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A quoi servent les Institutions africaines

De la même manière qu’il a été établi l’impossibilité pour l’homme de vivre seul dans la société, cela est aussi avéré pour les pays du monde. Ces derniers, suite à la proximité géographique, linguistique, culturelle ou économique se réunissent au sein des Institutions, organisations régionales ou sous-régionales. Celles-ci contribuent d’une manière ou d’une autre à une meilleure gestion des pays membres et à la stabilité de leurs régions. En Afrique, l’instance suprême est l’Union Africaine, elle qui s’apprête à tenir son 34ème Sommet, le premier de l’année 2021, par visioconférence ou dans son format habituel à Addis-Abeba, capitale d’Ethiopie. L’UA présente une image omniprésente dans la politique africaine quelques fois controversée. Entre les dossiers de terrorisme, les révoltes et rébellions ou encore la gestion de la deuxième vague de la pandémie à Covid-19 pour laquelle l’Europe et l’Amérique ont déjà commencé avec la campagne de vaccination, c’est encore une série de défis qui attendent l’Union Africaine en 2021 face au ralentissement que connaît le continent africain dont le plus grand nombre de pays est encore compté parmi les moins développés du monde et ce, plus de soixante ans après les indépendances africaines. Une situation qui pousse à se poser la question sur le rôle que jouent toutes les institutions africaines, en commençant par l’Union Africaine. Pour ce faire, votre magazine procède à un décryptage d’un échantillon de ces Institutions et communautés régionales.

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Union Africaine 

C’est en 1963, au lendemain des premières indépendances des Etats africains autrefois colonies occidentales, qu’est créée l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Alors que deux tendances, celle de Nkuameh Krumah, Président du Ghana et celle de Léopold Sédar Senghor du Sénégal, se disputent la paternité de l’OUA, les avis tendent à converger autour de l’ancien empereur éthiopien Hailé Sélassié. Dans un premier temps trente-deux pays seulement signent la charte créant l’OUA faisant d’elle une organisation essentiellement de développement et non d’intégration. Des décennies durant l’Organisation de l’Unité Africaine a axé sa politique sur la lutte contre le colonialisme et n’intervenait jamais dans les affaires internes des pays membres, laissant ces derniers sombrer dans la dictature et les coups d’Etat.

Elle a présenté des limites dans la gestion et la prévention des conflits, ne basant son fonctionnement que sur des dossiers purement administratifs tels que la révision des statuts. Les panafricanistes reprochent à l’OUA une faible implication diplomatique quant à l’emprisonnement de Nelson Mandela ou encore l’assassinat de Thomas Sankara mais aussi un laisser-faire dans l’instabilité des pays de l’Afrique de l’Ouest à l’exemple du Ghana, du Nigéria, de la Sierra Leone où se sont succédé putsch et assassinats des chefs d’Etat.

 Devant cette nonchalance de l’instance africaine, le président libyen Mouammar Kadhafi fort des largesses économiques que lui offre la manne pétrolière de son pays, commence à torpiller l’OUA. Face à l’incapacité de l’organisation à soutenir financièrement des pays en difficulté, Kadhafi offre de l’aide financière aux pays vulnérables qui se rallient progressivement à lui. En 1983, le Maroc déçu de la reconnaissance par l’OUA du Sahara occidental qu’il annexait depuis des décennies décide de quitter l’OUA, une fragilisation de plus.

Mouammar Kadhafi remportera finalement son combat au début des années 2000 lorsqu’à Durban en Afrique du Sud, de nombreux présidents africains lèvent l’option de tuer l’Organisation de l’Unité Africaine. La finalité n’est pas celle de tuer pour tuer, mais d’engendrer à partir des restes de l’ancienne organisation, une instance africaine intégrant le plus grand nombre des membres et qui offre davantage de possibilités politiques, économiques et financières pour un développement intégré du continent africain.

C’est la naissance de l’Union Africaine (UA) que les dirigeants africains veulent plus adaptée aux réalités africaines de l’heure. Elle conserve son siège à Addis-Abeba, cependant elle change dans son mode de fonctionnement en optant pour une  structure quelque peu calquée sur l’Union Européenne.

Organes et Fonctionnement de l’UA

De sa création en 2002 à ce jour, l’UA est composée des organes ci-après : 

– La conférence de l’union ;

 – Le conseil exécutif ; 

– Le parlement panafricain ; 

– La cour de justice ;

 – La commission ; 

– Le comité des représentants permanents ; 

– Les comités techniques spécialisés ; 

– Les institutions financières.

La Conférence de l’Union est composée des chefs d’Etats et des gouvernements ou leurs représentants dûment accrédités. Elle est l’organe suprême de l’union et se réunit au moins une fois par an en session ordinaire. A la demande d’un État membre et sur approbation des deux tiers des membres, elle se réunit en session extraordinaire. 

La présidence de la conférence est assurée pendant un an par un chef d’état et de gouvernement élu, après consultation entre les États membres. Elle poursuit comme objectifs :

1. Examiner les demandes d’adhésion à l’union ;

 2. Créer tout organe de l’union ; 

3. Assurer le contrôlée de la mise en œuvre des politiques et décisions de l’union et veiller à leur application par tous les États membres ;

 4. Adopter le budget de l’union ; 

5. Donner des directives au conseil exécutif sur la gestion des conflits, des situations de guerre et d’autres situations d’urgence ainsi que sur la restauration de la paix ; 

6. Nommer et mettre fin aux fonctions des juges de la cour de justice ; 

7. Nommer le président, le(s) vice-Président(s) et les commissaires de la commission et, déterminer leurs fonctions et leurs mandats.

Le Conseil Exécutif est composé des ministres des Affaires étrangères ou de tout autre ministre ou autorité désigné(e) par les gouvernements des Etats membres. Il se réunit deux fois par an en session ordinaire et en session extraordinaire à la demande d’un État membre, sous réserve de l’approbation des deux tiers de tous les membres. Son quorum est de deux tiers (2/3) sauf pour les décisions de procédure qui sont prises à la majorité simple.

Le Conseil Exécutif adopte son règlement d’ordre intérieur et décide des politiques dans les domaines d’intérêts communs pour les États membres, notamment dans les domaines de commerce extérieur, énergie, industrie et ressources minérales, alimentation, agriculture, ressources animales, élevage et forêt, protection de l’environnement, action humanitaire et réaction de secours en cas de catastrophe, transport et communication, assurances, éducation, culture et santé, mise en œuvre des ressources humaines, science et technologie, nationalité, résidences de ressortissants étrangers et questions d’immigrations, sécurité sociale et élaboration des politiques de protection de la mère et de l’enfant, ainsi que de la politique en faveur des personnes handicapées, institutions d’un système de médaille et de prix africains.

Le Parlement Panafricain a été institué dans le but d’assurer la pleine participation des peuples d’Afrique au développement et l’intégration économique. Sa complexité est détaillée à l’article 17 de l’acte constitutif de l’Union Africaine.

La composition, les attributions, l’organisation et les pouvoirs de la Cour de justice sont repris à l’article 18 de l’acte constitutif de l’union.

 La Commission de l’Union Africaine est, pour ainsi dire, le moteur de l’Union Africaine. Elle comprend un président, un vice-président, huit commissaires chargés de portefeuilles : Paix et sécurité, affaires politiques, affaires sociales, développement rural, infrastructure, énergie et transport, ressources humaines et recherche scientifique. Les commissaires sont les premiers responsables élus pour quatre ans à la tête du département qui compte environ quatre cents employés, dont des directeurs, des chefs de division, des fonctionnaires, des personnels de soutien.

Le Comité des Représentants Permanents est composé des représentants permanents et autres plénipotentiaires des Etats membres. Ce comité est responsable de la préparation des travaux du conseil exécutif et agit sur instruction du Conseil exécutif. Il peut instituer tout sous-comité ou groupe de travail qu’il juge nécessaire. Les comités techniques spécialisés font l’objet de l’article 14 de l’acte constitutif. Ces comités sont les suivants : 

– Le comité chargé des questions d’économies rurales et agricoles ;

 – Le comité chargé des questions commerciales, douanières et d’immigration ; 

– Le comité chargé de l’industrie, de la science et de la technologie, de l’énergie, des ressources naturelles et de l’environnement ;

 – Le comité chargé des transports, des communications et du tourisme ; 

– Le comité chargé de la santé, du travail et des affaires sociales ; 

– Le comité chargé de l’éducation, de la culture et des ressources humaines.

Le Conseil Economique et Social qui est un organe consultatif, est composé des représentants des différentes couches socioprofessionnelles des Etats membres de l’union. Ses attributions, pouvoirs, la composition et l’organisation sont déterminés par la Conférence de l’union. L’Union Africaine est dotée des institutions financières suivantes, dont les statuts sont définis dans les protocoles y afférents, une de ces institutions est la Banque Africaine de Développement.

La Banque Africaine de Développement (BAD) 

Créée en 1964 presque dans la foulée de l’Organisation de l’Unité Africaine, la BAD est une institution financière de l’Union Africaine qui a pour objet de faire reculer la pauvreté sévissant au sein des pays membres régionaux en contribuant à leur développement économique durable et à leur progrès social. Elle vit des cotisations des pays membres qu’elle redistribue selon les cas aux pays dans le besoin. En résumé, elle mobilise des ressources pour la promotion de l’investissement dans ces pays membres, elle leur fournit une assistance technique ainsi que des conseils sur les politiques à mettre en œuvre. Cette mission multidimensionnelle de la BAD se fait en harmonie avec les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies qui consistent à améliorer la qualité de vie des citoyens du monde allant de l’élimination de la pauvreté, de la faim, à réduire les inégalités sociales, à lutter contre les changements climatiques, etc.

Selon le besoin, le siège de cette Institution peut se déplacer d’un pays pour un autre. Ce fut le cas lorsque la Banque Africaine de Développement a établi son siège à Tunis en Tunisie avant de faire son come back à Abidjan en Côte d’Ivoire.

Aux côtés des institutions inhérentes à l’Union Africaine, il existe de nombreuses autres organisations régionales telles que la CEDEAO, la SADC, la CEEAC qui tentent de procéder à une organisation basée sur la proximité géographique, linguistique et économique des Etats africains.

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

Créée le 28 mai 1975, la CEDEAO est une organisation qui se concentre sur la partie ouest de l’Afrique, c’est la principale structure intergouvernementale destinée à coordonner les actions des pays de cette partie de l’Afrique. La CEDEAO tient son siège à Abuja au Nigéria. Elle compte à ce jour, quinze membres.

Son but principal est de promouvoir la coopération et l’intégration avec l’objectif de créer une union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest. Des sources de cette instance ouest-africaine ont annoncé en 2017 que le Produit intérieur brut (PIB) global des Etats membres de la CEDEAO s’élevait à 565 milliards de dollars américains.

La Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC)

 Seize pays de l’Afrique Australe et de l’Océan indien forment cette organisation, il s’agit de l’Afrique du Sud, l’Angola, le Botswana, le Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, le Mozambique, la Namibie, la RDC, les Seychelles, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie, le Zimbabwe, les Comores. 

Elle voit le jour en 1980, sous l’appellation de la Conférence de coordination pour le développement de l’Afrique Australe, de la volonté de neuf pays membres (Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe) de promouvoir une entente économique. Ce n’est qu’en 1992 que la Conférence cède la place à la Communauté de Développement dont le siège reste à Gaborone au Botswana. 

Les six autres pays, à savoir la RDC, l’Afrique du Sud, Madagascar, les Seychelles, les Comores et Maurice signent leurs entrées progressivement et en fonction des changements sociopolitiques majeurs dans leurs sociétés. La SADC est composée de quelques institutions à savoir un organe pour la politique, la défense et la sécurité ; le Conseil des Ministres qui supervise et veille au bon fonctionnement de la Communauté ; le Comité intégré des Ministres, le Secrétariat qui est l’organe d’harmonisation et de pilotage stratégique ; les Comités nationaux de la SADC.

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC)

 Située à Libreville au Gabon depuis le 18 octobre 1983, la CEEAC est une organisation internationale créée en vue du développement économique, social et culturel de l’Afrique Centrale. En toile de fond, les pays membres pensaient par cette organisation régionale pouvait créer un Marché Commun. Avec à son actif onze pays membres, le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique l’Angola, le Congo, la RD Congo, la Guinée Equatoriale, le Tchad, Sao Tomé et Principe, le Burundi et le Rwanda, la CEEAC affiche un PIB de 523 milliards de dollars américains. De fil en aiguille, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale a développé sa vision cherchant désormais une coopération harmonieuse et un développement dynamique, équilibré dans tous les domaines de la vie en vue de réaliser l’autonomie collective et élever le niveau de vie des populations.

HESHIMA

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Rwanda ou Singapour d’Afrique : La face cachée d’un développement à double vitesse

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Le Rwanda fascine. Depuis la tragédie du génocide de 1994, le pays des mille collines s’est imposé comme un acteur central de la région des Grands Lacs, avec une croissance économique saluée par les institutions internationales, un climat des affaires vanté par la Banque mondiale et une image de stabilité rare sur le continent. Kigali, souvent comparée à Singapour, est perçue comme une vitrine de la modernité africaine. Mais derrière cette façade soigneusement construite, un autre visage se dessine, plus sombre, plus inégal, et lourdement conflictuel. Le modèle rwandais repose sur une centralisation extrême du pouvoir, une dépendance structurelle à des ressources extérieures, un contrôle autoritaire de la société, et plus controversé encore, un enrichissement adossé au pillage systématique des richesses de la République démocratique du Congo (RDC) voisine.

Depuis plus de deux décennies, le Rwanda est accusé par de nombreux rapports onusiens et ONG de tirer profit de l’instabilité chronique dans l’Est de la RDC. Un rapport du Groupe d’experts de l’ONU de décembre 2022 accuse Kigali de soutenir activement le groupe rebelle Mouvement du 23 mars (M23), responsable de graves violations des droits humains, de déplacements massifs et de l’exploitation illégale de minerais congolais (coltan, or, étain).

Selon l’ONG Global Witness, cette économie de guerre profite directement à des entreprises liées au pouvoir rwandais. Le géant Crystal Ventures, bras économique du Front patriotique rwandais (FPR), le parti du président Kagame, détient des intérêts très importants dans plusieurs secteurs, de la logistique à l’agroalimentaire, en passant par les télécoms. Un rapport de Congo Profond évoque une véritable « économie d’État-rente », dans laquelle la fortune du pays s’est construite en bonne partie sur le dos des ressources congolaises.

Ces exportations frauduleuses alimentent le miracle économique rwandais : en 2022, le pays exportait 370 millions de dollars d’or, alors qu’il ne possède quasiment aucune mine industrielle d’or sur son territoire. Une incohérence soulignée par la Banque mondiale, mais rarement remise en cause dans les médias internationaux.

Croissance économique : miracle ou mirage ?

Avec un taux de croissance moyen oscillant entre 6 % et 8 % depuis 2010, le Rwanda est devenu un modèle célébré. Mais cette croissance, en apparence dynamique, masque d’importantes fragilités. En 2019, une enquête du Financial Times, confirmée par plusieurs experts indépendants, dénonçait une manipulation des statistiques officielles sur la pauvreté. Kigali affirmait alors avoir réduit la pauvreté de 39 à 38 % entre 2014 et 2017. En réalité, selon les données recueillies sur le terrain, elle aurait augmenté de manière significative, notamment dans les zones rurales.

Dans un article intitulé « Le Rwanda, un pays miracle ? Trompe-l’œil », Le Temps révèle que la pauvreté extrême touche toujours plus de 50 % de la population rurale. De nombreux économistes soulignent l’écart grandissant entre les centres urbains modernisés, tel que Kigali, et une campagne oubliée, vivant dans une précarité absolue.

La structure même de l’économie rwandaise reste problématique : dépendante de l’aide extérieure (à hauteur de 30 à 40 % du budget national selon RFI), faiblement industrialisée et dominée par une élite politico-militaire. Le modèle, bien que centralisé et efficace à court terme, montre des signes d’essoufflement. En mars 2025, l’agence de notation Moody’s a abaissé la perspective du Rwanda à « négative », alertant sur une dette publique croissante et des risques géopolitiques liés aux tensions avec la RDC.

Un État autoritaire sous contrôle absolu

La stabilité du Rwanda repose sur un verrouillage politique total. Le président Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000 (et de facto depuis 1994), a modifié la Constitution en 2015 pour se permettre de briguer un troisième mandat en 2017, et potentiellement rester en poste jusqu’en 2034. Cette réforme, adoptée à plus de 98 % selon les chiffres officiels, a été dénoncée par plusieurs organisations internationales, notamment Human Rights Watch, comme le résultat d’un climat de peur et de répression.

Le régime contrôle étroitement la presse, la justice, l’armée et la société civile. Toute forme d’opposition est muselée. Les opposants politiques sont arrêtés, contraints à l’exil, ou victimes de disparitions inexpliquées. Le cas de Victoire Ingabire, opposante emblématique condamnée en 2012, illustre la répression systémique à l’égard de toute voix dissidente.

La presse indépendante est inexistante : Reporters sans frontières classe le Rwanda à la 144e place sur 180 dans son classement mondial de la liberté de la presse. Les journalistes critiques sont censurés, arrêtés, ou poussés à l’exil.

Singapour, vraiment ? Une comparaison discutable

La comparaison avec Singapour, souvent avancée par les promoteurs du modèle rwandais, ne résiste pas à l’analyse. Singapour, malgré un gouvernement autoritaire, repose sur une économie réellement industrielle, des institutions solides, une éducation de qualité et une gestion macroéconomique transparente. Le Rwanda, lui, reste une économie dépendante des donateurs, avec une administration hypercentralisée, opaque, et gangrenée par les conflits d’intérêts entre le parti au pouvoir et les entreprises d’État.

L’analyste René Mugenzi, dans une tribune publiée sur Mediapart, évoque un « effondrement économique latent » : forte inflation, déficit commercial croissant, dépendance aux importations, dette publique galopante, et surtout, une croissance inégalement répartie entre une élite urbaine et une population rurale largement abandonnée.

Un modèle imposé, pas partagé

La gouvernance rwandaise repose sur un modèle vertical et autoritaire, où le développement est piloté par le haut, sans participation citoyenne. Les résultats obtenus (accès aux soins, infrastructures, numérisation de l’administration) sont réels mais concentrés dans les zones urbaines et au bénéfice des classes favorisées. Selon le think thank WATHI, le modèle économique reste non inclusif, avec un chômage des jeunes élevé et des inégalités persistantes entre les sexes, les régions et les catégories sociales.

De plus, les programmes de développement (Vision 2020, Vision 2050) sont formulés sans véritable débat public. L’État mobilise les médias, l’armée et l’administration pour imposer une « culture de la performance » dans une société où la moindre critique est synonyme de trahison.

Le silence complice des bailleurs et institutions internationales

Malgré les violations systématiques des droits de l’homme et les preuves accablantes de l’implication du Rwanda dans le pillage de la RDC, la communauté internationale continue de fermer les yeux. Les grandes puissances occidentales, séduites par l’image d’un État africain « stable » et « bien gouverné », maintiennent leur soutien financier et diplomatique à Kigali. Selon un rapport de Franceinfo publié en avril 2024, le Rwanda reste l’un des principaux bénéficiaires de l’aide internationale au développement en Afrique, recevant plus d’un milliard de dollars par an, sans conditions sur la gouvernance ou les droits humains.

La Banque mondiale, le FMI et d’autres institutions financières vantent régulièrement la « performance économique » du pays, ignorant les doutes croissants sur la fiabilité des chiffres officiels, notamment ceux sur la pauvreté, dénoncés par The Financial Times en août 2019. Le Rwanda est devenu un partenaire modèle pour ces organismes en quête de vitrines africaines de réussite. Pourtant, comme le souligne Mediapart dans un blog d’avril 2025, cette « réussite » repose sur une logique extractiviste violente et une dépendance extrême à l’aide et aux flux informels issus de la RDC.

Ce soutien inconditionnel, au nom de la stabilité et de la croissance, conforte le régime dans son autoritarisme. En l’absence de sanctions ou même de critiques publiques, Kigali poursuit sa politique régionale agressive en toute impunité. Le mutisme des bailleurs apparaît dès lors comme une caution implicite à un modèle de développement profondément inégalitaire et dangereux pour la paix régionale.

Un peuple bâillonné, une démocratie de façade

Au Rwanda, les élections sont organisées, mais sans réelle compétition. Paul Kagame a été réélu en 2017 avec plus de 98 % des voix, dans un contexte de verrouillage complet du débat public. Aucun média indépendant ne couvre la politique intérieure. Les partis d’opposition sont interdits, inféodés ou symboliques. Comme le rapportait Le Monde dans un article du 19 décembre 2015, la réforme constitutionnelle ayant permis à Kagame de briguer un troisième mandat fut adoptée sans contre-pouvoir, ni débat démocratique.

Les critiques du régime, même modérées, s’exposent à la prison, l’exil ou pire. L’affaire Patrick Karegeya, ancien chef des services de renseignement retrouvé étranglé dans un hôtel en Afrique du Sud en 2013, reste emblématique du sort réservé aux dissidents. De nombreux activistes dénoncent des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées, des accusations également étayées par Amnesty International et Human Rights Watch.

Ce climat de peur pousse la population à l’auto-censure. Même au sein des institutions, la loyauté au président est la seule garantie de survie politique. La démocratie, en tant que pluralisme, débat d’idées et alternance pacifique, n’existe pas au Rwanda.

Une diplomatie proactive, mais cynique

Face aux critiques, le Rwanda développe une diplomatie sophistiquée. Il multiplie les partenariats internationaux, accueille des sommets, propose des solutions « africaines » aux crises régionales, et se pose en partenaire fiable de l’Occident. Le pays a ainsi signé avec le Royaume-Uni un accord très controversé d’externalisation de l’asile, visant à accueillir des migrants refoulés de Londres. Cette initiative, largement critiquée a finalement était annulée.

Mais derrière cette apparente modernité diplomatique, une logique instrumentale se dessine : entretenir des alliances lucratives tout en poursuivant une politique de prédation en RDC, et un contrôle autoritaire en interne.

RDC-Rwanda : le grand malentendu

La RDC reste l’angle mort du modèle rwandais. Kinshasa et la communauté internationale accusent ouvertement Kigali de soutenir le M23, responsable de massacres et de déplacements de population dans l’Est de la RDC. En mars 2023, la Mission de l’ONU (MONUSCO) a confirmé la présence de troupes rwandaises sur le sol congolais, malgré les démentis de Kigali.

Le président congolais, Félix Tshisekedi, affirme que le développement du Rwanda repose sur un pillage méthodique du sous-sol congolais : coltan, or, cassitérite. « Ce n’est pas un modèle, c’est une mafia d’État », a-t-il lâché lors d’une interview à la presse belge en février 2024. Ces accusations sont étayées par une multitude de rapports, mais peinent à déclencher des sanctions internationales contraignantes, tant la protection diplomatique du régime Kagame reste solide.

Un modèle à déconstruire pour mieux reconstruire l’Afrique

Le Rwanda ne peut pas être présenté comme un exemple sans nuances. Son modèle autoritaire, fondé sur le contrôle absolu du pouvoir, la répression de l’opposition, la manipulation des chiffres économiques et le pillage de son voisin, ne peut être considéré comme une voie de développement éthique ou durable pour l’Afrique.

Il est urgent de déconstruire le mythe, non pour nier les avancées réelles en matière de santé, d’éducation ou de numérique, mais pour rappeler que ces progrès n’effacent ni l’oppression intérieure, ni l’agression extérieure. Le développement ne peut être authentique que s’il est inclusif, démocratique, respectueux des droits humains et fondé sur une coopération juste avec ses voisins.

Le modèle rwandais est, au fond, l’histoire d’un immense malentendu entre image projetée et réalité vécue. Un mirage brillant, mais dangereux pour son peuple, pour la région, et pour l’avenir de l’Afrique.

Heshima Magazine

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Conflit en RDC : le Rwanda va-t-il lâcher l’AFC/M23 ?

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Ce mois de juin pourrait être décisif dans le dénouement du conflit entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda. En principe, les deux pays doivent signer un accord de paix au courant de ce mois après avoir soumis chacun leurs projets d’accord à Washington en mai dernier. Une situation qui pourrait contraindre Kigali à abandonner son soutien militaire aux rebelles du Mouvement du 23 mars (AFC/M23). Ce qui aurait peut-être poussé l’ancien président congolais, Joseph Kabila, à prendre le devant de la scène à Goma, une ville occupée par cette rébellion.

Depuis la résurgence de cette crise sécuritaire, un signe peu habituel a été observé à Kampala, le 28 mai 2025, lors d’une réunion de haut niveau du Mécanisme de suivi de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région. Le délégué de Kigali a signé un communiqué condamnant les avancées de l’AFC/M23 et l’installation d’administrations parallèles notamment à Goma et Bukavu, ainsi que le soutien extérieur dont bénéficie ce mouvement. Toutefois, la note ne cite pas nommément le pays concerné mais appelle à l’application rapide et totale de la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui, elle, mentionne le Rwanda. Les participants à ce sommet ont également appelé au démantèlement du groupe armé FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda).

Cette posture est une première pour Kigali depuis le début du conflit. Ce qui peut augurer d’un début de distance entre le régime de Paul Kagame et les rebelles de l’AFC/M23 qui ont bénéficié d’un soutien militaire inconditionnel du Rwanda. « Le Rwanda est désormais embarrassé par son soutien au M23. Kigali cherche à sous-traiter ce parrainage auprès des Congolais eux-mêmes afin de « congoliser » la crise », estime Aaron Mayamba, chercheur sur des questions des Grands lacs africains. Ce spécialiste note que les négociations entre Kinshasa et Kigali à Washington risquent d’isoler l’AFC/M23 malgré l’autre volet de discussion avec ces rebelles à Doha, au Qatar. C’est ce qui justifie également l’hostilité de ce mouvement contre un possible deal minier entre Kinshasa et Washington. Un accord qui risquerait de sceller en quelque sorte la fin des hostilités sur le théâtre des opérations.

Maintenir une pression sur Kigali et réussir le deal minier avec Washington

La communauté internationale, y compris le Conseil de sécurité de l’ONU, a exprimé des préoccupations croissantes concernant le rôle du Rwanda dans le soutien au M23. En février 2025, une résolution a été adoptée appelant à la cessation des hostilités et au retrait des forces rwandaises du territoire congolais. En dehors du cessez-le-feu négocié à Doha, le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais reste encore un mirage. Pour faire plier Kigali, Kinshasa met la pression également sur Washington afin de conclure ce deal minier. Le chef de l’État congolais, Félix Tshisekedi et son équipe tiennent particulièrement à la réussite de cet accord.
Pour cela, il a créé une « cellule de coordination stratégique » au sein de son cabinet pour mieux structurer les discussions avec Washington. Cette cellule va centraliser les actions et maximiser toutes les chances de succès pour ce « deal minier » qui paraît comme un dernier rempart face à l’insécurité cyclique dans l’Est du pays. Aux commandes de cette cellule, on retrouve : Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre d’État aux Affaires étrangères, et Kizito Pakabomba Kapinga Mulume, ministre des Mines. Il y a aussi Guy-Robert Lukama Nkunzi, président du Conseil d’administration de Gécamines SA.

Joseph Kabila : Que fera-t-il des résultats de ses consultations ?

L’ex-président de la République, Joseph Kabila, séjourne à Goma depuis le 25 mai dernier, une ville sous contrôle de l’AFC/M23. Sur place, il poursuit des consultations de différentes couches socio-politiques. Ces échanges portent officiellement sur la restauration de la paix, la sécurité, le développement local et le retour des populations déplacées. Il a parlé avec des représentants des confessions religieuses, des chefs traditionnels, des professeurs d’université ainsi que des associations de femmes. Mais ce retour à Goma est très controversé. Kinshasa considère que cela matérialise les alertes du chef de l’État Félix Tshisekedi, qui affirmait que son prédécesseur préparait une « insurrection » et que c’est lui le leader de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), un mouvement politico-militaire coordonné par Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Joseph Kabila nie toute implication dans le soutien au M23 et se positionne comme un médiateur potentiel. Cependant, son retour et ses rencontres avec des acteurs politiques et civils sont interprétés par certains analystes comme une tentative de renforcer son influence face au gouvernement actuel de Félix Tshisekedi.

Ce retour sur la scène politique intervient après plusieurs mois de silence et d’accusations de complicité avec le M23, période durant laquelle l’ancien chef de l’État a présenté 12 recommandations pour mettre fin à la crise. Mais le député honoraire, Moise Nyarugabo, pense que Joseph Kabila pourra, après ces consultations, annoncer des nouvelles recommandations à prendre en compte dans un dialogue. Son rôle reste toutefois flou, son retour pouvant aussi bien contribuer à une résolution pacifique qu’à compliquer davantage les efforts de médiation. La pression internationale exercée sur le Rwanda pourrait s’avérer déterminante dans l’évolution future de ce conflit.

Heshima

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Minerais contre sécurité : Vers une guerre d’influence entre Pékin et Washington en RDC ?

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La République démocratique du Congo (RDC), scandaleusement riche en ressources naturelles dont minières, énergétiques, agricoles, halieutiques, biologiques, hydriques, est au cœur d’une compétition géopolitique entre la Chine et les États-Unis. Le contrat minier chinois, signé depuis 2008, et le deal « Minerais contre sécurité » actuellement en discussion avec Washington soulèvent des questions sur l’avenir de l’économie, de la sécurité et du développement durable du plus grand pays d’Afrique centrale. Heshima Magazine examine les enjeux, les impacts et les perspectives de ces partenariats.

Le secteur minier constitue environ 20 % du PIB de la RDC et génère plus de 95 % des recettes à l’exportation, selon la Banque mondiale. Avec 70 % des réserves mondiales de cobalt, indispensables aux batteries de véhicules électriques, et des gisements de cuivre jugés parmi les plus vastes au monde, la RDC attire de gigantesques investissements. Pour autant, la réalité demeure contrastée : l’Inspection Générale des Finances (IGF) a noté en 2023 que seuls 35 % des revenus miniers étaient effectivement perçus par l’État, le reste s’évaporant à travers la corruption et les circuits non officiels. Le recours au travail artisanal demeure massif : l’Organisation internationale du Travail a alerté en juin 2024 sur la présence de 160 000 enfants dans les mines artisanales, souvent exposés à des produits chimiques toxiques. L’absence de routes praticables et d’infrastructures électriques freine également l’émergence d’une industrie minière plus mécanisée et formelle, comme l’a souligné le rapport de l’ONU de novembre 2024.

Le contrat chinois : un partenariat controversé

En 2008, Kinshasa et Pékin ont scellé le « contrat du siècle » visant à financer 3 milliards de dollars d’infrastructures contre l’exploitation de mines via la joint-venture Sicomines (68 % pour la Chine, 32 % pour la RDC). Quinze ans plus tard, l’IGF a révélé que 822 millions de dollars avaient été effectivement réinvestis dans les routes et hôpitaux promis, sur un total attendu de 3 milliards (selon le rapport d’enquête de l’IGF publié 2023). Après renégociation, le budget d’infrastructures a été porté à 7 milliards de dollars en janvier 2024, mais les constructions tardent à se matérialiser sur le terrain. D’après un article de Jeune Afrique, seuls 150 km de routes neuves et deux hôpitaux ont été inaugurés à ce jour, laissant les principales artères du Katanga toujours impraticables en saison des pluies. Par ailleurs, l’ONG Global Witness a documenté en février 2025 des opérations minières illégales dans l’Est, où des entreprises chinoises exploiteraient des concessions sans licence valable, exacerbant tensions communautaires et déforestation.

La proposition congolaise en discussion avec les États-Unis

Face à ce bilan mitigé, Kinshasa a soumis en mars 2025 aux États-Unis un accord « minerais contre sécurité », offrant un accès privilégié à ses ressources critiques en échange de soutien militaire aux Forces armées de la RDC (FARDC) pour combattre le M23 et sécuriser l’Est du pays. Selon Reuters, les États-Unis envisageraient un plan de financement de 500 milliards de dollars sur 15 ans, dont 1,5 milliard initialement dédié au matériel et à la formation, ainsi que des partenariats privés sino-américains pour moderniser certaines exploitations minières. Toutefois, les contours exacts du deal restent opaques : une note interne du département d’État indique que le Pentagone privilégie une assistance non létale et la surveillance satellitaire plutôt qu’un déploiement massif de troupes. Les multinationales américaines comme Freeport-McMoRan observent prudemment ces discussions, redoutant un cadre fiscal instable et des exigences de contenu local encore indéfinies.

Enjeux géopolitiques et économiques

La rivalité sino-américaine en RDC est emblématique de la lutte pour les ressources nécessaires à la transition énergétique. L’Institut français des relations internationales (IFRI) a pointé en janvier 2025 que la Chine avait engagé plus de 100 milliards de dollars en prêts envers 20 pays africains, renforçant son influence stratégique. Les États-Unis, quant à eux, tentent de rerouter une partie de la chaîne d’approvisionnement des batteries hors de Chine, en privilégiant des partenariats plus transparents et conditionnés à des normes ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Cette double pression offre à la RDC un levier inédit pour renégocier ses contrats, mais expose aussi le pays aux jeux de deux grandes puissances et aux risques d’instrumentalisation. Comme l’a souligné le Peterson Institute for International Economics, l’approche « minerais contre sécurité » pourrait déboucher sur un quasi-protectionnisme sécuritaire, fragilisant la souveraineté congolaise au profit d’intérêts extérieurs.

Perspectives et scénarios d’évolution

Pour tirer pleinement parti de ces opportunités, Kinshasa devra renforcer ses capacités institutionnelles. Un rapport de l’ONU de décembre 2024 insiste sur l’urgence de créer un registre national des concessions minières accessible en ligne, garantissant la traçabilité et limitant les licences illégales. Des ONG comme International Crisis Group recommandent également la mise en place de comités mixtes État-communautés autochtones pour superviser l’impact social et environnemental des projets. Sans ces réformes, le deal américain risquerait de reproduire les dysfonctionnements du contrat chinois, notamment en matière de transparence budgétaire et de respect des droits humains. À l’inverse, un partenariat équilibré, assorti de clauses strictes de bonne gouvernance et de transferts technologiques, pourrait stimuler la croissance locale, favoriser la création de chaînes de valeur et réduire la pauvreté dans les provinces minières.

Basculement ou continuité : les choix à venir

La RDC se trouve à un tournant historique : face à la puissance économique de la Chine et à l’attrait stratégique des États-Unis, le pays dispose enfin d’une marge de négociation inédite. Pour transformer cette fenêtre diplomatique en véritable moteur de développement, il faudra un engagement ferme en faveur de la transparence, de la diversification des partenariats et de la participation citoyenne. Comme le formule l’économiste Jean-Pierre Bulefu, « la souveraineté minière ne se mesure pas uniquement en contrats signés, mais dans le renforcement des institutions capables de servir les intérêts de tous les Congolais ». Sans ce virage institutionnel et sociétal, les promesses géopolitiques risquent de rester vaines.

Heshima Magazine

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