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Les 12 recommandations de Kabila : une feuille de route ou une stratégie politique voilée ? (Tribune de Joachim Cokola)
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La redaction
Le 23 mai 2025, Joseph Kabila, ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), a pris la parole dans une « adresse à la nation » diffusée en ligne, rompant ainsi un long silence. Ce discours, présenté comme une réponse aux crises multiples qui secouent le pays, met en avant 12 recommandations visant ce qu’il appelle la « refondation de l’État congolais ». Prononcé dans un climat politique explosif marqué par la levée de son immunité parlementaire et des accusations de collusion avec le groupe rebelle l’Alliance Fleuve Congo (AFC) qui inclue le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda, cet appel intervient alors que la RDC fait face à des défis sécuritaires et institutionnels majeurs. Mais derrière ces propositions, se cache-t-il une volonté sincère de redresser le pays, ou une manœuvre calculée pour déstabiliser le président légitime Félix Tshisekedi et orchestrer un retour au pouvoir ?
Cette tribune revient sur ces 12 recommandations pour en explorer les significations, les implications et les sous-entendus politiques. Loin d’être un simple programme de réformes, elles semblent refléter une stratégie où les critiques acerbes lancées contre le pouvoir du président de la République Félix Tshisekedi se mêlent à une tentative de retour de Kabila à la tête du pays, dans un contexte régional complexe dominé par les tensions avec le Rwanda.
Dénoncer une « tyrannie » pour mieux oublier la sienne
Joseph Kabila, dans un discours virulent, qualifie le régime de Félix Tshisekedi de « dictature, pour ne pas dire tyrannie », dénonçant une dérive autoritaire des institutions. Cette accusation, venant d’un président ayant dirigé la RDC de 2001 à 2019, apparaît paradoxale. Son règne, qualifié d’autoritaire par l’opposition, les ONG et la communauté internationale, fut marqué par des violations massives des droits humains, une répression brutale et des abus contre l’opposition.
Après la proclamation des résultats de l’élection de 2011, qui ont donné Kabila vainqueur face à Étienne Tshisekedi, Human Rights Watch a rapporté au moins 24 morts. Étienne Tshisekedi, quant à lui, a été placé sous résidence surveillée, son domicile cerné par des gardes présidentiels, l’isolant pendant plusieurs mois.
D’autres manifestations ont été réprimées sous Kabila. En janvier 2015, les protestations contre une loi électorale ont fait des dizaines de morts. En septembre 2016, environ 50 personnes ont été tuées lors de manifestations exigeant des élections. En décembre 2016, 62 manifestants sont morts en demandant son départ. L’opposition était muselée : les députés Franck Diongo, Diomi Ndongala, Bertrand Ewanga, Mike Mukebayi étaient incarcérés, ainsi que des activistes des droits humains, à l’exemple de Firmin Yangambi. Son principal opposant, Moïse Katumbi, a quant à lui été empêché de rentrer au pays et forcé d’aller en exil. L’Agence Nationale de Renseignements détenait arbitrairement des activistes, souvent torturés.
En exigeant le départ de Tshisekedi comme préalable à toute négociation, alors qu’il dit soutenir les démarches prônées par la CENCO et l’ECC pour un dialogue inclusif, Kabila contredit l’inclusivité. Son silence sur une transition claire suggère une stratégie de blocage. Son passé : clientélisme, corruption, violences , disqualifie hélas son réquisitoire. Les cicatrices de son ère, marquées par la répression sanglante et l’opacité, rendent son discours dérisoire.
Arrêter la guerre : une ambiguïté calculée de Kabila
L’appel à « arrêter la guerre » dans l’Est de la RDC, lancé par Joseph Kabila, pourrait passer pour un plaidoyer humaniste. Qui, en effet, oserait s’opposer à la paix dans une région meurtrie par trois décennies de conflits dont l’intensification, depuis 1996, coïncide avec l’implication des armées rwandaise et ougandaise et l’ascension politique et financière de la famille Kabila ?
Pourtant, cette « recommandation » repose sur des omissions troublantes. Durant son discours de plus de 40 minutes, Kabila ne mentionne jamais le M23, mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et alors acteur clé des violences actuelles. Un silence d’autant plus suspect que la justice congolaise l’accuse de collusion avec ce groupe et Paul Kagame.
De même, s’il évoque le retrait des troupes étrangères (rwandaises), il en fait une priorité étonnamment très secondaire, comme si l’on pouvait éteindre l’incendie sans couper l’arrivée d’essence. Cette hiérarchisation de ses « recommandations », absolument non fortuite, révèle une stratégie : entretenir l’ambiguïté sur ses liens avec Kigali tout en critiquant Kinshasa pour son « échec » à pacifier l’Est, une région qui était en paix jusqu’à l’arrivée des Kabila, accompagnés des armées rwandaises et ougandaises, et qui, depuis, n’a jamais connu de véritable paix, causant des millions de morts. En réalité, sous couvert d’apaisement, Kabila réactive une vieille recette : instrumentaliser l’instabilité de l’Est pour peser sur le pouvoir central. Une tactique qui a servi les intérêts rwandais par le passé et dont ses recommandations actuelles pourraient bien préparer une nouvelle édition.
Rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire national
Restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire congolais, en particulier dans les zones de l’Est où les groupes armés et les ingérences rwandaises et ougandaises règnent en maîtres, est une ambition qui va au cœur des problèmes de souveraineté de la RDC. Kabila présente cette idée comme une nécessité urgente, pointant du doigt l’ « incapacité » de Tshisekedi à reprendre le contrôle de ces régions. Mais cette proposition reste désespérément vague, dénuée de toute stratégie ou méthode pour y parvenir.
Sous son propre règne, l’Est est resté un casse-tête insoluble, avec des groupes armés proliférant et des pans entiers du territoire échappant à l’autorité centrale. Accusé lui-même de déstabiliser le pays par son implication présumée avec la rébellion M23, Kabila ressemble à un pyromane qui se présente en pompier. En 2016, l’ONG Human Rights Watch a révélé dans un rapport que Kabila aurait eu recours au M23 pour réprimer des manifestations à Kinshasa, une révélation qui prouve amplement ses liens étroits avec des groupes armés. Cette preuve flagrante soulève une question cruciale : comment Kabila, qui qualifiait ces groupes de rebelles tout en collaborant avec eux, a-t-il pu les faire intervenir jusqu’à Kinshasa ? Comment peut-il prétendre incarner la solution avec une telle proximité avec le M23 ? Pourquoi réussirait-il aujourd’hui là où il a échoué pendant 18 ans ?
Derrière cet appel à la souveraineté, certains analystes décèlent une intention moins avouable : reprendre la main non seulement sur les richesses minières de l’Est, en s’appuyant sur des acteurs comme le M23, qui contrôlent déjà des zones d’extraction, mais aussi espérer reprendre le pouvoir. En conditionnant cette restauration à un changement de leadership, Kabila se pose en homme providentiel, le seul congolais dans un pays de plus de 100 millions d’habitants capable d’apporter la paix et le développement.
Restaurer la démocratie en revenant aux fondamentaux d’un véritable État de droit
Joseph Kabila se présente aujourd’hui en défenseur des principes démocratiques, appelant à un « retour aux fondamentaux de l’État de droit ». Un discours audacieux, pour ne pas dire cynique, venant d’un homme dont les dix-huit années au pouvoir ont méthodiquement sapé chaque pilier de la démocratie congolaise. Comment peut-il sérieusement invoquer l’indépendance des institutions, la justice impartiale ou la séparation des pouvoirs, alors que son règne en a été la négation même ?
La réalité est accablante. Sous Kabila, la justice congolaise s’est transformée en instrument de répression politique. La Cour constitutionnelle, loin d’être un contre-pouvoir, n’a-t-elle pas autorisé Joseph Kabila à rester au pouvoir au-delà de son mandat, en attendant l’élection d’un nouveau président ? N’était-ce pas une interprétation biaisée, suggérant qu’il aurait pu se maintenir indéfiniment à la tête du pays ?
En pratique, cette décision a permis à Kabila de prolonger son règne de deux années supplémentaires, en violation flagrante de la Constitution. N’eût été la pression populaire et internationale qui l’a contraint à organiser les élections, il serait sans doute resté au pouvoir jusqu’à ce jour.
Le Parlement, quant à lui, n’était plus qu’une chambre d’enregistrement, où les décisions se prenaient dans l’ombre du palais de la Nation avant d’être entérinées par des députés dociles. Qui pourrait oublier le spectacle humiliant de 2015, lorsque l’Assemblée nationale, cédant à des pressions inadmissibles, adopta une nouvelle loi électorale subordonnant l’organisation des élections à un recensement général de la population ? Ce vote, qui déclencha des manifestations d’une ampleur inédite et fit plus de 40 morts, ne visait qu’à prolonger indûment le maintien de Joseph Kabila au pouvoir.
Aujourd’hui, son soudain intérêt pour l’État de droit ne trompe personne. Ce n’est pas un programme, c’est une manœuvre. Derrière les grands principes affichés se cache la même vieille stratégie : réécrire les règles du jeu pour préparer un retour au pouvoir. En 2011, il avait déjà modifié la Constitution pour supprimer le second tour présidentiel, s’offrant une « victoire » très contestée. Aujourd’hui, il tente de se draper dans les oripeaux du réformateur, mais son bilan parle pour lui. Comment croire un homme dont le règne a laissé derrière lui des institutions dévoyées, une opposition muselée ? La démocratie mérite mieux que les leçons d’un ancien autocrate.
Rétablir les libertés fondamentales
La défense des libertés d’expression, de réunion et de la presse, mise en avant par Joseph Kabila, résonne profondément dans un pays où ces droits fondamentaux restent fragiles et inachevés. Il souligne implicitement les restrictions ou interdictions ponctuelles de manifestations pour se présenter en défenseur de ces valeurs essentielles à la démocratie.
Cependant, il convient de reconnaître que depuis son arrivée au pouvoir, Tshisekedi a engagé des réformes notables visant à assouplir le climat politique et à encourager un espace public plus ouvert. Malgré des défis persistants, le régime actuel a permis une plus grande diversité d’opinions et un pluralisme médiatique plus visible qu’auparavant. Cette évolution, même incomplète, répond à une aspiration populaire forte et témoigne d’une volonté réelle de renforcer les libertés dans un contexte national complexe.
Ainsi, si la rhétorique de Kabila peut trouver un écho auprès d’une population sensible aux atteintes aux libertés, elle ne doit pas occulter les progrès accomplis ni la détermination du pouvoir en place à poursuivre sur cette voie, malgré les résistances et les défis sécuritaires qui pèsent sur le pays.
Mais là encore, le passé de Kabila contredit ses paroles. Sous son régime, les manifestations étaient réprimées dans le sang, les médias critiques réduits au silence, et les opposants emprisonnés ou exilés. Cette recommandation apparaît comme une tentative opportuniste de se réinventer en champion des droits humains, une image qui peine à convaincre au regard de son histoire. Politiquement, elle vise à rallier l’opinion publique et les partenaires internationaux contre Tshisekedi, tout en détournant l’attention des violations commises sous son propre règne. Sans plan clair pour garantir ces libertés, ceci reste une posture plus qu’un engagement.
Réconcilier les Congolais et reconstruire la cohésion nationale
Dans un pays aussi multiethnique que la RDC, l’appel de Joseph Kabila à la réconciliation et à la cohésion nationale répond à un besoin profondément ressenti par la population. Il critique Félix Tshisekedi pour ce qu’il présente comme un échec à unir les Congolais, laissant entendre qu’il pourrait lui-même incarner celui capable de panser les divisions. Sur le principe, cette aspiration à un sentiment d’appartenance commune est incontestablement légitime et partagée par une majorité de Congolais.
Pourtant, il est important de rappeler que depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a multiplié les gestes en faveur du dialogue intercommunautaire et de la réconciliation nationale, notamment à travers des initiatives inclusives visant à rassembler les différentes composantes du pays. Malgré les défis structurels et les tensions héritées du passé, son gouvernement s’efforce de promouvoir un vivre-ensemble fondé sur le respect mutuel et la justice sociale.
De son côté, Kabila, durant ses années à la tête de l’État, a souvent été accusé d’avoir exacerbé les clivages ethniques et régionaux, favorisant certains groupes au détriment d’autres, ce qui a contribué à fragiliser l’unité nationale. Son discours actuel, bien que porteur d’un message séduisant, manque cependant de propositions concrètes : comment entend-il réellement réconcilier un peuple aussi divers et meurtri ? Sans une feuille de route claire, cette déclaration apparaît davantage comme une posture destinée à restaurer son image d’homme d’État capable de transcender les divisions.
Politiquement, cette rhétorique lui permet de se positionner en leader au-dessus des clivages, une carte qu’il pourrait jouer pour rallier des soutiens dans un paysage politique fragmenté. Mais face aux réalités du terrain et aux efforts visibles du régime Tshisekedi, son appel sonne plus comme un geste symbolique que comme une proposition pragmatique et crédible.
Relancer le développement du pays par la mise en place d’une bonne gouvernance
Au cours du régime de Joseph Kabila, la RDC perdait chaque année environ 15 milliards de dollars à cause des détournements de fonds publics, selon une révélation faite par le professeur Luzolo Bambi, lors de l’ouverture de la rencontre régionale Afrique de Transparency International tenue à Kinshasa en juin 2018. Ce montant colossal, représentant près de trois fois le budget national de l’époque, estimé entre 3 et 4 milliards de dollars, a gravement entravé le développement du pays. Cette fuite massive de ressources a compromis la fourniture des services publics essentiels, tels que l’accès à l’éducation, à la santé et aux infrastructures, aggravant la pauvreté dans un pays où près de 80 % de la population vivait avec moins de 1,90 dollar par jour.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, le budget national a connu une progression notable, atteignant environ 18 milliards de dollars, grâce à une meilleure mobilisation des ressources publiques. Des initiatives de lutte contre la corruption ont été lancées, notamment à travers des enquêtes et la condamnation de certains hauts responsables. Cependant, malgré ces avancées, la gouvernance transparente reste un défi majeur, les réseaux de corruption et les pratiques opaques demeurant profondément ancrés dans les institutions.
Dans ce contexte, l’appel de Joseph Kabila à une « bonne gouvernance » semble davantage relever d’une stratégie politique visant à critiquer la gestion de Félix Tshisekedi, sans pour autant proposer de solutions concrètes pour rompre avec les pratiques de détournement massives qui ont caractérisé son propre régime.
Relancer le dialogue sincère et permanent avec tous les pays voisins
Kabila prône un dialogue constructif avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi pour stabiliser la région des Grands Lacs, une proposition séduisante dans un contexte où les tensions régionales, notamment les conflits armés transfrontaliers, exacerbent l’instabilité en RDC. Cependant, cette recommandation est entachée par son propre bilan et les soupçons persistants de collusion. Des rapports de l’ONU (notamment le rapport du Groupe d’experts de 2012 et 2022) ont documenté le soutien du Rwanda au M23, avec des allégations crédibles impliquant des connexions avec l’entourage de Kabila durant son mandat. Ce passif jette un doute sur la sincérité de son appel au dialogue, qui pourrait masquer une volonté de maintenir une entente tacite avec Kigali, au détriment des intérêts congolais.
En outre, sous la présidence de Kabila, les relations avec les voisins étaient marquées par des tensions récurrentes : l’accord de paix de 2003 avec le Rwanda n’a pourtant pas empêché les incursions répétées du M23, et les négociations avec l’Ouganda sur les conflits frontaliers ont souvent stagné. Critiquer la diplomatie « erratique » de Tshisekedi semble opportuniste quand son propre bilan révèle une gestion chaotique des crises régionales, avec des accords opaques et peu de résultats concrets. Politiquement, cette proposition vise à repositionner Kabila comme un acteur géopolitique crédible, mais elle cacherait la volonté d’octroyer de concessions excessives au Rwanda, notamment sur des questions d’exploitation minières et l’influence permanente de Kagame dans l’Est du pays.
Sans garanties claires sur la transparence et la souveraineté, cet appel au dialogue alimente davantage les suspicions qu’il ne restaure la confiance.
Rétablir la crédibilité du pays auprès des partenaires au niveau tant régional, continental qu’international
Redorer l’image de la RDC sur la scène internationale, ternie par des décennies de conflits, de corruption et d’instabilité, est une ambition que Joseph Kabila présente comme essentielle. Il sous-entend que sous Félix Tshisekedi, le pays se serait isolé, perdant la confiance de ses partenaires étrangers. Si la RDC rencontre effectivement des difficultés à inspirer pleinement la confiance, il convient de souligner que cette marginalisation n’est pas née avec Tshisekedi : sous le long règne de Kabila, le pays était déjà souvent perçu comme un État fragile, incapable de respecter ses engagements internationaux.
Depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a multiplié les efforts pour renouer le dialogue avec la communauté internationale, obtenant un regain d’intérêt et de soutien, notamment à travers des partenariats stratégiques et des engagements concrets en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Ces avancées, bien que perfectibles, témoignent d’une volonté réelle de restaurer la crédibilité de la RDC et de repositionner le pays comme un acteur incontournable de la région des Grands Lacs.
En ce sens, la promesse de Kabila de restaurer la crédibilité internationale, sans plan d’action clair ni propositions concrètes pour rassurer bailleurs de fonds et investisseurs, apparaît davantage comme une posture politique destinée à se présenter en dirigeant plus compétent. Pour que la RDC regagne durablement la confiance de ses partenaires, il faudra dépasser les discours et s’appuyer sur les progrès déjà amorcés sous Tshisekedi, en consolidant les réformes et en assurant une gouvernance transparente et stable.
Neutraliser tous les groupes armés et rapatrier ces derniers dans leurs pays d’origine
Neutraliser les groupes armés et renvoyer les combattants étrangers chez eux constitue une réponse directe à l’insécurité chronique qui ravage l’Est congolais. Joseph Kabila critique vivement Félix Tshisekedi pour son incapacité à éradiquer ces menaces, mais sa proposition reste ambiguë, notamment par son silence sur le M23, principal acteur de la crise. Cette omission soulève des interrogations quant à ses liens éventuels avec ces groupes armés dans la région.
Sous le mandat de Kabila, ces milices ont souvent prospéré, bénéficiant parfois de la complicité tacite, voire active, des autorités. En se présentant aujourd’hui comme l’homme capable de les neutraliser, il joue la carte du leader fort, sans toutefois expliquer comment il réussirait là où il a échoué auparavant. Son refus de condamner clairement le M23 et le rôle du Rwanda, principal parrain de la majorité des groupes armés dans l’Est, comme l’a révélé l’ancien général rwandais Faustin Nyamwasa, cofondateur du Front patriotique rwandais (FPR) et ancien chef des renseignements militaires, cité dans le livre « L’Éloge de sang » de Judi River, renforce les doutes sur ses véritables intentions.
Ainsi, cette posture apparaît davantage comme une stratégie politique visant à capitaliser sur la frustration populaire face à l’insécurité, plutôt qu’une feuille de route crédible pour restaurer la paix et la stabilité dans l’Est congolais.
Mettre définitivement fin au recours et à l’utilisation des mercenaires
Mettre définitivement fin au recours aux mercenaires, est présenté par Joseph Kabila comme une nécessité pour renforcer les forces armées nationales. Il sous-entend que le recours à ces combattants extérieurs aurait affaibli la souveraineté de l’État, une critique implicite à l’encontre de Félix Tshisekedi, pour avoir recouru aux mercenaires afin d’aider les FARDC dans la guerre contre le M23.
Pourtant, cette critique oublie que sous le règne de Kabila, l’intégration massive d’anciens éléments du CNDP au sein des FARDC a profondément fragilisé l’armée nationale. Ce mélange a favorisé l’infiltration de groupes hostiles, affaiblissant la capacité des FARDC à mener une guerre efficace contre les rebelles soutenus par le Rwanda. Les mercenaires venus défendre la patrie n’ont souvent été qu’un renfort nécessaire face à une armée déstructurée, elle-même héritée d’un Kabila qui n’a pas laissé à son successeur une force militaire véritablement opérationnelle. Certains analystes vont jusqu’à soupçonner que cette situation a pu être entretenue délibérément, maintenant la RDC dans une vulnérabilité stratégique vis-à-vis du Rwanda.
Par ailleurs, Kabila lui-même a été accusé d’avoir eu recours à des mercenaires pour protéger ses intérêts personnels et politiques, ce qui rend sa condamnation actuelle du phénomène particulièrement cynique. Sa recommandation, vague et dénuée de propositions concrètes, semble davantage destinée à détourner l’attention de son propre passé et à se présenter comme un défenseur des normes internationales.
Ordonner le retrait sans délai de toutes les troupes étrangères du territoire national
Kabila exige le départ immédiat des forces étrangères, notamment rwandaises, du territoire congolais, un appel qui résonne avec la frustration populaire face à l’ingérence extérieure, particulièrement dans l’Est de la RDC, où les incursions rwandaises alimentent les conflits depuis des décennies. Cette revendication de souveraineté semble légitime, mais sa position en fin de liste dans ses propositions est troublante. Étant donné que la guerre et ses causes, dont la forte implication du Rwanda via le M23 est un facteur clé, sont une priorité, pourquoi reléguer une demande aussi cruciale à une place secondaire ? Cette incohérence révèle une possible manoeuvre stratégique.
Durant sa présidence, Kabila n’a jamais obtenu le retrait effectif des forces rwandaises ni coupé les soutiens logistiques au M23, malgré des accords comme celui de Nairobi en 2013. Au contraire, des enquêtes indépendantes, telles que celles du Groupe d’experts de l’ONU, ont pointé des liens troubles entre son régime et des acteurs rwandais, suggérant une tolérance calculée de l’ingérence pour des gains politiques ou économiques, notamment via l’exploitation illégale des minerais. En liant aujourd’hui le retrait des troupes rwandaises à un changement de leadership à la tête du pays, Joseph Kabila semble instrumentaliser la présence de l’armée rwandaise en RDC pour forcer le président de la République, Félix Tshisekedi, à abandonner le pouvoir sous la contrainte. Une menace à peine voilée : les soldats rwandais ne quitteront le sol congolais que lorsque Tshisekedi aura quitté la présidence. Cette manœuvre permettrait aussi à Kabila de préserver ses alliances stratégiques en Afrique de l’Est (avec l’Ouganda, le Rwanda et le Kenya), qui ont longtemps assuré sa protection politique. Cette posture opportuniste, déguisée en défense de la souveraineté, risque de prolonger l’instabilité plutôt que de la résoudre, et soulève des questions sur ses véritables intentions : cherche-t-il à apaiser les tensions ou à maintenir une pression rwandaise pour servir ses intérêts ? Sans un engagement clair pour des mécanismes de contrôle indépendants, cet appel sonne creux et alimente la méfiance envers son agenda.
Conclusion
Les 12 recommandations de Joseph Kabila ne sont pas un simple programme de réformes, mais un puzzle politique où se mêlent critiques acerbes, omissions calculées et ambitions personnelles. Elles visent systématiquement à discréditer Félix Tshisekedi, tout en masquant les échecs d’un homme qui a dirigé la RDC pendant 18 ans sans résoudre ses crises fondamentales. L’absence du M23 dans son discours et du Rwanda, la relégation du retrait rwandais en fin de liste et l’appel à une refondation institutionnelle trahissent une volonté de se repositionner comme leader, probablement avec le soutien du Rwanda.
Ce discours ne propose pas une feuille de route, mais brandit une arme de déstabilisation – un sinistre écho des rébellions passées : l’AFDL et le RCD, ces mouvements qui ont porté les Kabila au pouvoir grâce au soutien actif de Kigali. La RDC, déjà exsangue après des décennies de violences cycliques et d’ingérences étrangères, semble condamnée à endurer un nouveau chapitre de ces jeux de pouvoir mortifères.
Kabila appelle-t-il ici à une répétition de l’histoire ? À une nouvelle guerre par procuration, soutenue par Kigali, pour sacrifier encore des millions de Congolais sur l’autel de ses ambitions ? Entre posture sincère et calcul opportuniste, ses « recommandations », en réalité des exigences déguisées, posent une question cruciale : à qui profitent-elles vraiment ?
Joachim Cokola
Analyste politique
Expert des questions parlementaires congolaises
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Nation
Sous pression de la Présidence : Daniel Bumba sur un siège éjectable ?
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2 heures agoon
novembre 27, 2025By
La redaction
La gestion financière du gouverneur de la ville-province de Kinshasa est minutieusement examinée. Le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a lancé une mission de contrôle portant sur la gestion des ressources financières sous la responsabilité du gouverneur Daniel Bumba depuis 2014 jusqu’à aujourd’hui. Parallèlement, la Présidence de la République, par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, a mis en place une autre mission chargée d’auditer la gestion des fonds d’assainissement de Kinshasa (FOSAK). Cependant, l’initiative du ministère de l’Intérieur alimente interrogations, attentes et débats au sein de la classe politique comme dans l’opinion publique. Cette mission aboutira-t-elle à l’éviction du gouverneur ? Voilà la grande question.
Dans un document signé le 24 novembre 2025, le directeur de cabinet du chef de l’État, Anthony Nkinzo, a ordonné une mission d’évaluation « circonstanciée » des opérations du Fonds d’assainissement (FONAK) de Kinshasa. Cette enquête, menée par quatre membres du cabinet présidentiel, se déroule du 27 au 28 novembre 2025. Cette action de la Présidence coïncide avec une autre mission de contrôle lancée le 13 novembre 2025 par le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, pour superviser la gestion des ressources financières de la capitale par le gouverneur Daniel Bumba.
Dans une lettre adressée au gouverneur, Jacquemain Shabani informe qu’une mission de contrôle composée de l’Inspection Générale de la Territorialité, en collaboration avec les experts du Secrétariat Général aux Finances et de la Direction générale de la trésorerie et de la comptabilité publique (DGTCP), placée sous la supervision de son cabinet, a été mise en place. « Cette mission a pour objet d’effectuer un contrôle approfondi de la gestion des ressources financières de la ville de Kinshasa, notamment les modalités de perception et d’affectation de ces ressources pour la période allant de 2024 à aujourd’hui », précise Jacquemain Shabani.
Les enquêteurs examinent particulièrement les dépenses relatives aux travaux d’infrastructures, à la gestion urbaine, à la passation des marchés publics ainsi qu’à la conduite des projets d’infrastructure. Parallèlement, la Présidence de la République a dépêché une équipe distincte pour auditer la gestion du Fonds d’assainissement de Kinshasa (FOSAK), un dispositif financier destiné à soutenir les opérations de nettoyage, de drainage et l’amélioration du cadre de vie des habitants. Cette démarche illustre la volonté de la haute hiérarchie étatique d’exercer un contrôle strict sur l’usage des fonds dédiés à l’assainissement, secteur clé pour la santé publique.
Des contrôles révélant les carences de l’Assemblée provinciale
Le Parlement de Kinshasa, chargé de contrôler l’action du gouvernement provincial, peine pourtant à jouer pleinement son rôle. Entre interpellations timides, commissions peu offensives et absence de suivi rigoureux, le contrôle parlementaire de l’Assemblée provinciale se montre faible, ce qui explique l’intervention de la Présidence et du ministère de l’Intérieur.
Théoriquement, l’Assemblée provinciale de Kinshasa jouit de prérogatives étendues pour surveiller la gestion du gouvernorat et évaluer la mise en œuvre des politiques publiques. Questions orales, interpellations, enquêtes et auditions parlementaires sont autant d’outils censés garantir la redevabilité des autorités provinciales.
Dans les faits, ces mécanismes sont rarement exploités efficacement. De nombreux analystes soulignent une tendance à la complaisance des députés provinciaux envers l’exécutif. Les sessions de contrôle sont souvent perçues comme formelles, sans véritables conséquences contraignantes, et les rapports issus des commissions aboutissent rarement à des sanctions ou mesures correctives. Cette situation engendre un sentiment d’impunité autour du gouverneur et de son équipe, fragilisant ainsi la démocratie locale. « Bien souvent, les contrôles parlementaires ne servent qu’à régler des comptes entre l’Assemblée et le gouverneur, plutôt qu’à exercer un vrai contrôle de gestion », commente un analyste politique.
Controverses autour de la légitimité du contrôle du ministère de l’Intérieur
Malgré les faiblesses de l’Assemblée provinciale, certains déplorent l’initiative du ministère de l’Intérieur, estimant que ce dernier n’a pas la compétence légale pour contrôler la gestion du gouverneur. « En RDC, la surprise est constante. Comment le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur peut-il se permettre d’auditer les finances de la ville de Kinshasa ? Quelle loi lui confère ce pouvoir ? », s’interroge Jean-Claude Katende, président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO). Ce représentant de la société civile considère que Jacquemain Shabani n’a aucun droit légal en la matière. « S’il s’inquiète de la gestion financière de la ville, il devrait saisir l’Inspection Générale des Finances (IGF) ou la Cour des comptes, organismes mandatés par la Constitution. Qui conseille le ministre de l’Intérieur ? Pourquoi l’a-t-on laissé commettre une erreur aussi grave ? », s’interroge-t-il. Pour lui, le gouvernement de la ville de Kinshasa devrait opposer un refus ferme à cette intervention.
Daniel Bumba face à une possible éviction
Cette double enquête suscite des spéculations sur une possible éviction du gouverneur Daniel Bumba. Entre manœuvres politiques, pressions institutionnelles et critiques liées à sa gestion, la question de son départ agite la classe politique et l’opinion kinoises. Une éviction ne pourrait toutefois intervenir sans passer par l’Assemblée provinciale. Gouverneur issu de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Daniel Bumba semble peiner à répondre aux attentes du parti au pouvoir, un an après son investiture.
Depuis son arrivée, aucun programme clair n’a émergé pour améliorer la salubrité de la ville. Kinshasa étouffe sous les déchets qui, à chaque pluie, bloquent l’évacuation des eaux. Les routes secondaires sont jonchées de nids-de-poule. La capitale vit au rythme d’embouteillages monstrueux, où la circulation vire quotidiennement au chaos. Pour inverser cette tendance, le gouvernement central a lancé fin 2023 un vaste programme de réhabilitation des voiries secondaires. L’objectif est de réhabiliter plus de 200 kilomètres de routes dans les 24 communes, désenclaver les quartiers populaires et fluidifier une circulation étouffée. « Sur les deux priorités majeures, voirie et gestion des déchets, le gouvernement central s’est engagé à moderniser intégralement les routes urbaines. Sous la coordination de la Première ministre, tous ces projets sont financés via le ministère des Finances afin d’améliorer la mobilité urbaine et de créer les conditions d’une croissance durable », expliquait le ministre des Finances, Doudou Fwamba. La majorité des nouvelles voiries sont bâties en béton, dites « chaussées rigides », plus coûteuses à construire mais offrant une durée de vie nettement supérieure à l’asphalte : jusqu’à trente ans, contre dix à quinze ans pour une route bitumée. Pourtant, nombreux sont les chantiers qui piétinent alors que le ministre affirmait qu’ils étaient « entièrement » financés par le pouvoir central.
Pour le député national Aaron Bimwala, la gestion de Daniel Bumba n’a pas répondu aux attentes des Kinois, et il appelle à en tirer les conséquences. « Soyons réalistes : après deux ans, la politique menée à la tête de la ville n’a pas répondu aux urgences et attentes des habitants. Il est temps d’en tirer toutes les conclusions et d’ouvrir une nouvelle voie », déclare-t-il.
Face à ces contrôles, Daniel Bumba adopte une posture mêlant ouverture et contestation tacite, invoquant la loi sur la libre administration des provinces et entités territoriales décentralisées pour répondre à Jacquemain Shabani. Pour certains analystes, cette double mission s’inscrit dans une dynamique visant à restaurer la confiance entre les autorités kinoises et la population, souvent confrontée aux défaillances des services publics.
Heshima
Nation
Du Budget au Perchoir : le parcours insoupçonné de Boji Sangara
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7 jours agoon
novembre 20, 2025By
La redaction
Économiste de formation britannique, réservé mais d’une méthode implacable, Aimé Boji Sangara a gravi les échelons de la politique congolaise loin des projecteurs et des coups d’éclat. Son élection à la présidence de l’Assemblée nationale marque le couronnement d’un parcours où rigueur académique, loyauté stratégique et sens aigu du détail ont façonné un personnage rarement bruyant, mais dont l’influence est désormais centrale. Portrait d’un homme qui, loin de l’ostentation, privilégie l’efficacité structurelle et le travail de fond.
Le jour de son élection, le 13 novembre 2025, Aimé Boji Sangara n’a pas cédé à l’euphorie. Là où d’autres auraient levé les bras en signe de triomphe, il s’est simplement avancé vers le pupitre. Il affichait une concentration presque austère, révélant plus l’homme d’État mesuré que le vainqueur exubérant. Chez lui, la retenue n’est pas un artifice tactique : elle est l’expression profonde d’un trait de caractère qui est devenu sa marque de fabrique dans l’arène politique.
Lors de son discours d’investiture à la tête de la chambre basse, Boji a immédiatement cherché à rassurer et à projeter une image de réformateur pragmatique. Il a promis de transformer l’institution parlementaire en « un parlement plus fort, plus crédible et plus proche du peuple », des objectifs qui nécessiteront une refonte interne des méthodes de travail et une collaboration renforcée, mais équilibrée, avec les autres institutions républicaines. Il a ainsi posé d’emblée les bases d’un mandat axé sur la rationalisation de l’action législative.
L’héritage politique du Kivu et l’exil académique
Né en 1968 dans le territoire de Walungu, au Sud-Kivu, Aimé Boji a été bercé par l’atmosphère du service public et de la politique. Son père, Dieudonné Boji, fut une figure respectée, notamment en tant que gouverneur du Kivu avant son éclatement en plusieurs provinces. Cette immersion précoce dans le sérail du pouvoir, loin d’engendrer une ambition politique prématurée, l’a plutôt orienté vers l’exigence de la méthode. Il s’est d’abord passionné pour la discipline des chiffres et la logique du raisonnement structuré. Après un diplôme de math-physique obtenu à Bukavu, il choisit de s’éloigner du tumulte national et de l’héritage familial pour poursuivre sa formation au Royaume-Uni.
Son voyage académique le mène d’abord à Oxford Brookes, puis à l’éminente Université d’East Anglia. Ces années passées outre-manche sont décisives. Il y acquiert non seulement un master en économie du développement, mais aussi un rapport au travail singulier : un culte de la méthode, de la recherche approfondie et de la gestion publique axée sur les résultats. Il s’engage ensuite dans des projets académiques et associatifs à Londres, se forgeant une réputation de professionnel sérieux, dont la rigueur et la précision, presque obsessionnelle, sont incontestables. Ces fondations jetées loin de Kinshasa expliquent sans doute sa capacité à rester serein et analytique face aux turbulences politiques.
Le technocrate au cœur de l’État
Lorsque Boji revient au pays au milieu des années 2000, c’est avec la conviction que son expertise doit servir l’appareil d’État. Élu député national en 2006, il est réélu sans discontinuer à chaque cycle électoral jusqu’à celui de 2023, faisant de son mandat parlementaire le socle de sa carrière.
Cependant, c’est au sein de l’Exécutif qu’il va véritablement affirmer son profil de technocrate fiable. Ses passages successifs aux portefeuilles du Commerce extérieur, du Budget et de l’Industrie sont remarqués par leur sérieux. Chaque nomination renforce l’image d’un homme capable d’écouter, d’analyser et de produire des résultats concrets, souvent mieux préparé sur le fond des dossiers que la moyenne de ses homologues.
Son mandat de quatre ans comme ministre du Budget est particulièrement éclairant. Il lui a permis d’acquérir une compréhension microscopique du fonctionnement de l’État, des rouages de la gestion des finances publiques et des impératifs de la transparence budgétaire. Malgré son passage prolongé au gouvernement, il n’a jamais renié ses années de parlementaire. « J’ai eu le privilège de siéger 13 ans durant dans cet hémicycle », a-t-il rappelé aux députés, soulignant qu’il y a appris la « noblesse du débat démocratique » et la valeur inestimable du consensus. Boji compte bien s’appuyer sur cette expérience bicéphale pour régénérer l’Assemblée. Il a clairement affiché sa volonté de replacer le député au centre de l’action parlementaire en privilégiant le travail de terrain et la proximité avec les réalités locales. Il souhaite notamment exploiter de manière plus systématique les rapports issus des vacances parlementaires pour identifier les besoins réels des circonscriptions et proposer au gouvernement des projets d’urgence concrets à financer en faveur des populations.
L’ascension stratégique : l’ancre de Tshisekedi
Dans un environnement politique souvent dominé par la théâtralité, les joutes oratoires et l’agitation, Boji incarne une forme de politique posée, presque administrativement efficace, qui tranche singulièrement. Ses collaborateurs le décrivent comme un homme qui « travaille en silence ». Le député Michel Moto, son camarade du parti politique Union pour la nation congolaise (UNC), le dépeint comme « un homme posé, conciliant et surtout un homme de dialogue », soulignant la dimension consensuelle de son leadership. Même ses détracteurs, en coulisse, concèdent volontiers qu’il « ne fait pas de vagues, mais il avance avec une détermination tranquille et méthodologique ».
Lorsque l’Union Sacrée de la Nation (USN) le désigne candidat au perchoir en septembre 2025, le choix n’est pas perçu comme audacieux, mais comme éminemment stratégique. Certains observateurs y voient un geste de prudence visant à installer une figure non clivante capable de gérer les dossiers techniques. D’autres y lisent une manœuvre pour stabiliser une institution qui a connu des périodes de crises internes et de vives tensions. Fidèle à lui-même, Boji mène sa campagne loin de l’agitation : il consulte, écoute, prend des notes méticuleuses et propose un programme centré sur la modernisation de l’institution. Son score, 413 voix sur les 423 votants, est un plébiscite qui témoigne de sa capacité à rallier un large consensus au-delà des chapelles politiques.
Un secret de polichinelle : la loyauté au Président
Le rapprochement entre Aimé Boji et le chef de l’État, Félix Tshisekedi, est l’élément fondamental qui explique cette ascension. Longtemps discret, il est devenu un secret de polichinelle au lendemain de sa démission du ministère de l’Industrie pour se présenter au Perchoir.
Un politologue souligne l’évidence de la stratégie : « Personne ne risque de quitter un portefeuille ministériel, surtout d’État, s’il n’a pas la certitude absolue d’avoir le soutien total du chef de l’État pour le Perchoir. Le fait qu’il ait quitté ses fonctions était le signe irréfutable de l’aval présidentiel. » Boji est l’homme clé chargé de garantir la cohésion et la productivité du pouvoir législatif au service de la vision présidentielle. Cette nouvelle proximité a d’ailleurs éclipsé l’influence de son mentor politique historique, Vital Kamerhe (VK), chef de l’UNC. Pressenti pour succéder à VK qui avait démissionné du Perchoir, Boji a réussi, depuis 2019, à gagner la confiance durable de Félix Tshisekedi, se positionnant comme un pilier fiable et loyal au sein de l’USN, essentiel à la matérialisation des ambitions de la majorité.
Des dossiers explosifs et un leadership à affirmer
Aimé Boji arrive à la tête de l’Assemblée nationale à un moment charnière. Les défis qui l’attendent sont considérables :
Il devra d’abord œuvrer en étroite collaboration avec l’Exécutif pour soutenir les efforts visant au rétablissement urgent de la paix et de la sécurité dans l’Est du pays. C’est la priorité nationale absolue qui pèsera sur tous les travaux législatifs. Au-delà, l’examen du budget 2026 est un travail technique colossal qui attend immédiatement la chambre basse pour garantir un budget réaliste, social et transparent, conforme aux promesses de l’Union Sacrée.
Enfin, un dossier potentiellement explosif pourrait faire un retour remarqué dans le débat parlementaire : la modification ou le changement de la Constitution. Dans son premier discours, Boji a déjà fixé un cap, sans éclats, mais avec une conviction de fer : moderniser l’institution et renforcer le dialogue constructif avec l’Exécutif. S’il réussit à créer un environnement de travail serein et à mettre les députés à l’aise par son style non conflictuel, un projet sensible comme celui de la révision constitutionnelle pourrait être abordé au sein de l’Union Sacrée avec moins de friction et plus de consensus technique.
En attendant, l’homme a fait des promesses sobres, presque techniciennes, mais parfaitement cohérentes avec sa personnalité. Aimé Boji n’est pas de ceux qui cherchent la lumière. Pourtant, le voici propulsé au cœur battant de la scène politique congolaise. Son défi majeur sera d’imposer son style : calme, méthodique, et parfois déroutant de discrétion, mais d’une efficacité que l’on dit redoutable. Reste à savoir si cette ascension tranquille saura se transformer en un leadership audacieux et assumé face aux enjeux colossaux qui attendent la République. Le Congo, lui, n’attend que de voir.
Heshima
Nation
RDC : Les forces et les faiblesses de l’Accord-cadre signé entre Kinshasa et l’AFC/M23 à Doha
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1 semaine agoon
novembre 17, 2025By
La redaction
Réunis sous l’égide du Qatar, le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) et les représentants de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 mars (AFC-M23) ont signé le 15 novembre 2025 un Accord-cadre inédit visant à ouvrir la voie à un cessez-le-feu durable dans l’est du pays. Ce texte, qualifié de « première étape décisive » par les médiateurs, doit maintenant être suivi de discussions techniques sur la démobilisation et le retrait des combattants. Heshima Magazine explore les différents points de ces protocoles.
Après plusieurs sessions de discussions sans issue, les autorités congolaises et les rebelles de l’AFC/M23 ont finalement franchi une nouvelle étape dans le processus de paix que pilote le Qatar depuis le mois de mars. Cet Accord-cadre comporte 8 protocoles qui déterminent les matières à traiter et les modalités de leur mise en œuvre afin d’aboutir à un accord de paix définitif. Heshima Magazine explore chaque engagement souscrit par les parties dans cet accord-cadre.
Échange de prisonniers sous supervision internationale
Bien que toutes les négociations impliquent des concessions de la part des parties, l’engagement sur l’échange des prisonniers est délicat pour le gouvernement. La plus grande préoccupation sur ce point réside dans la nature des prisonniers à échanger. Si le gouvernement peut s’attendre à la libération des militaires arrêtés par la rébellion lors des combats, l’AFC/M23, de son côté, pourrait élargir la liste à des individus auteurs de crimes graves. Certaines sources évoquaient même des personnalités comme le député Edouard Mwangachuchu, condamné notamment pour détention d’armes à feu. Pour le gouvernement, il est hors de question que tous les individus soient libérés dans ce cadre. « Nous allons nous assurer qu’on applique les critères d’exclusion sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves selon le droit international », avait déclaré le nouveau ministre de la Justice, Guillaume Ngefa.
En septembre, Kinshasa et l’AFC/M23 ont signé ce « mécanisme d’échange de prisonniers ». Dans le cadre de ce dispositif, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) jouera le rôle d’intermédiaire neutre pour l’identification, la vérification et la libération sécurisée des détenus des deux camps. Le mouvement rebelle évoque environ 700 personnes arrêtées par Kinshasa. La mise en œuvre du mécanisme implique l’établissement et la certification des listes de prisonniers, avec l’aval de toutes les parties.
Si l’AFC/M23 s’attend à des têtes couronnées telles que Éric Nkuba alias Malembe, arrêté en Tanzanie puis condamné à mort à Kinshasa notamment pour participation à un mouvement insurrectionnel, le gouvernement, quant à lui, s’attend à la libération d’environ 1500 militaires congolais capturés et envoyés par la rébellion en janvier et février derniers au camp militaire de Rumangabo pour un « reconditionnement ». Même si plus d’une centaine d’entre eux ont réussi à s’échapper des mains de la rébellion, certains restent encore captifs. D’autres combattants cantonnés au quartier général de la MONUSCO avaient déjà été transférés de Goma à Kinshasa en avril grâce à la médiation du CICR. Sur ce point de libération des prisonniers, il reste à savoir si le gouvernement s’en tiendra toujours à son caractère « rigoureux » dans le choix des prisonniers à libérer en faveur de l’AFC/M23.
Mise en place d’un mécanisme conjoint de surveillance du cessez-le-feu
Depuis le 14 octobre, le gouvernement congolais et les rebelles de l’AFC-M23 ont signé ce « mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu » dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Ce mécanisme institue un comité constitué d’un nombre égal de représentants du gouvernement congolais et de l’AFC/M23 afin d’enquêter sur les violations signalées. Les membres de ce comité devraient se réunir à la demande de l’une des deux parties en cas de violations signalées. Le Qatar, les États-Unis et l’Union africaine pourront y prendre part en tant qu’observateurs et la MONUSCO lui fournira un appui logistique. La première réunion du comité était censée se tenir dans les sept jours suivant son institution.
Lors de la signature de cet engagement, Doha avait qualifié la mise en œuvre de ce comité de suivi d’« étape cruciale vers le renforcement de la confiance et la conclusion d’un accord de paix global ». De son côté, le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka, avait salué sur le réseau social X « une avancée significative ». Mais sur le terrain, ce mécanisme a accusé des faiblesses. Les deux camps ont continué à s’affronter sans que le mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu ne puisse s’activer. Par communiqué interposé, les deux camps s’accusent mutuellement de violation de ce cessez-le-feu. Tant que l’accord global n’aura pas intervenu, ce mécanisme – sans la bonne foi des parties – aurait du mal à fonctionner.
Restauration progressive de l’autorité de l’État dans les zones occupées
Ce point, qui figure dans l’Accord-cadre qui vient d’être signé, reste le plus difficile à digérer pour les rebelles de l’AFC/M23. Au début des discussions à Doha, cette rébellion voulait obtenir la gestion des zones conquises en collaboration avec le gouvernement à Kinshasa. Une option qui était dénoncée par l’opinion publique, la percevant comme une balkanisation du pays. La restauration de l’autorité de l’État, l’un des points clés de divergence dans les discussions, passe pour un arrêt de mort pour l’AFC/M23 dont l’avenir post-occupation n’est toujours pas décidé à Doha. Sur la question de la restauration de l’autorité de l’État, la Déclaration de principes signée entre les deux parties en juillet dernier notait que cette restauration de l’autorité de l’État allait constituer une conséquence logique du règlement « des causes profondes » du conflit. L’accord de paix global attendu devra préciser les modalités et le calendrier de cette restauration sur l’ensemble du territoire national.
Retour sécurisé et volontaire des réfugiés et déplacés
C’est l’un des sept points de la Déclaration de principe publiée le 19 juillet. Il a été également repris dans l’Accord-cadre du 15 novembre 2025. Les deux parties s’engagent à faciliter le retour sûr, volontaire et digne des réfugiés et des personnes déplacées vers leurs zones ou pays d’origine. Mais combien sont-ils de part et d’autre de la frontière entre la RDC et le Rwanda ? Ce retour, qui doit se faire en conformité avec le droit humanitaire international et dans le cadre des mécanismes tripartites associant la RDC, les pays d’accueil et le HCR, pourrait aussi constituer l’un des problèmes dans la mise en œuvre de l’accord final. Ce sujet est aussi l’un des points les plus sensibles. Le retour des réfugiés congolais fait partie des revendications historiques du M23, déjà présentes dans l’accord de paix signé en 2009 entre Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l’ancêtre du mouvement actuel. Problème : qui est Congolais et qui ne l’est pas ? Ces réfugiés, défendus bec et ongle par le M23, sont-ils en nombre conséquent ? Sur ce point, il faut d’abord régler la question des chiffres. Selon les dernières estimations avancées par RFI, le Rwanda accueille près de 137 000 réfugiés, principalement en provenance de la RDC et du Burundi. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 80 000 Congolais vivraient aujourd’hui au Rwanda. Mais pour Kinshasa, le problème reste l’identification : les autorités congolaises affirment ne pas connaître avec précision ni le nombre, ni l’identité de ces réfugiés. Pour le gouvernement congolais, on ne peut pas rapatrier des réfugiés dans une zone encore en conflit ou sous contrôle des rebelles du M23. Le gouvernement voudrait avoir le pouvoir nécessaire de contrôler l’identité de ceux qui veulent revenir au pays. Le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur et Sécurité, Jacquemain Shabani, alertait déjà sur une « transplantation » des populations venues d’ailleurs dans les zones contrôlées par les rebelles du M23.
Ce sujet fait craindre au gouvernement et à l’opinion l’arrivée d’une population compacte qui pourrait, un jour, exiger l’autonomie d’une des régions congolaises. Ainsi donc, Kinshasa insiste : le retour des réfugiés dans les zones aujourd’hui sous administration du M23 ne pourra avoir lieu qu’après le cessez-le-feu, la restauration de l’autorité de l’État et la vérification de la nationalité des candidats au retour. Autrement dit, cette question est loin d’être close. Elle pose aussi d’autres défis : quand ces réfugiés rentreront-ils ? Et où seront-ils installés ? Car il y a parmi eux des individus qui n’ont jamais mis les pieds en RDC. Des questions qui montrent, selon plusieurs experts, qu’il ne suffit pas de régler le volet sécuritaire, il faut un accord global, incluant aussi les aspects sociaux, fonciers et économiques. Les populations congolaises qui avaient fui l’arrivée du M23 dans leur zone avaient trouvé à leur retour des occupants venus d’ailleurs installés dans leurs maisons, cultivant également leurs champs.
Mesures de confiance
Ce point implique entre autres la communication entre parties, la fin de la propagande « haineuse » selon l’AFC/M23 et les libérations des prisonniers. Sur ce point, paradoxalement, rien ne rassure au regard des premières communications faites après la signature de cet Accord-cadre à Doha. « Cet accord ne comporte aucune clause contraignante », déclare Benjamin Mbonimpa, chef de la délégation de l’AFC/M23. Une communication qui annonce déjà que tout peut basculer à n’importe quel moment. « Il n’y a rien qui va changer sur le terrain », estime Bob Kabamba. Selon lui, il y a eu deux signatures qui n’ont pas produit des résultats sur le terrain. « Il faut s’inquiéter pour la suite car les deux parties se sont réarmées, elles se sont réorganisées », a-t-il expliqué, soulignant la mise en place par le M23 d’une administration parallèle qui fonctionne comme un État.
La relance économique et les services sociaux
Ce point du protocole de l’Accord-cadre est étroitement lié à la restauration de l’autorité de l’État. Un point qui reste parmi les plus difficiles à obtenir à Doha. Les rebelles ne veulent pas encore céder les zones sous leur contrôle sans connaître au préalable leur avenir politique et sécuritaire.
La justice, la vérité et la réconciliation
Alors que les combats se poursuivent dans l’Est du pays, Kinshasa et les rebelles laissent entrevoir, malgré des positions opposées, quelques signaux de réconciliation. Mais la méfiance reste profonde, et les conditions d’une véritable réconciliation demeurent toujours fragiles. La part de la justice dans cette démarche est essentielle pour ne pas laisser les bourreaux côtoyer les victimes. Cette réconciliation entre le gouvernement congolais et les rebelles AFC/M23 n’est pas impossible ; elle est simplement suspendue à une constellation de facteurs politiques, militaires et diplomatiques encore instables. Dans un conflit où chaque camp cherche une position de force, la paix reste pour l’instant un horizon plus qu’une réalité, mais un horizon que beaucoup, épuisés par des années de guerre, espèrent voir enfin se rapprocher.
Élaboration d’une feuille de route vers un accord de paix global
L’Accord-cadre de Doha fixe les bases d’un processus destiné à mettre fin aux hostilités, à rétablir l’autorité de l’État et à consolider la stabilité nationale. Il réaffirme la détermination du Gouvernement à placer la paix, la sécurité et la dignité du peuple congolais au centre de son action. C’est dans ce cadre que la protection des populations civiles, en particulier les femmes, les enfants et les personnes déplacées internes, demeure une priorité. Les protocoles qui découleront de cet Accord-cadre permettront notamment de sécuriser les corridors humanitaires, de faciliter l’accès des organisations humanitaires, et d’engager des actions urgentes pour répondre aux besoins essentiels des communautés affectées.
De son côté, le gouvernement précise que les six protocoles, en dehors de ceux relatifs au Mécanisme de libération des prisonniers ainsi qu’au Mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu, feront l’objet de discussions deux semaines après la signature de l’Accord-cadre. Il s’agira de préciser les modalités techniques, les calendriers d’exécution et les engagements respectifs des parties. Dans le communiqué du gouvernement, Kinshasa note qu’aucun statu quo n’est compatible avec cet objectif de paix : le processus engagé vise à créer, dans les plus brefs délais, les conditions d’un changement réel et mesurable pour les populations affectées. Les deux prochaines semaines vont permettre de percevoir les nouveaux efforts entre les deux parties.
Heshima
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