Nation
Entre foi et pouvoir : l’Église catholique peut-elle encore être la conscience du Congo ?
Published
6 mois agoon
By
La redaction
C’est un après-midi étouffant à Kinshasa lorsque le cardinal Fridolin Ambongo monte en chaire. La congrégation de la cathédrale Notre-Dame du Congo est suspendue à ses lèvres alors qu’il livre une critique cinglante de la gestion des récentes élections par le gouvernement. « La voix du peuple est étouffée », déclare-t-il, sa voix résonnant dans les halls sacrés. À l’extérieur, la tension est palpable ; des rumeurs de manifestations et de contre-manifestations emplissent l’air. Cette scène incarne le double rôle de l’Église catholique en République démocratique du Congo (RDC) : guide spirituel et force politique.
Depuis des siècles, l’Église est tissée dans le tissu de la société congolaise. Des écoles missionnaires qui éduquent des générations aux efforts humanitaires dans les régions déchirées par la guerre, son influence est indéniable. Pourtant, son implication dans la politique est une arme à double tranchant, suscitant à la fois louanges et critiques. Des figures comme Joseph Malula, qui défend l’africanisation, et Laurent Monsengwo, qui s’oppose à l’autoritarisme, laissent des marques indélébiles dans l’histoire du pays. Aujourd’hui, alors que l’Église navigue dans les eaux tumultueuses de la politique congolaise, elle fait face à de nouveaux défis et à d’anciens adversaires.
En 2024, l’appel de l’Église à une enquête sur les irrégularités électorales suscite l’indignation des jeunes de l’UDPS, qui menacent de s’en prendre aux symboles catholiques en représailles. Cet incident n’est que le dernier d’une série de confrontations qui mettent en lumière la relation tendue entre foi et pouvoir en RDC. Alors que la nation lutte avec des questions de justice et de gouvernance, une question demeure : l’Église catholique peut-elle encore être la conscience morale du Congo ?
Un pilier historique dans un État fragile
L’histoire de l’Église catholique en RDC remonte à la fin du XVe siècle, lorsque les missionnaires portugais convertissent le roi Nzinga Nkuvu du Royaume du Kongo. Cependant, c’est sous la colonisation belge, au XIXe siècle, que l’Église s’implante solidement, développant un réseau d’écoles, d’hôpitaux et de paroisses qui deviennent des relais essentiels du pouvoir colonial. Selon certains observateurs, 70 % des élites congolaises avant l’indépendance en 1960 sont formées dans des écoles catholiques. Ce rôle éducatif renforce son influence, mais inscrit également l’Église dans une dynamique paternaliste, souvent au détriment des traditions locales.
Après l’indépendance, l’Église se repositionne comme un contre-pouvoir face aux régimes autoritaires. Dans les années 1970, elle résiste à la politique d’« authenticité » de Mobutu Sese Seko, qui cherche à nationaliser les écoles catholiques et à interdire les prénoms chrétiens. Dans les années 1990, elle joue un rôle clé dans la Conférence Nationale Souveraine (CNS), visant à démocratiser le pays. Aujourd’hui, elle gère plus de 10 000 écoles et de nombreux centres de santé, selon la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO). Dans les zones de conflit comme le Nord-Kivu, elle soutient des millions de déplacés via des organisations comme Caritas Congo.
Un rôle politique ambivalent
Le rôle politique de l’Église est à double tranchant. Elle dénonce souvent les abus, mais ses liens avec les élites politiques suscitent des inquiétudes. En 2016, la CENCO négocie l’Accord de la Saint-Sylvestre pour apaiser les tensions électorales, mais seulement 60 % de ses clauses sont appliquées, selon Transparency International. En 2023, ses 25 000 observateurs électoraux sont salués, mais critiqués par le pouvoir pour partialité. Cette ambivalence alimente les tensions, marquées par des manifestations contre l’Église, organisées par des militants proches du pouvoir.
En 2024, la demande de la CENCO pour une enquête indépendante sur les irrégularités des élections de décembre 2023 exacerbe les tensions avec l’UDPS, le parti au pouvoir. Des jeunes de l’UDPS menacent de s’en prendre aux symboles catholiques, un écho des attaques de 2021 contre la résidence du cardinal Ambongo. Ces incidents reflètent un schéma de confrontation où l’Église est perçue comme un défi à l’autorité de l’État.
Joseph Malula : Pionnier de l’africanisation

Joseph-Albert Malula, né le 12 décembre 1917 à Léopoldville (Kinshasa), grandit dans une famille modeste sous le régime colonial belge. Formé au petit séminaire de Bolongo et au grand séminaire de Kabwe, il est ordonné prêtre en 1946, devenant le premier curé noir de la paroisse Christ-Roi à Kinshasa, un symbole d’émancipation dans une Église dominée par les Européens. En 1964, il est nommé archevêque de Kinshasa, et en 1969, le pape Paul VI le fait cardinal, une première pour un Congolais, marquant l’émergence d’une voix africaine au Vatican. Malula se distingue par son charisme et sa vision d’une Église enracinée dans la culture congolaise, rejetant l’idée d’une foi importée.
Dès les années 1960, il plaide pour une liturgie adaptée aux réalités africaines, intégrant des éléments culturels comme les tambours, les danses et les langues locales, notamment le lingala. Ce projet culmine avec le rite zaïrois, approuvé par le Vatican en 1988 après des décennies de débats. « L’Évangile doit parler notre langue », déclare-t-il lors d’une homélie en 1970, citée dans le Dictionary of African Christian Biography. Il promeut l’utilisation de noms africains, en phase avec la politique d’« authenticité » de Mobutu, mais insiste sur l’autonomie de l’Église face à l’État. Il crée des centres de formation pour les catéchistes, renforçant l’évangélisation dans les zones rurales, et soutient l’éducation des laïcs, voyant dans l’instruction un levier d’émancipation. Son approche, bien que révolutionnaire, suscite des résistances : certains missionnaires européens y voient une déviation, tandis que des fidèles conservateurs craignent une perte des traditions catholiques universelles. Malula parvient néanmoins à imposer sa vision, faisant du rite zaïrois un modèle pour d’autres Églises africaines.
Au début du régime de Mobutu, Malula soutient l’idée d’une identité nationale forte, voyant dans l’« authenticité » une opportunité d’africaniser l’Église. Cependant, les tensions éclatent rapidement. En 1971, Mobutu exige que le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), son parti unique, contrôle les institutions religieuses, y compris les écoles catholiques. Malula s’y oppose, dénonçant une « politisation de la foi ». En 1972, après une homélie critiquant la répression des libertés, il est accusé de « schisme » et de « subversion ». Le régime lance une campagne de diffamation, le surnommant « cardinal diabolique » dans les médias d’État. Forcé à l’exil à Rome en avril 1972, Malula y reste près d’un an. Pendant son absence, le gouvernement saisit les biens de l’Église, ferme des écoles catholiques et interdit les réunions religieuses indépendantes. À Rome, Malula plaide la cause congolaise auprès du Vatican, publiant des lettres pastorales pour encourager les fidèles à résister pacifiquement. Son exil galvanise les catholiques, qui continuent de fréquenter les messes malgré les intimidations. En 1973, une médiation du Vatican permet son retour, mais il reste sous surveillance. Malula reprend son ministère, promouvant l’éducation et l’autonomie de l’Église, mais évite les confrontations directes avec Mobutu pour protéger les fidèles.
Dans les paroisses de Kinshasa, comme Christ-Roi, il est perçu comme un héros de la résistance culturelle. « Il défendait notre foi contre Mobutu », témoigne Marie Nzuzi, fidèle de 70 ans. Le rite zaïrois, avec ses messes animées, renforce sa popularité dans les zones rurales, où l’Église est souvent la seule institution présente. À Kisangani, des fidèles se souviennent des écoles qu’il fonde, offrant une éducation gratuite aux plus démunis. Cependant, dans les milieux proches du MPR, la propagande du régime le dépeint comme un traître. À Matadi, des rumeurs l’accusent d’être « vendu à Rome » et de freiner la modernisation du pays. En avril 1972, des militants du MPR organisent des marches à Kinshasa et Lubumbashi, dénonçant l’« ingérence cléricale » de Malula. Ces manifestations, rapportées par le New York Times, mobilisent des jeunes des quartiers populaires, mais sont largement orchestrées par le pouvoir. Les slogans comme « À bas l’Église coloniale ! » visent à discréditer Malula, mais ne reflètent pas un rejet populaire massif. Cette polarisation montre la tension entre l’Église et un régime cherchant à contrôler la société. À son retour en 1973, des foules l’accueillent à Kinshasa, signe d’un soutien populaire persistant, bien que certains critiquent son exil comme une « fuite ».
Malula meurt le 14 juin 1989 à Louvain, en Belgique. Son héritage perdure à travers le rite congolais, toujours pratiqué, et les institutions éducatives qu’il a développées. En 2010, le président Joseph Kabila le déclare « héros national », un geste perçu comme une tentative de réconciliation avec l’Église. Dans les campagnes, il reste une icône, mais à Kinshasa, certains jeunes urbains lui reprochent d’avoir cédé face à Mobutu après son retour. « Malula est un visionnaire, mais il n’a pas assez défié le pouvoir », commente Pierre Moke, chauffeur de taxi, dans un entretien avec Jeune Afrique. Son legs illustre le défi d’une Église cherchant à concilier foi et politique.
Cardinal Frédéric Etsou : Une conscience morale face à la tourmente politique

Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi, né le 3 décembre 1930 à Mazalaga, dans la province de l’Équateur, grandit dans une région rurale marquée par l’influence des missions catholiques. Issu d’une famille modeste, il est formé dès son enfance dans des écoles missionnaires, où il se distingue par son intelligence et sa piété. Il fréquente l’école primaire à la mission catholique de Boyange, puis le petit séminaire Notre-Dame-de-Grâces de Bolongo, avant de poursuivre ses études théologiques au grand séminaire de Kabwe. Ordonné prêtre en 1958 au sein de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CICM), il se consacre à l’évangélisation dans les zones rurales de l’Équateur. En 1977, il est nommé archevêque de Mbandaka-Bikoro, un diocèse vaste et difficile d’accès, où il développe des initiatives éducatives et sociales, gagnant le respect des communautés locales. En 1990, il devient archevêque de Kinshasa, une position stratégique dans la capitale politique et économique du pays. En 1991, le pape Jean-Paul II le crée cardinal, faisant de lui l’un des principaux représentants de l’Église congolaise sur la scène internationale. Etsou est reconnu pour son érudition, son charisme discret, et son engagement envers les pauvres, mais aussi pour son franc-parler face aux abus politiques, qui le place rapidement au cœur des tensions entre l’Église et l’État.
Le cardinal Etsou s’impose comme une voix morale dans un pays en proie à l’instabilité politique. Son ministère coïncide avec des périodes critiques : la fin du régime de Mobutu, la deuxième guerre du Congo (1998-2003), et la transition sous Joseph Kabila. Dès son arrivée à Kinshasa, il critique les dérives autoritaires et la corruption, s’inscrivant dans la tradition de l’Église comme contre-pouvoir. En 1999, lors d’une messe solennelle au stade des Martyrs, devant des milliers de fidèles, il appelle à « bannir le tribalisme et le régionalisme » pour reconstruire une nation unie, un message perçu comme une critique implicite du régime de Laurent-Désiré Kabila. Cette homélie, prononcée en présence de 300 prêtres et d’une dizaine d’évêques, renforce son image de leader spirituel engagé dans les questions sociales.
Son implication politique atteint un pic en 2006, lors des premières élections pluralistes depuis l’indépendance. Etsou, en tant qu’archevêque de Kinshasa, dénonce des irrégularités dans le processus électoral organisé par la Commission Électorale Indépendante (CEI), dirigée par l’abbé Apollinaire Malumalu. Il accuse la CEI de partialité en faveur de Joseph Kabila, suggérant que des « forces internationales » manipulent les résultats pour assurer sa victoire. Ses déclarations, relayées par Le Monde, sont interprétées comme un soutien implicite à l’opposant Jean-Pierre Bemba, ce qui divise l’opinion et l’Église elle-même. Etsou organise des messes pour appeler à la transparence, attirant des milliers de fidèles dans les paroisses de Kinshasa.
Les critiques d’Etsou en 2006 provoquent une vive réaction du gouvernement de Kabila. Les médias proches du pouvoir l’accusent de « s’immiscer dans les affaires politiques » et de « semer la discorde ». Malumalu, en tant que président de la CEI, qualifie les propos de « dangereux » et « irresponsables », arguant qu’ils risquent de déstabiliser un pays encore fragile après la guerre. Cette confrontation publique entre deux figures catholiques met en lumière les divisions au sein de l’Église. Le gouvernement exploite cette fracture pour discréditer l’Église, accusant Etsou de soutenir l’opposition et de favoriser Bemba, originaire de l’Équateur comme lui.
Sous Laurent-Désiré Kabila, Etsou a déjà des frictions avec le pouvoir. En 1998, il critique la répression des opposants et l’exploitation des ressources minières par des puissances étrangères, lui valant des menaces implicites. En 2006, ses accusations de fraude électorale amplifient ces tensions. Bien que le pouvoir n’ose pas l’attaquer directement, des campagnes médiatiques le dépeignent comme un « cardinal politicien ».
Etsou jouit d’un immense respect parmi les fidèles, particulièrement à Kinshasa, où il est vu comme une boussole morale. Ses critiques des élections de 2006 résonnent auprès des Congolais frustrés par les irrégularités. « Etsou dit la vérité : Kabila n’a pas gagné honnêtement », témoigne Esther Mbuyi, commerçante à Kinshasa. Ses messes attirent des foules, et dans l’Équateur, il est célébré pour ses écoles.
Etsou meurt le 6 janvier 2007 à Louvain, laissant un héritage complexe. Son courage en 2006 renforce l’image de l’Église comme gardienne de la justice. « Etsou est la voix des sans-voix », écrit Vatican News. « Etsou est un grand homme, mais il a créé des divisions », commente Grace Ntumba à Heshima Magazine.
Laurent Monsengwo Pasinya : Une voix contre l’autoritarisme

Né le 7 octobre 1939 à Mongobele, dans la province de Mai-Ndombe, Laurent Monsengwo Pasinya est issu d’une famille influente de l’ethnie Sakata. Éduqué dans des écoles missionnaires, il excelle académiquement. Il entre au séminaire de Kabwe, puis obtient un doctorat en théologie biblique à l’Institut Biblique Pontifical de Rome en 1971, devenant le premier Africain à recevoir cette distinction. Ordonné prêtre en 1963, il est nommé évêque auxiliaire d’Inongo en 1980, archevêque de Kisangani en 1988, archevêque de Kinshasa en 2007, et cardinal en 2010. Sa réputation de théologien et de médiateur le propulse sur la scène internationale.
Monsengwo se distingue sous Mobutu par son opposition aux dérives autoritaires. En 1991, il préside la Conférence Nationale Souveraine (CNS), une assemblée visant à démocratiser le pays. La CNS propose des réformes, mais Mobutu suspend ses travaux. En février 1992, l’Église organise une « marche des chrétiens » à Kinshasa pour exiger la réouverture de la CNS. Cette manifestation, réunissant des milliers de fidèles, est réprimée dans le sang : les forces de sécurité tuent entre 13 et 32 personnes, selon les estimations rapportées par plusieurs médias. Monsengwo condamne ce « massacre » dans une lettre pastorale, qualifiant le régime de « tyrannique ». Mobutu l’accuse de « propos injurieux », mais n’ose pas l’arrêter, craignant une révolte populaire. Cet épisode renforce l’image de l’Église comme rempart contre l’oppression, mais expose les fidèles à des représailles.
Sous Laurent-Désiré Kabila, Monsengwo dénonce la concentration du pouvoir. Pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), il critique l’occupation de Kisangani par les troupes rwandaises, appelant à une juridiction internationale. Avec Joseph Kabila, il rejette les résultats des élections de 2011, entachées de fraudes, et en 2017, appelle à chasser « les médiocres » du pouvoir, un slogan repris par les mouvements citoyens. En 2016, il contribue à l’Accord de la Saint-Sylvestre, sous la supervision de la CENCO.
Monsengwo est largement admiré, surtout dans les zones rurales. À Kisangani, Esther Mbuyi, commerçante, le décrit comme un « prophète » pour avoir dénoncé l’occupation rwandaise. À Kinshasa, ses appels galvanisent les jeunes, qui participent aux marches du Comité Laïc de Coordination (CLC) en 2017-2018. Cependant, dans les milieux pro-PPRD, il est vu comme un agitateur à la solde de l’opposition politique. En 2018, des jeunes du PPRD, surnommés les « bérets rouges », envahissent la cathédrale Notre-Dame du Congo, accusant les prêtres de « semer le chaos ». Ces actions, orchestrées par le régime de Kabila, visent à intimider l’Église. Les « bérets rouges » s’en prennent aux paroisses pour faire taire les appels à la démocratie, perçus comme une menace directe au pouvoir de Kabila, qui lutte pour prolonger son mandat face à une opposition croissante.
Apollinaire Malumalu : L’architecte électoral controversé
Né le 22 juillet 1961 à Muhangi, dans le Nord-Kivu, Apollinaire Malumalu Muholongu grandit dans une région marquée par l’instabilité ethnique. Issu d’une famille catholique, il entre au petit séminaire de Musienene, puis étudie la théologie à Kinshasa et les sciences politiques à l’Université Pontificale Grégorienne de Rome. Ordonné prêtre en 1988, il dirige l’Université Catholique du Graben à Butembo, où il promeut l’éducation comme outil de paix. Sa réputation d’intellectuel pragmatique le rend apte à naviguer dans les complexités de la politique congolaise. Malumalu se distingue par sa capacité à dialoguer avec des acteurs divers, des chefs traditionnels aux diplomates, ce qui lui vaut d’être choisi pour des rôles de médiation.
En 2005, Malumalu est nommé président de la Commission Électorale Indépendante (CEI) pour organiser les premières élections pluralistes depuis 1960. Après la deuxième guerre du Congo (1998-2003), qui fait des millions de morts, la RDC est fracturée. Malumalu doit acheminer du matériel électoral dans des zones sans infrastructures, former des agents sous la menace des milices, et apaiser les tensions entre candidats comme Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba. Le scrutin de 2006, financé par la communauté internationale, aboutit à la victoire de Kabila avec 58 % des voix au second tour. Malumalu est salué par l’ONU et l’Union européenne pour avoir tenu un calendrier serré dans un contexte chaotique. « Ces élections sont une victoire pour le peuple congolais », déclare-t-il lors d’une conférence de presse en 2006. Cependant, des irrégularités sont signalées : bourrages d’urnes dans l’est, intimidations dans les bureaux de vote, et retards dans les résultats. Le cardinal Frédéric Etsou, archevêque de Kinshasa, dénonce une « victoire volée ». Malumalu défend le processus, arguant que « les imperfections sont inévitables dans un pays en reconstruction ». Ces accusations marquent une fracture entre Malumalu et une partie de l’Église, qui craint que son rôle ne compromette la neutralité de l’institution.
En 2013, Malumalu est reconduit à la tête de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), malgré les objections de l’opposition et de la CENCO. Cette nomination ravive les soupçons de partialité. L’opposition, menée par Étienne Tshisekedi, l’accuse de travailler pour prolonger le mandat de Kabila, surtout après le report des élections prévues en 2016. Des allégations, non authentifiées, font état de réunions secrètes avec des proches du président. Malumalu nie ces accusations, affirmant son « engagement pour la démocratie ». La CENCO, dans un communiqué de 2013, exprime des réserves sur son retour à la tête de la centrale électorale. Cette désapprobation publique accentue les tensions. En 2015, Malumalu démissionne, officiellement pour raisons de santé, souffrant d’une tumeur au cerveau, et meurt en 2016 aux États-Unis. Son décès suscite des hommages mitigés : l’ONU loue son rôle en 2006, mais l’opposition le qualifie de « serviteur du régime ». Les journaux kinois titrent « Malumalu : le prêtre qui divise la nation », reflétant son héritage controversé.
Malumalu divise les Congolais. Dans le Nord-Kivu, il est vu comme un héros local. « Grâce à lui, nous votons pour la première fois », témoigne Jean-Paul Bahati, agriculteur à Goma. À Kinshasa, il est perçu comme un pion du pouvoir. En 2013, des manifestations éclatent dans la capitale, organisées par des mouvements citoyens comme Filimbi et Lucha. Des jeunes scandent : « Malumalu, valet de Kabila ! », accusant l’Église de ne pas avoir désavoué un prêtre jugé partial. Dans les quartiers comme N’Djili, des graffitis dénoncent « l’Église à deux visages », reflétant une frustration face à son rôle ambigu. Ces actes, bien que limités, illustrent un mécontentement urbain. Dans les zones rurales, son image reste positive, et des messes sont célébrées en son honneur après sa mort. Cette fracture reflète la tension entre l’admiration pour son travail organisationnel et les soupçons de compromission politique.
Malumalu laisse un legs ambivalent. Les élections de 2006 sont une étape clé vers la démocratie, mais son rôle en 2013 ternit son image. Dans le Nord-Kivu, des écoles portent son nom, mais à Kinshasa, il est associé à la consolidation du pouvoir de Kabila. « Malumalu fait avancer la démocratie, mais à quel prix ? », s’interroge Popol Mukeni, activiste des droits de l’homme.
Fridolin Ambongo Besungu : Une voix critique contemporaine
Né le 24 janvier 1960 à Boto, Fridolin Ambongo rejoint les Capucins et est ordonné prêtre en 1988. Évêque de Bokungu-Ikela en 2004, archevêque de Mbandaka-Bikoro en 2016, il devient archevêque de Kinshasa en 2018 et cardinal en 2019. Connu pour son franc-parler, il est une figure influente au Vatican.
En 2018, Ambongo qualifie les élections de « mascarade », dénonçant les fraudes. Sous Félix Tshisekedi, il critique la corruption et la crise à l’est, où le M23 intensifie ses attaques en 2024. En 2025, il s’oppose à une révision constitutionnelle, provoquant des tensions avec l’UDPS. En 2024, la demande de la CENCO pour une enquête sur les irrégularités électorales de décembre 2023 attise la colère des jeunes de l’UDPS, qui menacent de s’en prendre aux églises et aux symboles catholiques, percevant l’Église comme un obstacle à la légitimité de Tshisekedi. Ces tensions s’inscrivent dans un contexte où l’Église critique la gestion de la crise sécuritaire à l’est et les initiatives de paix, comme les discussions avec le M23 en 2025, jugées par l’UDPS comme une ingérence.
Dans l’est, Ambongo est admiré pour son soutien aux déplacés. À Goma, Christine Furaha, déplacée, le voit comme un « défenseur ». À Kinshasa, il divise : certains le soutiennent, d’autres l’accusent de partialité. En 2021, sa résidence est attaquée, un incident condamné par la CENCO. En 2018, des jeunes du PPRD envahissent la paroisse Notre-Dame de Fatima, séquestrant des prêtres, en réaction aux marches du CLC pour la démocratie.
Ambongo siège au Conseil des cardinaux, influençant les débats mondiaux. Sa critique de l’exploitation des ressources congolaises le rend populaire, mais controversé. Ses rencontres avec des figures de l’opposition, comme Moïse Katumbi à Bruxelles en 2017 ou les discussions prévues en 2025 avec des leaders de l’opposition, alimentent les accusations de partialité. De plus, des dons présumés, comme un véhicule offert par le PPRD au début du mandat de Tshisekedi en 2019, et d’autres contributions financières de politiciens, y compris de l’opposition, soulèvent des questions sur l’indépendance de l’Église, bien que ces allégations manquent de preuves concrètes.
Une influence ambivalente
L’Église catholique soutient des millions de déplacés, notamment via Caritas Congo. À Beni, la paroisse Sainte-Thérèse est un refuge pour les déplacés. Pourtant, son rôle politique reste controversé. Les visites de représentants de l’Église à des figures comme Katumbi, perçues comme un soutien à l’opposition, et les dons présumés de politiciens, du PPRD comme de l’opposition, jettent une ombre sur sa neutralité. Ces gestes, qu’ils soient motivés par la realpolitik ou la nécessité de financer ses œuvres sociales, compromettent son image de boussole morale.
Les tensions avec l’UDPS en 2024 et les actions des « bérets rouges » du PPRD en 2018 illustrent la fragilité de la position de l’Église. Les menaces des jeunes de l’UDPS, bien que non documentées précisément en 2024, s’inscrivent dans un climat de méfiance où l’Église est accusée de défier l’autorité de l’État. Les « bérets rouges », en envahissant les églises, cherchent à réprimer une institution perçue comme un catalyseur de dissidence. Ces incidents, combinés aux liens ambigus avec les élites politiques, soulignent les défis auxquels l’Église fait face pour maintenir son autorité morale.
Entre foi et pouvoir : un équilibre fragile
L’Église catholique en RDC reste un pilier, mais son rôle politique divise. Les figures de Malula, Etsou, Monsengwo, Malumalu, et Ambongo incarnent cette tension, entre soutien populaire et critiques urbaines. Malula africanise la foi, mais doit naviguer sous Mobutu. Etsou dénonce les fraudes, mais divise l’Église. Monsengwo résiste à l’autoritarisme, mais est accusé de partialité. Malumalu organise des élections historiques, mais est perçu comme un pion du pouvoir. Ambongo, aujourd’hui, marche sur une corde raide, critiquant la corruption tout en étant accusé de compromission.
L’Église peut-elle encore être la conscience du Congo ? Dans les campagnes, où elle est souvent la seule institution présente, la réponse est un oui retentissant. À Goma, les déplacés trouvent refuge dans ses paroisses. Mais à Kinshasa, les graffitis sur les murs des églises et les menaces des militants racontent une autre histoire. Les dons politiques et les rencontres avec l’opposition brouillent son message, tandis que ses critiques du pouvoir la placent dans la ligne de mire. Dans un pays où la justice est un cri étouffé, l’Église demeure une voix puissante, mais son équilibre entre foi et politique reste précaire.
Heshima Magazine
You may like
Nation
Du Budget au Perchoir : le parcours insoupçonné de Boji Sangara
Published
7 jours agoon
novembre 20, 2025By
La redaction
Économiste de formation britannique, réservé mais d’une méthode implacable, Aimé Boji Sangara a gravi les échelons de la politique congolaise loin des projecteurs et des coups d’éclat. Son élection à la présidence de l’Assemblée nationale marque le couronnement d’un parcours où rigueur académique, loyauté stratégique et sens aigu du détail ont façonné un personnage rarement bruyant, mais dont l’influence est désormais centrale. Portrait d’un homme qui, loin de l’ostentation, privilégie l’efficacité structurelle et le travail de fond.
Le jour de son élection, le 13 novembre 2025, Aimé Boji Sangara n’a pas cédé à l’euphorie. Là où d’autres auraient levé les bras en signe de triomphe, il s’est simplement avancé vers le pupitre. Il affichait une concentration presque austère, révélant plus l’homme d’État mesuré que le vainqueur exubérant. Chez lui, la retenue n’est pas un artifice tactique : elle est l’expression profonde d’un trait de caractère qui est devenu sa marque de fabrique dans l’arène politique.
Lors de son discours d’investiture à la tête de la chambre basse, Boji a immédiatement cherché à rassurer et à projeter une image de réformateur pragmatique. Il a promis de transformer l’institution parlementaire en « un parlement plus fort, plus crédible et plus proche du peuple », des objectifs qui nécessiteront une refonte interne des méthodes de travail et une collaboration renforcée, mais équilibrée, avec les autres institutions républicaines. Il a ainsi posé d’emblée les bases d’un mandat axé sur la rationalisation de l’action législative.
L’héritage politique du Kivu et l’exil académique
Né en 1968 dans le territoire de Walungu, au Sud-Kivu, Aimé Boji a été bercé par l’atmosphère du service public et de la politique. Son père, Dieudonné Boji, fut une figure respectée, notamment en tant que gouverneur du Kivu avant son éclatement en plusieurs provinces. Cette immersion précoce dans le sérail du pouvoir, loin d’engendrer une ambition politique prématurée, l’a plutôt orienté vers l’exigence de la méthode. Il s’est d’abord passionné pour la discipline des chiffres et la logique du raisonnement structuré. Après un diplôme de math-physique obtenu à Bukavu, il choisit de s’éloigner du tumulte national et de l’héritage familial pour poursuivre sa formation au Royaume-Uni.
Son voyage académique le mène d’abord à Oxford Brookes, puis à l’éminente Université d’East Anglia. Ces années passées outre-manche sont décisives. Il y acquiert non seulement un master en économie du développement, mais aussi un rapport au travail singulier : un culte de la méthode, de la recherche approfondie et de la gestion publique axée sur les résultats. Il s’engage ensuite dans des projets académiques et associatifs à Londres, se forgeant une réputation de professionnel sérieux, dont la rigueur et la précision, presque obsessionnelle, sont incontestables. Ces fondations jetées loin de Kinshasa expliquent sans doute sa capacité à rester serein et analytique face aux turbulences politiques.
Le technocrate au cœur de l’État
Lorsque Boji revient au pays au milieu des années 2000, c’est avec la conviction que son expertise doit servir l’appareil d’État. Élu député national en 2006, il est réélu sans discontinuer à chaque cycle électoral jusqu’à celui de 2023, faisant de son mandat parlementaire le socle de sa carrière.
Cependant, c’est au sein de l’Exécutif qu’il va véritablement affirmer son profil de technocrate fiable. Ses passages successifs aux portefeuilles du Commerce extérieur, du Budget et de l’Industrie sont remarqués par leur sérieux. Chaque nomination renforce l’image d’un homme capable d’écouter, d’analyser et de produire des résultats concrets, souvent mieux préparé sur le fond des dossiers que la moyenne de ses homologues.
Son mandat de quatre ans comme ministre du Budget est particulièrement éclairant. Il lui a permis d’acquérir une compréhension microscopique du fonctionnement de l’État, des rouages de la gestion des finances publiques et des impératifs de la transparence budgétaire. Malgré son passage prolongé au gouvernement, il n’a jamais renié ses années de parlementaire. « J’ai eu le privilège de siéger 13 ans durant dans cet hémicycle », a-t-il rappelé aux députés, soulignant qu’il y a appris la « noblesse du débat démocratique » et la valeur inestimable du consensus. Boji compte bien s’appuyer sur cette expérience bicéphale pour régénérer l’Assemblée. Il a clairement affiché sa volonté de replacer le député au centre de l’action parlementaire en privilégiant le travail de terrain et la proximité avec les réalités locales. Il souhaite notamment exploiter de manière plus systématique les rapports issus des vacances parlementaires pour identifier les besoins réels des circonscriptions et proposer au gouvernement des projets d’urgence concrets à financer en faveur des populations.
L’ascension stratégique : l’ancre de Tshisekedi
Dans un environnement politique souvent dominé par la théâtralité, les joutes oratoires et l’agitation, Boji incarne une forme de politique posée, presque administrativement efficace, qui tranche singulièrement. Ses collaborateurs le décrivent comme un homme qui « travaille en silence ». Le député Michel Moto, son camarade du parti politique Union pour la nation congolaise (UNC), le dépeint comme « un homme posé, conciliant et surtout un homme de dialogue », soulignant la dimension consensuelle de son leadership. Même ses détracteurs, en coulisse, concèdent volontiers qu’il « ne fait pas de vagues, mais il avance avec une détermination tranquille et méthodologique ».
Lorsque l’Union Sacrée de la Nation (USN) le désigne candidat au perchoir en septembre 2025, le choix n’est pas perçu comme audacieux, mais comme éminemment stratégique. Certains observateurs y voient un geste de prudence visant à installer une figure non clivante capable de gérer les dossiers techniques. D’autres y lisent une manœuvre pour stabiliser une institution qui a connu des périodes de crises internes et de vives tensions. Fidèle à lui-même, Boji mène sa campagne loin de l’agitation : il consulte, écoute, prend des notes méticuleuses et propose un programme centré sur la modernisation de l’institution. Son score, 413 voix sur les 423 votants, est un plébiscite qui témoigne de sa capacité à rallier un large consensus au-delà des chapelles politiques.
Un secret de polichinelle : la loyauté au Président
Le rapprochement entre Aimé Boji et le chef de l’État, Félix Tshisekedi, est l’élément fondamental qui explique cette ascension. Longtemps discret, il est devenu un secret de polichinelle au lendemain de sa démission du ministère de l’Industrie pour se présenter au Perchoir.
Un politologue souligne l’évidence de la stratégie : « Personne ne risque de quitter un portefeuille ministériel, surtout d’État, s’il n’a pas la certitude absolue d’avoir le soutien total du chef de l’État pour le Perchoir. Le fait qu’il ait quitté ses fonctions était le signe irréfutable de l’aval présidentiel. » Boji est l’homme clé chargé de garantir la cohésion et la productivité du pouvoir législatif au service de la vision présidentielle. Cette nouvelle proximité a d’ailleurs éclipsé l’influence de son mentor politique historique, Vital Kamerhe (VK), chef de l’UNC. Pressenti pour succéder à VK qui avait démissionné du Perchoir, Boji a réussi, depuis 2019, à gagner la confiance durable de Félix Tshisekedi, se positionnant comme un pilier fiable et loyal au sein de l’USN, essentiel à la matérialisation des ambitions de la majorité.
Des dossiers explosifs et un leadership à affirmer
Aimé Boji arrive à la tête de l’Assemblée nationale à un moment charnière. Les défis qui l’attendent sont considérables :
Il devra d’abord œuvrer en étroite collaboration avec l’Exécutif pour soutenir les efforts visant au rétablissement urgent de la paix et de la sécurité dans l’Est du pays. C’est la priorité nationale absolue qui pèsera sur tous les travaux législatifs. Au-delà, l’examen du budget 2026 est un travail technique colossal qui attend immédiatement la chambre basse pour garantir un budget réaliste, social et transparent, conforme aux promesses de l’Union Sacrée.
Enfin, un dossier potentiellement explosif pourrait faire un retour remarqué dans le débat parlementaire : la modification ou le changement de la Constitution. Dans son premier discours, Boji a déjà fixé un cap, sans éclats, mais avec une conviction de fer : moderniser l’institution et renforcer le dialogue constructif avec l’Exécutif. S’il réussit à créer un environnement de travail serein et à mettre les députés à l’aise par son style non conflictuel, un projet sensible comme celui de la révision constitutionnelle pourrait être abordé au sein de l’Union Sacrée avec moins de friction et plus de consensus technique.
En attendant, l’homme a fait des promesses sobres, presque techniciennes, mais parfaitement cohérentes avec sa personnalité. Aimé Boji n’est pas de ceux qui cherchent la lumière. Pourtant, le voici propulsé au cœur battant de la scène politique congolaise. Son défi majeur sera d’imposer son style : calme, méthodique, et parfois déroutant de discrétion, mais d’une efficacité que l’on dit redoutable. Reste à savoir si cette ascension tranquille saura se transformer en un leadership audacieux et assumé face aux enjeux colossaux qui attendent la République. Le Congo, lui, n’attend que de voir.
Heshima
Nation
RDC : Les forces et les faiblesses de l’Accord-cadre signé entre Kinshasa et l’AFC/M23 à Doha
Published
1 semaine agoon
novembre 17, 2025By
La redaction
Réunis sous l’égide du Qatar, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et les représentants de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC-M23) ont signé le 15 novembre 2025 un Accord-cadre inédit visant à ouvrir la voie à un cessez-le-feu durable dans l’est du pays. Ce texte, qualifié de « première étape décisive » par les médiateurs, doit maintenant être suivi de discussions techniques sur la démobilisation et le retrait des combattants. Heshima Magazine explore les différents points de ces protocoles.
Après plusieurs sessions de discussions sans issue, les autorités congolaises et les rebelles de l’AFC/M23 ont finalement franchi une nouvelle étape dans le processus de paix que pilote le Qatar depuis le mois de mars. Cet Accord-cadre comporte 8 protocoles qui déterminent les matières à traiter et les modalités de leur mise en œuvre afin d’aboutir à un accord de paix définitif. Heshima Magazine explore chaque engagement souscrit par les parties dans cet accord-cadre.
Échange de prisonniers sous supervision internationale
Bien que toutes les négociations impliquent des concessions de la part des parties, l’engagement sur l’échange des prisonniers est délicat pour le gouvernement. La plus grande préoccupation sur ce point réside dans la nature des prisonniers à échanger. Si le gouvernement peut s’attendre à la libération des militaires arrêtés par la rébellion lors des combats, l’AFC/M23, de son côté, pourrait élargir la liste à des individus auteurs de crimes graves. Certaines sources évoquaient même des personnalités comme le député Edouard Mwangachuchu, condamné notamment pour détention d’armes à feu. Pour le gouvernement, il est hors de question que tous les individus soient libérés dans ce cadre. « Nous allons nous assurer qu’on applique les critères d’exclusion sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves selon le droit international », avait déclaré le nouveau ministre de la Justice, Guillaume Ngefa.
En septembre, Kinshasa et l’AFC/M23 ont signé ce « mécanisme d’échange de prisonniers ». Dans le cadre de ce dispositif, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) jouera le rôle d’intermédiaire neutre pour l’identification, la vérification et la libération sécurisée des détenus des deux camps. Le mouvement rebelle évoque environ 700 personnes arrêtées par Kinshasa. La mise en œuvre du mécanisme implique l’établissement et la certification des listes de prisonniers, avec l’aval de toutes les parties.
Si l’AFC/M23 s’attend à des têtes couronnées telles que Éric Nkuba alias Malembe, arrêté en Tanzanie puis condamné à mort à Kinshasa notamment pour participation à un mouvement insurrectionnel, le gouvernement, quant à lui, s’attend à la libération d’environ 1500 militaires congolais capturés et envoyés par la rébellion en janvier et février derniers au camp militaire de Rumangabo pour un « reconditionnement ». Même si plus d’une centaine d’entre eux ont réussi à s’échapper des mains de la rébellion, certains restent encore captifs. D’autres combattants cantonnés au quartier général de la MONUSCO avaient déjà été transférés de Goma à Kinshasa en avril grâce à la médiation du CICR. Sur ce point de libération des prisonniers, il reste à savoir si le gouvernement s’en tiendra toujours à son caractère « rigoureux » dans le choix des prisonniers à libérer en faveur de l’AFC/M23.
Mise en place d’un mécanisme conjoint de surveillance du cessez-le-feu
Depuis le 14 octobre, le gouvernement congolais et les rebelles de l’AFC-M23 ont signé ce « mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu » dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Ce mécanisme institue un comité constitué d’un nombre égal de représentants du gouvernement congolais et de l’AFC/M23 afin d’enquêter sur les violations signalées. Les membres de ce comité devraient se réunir à la demande de l’une des deux parties en cas de violations signalées. Le Qatar, les États-Unis et l’Union africaine pourront y prendre part en tant qu’observateurs et la MONUSCO lui fournira un appui logistique. La première réunion du comité était censée se tenir dans les sept jours suivant son institution.
Lors de la signature de cet engagement, Doha avait qualifié la mise en œuvre de ce comité de suivi d’« étape cruciale vers le renforcement de la confiance et la conclusion d’un accord de paix global ». De son côté, le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka, avait salué sur le réseau social X « une avancée significative ». Mais sur le terrain, ce mécanisme a accusé des faiblesses. Les deux camps ont continué à s’affronter sans que le mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu ne puisse s’activer. Par communiqué interposé, les deux camps s’accusent mutuellement de violation de ce cessez-le-feu. Tant que l’accord global n’aura pas intervenu, ce mécanisme – sans la bonne foi des parties – aurait du mal à fonctionner.
Restauration progressive de l’autorité de l’État dans les zones occupées
Ce point, qui figure dans l’Accord-cadre qui vient d’être signé, reste le plus difficile à digérer pour les rebelles de l’AFC/M23. Au début des discussions à Doha, cette rébellion voulait obtenir la gestion des zones conquises en collaboration avec le gouvernement à Kinshasa. Une option qui était dénoncée par l’opinion publique, la percevant comme une balkanisation du pays. La restauration de l’autorité de l’État, l’un des points clés de divergence dans les discussions, passe pour un arrêt de mort pour l’AFC/M23 dont l’avenir post-occupation n’est toujours pas décidé à Doha. Sur la question de la restauration de l’autorité de l’État, la Déclaration de principes signée entre les deux parties en juillet dernier notait que cette restauration de l’autorité de l’État allait constituer une conséquence logique du règlement « des causes profondes » du conflit. L’accord de paix global attendu devra préciser les modalités et le calendrier de cette restauration sur l’ensemble du territoire national.
Retour sécurisé et volontaire des réfugiés et déplacés
C’est l’un des sept points de la Déclaration de principe publiée le 19 juillet. Il a été également repris dans l’Accord-cadre du 15 novembre 2025. Les deux parties s’engagent à faciliter le retour sûr, volontaire et digne des réfugiés et des personnes déplacées vers leurs zones ou pays d’origine. Mais combien sont-ils de part et d’autre de la frontière entre la RDC et le Rwanda ? Ce retour, qui doit se faire en conformité avec le droit humanitaire international et dans le cadre des mécanismes tripartites associant la RDC, les pays d’accueil et le HCR, pourrait aussi constituer l’un des problèmes dans la mise en œuvre de l’accord final. Ce sujet est aussi l’un des points les plus sensibles. Le retour des réfugiés congolais fait partie des revendications historiques du M23, déjà présentes dans l’accord de paix signé en 2009 entre Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l’ancêtre du mouvement actuel. Problème : qui est Congolais et qui ne l’est pas ? Ces réfugiés, défendus bec et ongle par le M23, sont-ils en nombre conséquent ? Sur ce point, il faut d’abord régler la question des chiffres. Selon les dernières estimations avancées par RFI, le Rwanda accueille près de 137 000 réfugiés, principalement en provenance de la RDC et du Burundi. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 80 000 Congolais vivraient aujourd’hui au Rwanda. Mais pour Kinshasa, le problème reste l’identification : les autorités congolaises affirment ne pas connaître avec précision ni le nombre, ni l’identité de ces réfugiés. Pour le gouvernement congolais, on ne peut pas rapatrier des réfugiés dans une zone encore en conflit ou sous contrôle des rebelles du M23. Le gouvernement voudrait avoir le pouvoir nécessaire de contrôler l’identité de ceux qui veulent revenir au pays. Le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité, Jacquemain Shabani, alertait déjà sur une « transplantation » des populations venues d’ailleurs dans les zones contrôlées par les rebelles du M23.
Ce sujet fait craindre au gouvernement et à l’opinion l’arrivée d’une population compacte qui pourrait, un jour, exiger l’autonomie d’une des régions congolaises. Ainsi donc, Kinshasa insiste : le retour des réfugiés dans les zones aujourd’hui sous administration du M23 ne pourra avoir lieu qu’après le cessez-le-feu, la restauration de l’autorité de l’État et la vérification de la nationalité des candidats au retour. Autrement dit, cette question est loin d’être close. Elle pose aussi d’autres défis : quand ces réfugiés rentreront-ils ? Et où seront-ils installés ? Car il y a parmi eux des individus qui n’ont jamais mis les pieds en RDC. Des questions qui montrent, selon plusieurs experts, qu’il ne suffit pas de régler le volet sécuritaire, il faut un accord global, incluant aussi les aspects sociaux, fonciers et économiques. Les populations congolaises qui avaient fui l’arrivée du M23 dans leur zone avaient trouvé à leur retour des occupants venus d’ailleurs installés dans leurs maisons, cultivant également leurs champs.
Mesures de confiance
Ce point implique entre autres la communication entre parties, la fin de la propagande « haineuse » selon l’AFC/M23 et les libérations des prisonniers. Sur ce point, paradoxalement, rien ne rassure au regard des premières communications faites après la signature de cet Accord-cadre à Doha. « Cet accord ne comporte aucune clause contraignante », déclare Benjamin Mbonimpa, chef de la délégation de l’AFC/M23. Une communication qui annonce déjà que tout peut basculer à n’importe quel moment. « Il n’y a rien qui va changer sur le terrain », estime Bob Kabamba. Selon lui, il y a eu deux signatures qui n’ont pas produit des résultats sur le terrain. « Il faut s’inquiéter pour la suite car les deux parties se sont réarmées, elles se sont réorganisées », a-t-il expliqué, soulignant la mise en place par le M23 d’une administration parallèle qui fonctionne comme un État.
La relance économique et les services sociaux
Ce point du protocole de l’Accord-cadre est étroitement lié à la restauration de l’autorité de l’État. Un point qui reste parmi les plus difficiles à obtenir à Doha. Les rebelles ne veulent pas encore céder les zones sous leur contrôle sans connaître au préalable leur avenir politique et sécuritaire.
La justice, la vérité et la réconciliation
Alors que les combats se poursuivent dans l’Est du pays, Kinshasa et les rebelles laissent entrevoir, malgré des positions opposées, quelques signaux de réconciliation. Mais la méfiance reste profonde, et les conditions d’une véritable réconciliation demeurent toujours fragiles. La part de la justice dans cette démarche est essentielle pour ne pas laisser les bourreaux côtoyer les victimes. Cette réconciliation entre le gouvernement congolais et les rebelles AFC/M23 n’est pas impossible ; elle est simplement suspendue à une constellation de facteurs politiques, militaires et diplomatiques encore instables. Dans un conflit où chaque camp cherche une position de force, la paix reste pour l’instant un horizon plus qu’une réalité, mais un horizon que beaucoup, épuisés par des années de guerre, espèrent voir enfin se rapprocher.
Élaboration d’une feuille de route vers un accord de paix global
L’Accord-cadre de Doha fixe les bases d’un processus destiné à mettre fin aux hostilités, à rétablir l’autorité de l’État et à consolider la stabilité nationale. Il réaffirme la détermination du Gouvernement à placer la paix, la sécurité et la dignité du peuple congolais au centre de son action. C’est dans ce cadre que la protection des populations civiles, en particulier les femmes, les enfants et les personnes déplacées internes, demeure une priorité. Les protocoles qui découleront de cet Accord-cadre permettront notamment de sécuriser les corridors humanitaires, de faciliter l’accès des organisations humanitaires, et d’engager des actions urgentes pour répondre aux besoins essentiels des communautés affectées.
De son côté, le gouvernement précise que les six protocoles, en dehors de ceux relatifs au Mécanisme de libération des prisonniers ainsi qu’au Mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu, feront l’objet de discussions deux semaines après la signature de l’Accord-cadre. Il s’agira de préciser les modalités techniques, les calendriers d’exécution et les engagements respectifs des parties. Dans le communiqué du gouvernement, Kinshasa note qu’aucun statu quo n’est compatible avec cet objectif de paix : le processus engagé vise à créer, dans les plus brefs délais, les conditions d’un changement réel et mesurable pour les populations affectées. Les deux prochaines semaines vont permettre de percevoir les nouveaux efforts entre les deux parties.
Heshima
Nation
Neutralisation des FDLR en RDC : quels résultats en 30 ans ?
Published
2 semaines agoon
novembre 13, 2025By
La redaction
Pour mettre en œuvre l’une des résolutions phares de l’Accord de paix signé à Washington le 30 juillet 2025 entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, les Forces armées de la RDC (FARDC) ont lancé, début novembre 2025, une vaste campagne de sensibilisation visant à pousser les combattants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à déposer volontairement les armes. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie mixte combinant dialogue politique, désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), avec l’appui de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO). Mais sur le terrain, ces rebelles hutus rwandais semblent bien fantomatiques, leur présence réduite à une ombre résiduelle qui complique la mise en œuvre de ce volet de l’accord.
Depuis leur émergence officielle en 2000, les FDLR, nées des exilés hutus fuyant le Rwanda après le génocide de 1994, ont été au cœur d’une rhétorique rwandaise les présentant comme une menace existentielle, justifiant des décennies d’interventions militaires et d’ingérences. Pourtant, une analyse approfondie révèle que cette menace est largement exagérée, servant avant tout d’alibi à des ambitions économiques et territoriales plus prosaïques.
Walikale : une mission bredouille face à l’absence des FDLR
Le 5 novembre 2025, une délégation des FARDC, conduite par le général Sasa Nzita, chef d’état-major adjoint chargé des renseignements militaires, s’est rendue à Walikale, dans la province du Nord-Kivu, pour un meeting avec la population locale. Ces échanges s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre des résolutions de l’accord de Washington, qui vise une paix durable par la neutralisation de ces rebelles rwandais. L’équation se pose avec acuité pour l’armée congolaise : les combattants FDLR ne sont plus présents sur l’ensemble du territoire de Walikale. D’après les témoignages recueillis auprès des habitants, ces éléments ont totalement disparu de la zone. La population a formellement rejeté l’allégation rwandaise selon laquelle la rive gauche de la rivière Lowa, en plein centre de Walikale, serait encore occupée par les FDLR, une affirmation qui, comme tant d’autres, semble sortie d’un manuel de propagande kigalie.
Le général Sasa Nzita a toutefois appelé les citoyens à s’impliquer activement dans cette campagne pour en assurer le succès, en sensibilisant d’éventuels combattants résiduels, s’ils existaient encore dans des recoins isolés de ce territoire. À l’issue de cette mission, l’officier est rentré bredouille : aucun combattant ne s’est rendu volontairement. Cette absence criante illustre la réalité d’un groupe qui, après trente ans de traque, s’est réduit à une présence sporadique, loin de l’image d’une armée d’invasion brandie par Kigali pour légitimer ses incursions répétées.
Bastions occupés par les RDF et l’AFC/M23 : l’impossible neutralisation
Les combattants résiduels de cette force négative étaient historiquement concentrés dans les territoires de Rutshuru, Nyiragongo et Masisi, au Nord-Kivu. Pourtant, ces trois entités sont en grande partie occupées, depuis janvier 2022, par les Forces armées rwandaises (RDF) et les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC/M23), un groupe armé que les rapports des experts des Nations unies qualifient sans ambiguïté de soutenu par Kigali. En occupant ces territoires avec des moyens militaires largement supérieurs (blindés, artillerie, drones et contingents bien entraînés), le Rwanda et ses supplétifs auraient dû, en toute logique, neutraliser ces éléments FDLR s’ils représentaient une menace réelle et imminente. Cela n’a pas été fait officiellement, et pour cause : les FDLR, dans leur configuration actuelle, ne constituent plus aucun danger militaire pour le Rwanda. Au contraire, ils coexistent ou s’affrontent sporadiquement avec l’AFC/M23 dans des poches isolées, comme à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où des accrochages récents ont été signalés.
Pour jouer pleinement sa partition, le gouvernement congolais, à travers l’armée, promet d’étendre la campagne de sensibilisation à d’autres territoires du Nord-Kivu, notamment Masisi et Rutshuru. L’objectif est clair : inciter la population à se désolidariser des groupes armés étrangers et encourager les combattants rwandais à se rendre volontairement auprès des FARDC ou de la MONUSCO. Mais dans un contexte où les RDF patrouillent ouvertement, cette extension risque de se heurter à la même opacité : comment sensibiliser des fantômes quand les vrais occupants du terrain sont les alliés de Kigali ?
Les FDLR exigent un dialogue inter-rwandais avant tout désarmement
Au cours d’une interview accordée à RFI le 8 novembre 2025, le lieutenant-colonel Octavien Mutimura, porte-parole des FDLR-FOCA (la branche armée du mouvement), a refusé catégoriquement tout désarmement unilatéral. Pour lui, il faut d’abord un dialogue inter-rwandais pour juger les causes profondes de leurs revendications. « On doit juger la cause de notre lutte armée. Nous sommes là pour nous protéger et protéger les réfugiés rwandais abandonnés. Remettre les armes sans que toutes les conditions soient réunies, c’est une utopie », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « Nous sommes parmi les cibles de Kigali. Nous résisterons jusqu’à ce que Kigali admette un dialogue inter-rwandais et un retour des réfugiés en toute dignité. » Interrogé sur le nombre de combattants encore actifs en RDC, ce porte-parole est resté évasif, évoquant simplement qu’ils sont la cible des attaques de l’AFC/M23, une rébellion étroitement liée à Kigali. « Nous sommes dans les zones où se mènent les combats.
L’AFC/M23 nous attaque et menace nos réfugiés. Nous sommes dans l’obligation de les protéger », a-t-il ajouté. Selon lui, les FDLR se trouvent actuellement dans des zones contrôlées par l’AFC/M23, notamment à Bwisha, dans le territoire de Rutshuru, où elles affrontent régulièrement leurs adversaires. Pendant ce temps, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) poursuit le rapatriement de réfugiés rwandais vers le Rwanda, une procédure qui n’enchante guère les FDLR. « Les réfugiés, ce sont nos parents, nos enfants. On ne peut pas séparer une famille rwandaise comme ça. Certains des gens envoyés au Rwanda avec l’aide du HCR sont des Congolais. Et d’autres sont capturés, puis renvoyés de force. Nous accusons le HCR de jouer le jeu du Rwanda », a tonné Octavien Mutimura. Ces accusations soulignent une fracture profonde : les FDLR ne se voient plus comme une force offensive, mais comme un bouclier pour une communauté exilée, majoritairement composée de descendants de réfugiés hutus arrivés en RDC (alors Zaïre) après la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994. Parmi ces exilés se trouvaient à la fois des responsables du génocide, des militaires des ex-Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe, mais aussi des centaines de milliers de civils fuyant la répression. C’est dans les camps du Kivu que ces groupes se sont organisés, donnant naissance à l’Armée de libération du Rwanda (ALiR) en 1998, puis aux FDLR en 2000. Aujourd’hui, après trois décennies, le mouvement est bien loin de ses origines : ses rares tentatives d’attaque contre le Rwanda ont été insignifiantes et rapidement neutralisées, et ses activités se limitent à une survie précaire en RDC, marquée par des exactions contre les civils congolais : pillages, viols, enrôlement d’enfants soldats et exploitation illégale des ressources minières.
Trente ans d’opérations militaires : un bilan d’échecs répétés
En cas de refus de reddition, une neutralisation par la force ? Selon l’agenda décidé à Washington entre Kinshasa et Kigali, après la phase de sensibilisation à la reddition volontaire, il faudrait passer à des opérations militaires pour neutraliser ceux qui ne se rendront pas. Reste à savoir si ces opérations seront menées conjointement entre les FARDC et les RDF dans le cadre du concept d’opérations (CONOPS) défini à Washington. L’expérience des trois dernières décennies démontre que tant que les causes profondes ne sont pas traitées du côté du Rwanda notamment l’absence de dialogue politique inclusif et l’instrumentalisation persistante de la « menace FDLR », ces groupes parviennent toujours à se refaire comme une hydre.
Depuis deux décennies, plusieurs initiatives ont tenté de régler cette question sans succès majeur. En 2001, un premier processus avait conduit au désarmement et au cantonnement des combattants à Kamina, dans le Katanga, ainsi qu’à la destruction publique d’armes à Kinshasa, en présence de la communauté internationale, sous l’égide de la MONUSCO et de ses prédécesseurs. En 2014, plus de 1 500 combattants avaient remis leurs armes à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et à la MONUSCO, avant d’être cantonnés, avec leurs familles, dans les camps de Kisangani, Kanyabayonga et Walungu, toujours sous supervision internationale. De 2009 à 2015, plusieurs autres opérations militaires conjointes entre les FARDC, les RDF et la MONUSCO ont été lancées dans l’Est de la RDC, conjointement ou impliquant seulement les FARDC. Parmi elles : Umoja Wetu en 2009, une offensive transfrontalière qui a visé les FDLR dans le Nord-Kivu mais78 a provoqué des déplacements massifs de population ; Kimia I et II en 2009-2010, qui ont ciblé les bastions des FDLR au Sud-Kivu, avec un bilan lourd en victimes civiles ; Amani Leo en 2010, une opération plus focalisée sur la protection des civils mais qui n’a pas éradiqué le groupe ; Amani Kamilifu en 2012, une extension de la précédente avec un accent sur le DDR ; et enfin Sokola II en 2014-2015, qui a tenté une approche mixte mais s’est heurtée à la résilience des FDLR.
Ces offensives ont provoqué des centaines de milliers de déplacés internes, plus de 1,2 million rien qu’entre 2009 et 2012, selon les estimations de l’OCHA et de nombreuses pertes civiles, estimées à des milliers, sans jamais régler définitivement la question. Pourquoi cet échec récurrent ? Parce que ces opérations n’ont jamais abordé les racines du problème : l’exil forcé post-1994, le refus de Kigali d’intégrer les Hutus dans un dialogue national, et surtout l’utilisation des FDLR comme prétexte pour des interventions qui masquent des intérêts bien plus tangibles. Comme quoi la solution pourrait passer aussi par des discussions avec Kigali autant qu’on impose des discussions entre l’AFC/M23 et le gouvernement congolais. « Il faut qu’ils mettent la pression sur Paul Kagame pour avoir un dialogue inclusif entre Rwandais. La solution en Afrique centrale, c’est que les présidents s’assoient et se parlent en toute franchise, pour que les peuples de la région vivent en paix et en symbiose », estime le porte-parole des FDLR. Visiblement, sans engagement sincère et suivi des promesses de réinsertion, incluant des garanties de sécurité pour les ex-combattants et un retour volontaire des réfugiés, la campagne de reddition des FDLR risque de rester une opération symbolique face à une crise qui, depuis 30 ans, ensanglante l’Est du Congo.
Une menace fantôme au service du pillage des ressources
Cette crise trouve ses origines dans l’exode massif de près d’un million de Hutus vers le Zaïre après la victoire du FPR en juillet 1994. Les camps de réfugiés au Kivu, comme ceux de Mugungu ou Kibua, sont devenus des foyers de réorganisation pour les ex-FAR et les Interahamwe, qui y recrutaient et s’entraînaient pour un retour armé au Rwanda. La première guerre du Congo (1996-1997), menée par le Rwanda et l’Ouganda, a dispersé ces camps, mais les survivants se sont repliés dans les forêts du Kivu, formant l’ALiR puis les FDLR.
Kigali a depuis systématiquement présenté ces groupes comme une menace génocidaire persistante, justifiant ses alliances avec des rebelles du RCD (1998-2003) au CNDP (2006-2009), en passant par le M23 (2012-2013 et depuis 2022) qui ont contrôlé les mêmes zones sans jamais lancer d’opérations décisives contre les FDLR. Le RCD, par exemple, a dominé les provinces du Nord et du Sud-Kivu pendant près de cinq ans avec des contingents RDF intégrés, disposant de moyens militaires écrasants. Pourtant, aucune offensive d’envergure n’a été menée contre les FDLR, suggérant que leur survie servait d’alibi idéal pour prolonger l’occupation rwandaise. Une contradiction flagrante émerge aussi de l’intégration d’anciens membres des FDLR au sein des institutions rwandaises : Paul Rwarakabije, ancien commandant en chef des FDLR, a été promu général dans l’armée rwandaise après sa reddition en 2012, et d’autres officiers ont suivi un parcours similaire. Comment un groupe peut-il être à la fois une « menace existentielle » et source de recrutement pour l’armée adverse ? Cette instrumentalisation est patente : après trente ans, il est hautement improbable que les ex-FAR impliqués dans le génocide de 1994 soient encore actifs. La majorité ont été tués, capturés, jugés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou ont simplement vieilli. Les FDLR actuelles sont composées en grande partie de jeunes recrues nées en RDC, sans lien direct avec 1994, perpétuant un mythe de « génocidaires toujours actifs » pour justifier l’impunité rwandaise.
Derrière cette rhétorique sécuritaire se cachent des objectifs géopolitiques et économiques bien plus pragmatiques. Le Rwanda, un petit pays enclavé et pauvre en ressources naturelles, est devenu ces dernières années un exportateur majeur de minerais stratégiques comme le coltan, l’or et la cassitérite. Selon les rapports du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC (notamment ceux de 2023 et 2024), une grande partie de ces exportations estimée à plus de 1 milliard de dollars par an, provient de l’Est congolais, extraite dans des zones contrôlées par des groupes armés soutenus par Kigali, dont les profits alimentent directement l’économie rwandaise.
Des circuits de contrebande sophistiqués transitent par le lac Kivu ou les postes frontaliers, finançant à la fois les RDF et leurs proxies. Stéphanie Wolters, chercheuse principale à l’Institute for Security Studies (ISS) et spécialiste des dynamiques régionales en Afrique centrale, le souligne avec clarté : « Le Rwanda a des ambitions territoriales claires dans l’Est de la RDC, où il exerce un contrôle de facto sur des zones riches en minerais, au détriment de la souveraineté congolaise. » Cette réalité, longtemps ignorée par la communauté internationale séduite par le « miracle économique » rwandais, explique pourquoi les FDLR, malgré leur faiblesse militaire, sont maintenues en vie comme un épouvantail commode. Sans elles, quel prétexte pour les incursions répétées et le soutien aux rebelles ? L’accord de Washington, s’il est appliqué avec sincérité, pourrait forcer Kigali à abandonner ce narratif, mais l’histoire montre que les engagements passés comme ceux de l’Accord-cadre de paix, sécurité et coopération pour la RDC et la région de 2013 ont été bafoués sans conséquences.
Trente ans après le début de cette tragédie, qui a coûté la vie à plus de 7 millions de Congolais, un bilan qui dépasse de loin les 800 000 victimes du génocide rwandais et représente près de quatre fois la population de Paris, plus de six fois celle de Bruxelles et plus de deux fois celle de Berlin, le drame humanitaire de l’Est congolais reste le conflit le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Des millions de déplacés, des famines récurrentes, des épidémies de choléra et d’Ebola exacerbées par l’insécurité, et un pillage systématique des ressources qui prive la RDC de ses richesses légitimes. Combien de victimes faudra-t-il encore pour que la communauté internationale cesse de cautionner cette rhétorique fallacieuse ? Combien de souffrances pour que l’on reconnaisse l’instrumentalisation meurtrière des FDLR et impose un règlement politique inclusif, incluant un dialogue inter-rwandais véritable et la fin de l’exploitation illicite ?
La RDC mérite enfin de se reconstruire dans la paix et la stabilité, sans que des puissances étrangères, à travers des manœuvres cyniques, n’exploitent ses ressources et ne maintiennent son peuple dans une éternelle souffrance. La mémoire des millions de victimes congolaises doit être un appel impérieux à la démystification urgente de cette menace fantôme et à la fin de cette tragédie.
Heshima
Trending
-
International2 semaines agoRDC-Nigeria : un barrage sous haute tension pour un billet aux intercontinentaux
-
Politique3 semaines agoSuspension de 13 partis d’opposition en RDC : un précédent fâcheux pour la démocratie ?
-
Non classé3 semaines agoTshisekedi-Kagame-AFC/M23 : un novembre décisif pour la crise congolaise ?
-
Nation4 semaines agoPerchoir de l’Assemblée nationale : la bataille s’annonce plus complexe que prévu
-
Nation2 semaines agoKabila isolé : Katumbi va-t-il se rapprocher de Tshisekedi ?
-
Non classé2 semaines agoRDC : La DGI rappelle l’échéance du 15 novembre 2025 aux assujettis à l’IPR, l’IERE et la TVA
-
Nation4 semaines agoRDC : face aux embouteillages, comment bâtir une industrie du rail ?
-
Nation1 semaine agoRDC : Les forces et les faiblesses de l’Accord-cadre signé entre Kinshasa et l’AFC/M23 à Doha




























































