répond de ses engagements », avait-il expliqué avant de formaliser sa rébellion en décembre 2023. Une frustration qui démontre qu’il a rejoint la rébellion du M23 pour se venger d’un « deal » non respecté.
Nangaa et son rêve de remplacer Tshisekedi
Après avoir été séduit par l’avancée fulgurante du M23 dans les Kivu, menaçant la ville de Kisangani, Corneille Nangaa ne faisait plus mystère de son rêve : atteindre Kinshasa et détruire le « monstre » qu’il aurait lui-même créé. Galvanisé par des thuriféraires comme Henry Magie Walifetu – membre du PPRD de Joseph Kabila ayant rejoint également la rébellion – Corneille Nangaa pensait déjà prendre le pouvoir à Kinshasa. Ce rêve est en passe de tomber à l’eau après les discussions entamées entre la RDC et le Rwanda à Washington, aux États-Unis. Le pays de « Mille collines », qui a été le principal artificier dans cette crise qui embrase l’Est de la RDC, pourrait tourner le dos à Nangaa, un allié de circonstance pour Kigali. Voir le Rwanda conclure un accord de paix avec la RDC, autour du 2 mai prochain, constitue la fin d’un soutien politique et militaire à l’AFC/M23. Et, peut-être, la fin d’un rêve. Félix Tshisekedi, qui a finalement tendu la main aux rebelles, restera aux commandes de ce pays-continent encore pendant 3 ans et 7 mois. Sauf un coup de théâtre contre la République !
Les motivations de Nangaa et les conséquences possibles
Les motivations de Corneille Nangaa semblent multiples. Elles pourraient mêler des ambitions politiques personnelles à un désir de revanche contre Félix Tshisekedi, qu’il accuse d’avoir trahi un accord passé et de lui avoir pris ses carrés miniers. Certains observateurs estiment également que Nangaa chercherait à défendre les intérêts de ses partisans au sein de l’AFC, dans un contexte où sa condamnation à mort limite ses options. Ses actions, notamment son rejet des négociations de paix, pourraient prolonger les violences dans l’Est de la RDC et compliquer les efforts de stabilisation. Cependant, si les pourparlers aboutissent et que le Rwanda retire son soutien, Nangaa risque de se retrouver isolé, fragilisant davantage son mouvement et ses aspirations.
Heshima
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Jean-Marc Kabund : entre tactique politique, audace et précipitation…
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2 jours agoon
avril 29, 2025By
La redaction
Dans l’arène tumultueuse de la politique congolaise, Jean-Marc Kabund s’impose comme un électron libre, une figure inclassable, à la fois stratège, franc-tireur et provocateur. Tantôt homme d’appareil, tantôt opposant virulent, son parcours épouse les contradictions d’un pays miné par les trahisons, les ambitions et les ruptures. À 44 ans, ce natif de Lubumbashi a démarré sa carrière politique au sein de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), dont il fut l’un des piliers avant d’en devenir l’un des plus farouches critiques.
De son engagement précoce dans l’opposition à sa rupture fracassante avec Félix Tshisekedi, en passant par la prison, la création de son propre parti et son retour dans le paysage politique en 2025, Kabund incarne une certaine idée du militantisme congolais : rugueux, inflexible, et profondément enraciné dans la colère populaire. Son tempérament fougueux, parfois à la limite de l’impulsivité, a forgé sa légende autant qu’il a alimenté ses déboires. De son comportement, comme où il trouait les pneus de véhicules roulant à contre-sens ou lorsqu’il défié la sécurité de la sœur de Félix Tshisekedi dont le véhicule rouler à contre-sens, illustrent un homme prêt à tout pour faire respecter ses principes.
Aux racines de la dissidence : la jeunesse d’un insurgé
Jean-Marc Kabund est né le 3 février 1981 à Lubumbashi, au Katanga, dans un Congo encore dominé par le régime autoritaire de Mobutu Sese Seko. Enfant d’un pays à genoux, il grandit dans une société étouffée par la répression et marquée par la débâcle économique. Il entame des études supérieures à l’Université de Lubumbashi, où il se forme en droit, tout en étant attiré par le discours de contestation porté par Étienne Tshisekedi.
En 2003, alors que la transition post-guerre peine à stabiliser le pays, Kabund s’engage dans l’UDPS. À 22 ans, il choisit le chemin de l’opposition radicale. Très vite, il devient l’un des animateurs les plus visibles des mobilisations contre les fraudes électorales et les violences d’État. Son style direct, son énergie et son langage populaire séduisent la base. « C’était un garçon têtu, mais brave. Il osait ce que beaucoup refusaient de faire », se souvient un ancien militant de l’UDPS à Matete.
L’homme fort de l’appareil UDPS
L’année 2016 marque un tournant. À la faveur de luttes intestines, Kabund est nommé Secrétaire Général de l’UDPS, en remplacement de Bruno Mavungu. À ce poste stratégique, il s’impose comme le maître d’œuvre de la réorganisation du parti. Lorsque Étienne Tshisekedi décède en février 2017, Kabund prend les rênes de la formation en tant que président intérimaire. C’est lui qui orchestre l’arrivée de Félix Tshisekedi à la tête du parti, non sans tensions.
« Il a verrouillé toutes les structures pour faire place nette autour de Félix », confie un ancien cadre du parti. La base le suit, les adversaires internes sont marginalisés. Mais derrière cette loyauté affichée, un ressentiment s’installe. Kabund ne supporte pas d’être relégué à un rôle secondaire alors qu’il estime avoir façonné l’ascension du président. En 2018, il est élu député national pour la circonscription de Mont-Amba à Kinshasa et devient premier vice-président de l’Assemblée nationale, consolidant sa stature politique.
L’ultimatum qui changea tout
Novembre 2018 restera comme le mois où Jean-Marc Kabund redéfinit les règles du jeu politique. Alors que Genève s’apprêtait à sceller l’unité de l’opposition autour de Martin Fayulu, le secrétaire général de l’UDPS lance un coup de tonnerre. Son discours en lingala, martelé dans les rues de Limete, résonne comme une déclaration de guerre contre les accords conclus sans la base. L’ultimatum donné à son président de parti Félix Tshisekedi révèle un Kabund à la fois arrogant, visionnaire et intraitable, capable de sacrifier l’unité de l’opposition sur l’autel de l’ambition partisane. Ce coup de force, s’il offre la présidence à son camp, scelle aussi les divisions qui affaibliront durablement les adversaires de Tshisekedi.
Face à la pression, Félix Tshisekedi se désolidarise de l’accord de Genève. La candidature commune de l’opposition vole en éclats. Kabund assume : « C’était le prix à payer pour préserver notre identité. » Mais le coup est rude pour la cohésion de l’opposition. Martin Fayulu accuse l’UDPS de « trahison historique », et Moïse Katumbi ne cache pas son amertume. Pour beaucoup, Kabund a privilégié la victoire de son camp au détriment d’une transition inclusive.
La coalition FCC-CACH : un mariage sans amour
Après l’investiture de Félix Tshisekedi, un accord est scellé avec le Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. Un pacte de gouvernance imposé par la réalité parlementaire, mais que Kabund n’a jamais digéré. Il qualifie le gouvernement issu de cette coalition de « FCC déguisé », dénonçant une mainmise persistante de Kabila sur les institutions. Dans un élan provocateur, il déclare publiquement que son parti pourrait « pousser Kabila à l’exil et que ce dernier traverserait le fleuve Congo à la nage en direction de Congo Brazzaville » et menaçant de fouiller le passé des dirigeants de l’ancien régime et exposer leurs manœuvres, une menace qui illustre son style combatif.
À Kikwit, en novembre 2020, il explose : « La coalition FCC-CACH se conjugue désormais au passé. Le Congo ne peut plus être l’otage d’un ancien président. » Sa déclaration précède la rupture officielle et les consultations qui mèneront à la création de l’Union sacrée. Une nouvelle fois, Kabund prend de vitesse le chef de l’État. « Il parle sans consulter, comme s’il était co-président », ironise Bertin Mubonzi, cadre de l’UNC. Mais sur le terrain, la base l’applaudit. Kabund a capté le ras-le-bol d’un peuple exaspéré par la paralysie institutionnelle.
Destitution du Palais du peuple : le revers
En mai 2020, Kabund est destitué de son poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale, un revers majeur orchestré par le FCC. La destitution est précipitée par un SMS envoyé à un proche de Kabila, dans lequel Kabund critique une parade politique de l’ancien président le 28 avril, perçue comme une tentative d’éclipser Tshisekedi. Irrité, Kabila ordonne aux parlementaires FCC de voter pour son éviction, effective le 25 mai 2020. Malgré les protestations de ses partisans, cette décision marque un tournant, révélant les tensions au sein de la coalition et l’isolement croissant de Kabund.
Jeanine Mabunda : la revanche au Palais du peuple
En décembre 2020, Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale et figure du FCC, est destituée à la suite d’une pétition soutenue par Kabund. C’est une manœuvre savamment orchestrée, perçue comme une revanche personnelle après sa propre éviction. « Il a fait de cette destitution un combat personnel », commente un député de l’opposition. Pour ses partisans, c’est une démonstration de force : Kabund, même affaibli, a réussi à faire tomber l’un des piliers de Kabila. Cette victoire renforce son aura, mais nourrit aussi l’image d’un homme vindicatif, prêt à défier quiconque se dresse sur son chemin.
La rupture : de fidèle à ennemi du régime
En 2022, le fossé avec Tshisekedi devient infranchissable. Kabund s’en prend directement au chef de l’État, l’accusant d’« incompétence notoire » et de « dérive monarchique ». Il fustige la taxe RAM comme un racket d’État, dénonce les nominations fondées sur le tribalisme et pointe du doigt l’enrichissement de certains proches du président. Il va jusqu’à qualifier Tshisekedi de « danger pour l’État » lors du lancement de son parti, l’Alliance pour le Changement, en juillet 2022.
Son exclusion de l’UDPS, actée en février 2022, résulte de ces critiques et de désaccords stratégiques. Kabund, frustré par son rôle secondaire et par la direction du parti, choisit de rompre avec son camp historique, une décision perçue comme une trahison par certains cadres. Le 19 juillet 2022, il annonce la création de l’Alliance pour le Changement, une formation destinée à incarner « l’alternative éthique ». Dans les jours qui suivent, il est arrêté, poursuivi pour outrage au chef de l’État, et condamné à sept ans de prison en septembre 2023. Pour Amnesty International, il s’agit d’un « cas manifeste d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ».
Une détention qui cristallise
À Makala, Kabund devient une figure de l’opposition incarcérée. Pour ses partisans, il est un prisonnier politique ; pour ses détracteurs, un pyromane en quête de revanche. « Il a franchi la ligne rouge. Quand on touche au sommet, il faut s’attendre à la foudre », commente un ancien conseiller présidentiel. Son absence est un coup dur pour son jeune parti, qui peine à s’organiser. Mais son image ne s’éteint pas. Sur les réseaux sociaux, ses discours circulent, ses anciens propos sont cités, ses portraits brandis dans les manifestations estudiantines.
Le retour en politique : offensive d’un rescapé
Le 21 février 2025, Kabund est libéré, probablement grâce à une grâce présidentielle négociée discrètement. Mais il ne fait aucune concession. Depuis sa résidence de Limete, il déclare : « Le peuple congolais mérite autre chose que la misère, la guerre et le clientélisme. Ce régime a trahi l’espoir. » Il accuse Tshisekedi de favoriser un système tribal, critique les accords miniers signés avec les puissances étrangères, et réclame le retour en RDC de figures exilées. « Il parle comme en 2006. Il n’a pas changé. C’est sa force, mais aussi sa limite », analyse un professeur de sciences politiques à l’Université de Kinshasa.
Un opposant aux marges, mais influent
Aujourd’hui, Kabund évolue en marge des grandes coalitions. Ni membre de Lamuka, ni allié de Moïse Katumbi, il reste seul, un choix stratégique pour incarner une rupture totale. « Il ne croit plus aux compromis », estime un cadre de son parti. Ses messages sur le réseau social X sont massivement partagés, surtout parmi les jeunes diplômés au chômage et les vendeurs du secteur informel. Ses critiques sur l’inefficacité du pouvoir en Ituri et au Nord-Kivu, sur la dollarisation de l’économie ou sur la dépendance aux bailleurs des fonds trouvent un écho dans les couches populaires. Cependant, son discours reste flou sur des questions clés comme la réforme foncière, la fiscalité ou la politique régionale.
Un avenir suspendu entre éclat et isolement
À 44 ans, Jean-Marc Kabund est à la croisée des chemins. Il peut devenir l’un des leaders de l’opposition post-Tshisekedi, à condition de structurer son parti, de nouer des alliances et de se départir de sa posture solitaire. À défaut, il risque de rester une voix isolée, certes puissante, mais sans ancrage électoral. Son défi est clair : transformer la colère qu’il canalise en projet politique crédible. Sa capacité à mobiliser, à parler vrai, à incarner une rupture est réelle. Mais sans appareil solide, sans discours de gouvernance, il pourrait rester cantonné à la contestation. « Kabund est un homme de conviction, mais la politique est aussi un art d’équilibre », note un observateur de l’Union africaine.
Le paradoxe Kabund
Jean-Marc Kabund incarne les tensions d’une démocratie congolaise inachevée. Fidèle à son engagement, mais inflexible. Proche du peuple, mais isolé du pouvoir. Héros pour les uns, provocateur pour les autres, il demeure une pièce maîtresse de l’échiquier politique. Son histoire, marquée par la loyauté, la trahison, le pouvoir, la prison, la gloire et l’oubli, reste celle d’un homme qui a défié les conventions, parfois à ses dépens. À lui maintenant de prouver qu’il peut transcender le rôle de tribun pour devenir une alternative politique solide. Dans un pays où la stabilité reste fragile, sa trajectoire pourrait bien, une fois encore, rebattre les cartes.
Heshima
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Accord RDC-Rwanda : l’opposition craint une perte de souveraineté économique du pays
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3 jours agoon
avril 28, 2025By
La redaction
Après la « déclaration de principes » signée le 25 avril 2025, à Washington, entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, les réactions ne sont pas toujours positives au pays de Lumumba. Une partie de l’opposition craint une cogestion des richesses congolaises avec le Rwanda sous l’égide des Américains. Certains n’hésitent pas à rappeler la position de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, sur le partage des richesses de la RDC avec le Rwanda.
La « déclaration de principes » signée par les deux ministres des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner de la RDC et Olivier Nduhungirehe du Rwanda, contient un certain nombre de points qui donnent un aperçu sur ce que pourrait être le futur accord de paix dont l’ébauche est attendue avant le 2 mai. Dans la déclaration, il est précisé que les participants (RDC et Rwanda) reconnaissent mutuellement leur souveraineté et leur intégrité territoriale respectives et s’engagent à trouver une solution pacifique à leurs différends, fondée sur la diplomatie et la négociation, plutôt que sur la force hostile. Cette déclaration pose également les bases en reconnaissant les frontières territoriales établies et s’engagent à s’abstenir de tout acte ou discours menaçant ou remettant en question leur validité. Mais la plus grande inquiétude des Congolais se situe au niveau des engagements économiques.
Crainte d’une cogestion des richesses
Les deux pays conviennent de promouvoir l’intégration économique régionale notamment dans la gestion des parcs, des ressources minérales et dans le secteur de l’hydroélectricité. C’est ce volet économique qui fait craindre une cogestion des richesses congolaises avec le Rwanda. Ce qui fait bondir Prince Epenge, porte-parole de la coalition LAMUKA de l’opposant Martin Fayulu. « L’histoire retiendra que, pour survivre politiquement, Félix Tshisekedi a accepté d’hypothéquer les minerais, les parcs, les lacs, les gaz, l’or et les terres du Congo, tout cela en 6 ans d’un pouvoir mal acquis. », a-t-il dénoncé. Cet opposant s’est dit favorable au dialogue pour la paix avec le Rwanda mais s’oppose à « la cogestion du Congo ». Pour lui, Kagame a obtenu dans la « déclaration de principes » de Washington ce qu’il n’a pas pu obtenir par les armes au front. « Toutes les sociétés américaines qui viendront, s’installeront au Rwanda, où elles vont créer des emplois, et la RDC deviendra un gros trou d’où l’on extraira les matières premières ! Le peuple doit se lever, car le Congo, terre d’avenir, est menacé », a-t-il lancé.
Pessimisme sur une stabilité pérenne
D’autres Congolais perçoivent dans cet accord de paix en gestation les germes d’une instabilité future. « La signature de cet accord de principes semble plutôt susciter des inquiétudes qu’elle ne rassure quant à l’éventualité d’une paix durable. », a analysé le Professeur Martin Ziakwau, chercheur sur les dynamiques sécuritaires dans l’Est de la RDC. Pour ce professeur à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC), les bases sur lesquelles repose cet accord ne seraient pas établies de manière à garantir une stabilité pérenne, comme l’aspire le gouvernement congolais. Il en veut pour preuve l’insertion du Rwanda dans l’accord économique entre la RDC et Washington. « Il apparaît, en effet, que les USA retourneraient contre la RDC la proposition de compromis sur les minerais que le gouvernement congolais leur a soumise. Ce, en ouvrant une fenêtre propice à des avantages pour le Rwanda, pays agresseur, qui, du reste, n’a pas été sanctionné, ayant une longueur d’avance en matière notamment de sécurité juridique des investissements étrangers et de lutte contre la corruption pour capter plus d’investissements américains dans le cadre de cet accord. », explique ce professeur.
Un débat au Parlement souhaité
Pour préserver la souveraineté économique du pays, Martin Ziakwau recommande un débat au parlement en vue d’examiner attentivement les subtilités de cet accord pour réduire le risque d’une paix illusoire. « Il est prudent que le gouvernement congolais intègre, dans l’accord en gestation, une clause stipulant la nécessité de ratification, afin de favoriser un débat au sein du Parlement. Une telle démarche garantirait non seulement la transparence, mais aussi l’implication des représentants du peuple dans un processus décisionnel crucial pour l’avenir du pays », a-t-il suggéré.
De son côté, le prix Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege, a exprimé des inquiétudes quant à un accord qui pourrait privilégier des intérêts économiques étrangers plutôt que la paix. Il exige la transparence dans les processus de Doha et la facilitation américaine en cours pour éviter les manœuvres « dictées par des intérêts économiques et financiers étrangers » en RDC.
Washington veut des résultats gagnant-gagnant
Le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, qui a parrainé la signature de la déclaration de principes entre la RDC et le Rwanda, évoque des « engagements sérieux » pris par les deux pays. Washington affirme vouloir accompagner ce processus et renforcer ses partenariats avec les deux pays. « Ce sont des engagements sérieux de part et d’autre », a déclaré Marco Rubio, soulignant que les États-Unis souhaitent « favoriser des résultats gagnant-gagnant pour tous ». Le président américain Donald Trump a revendiqué, le 25 avril, sur les réseaux sociaux, son implication dans les récentes avancées diplomatiques entre la RDC et le Rwanda. Trump a salué une étape majeure dans la quête de la paix dans la région, affirmant y avoir contribué activement. « De grandes nouvelles nous parviennent d’Afrique, où je suis également impliqué dans la résolution de guerres et de conflits violents », a-t-il écrit dans un message publié sur sa plateforme Truth Social. Malgré ces assurances, une partie de l’opposition congolaise craint la perte partielle de la souveraineté économique du pays sur ses minerais, parcs nationaux, gaz et lacs. Une inquiétude que le gouvernement devrait prendre en compte dans la finalisation de l’accord de paix en cours d’élaboration avant le 2 mai.
Heshima
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