La République démocratique du Congo (RDC) célèbre, ce 30 juin 2025, 65 ans de son indépendance. Cet anniversaire intervient trois jours après la signature, à Washington DC, d’un important accord de paix entre Kinshasa et Kigali pour tenter de mettre fin aux violences armées qui durent depuis 30 ans dans l’Est du pays. Cet accord pourrait-il marquer un tournant décisif dans la résolution du conflit ? Décryptage.
De 1960 à 2025, la RDC a connu des avancées, comme des réformes institutionnelles ou des périodes de croissance économique, mais aussi de profondes régressions, marquées par des crises politiques et des conflits armés dans plusieurs secteurs : politique, économique, sociale, sécuritaire et géopolitique. De Joseph Kasa-Vubu à Félix Tshisekedi, en passant par Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila, le pays a connu plusieurs insurrections. Mais l’instabilité sécuritaire s’est aggravée au lendemain du génocide rwandais de 1994. Depuis le milieu des années 1990, l’Est de la RDC est marqué par des conflits armés successifs, menés par des groupes comme l’AFDL (1996-1997), le RCD (1998-2003), le MLC (1998-2003), le CNDP (2006-2009) et le M23 (2012-2013 et depuis 2021).
Dans ce pays aux dimensions continentales, Joseph Kasa-Vubu et Lumumba ont fait face à des sécessions (Katanga et le Sud Kasaï), plus tard, le président Mobutu fera face à la rébellion de Pierre Mulele ainsi que de Laurent-Désiré Kabila. Quand ce dernier devient président de la République, il fera face non seulement à des multiples insurrections (RCD, MLC, RCD-KML) mais aussi à une guerre d’agression rwandaise, burundaise et ougandaise en 1998. Son fils, Joseph Kabila, sera confronté au CNDP de Laurent Nkunda, puis le M23 en 2012-2013. A son tour, Félix Tshisekedi est également confronté à une agression rwandaise déguisée en rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition incluant le M23, soutenue par le Rwanda.
Malgré les ingérences étrangères et toutes ces rébellions, la RDC a résisté à de nombreuses tentatives de balkanisation. Amputé de ses deux capitales provinciales (Goma et Bukavu) depuis plus de cinq mois par la rébellion de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) soutenue par le Rwanda, le pays est – 65 ans après – à la croisée des chemins pour tenter de refaire encore son unité. L’accord de paix signé le 27 juin 2025 à Washington DC, sous la médiation américaine, pourrait être un début de solution à ces 30 années de violence.
L’Accord signé est-il différent des autres traités avec le Rwanda ?
Le texte signé à Washington énonce le respect de l’intégrité territoriale de deux pays, la RDC et le Rwanda, il prévoit l’arrêt des hostilités, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés, ainsi qu’un mécanisme conjoint de coordination en matière de sécurité. Mais l’élément central de l’accord est le retrait des troupes rwandaises du sol congolais, un point particulièrement sensible. En effet, les rebelles de l’AFC/M23 n’ont pas agi seuls dans la conquête du vaste espace congolais qu’ils occupent actuellement dans les provinces du Nord et Sud-Kivu. Ils ont bénéficié du commandement, appui logistique et en hommes de l’armée rwandaise selon un rapport des experts des Nations unies publié en 2024. L’accord prévoit donc le retrait ou le désengagement de ces troupes rwandaises du sol congolais. Mais ce retrait devrait se faire concomitamment avec la neutralisation par le gouvernement congolais des rebelles des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) formées par d’anciens responsables du génocide rwandais après 1994, présentes dans l’Est de la RDC depuis les années 1990. Kigali considère ce mouvement créé par d’anciens génocidaires comme une menace « existentielle » à la sécurité du Rwanda.
L’accord prévoit aussi une coopération autour des richesses naturelles, notamment la gestion des parcs nationaux et des ressources transfrontalières. Dans l’ensemble, ce document a repris des points classiques que Kinshasa et Kigali revendiquent souvent. Mais la seule nouveauté, c’est l’implication active des Etats-Unis comme médiateurs de dernière minute dans cette crise. Peut-être que cela pourrait aider enfin à la mise en œuvre de cet accord. C’est le seul point de différence avec les accords signés précédemment, notamment l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour la paix en RDC et dans la région des Grands Lacs.
Le gouvernement trouvera-t-il les FDLR à neutraliser ?
Dans ce document, l’engagement pris par le gouvernement congolais de neutraliser les rebelles des FDLR représente un défi majeur. Le premier couac pourrait venir de cette incise qui est d’ailleurs liée au désengagement des forces rwandaises du sol congolais. Les deux séquences sont liées, ce qui met un coup de pression sur le gouvernement congolais pour mettre rapidement la main sur les FDLR.
Mais le problème, c’est que la zone de localisation de ces rebelles est celle occupée actuellement par l’armée rwandaise et les rebelles de l’AFC/M23. Pourquoi n’ont-ils pas eux-mêmes neutralisé ces rebelles ? En acceptant ce pari, le gouvernement congolais va-t-il trouver cette force résiduelle dans quel autre coin du pays ? Dans le Maniema ou dans le Kasaï ? Le quartier général des FDLR étant souvent à Rutshuru ou à Masisi, deux territoires congolais actuellement sous contrôle de l’armée rwandaise et des rebelles du M23.
L’autre incertitude, c’est que depuis 20 ans la lutte contre les FDLR n’a jamais définitivement abouti malgré les opérations conjointes menées avec l’armée rwandaise notamment dans l’opération « Kimia II » en 2005 et « Amani leo » en 2009. Sous Félix Tshisekedi en 2020, l’armée a remis au Rwanda des centaines des FLDR et leurs dépendants. Certaines affirmations qui ne sont pas sourcées, certains rebelles des FDLR capturés et extradés vers le Rwanda sont revenus sur le sol congolais. Cet engagement visant à neutraliser les FDLR pourrait donc être une épine sous le pied du gouvernement. Il risque de se transformer en opération conjointe entre les armées congolaise et rwandaise. Outre les défis liés aux FDLR, l’accord de paix a également des répercussions sur les acteurs locaux, notamment Corneille Nangaa, leader de l’AFC/M23.
Conquête de Kinshasa, Corneille Nangaa abdique ?
Après la signature de l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali, le coordonnateur de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23), Corneille Nangaa a été obligé de changer de langage. L’homme qui rêvait de « défaire le monstre » (Félix Tshisekedi) qu’il disait avoir lui-même créé, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) semble perdre cette ambition. Dans une allocution à l’occasion du 30 juin, fête de l’indépendance, Corneille Nangaa a quasiment renié cet agenda subversif en affirmant que son mouvement ne poursuivait ni la gloire ni le pouvoir. « Nous ne poursuivons ni la gloire, ni le pouvoir : notre engagement vise à sortir la RDC du cycle d’insécurité, de pauvreté, d’exclusion, de discriminations, de médiocrité, de l’arbitraire, de la dictature et des injustices. Nous sommes un peuple debout, uni dans sa diversité, mû par la volonté de vivre ensemble dans la dignité », a-t-il déclaré.
En réalité, le M23 n’a jamais eu des revendications de nature à renverser le pouvoir à Kinshasa. Corneille Nangaa semblait plutôt se servir de ce mouvement pour assouvir sa soif de vageance politique contre Félix Tshisekedi après la rupture des liens politiques entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Selon une analyse de François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique, publiée en 2024, « dans le jeu de Kigali, Joseph Kabila apparaît comme une carte pour faire pression sur Félix Tshisekedi, rien de plus. »
D’après Pierre Boisselet, directeur du pilier violence de l’institut congolais Ebuteli, si le Rwanda retire son soutien à l’AFC/M23, rien ne prouve la capacité de cette rébellion à défaire les FARDC malgré le recrutement et la formation en cours des nouveaux combattants. « Lors de toutes les campagnes qui ont permis de gagner du territoire, c’était, à priori, toute l’armée rwandaise qui était en première ligne. Donc, le M23 n’a pas forcément non plus démontré sa capacité à soutenir un conflit contre les FARDC », a-t-il analysé sur les antennes de RFI.
Avec cet accord de paix signé à Washington, il pourrait être de plus en plus difficile pour Nangaa ou Kabila de réaliser la chute du régime Tshisekedi. Mais cela n’est pas non plus un gage de retour de la paix dans l’ensemble du pays. Il faudrait maintenant pointer le curseur sur Doha, au Qatar, pour régler la question de l’AFC/M23 et projeter – peut-être – l’organisation d’un dialogue national au pays avec l’initiative de la CENCO-ECC.
Cet accord de paix obtenu avec une grande implication des Etats-Unis – un médiateur qui a les moyens de faire pression sur Kigali et Kinshasa – cela peut être un élément majeur dans le début de la résolution de cette crise qui date. « Mais pour que l’accord se concrétise sur le terrain, il faudra que la pression américaine soit maximale, et surtout, s’inscrive dans la durée. La paix ne reviendra pas d’un coup de baguette magique, car les difficultés ne manquent pas pour mettre fin à une guerre de 30 ans », estime le journaliste français Christophe Rigaud.
L’accord de Washington représente une opportunité historique pour la RDC, mais sa réussite dépendra de la volonté politique, de la pression internationale et d’une stratégie globale pour désarmer les groupes armés, réintégrer les ex-combattants et promouvoir un dialogue national inclusif.
Heshima