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Mobutu, 24 ans après De la dictature à la démocratie

Avec la chute du régime de Mobutu le 17 mai 1997, consécutivement à la prise du pouvoir par l’AFDL, la RDC a connu un tournant majeur de son histoire qui marque son passage de la dictature à la démocratie. 24 ans après, quelles sont les leçons à tirer de ce parcours ?

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Depuis son accession à la magistrature suprême, le 24 novembre 1965, Mobutu a été l’incarnation de la dictature en RDC. Après les soubresauts au lendemain de l’indépendance du pays qui ont entrainé la mort ( Lumumba, Mulele…) ou le départ en exil (Laurent-Désiré Kabila, Gbenye…) des lumumbistes dans lesquels il est impliqué, sa marque est encore manifeste juste après les premières élections générales, législatives nationales et provinciales organisées à Léopoldville en 1965.

Malgré le triomphe du cartel de la Convention nationale congolaise (Conaco) de Moïse Tshombe qui les remporte largement avec un total de 122 élus sur 167, soit 73% des suffrages exprimés, avec une majorité absolue acquise à la chambre des représentants, un coup d’Etat militaire dirigé par le colonel Mobutu met un terme à l’installation de ce régime démocratique sous le prétexte du désordre causé par la classe politique constituée de 44 partis politiques.

 Cet événement, intervenu le 24 novembre 1965 qui marque le début de la Deuxième République est le commencement d’une longue période dictatoriale au cours de laquelle Mobutu s’imposera par l’instauration du MPR, d’abord parti unique puis, Parti-Etat.

Le début de la fin

Malgré le caractère dictatorial de son régime, Mobutu doit gérer les frustrations des différents clans et sensibilités qui le composent. Sur le flanc militaire, il doit combattre le FLNC, d’anciens gendarmes katangais de l’époque de Moïse Tshombe réfugiés en Angola depuis la défaite de ce dernier sur la scène politique congolaise. A deux reprises, lors de Shaba I (ancienne appellation du Katanga) en 1977, puis de Shaba II en 1978, Mobutu a dû recourir à ses alliés pour sauver son régime. Il en est de même pour stopper les attaques de Laurent-Désiré Kabila de Moba I (1984) et Moba II (1985).

A l’interne, malgré l’autoritarisme du régime monolithique du MPR-Parti, 13 parlementaires, parmi lesquels Etienne Tshisekedi, prennent le risque de le défier. Ils lui adressent le 1er novembre 1980 une lettre ouverte pour lui signifier la nécessité de démocratiser le système politique afin de freiner la détérioration de la situation socio-économique du pays.

Entre ces mouvements de rébellion et la contestation interne non-violente, Mobutu réagit par l’appel à des puissances extérieures pour les premières et la répression pour les seconds sous forme d’arrestations, de bannissements, de sévices…

Alors que ce mouvement de résistance intérieure conduira à la constitution d’une force politique sous forme d’un parti crée le 15 février 1982 sous la dénomination de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). On retrouve notamment à sa tête Etienne Tshisekedi et Marcel Lihau.

 Le régime de Mobutu ne cesse de montrer des signes d’affaiblissement. En même temps, le combat pour la démocratisation du pays trouve un puissant allié dans le vent de la perestroïka consécutif à l’éclatement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et parallèlement à ce contexte, la France, grande puissance, lie désormais à l’instigation de François Mitterrand l’aide publique aux pays africains à l’instauration du multipartisme à travers son discours de La Baule.

Mobutu est contraint de se plier à tous ces coups de boutoir. Le 24 avril 1990, les larmes aux yeux et plein d’émotions, Mobutu met fin au MPR, Parti-Etat. Celui-ci devient un fait privé et préconise la création de deux autres partis politiques au côté de ce dernier, l’existence de l’UDPS allant de soi parmi ceux-là afin de canaliser la nouvelle marche démocratique du pays.

S’ensuit une Conférence nationale souveraine au cours de laquelle les forces politiques favorables à Mobutu et celles de l’opposition tentent avec beaucoup de difficultés à démocratiser les institutions dans le cadre d’un « partage équilibré et équitable du pouvoir », selon l’expression consacrée. Etienne Tshisekedi est porté à plusieurs reprises à la tête du gouvernement et démis tout aussi régulièrement sous fond de rivalités entre pro-mobutistes et entre opposants.

ler six gouvernements du 24 avril 1990 au 31 décembre 1992, dont l’un d’Etienne Tshisekedi d’une durée de seulement trois jours !

Dans l’entretemps, la situation socio-économique ne fait que se dégrader. Le pays doit faire face à deux pillages, l’un en septembre 1991 et l’autre en janvier 1993. L’inflation valse à un rythme effréné de plus de 4.000% l’an avec même une pointe de 10.000% en 1994 !

  Le régime de l’AFDL

Après trois ans de marche forcée d’Est en Ouest, le 17 mai 1997, Mobutu doit courber l’échine devant l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, après une ultime tentative de négociation ratée sur l’Outenika sous l’égide de Nelson Mandela. Cette prise du pouvoir sonne le glas des institutions du pays qui reprend son ancien nom de Congo. Laurent-Désiré Kabila promulgue un Décret-loi constitutionnel en lieu et place de l’Acte constitutionnel de la transition de 1994 qui avait donné naissance au Haut-Conseil de la République ( HCR-PT) au sein duquel se déroulaient les tractations politiques des différents clans.

Laurent-Désiré Kabila met alors en veilleuse les activités des forces politiques et une longue période de transition s’ouvre à nouveau, jalonnée de multiples rebellions sous le prétexte d’imposer davantage de démocratie confisquée. Consécutivement à des dissensions internes au sein de l’AFDL, le 2août 1998 éclate la rébellion du RCD, soutenue par le Rwanda et sera suivie de celle du MLC de Jean-Pierre Bemba, soutenue par l’Ouganda, tous deux anciens alliés de l’AFDL. D’autres mouvements rebelles suivront comme le M23, le CNDP et autres pendant qu’une opposition interne, dont l’UDPS, mène une lutte pacifique.


Sur ces entrefaites, Laurent-Désiré Kabila est assassiné le 16 janvier 2001. Aussitôt, Joseph Kabila lui succède. Il entame des négociations avec les parties belligérantes qui occupent le Nord-Est du pays. A l’issue de l’Accord global et inclusif négocié à Sun City, une formule inédite dite 1+4 est instaurée : le pays est dirigé par un président et 4 vice-présidents, soit une répartition entre le pouvoir de Kinshasa, l’opposition interne, les rebelles du RCD et du MLC. Cette paix des braves conduira à la promulgation, le 18 février 2006, de la Constitution de la IIIème République.

La IIIème République

La nouvelle Constitution organise les premières élections générales et pluralistes au suffrage universel pour un mandat de cinq ans. Le président de la République dispose de deux mandats non renouvelables. L’Assemblée nationale comprend 500 députés également élus au suffrage universel direct comme les députés provinciaux. Lors du premier cycle électoral (2006-2011), Joseph Kabila est élu président de la République en battant Jean-Pierre Bemba, alors que l’UDPS dirigé par Etienne Tshisekedi boycotte les suffrages. La proclamation des résultats entraîne des troubles de la part des partisans de Jean-Pierre Bemba qui les contestent.

A l’occasion du deuxième cycle électoral (2011-2016), Joseph Kabila rempile face à Etienne Tshisekedi qui réfute à son tour les conclusions des élections. Son parti représente toutefois la première force politique à l’Assemblée nationale avec 42 députés nationaux.

Cependant à l’approche du terme de ce deuxième cycle électoral, le pays est sous tension : Joseph Kabila, arrivé à la dernière possibilité de postulé, est soupçonné de vouloir se maintenir à la tête du pays. Malgré les efforts de l’opposition pour déjouer les manœuvres du pouvoir, un glissement devient inévitable par rapport au calendrier électoral fixé par la Constitution.

 Afin d’obtenir un consensus entre parties prenantes, un gouvernement d’union nationale est mis en place à la tête duquel est nommé un Premier ministre provenant de l’opposition. L’Accord de la Cité de l’Union africaine qui en est le soubassement, abouti à la nomination de Samy Badibanga, étiqueté UDPS. Toutefois, en raison de la contestation de cette nomination, par ailleurs source de plusieurs manifestations violentes, la classe politique se réunit pour garantir davantage d’inclusion.

Sous la médiation de la conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), en dépit de critiques inévitables, l’Accord de la Saint-Sylvestre est signé le 31 décembre 2016, portant à la primature, un autre opposant de l’UDPS, Bruno Tshibala. Après un report de deux ans, les élections se tiennent enfin le 30 décembre 2018 en dépit des multiples contestations sur son organisation, notamment l’utilisation de la machine à voter. Joseph Kabila ne brigue pas un troisième mandat tel que prévu par la Constitution. Son dauphin est battu. Félix Tshisekedi est élu le 10 janvier 2019, président de la République avec 38,57% des suffrages exprimés.

Il n’empêche, la famille politique de Joseph Kabila, le Front commun pour le Congo ( FCC) remporte le plus d’élus au sein de l’Assemblée nationale et de la plupart des assemblées provinciales. A lui seul, le FCC rafle 351 sièges à l’Assemblée nationale.

Devant les deux options qui se présentaient dans ce cas de figure, c’est-à-dire soit la cohabitation, soit la coalition, le choix porté sur cette dernière a de ce fait associé les 48 députés du Cap pour le changement (CACH ) de Tshisekedi à ceux du FCC.

Malheureusement, les nombreux couacs qui ont émaillé cette alliance, certains diront contre-nature, a finalement entraîné son rejet à la suite de larges consultations initiées par le président Tshisekedi en novembre 2020.

 Dès lors, l’Union sacrée de la nation constituée d’une nouvelle majorité de 391 élus qui en a résulté, représente dans un certain sens l’expression d’une volonté à préserver le bon fonctionnement de la démocratie congolaise. Ses adhérents ont ainsi su faire preuve d’une capacité à transcender les visées partisanes au détriment de l’intérêt de la population et ce, en dépit des critiques formulées sur le non-respect des règles classiques du jeu démocratique.

Une maturation irréversible

Les enseignements des différentes péripéties de la vie politique congolaise indiquent clairement qu’au-delà des obstacles qui se dressent sur sa voie, la détermination de la consolidation de la démocratie est évidente. Le président Tshisekedi a fait part de ce constat dans son discours sur l’état de la nation de 2020 lorsqu’il déclare que « le processus de la maturation de notre démocratie est irréversible ».

24 ans après le départ de Mobutu, la marche démocratique déjà amorcée tant bien que mal sous son règne se caractérise ainsi par une constance : la récurrence de la versatilité des politiciens, mus pour la plupart par un appétit égoïste, les conduisent à des vagabondages les poussant à nouer des alliances pour les défaire avant d’en constituer d’autres.

Néanmoins, malgré la déception que cet état d’esprit peut occasionner auprès du souverain primaire, l’intérêt manifeste à l’égard de ce mode de gouvernance ne s’en démord pas, car son absence est souvent l’une des causes principales de manque de développement et de conflits socio-politiques avec leur lot de morts inutiles. L’espoir de voir la démocratie donner les fruits escomptés, réside de la sorte dans la maturité des électeurs à opérer les choix judicieux, élection après élection.

 Noël NTETE

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Réseaux sociaux : nouveaux terrains de lutte politique en RDC

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À Kinshasa comme à Goma, les écrans smartphones sont devenus les nouvelles arènes où se joue l’avenir politique de la République démocratique du Congo (RDC). Entre fake news à grande échelle et mobilisations citoyennes, enquête sur cette guerre digitale qui redéfinit la démocratie.

En RDC, une révolution silencieuse transforme le paysage politique depuis 2021. Si hier on falsifiait les urnes, aujourd’hui on pirate les algorithmes. Les réseaux sociaux, longtemps perçus comme des outils de divertissement, sont devenus les champs de bataille de la démocratie congolaise, où chaque like, chaque partage, chaque hashtag peut faire basculer l’opinion publique dans un sens comme dans l’autre.

Cette transformation numérique du débat politique congolais s’est accélérée avec la démocratisation des smartphones et l’amélioration de la connectivité Internet dans le pays. Avec un taux de pénétration d’Internet de 32,3% selon l’ Autorité de régulation des postes et télécommunications du Congo (ARPTC), les plateformes sociales touchent désormais des millions de Congolais, créant un nouveau rapport de force entre gouvernants et gouvernés.

Facebook et WhatsApp : la domination de Meta dans l’arène politique

Facebook règne en maître sur l’écosystème numérique congolais, avec 73% des utilisateurs kinois selon une étude du cabinet Target. Cette hégémonie de Meta se confirme avec WhatsApp, utilisé par 63% des habitants de la capitale, transformant ces plateformes en véritables centres névralgiques de l’information politique.

La période électorale de 2023 a révélé l’ampleur de cette influence. Selon l’étude Internews-LARSICOM, 54% des Congolais utilisent Internet principalement pour se connecter à WhatsApp, faisant de cette plateforme le canal privilégié de diffusion des informations politiques. Cette prédominance s’explique par la culture du « bouche-à-oreille numérique » qui caractérise la société congolaise, où les groupes WhatsApp familiaux, politiques et communautaires deviennent des relais d’opinion puissants.

« Les jeunes croient tout ce qui circule sur WhatsApp. Nous avons créé 100 groupes pour contre-attaquer », confie Marie-Jeanne Kandolo, membre de l’ONG La vie sacrée. Cette stratégie illustre comment les mouvements citoyens s’adaptent aux nouveaux codes de la communication politique digitale.

Les partis politiques ont rapidement compris l’enjeu. L’UDPS du président Félix Tshisekedi et les formations de l’opposition développent désormais des « stratégies de communication électronique dense reposant sur le développement de sites, de blogs et la présence sur les réseaux numériques ». Un like vaut un coup de machette dans cette guerre médiatique où l’audience se mesure en millions de vues et de partages.

TikTok : la nouvelle arme de propagande des partis

L’émergence de TikTok bouleverse les codes établis de la communication politique congolaise. Avec 4,44 millions d’utilisateurs en RDC en 2024, la plateforme chinoise devient rapidement le deuxième réseau social le plus utilisé en Afrique subsaharienne, dépassant Instagram et X (anciennement Twitter).

Cette croissance fulgurante transforme TikTok en terrain de conquête pour les formations politiques. Les courtes vidéos, les défis viraux et les danses deviennent autant d’outils pour toucher une jeunesse congolaise avide de nouveauté. « L’UDPS a digitalisé la machine propagandiste héritée du mobutisme », analyse Sarah Kambembe, politologue à l’Université de Kinshasa.

La récente suspension de TikTok lors des tensions à Goma en février 2025 témoigne de l’importance stratégique accordée à cette plateforme par les autorités. Cette censure, qui a touchée également X, révèle la crainte du gouvernement face au pouvoir de mobilisation de ces nouveaux médias, à la désinformation et à la propagande des actions du M23 et leurs alliés.

Les autorités congolaises critiquent ouvertement TikTok pour son « défaut de contrôle des contenus », selon les déclarations. Cette tension illustre le défi posé par une plateforme échappant largement au contrôle étatique traditionnel exercé sur les médias classiques.

Entre manipulation et contre-offensive

La campagne électorale de 2023 a marqué un tournant dans l’utilisation stratégique de la désinformation sur les réseaux sociaux congolais. Des analyses informatiques ont révélé « des achats massifs de faux followers et de faux likes sur les comptes Twitter » de plusieurs candidats de l’opposition, notamment Denis Mukwege, Moïse Katumbi et Martin Fayulu, a révélé le site d’informations 7sur7.cd en novembre 2023.

Cette manipulation numérique ne se limite pas à l’opposition. Le phénomène touche l’ensemble de la classe politique congolaise, créant un écosystème où la vérité se noie dans un flot constant de fausses informations. « On assiste à un nombre croissant de fausses nouvelles en RDC, qui, dans la plupart des cas, sont diffusées à dessein par tel ou tel camp », confirme Patrick Maki, rédacteur en chef d’Actualité.CD.

Les techniques de désinformation se sophistiquent. Vidéos sorties de leur contexte, images retouchées, citations inventées : l’arsenal de la manipulation numérique ne cesse de s’enrichir. Un exemple frappant : la diffusion d’une ancienne vidéo de Joseph Kabila, présentée à tort comme un message de félicitations adressé à Félix Tshisekedi pour sa réélection en 2023, alors qu’elle remonte en réalité à 2019.

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) reconnaît avoir été dépassée par cette « désinformation organisée » qui a « régulièrement affaibli l’efficacité de sa communication ». En réponse, l’institution a développé une stratégie de « veille permanente en ligne pour repérer et contrer les fausses informations en temps réel ».

Cyberactivistes congolais : entre résistance et répression

Les réseaux sociaux ont donné naissance à une nouvelle génération d’activistes numériques qui défient le pouvoir par écrans interposés. Les hashtags comme #TouchePasÀMaConstitution, #Telema ou #ByeByeKabila sont devenus « des marqueurs qui ont rythmé la vie politique congolaise », selon le politologue Jean-Claude Mputu.

Cette cyberactivisme s’organise autour de mouvements comme la Lucha, qui utilise « Twitter, Facebook comme des outils importants dans la mobilisation citoyenne ». Fred Bauma, membre du mouvement, explique comment les réseaux sociaux permettent de « faire passer des messages » malgré les restrictions gouvernementales.

Cependant, cette liberté d’expression numérique a un prix. « Sur Twitter, je risque la prison à chaque tweet. Mais c’est notre seule arme contre la désinformation d’État », témoigne Parfait Mbayo, cyberactiviste de Lubumbashi. Cette réalité reflète la répression croissante contre les voix dissidentes en ligne.

L’enlèvement de Gloria Sengha en mai 2024, activiste et membre de la campagne Tolembi Pasi, illustre les dangers auxquels s’exposent les cyberactivistes congolais. Human Rights Watch dénonce une « vague de répression exercée par les autorités congolaises qui auraient restreint les droits des activistes ».

La riposte étatique : censure et régulation du cyberespace

Face à cette montée en puissance des réseaux sociaux dans le débat politique, l’État congolais a développé une stratégie de contrôle multiforme : blocage des réseaux sociaux.

Le cadre juridique se durcit avec l’adoption de l’ordonnance-loi n°23/010 relative au Code du numérique en mars 2023. Ce texte criminalise « la diffamation, les insultes et l’incitation à la haine, la diffusion de fausses informations (fake news), les menaces et les incitations à la violence via les réseaux sociaux ».

L’ARPTC s’est vue confier des pouvoirs étendus pour réguler l’espace numérique. Cette concentration des prérogatives dans une seule institution suscite des interrogations sur l’équilibre entre sécurité et liberté d’expression.

Les organisations internationales de défense de la liberté d’expression dénoncent régulièrement ces pratiques. Reporters Sans Frontières condamne une « stratégie de censure liberticide et contre-productive ». Internet Sans Frontières et Amnesty International pointent du doigt ces restrictions qui « violent les règles de la dignité et du respect de l’être humain ».

L’évolution des réseaux sociaux en RDC révèle une transformation profonde de l’exercice démocratique dans le pays. Entre manipulation et mobilisation, censure et résistance, ces plateformes redessinent les contours du débat public congolais. Si la technologie offre de nouveaux outils d’expression citoyenne, elle génère aussi de nouveaux défis pour la démocratie. L’enjeu désormais est de trouver l’équilibre entre régulation nécessaire et préservation des libertés fondamentales dans cet espace numérique en constante évolution.

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Les femmes congolaises face à la guerre : victimes silencieuses d’un conflit sanglant

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Elles ont payé le prix le plus lourd de trois décennies de conflits. Violées, déplacées, enlevées, tuées, abandonnées : les femmes de l’Est congolais incarnent l’héroïsme silencieux d’une région en crise permanente. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, 35 000 cas de violences sexuelles liées aux conflits ont été enregistrés rien qu’en 2023 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Un chiffre qui ne représente que la partie visible de l’iceberg, comme l’a confié une survivante : « Ici, chaque femme porte en elle une histoire qui ferait pleurer les pierres. »

Dans l’Est de la RDC, le viol est une arme plus redoutable que la kalachnikov. Utilisée par des groupes armés comme le M23, la CODECO, les ADF et d’autres milices, la violence sexuelle vise à détruire le tissu social congolais. Selon un rapport de Physicians for Human Rights publié en octobre 2024, plus de 113 000 cas de violences sexuelles liées aux conflits ont été enregistrés en 2023 dans toutes les zones où sévissent les conflits armés, un nombre qui a plus que doublé au premier semestre 2024 par rapport à la même période en 2023. ActionAid rapporte une augmentation de près de 700 % des cas signalés entre février et mars 2025, avec 381 cas enregistrés en seulement deux mois dans le Nord et le Sud-Kivu.

Particulièrement alarmant, le ciblage des petites filles a atteint des niveaux sans précédent. Selon l’UNICEF, jusqu’à 45 % des près de 10 000 cas de violences sexuelles signalés en janvier et février 2025 concernaient des enfants, certains aussi jeunes que trois ans. Le Dr Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix 2018, a dénoncé cette situation lors d’un discours au Parlement européen en mai 2025 : « Nous avons eu 10 000 cas de violence sexuelle, dont 30 à 35 % concernent des enfants. Attaquer des enfants, c’est franchir toutes les lignes rouges imaginables. »

Les témoignages des survivantes révèlent l’ampleur du traumatisme. « Je n’oublierai jamais cette nuit où les miliciens sont entrés dans notre village. Ils ont violé ma fille de 14 ans devant moi, puis m’ont forcée à regarder pendant qu’ils la tuaient. Je suis maintenant dans un camp de déplacés, mais je ne me sens pas en sécurité. Chaque jour, je crains pour ma vie et celle de mes autres enfants, » confie une survivante de Masisi sous couvert d’anonymat. Une autre survivante, toujours anonyme, raconte : « Ils m’ont enlevée et forcée à devenir leur ‘épouse’. J’ai donné naissance à un enfant de mon bourreau, et je vis avec cette douleur tous les jours. »

Les conséquences sont dévastatrices : infections sexuellement transmissibles, grossesses non désirées, traumatismes psychologiques comme le stress post-traumatique, et stigmatisation sociale. « Ces violences ne sont pas des dommages collatéraux, mais une stratégie délibérée pour détruire le tissu social congolais, » explique Dr Saley Kanyamibwa, psychologue spécialisé dans les traumatismes de guerre.

Camps de déplacés : l’enfer au féminin

Le conflit a forcé des millions de personnes à fuir leur foyer. En 2025, la RDC compte 7,3 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont environ 52 % sont des femmes, soit près de 3,8 millions, et 49,6 % sont des enfants, dont la moitié sont des filles, soit environ 1,8 million selon le Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri concentrent la majorité de ces déplacés, avec 5,5 millions dans ces régions précise l’Organisation internationale pour les migrations.

Les camps de déplacés, comme ceux autour de Goma, sont des environnements hostiles. Une enquête de Médecins Sans Frontières menée en avril 2024 révèle que plus de 10 % des femmes âgées de 20 à 44 ans dans quatre camps près de Goma ont subi des violences sexuelles en seulement cinq mois. « Dans le camp, nous n’avons pas assez de nourriture ni d’eau. Les femmes doivent sortir pour chercher du bois ou de la nourriture, et c’est là qu’elles sont souvent attaquées. J’ai été violée deux fois en allant chercher de l’eau. Il n’y a pas de protection ici », témoigne Marie Kambale, une déplacée à Goma.

Les femmes déplacées sont également confrontées à la perte de moyens de subsistance. « J’avais un petit commerce avant de fuir. Maintenant, je n’ai rien, et je ne peux pas nourrir mes enfants correctement », explique Esther, une déplacée au camp de Lushagala aux agents humanitaires. Les camps manquent d’infrastructures de base, et les attaques contre les sites de déplacés aggravent la situation, avec des bombardements d’artillerie lourde signalés en 2025 par Global Centre for R2P.

Accès limité aux soins et à l’éducation

L’effondrement des infrastructures de santé dans les zones de conflit prive les femmes et les filles de soins essentiels. Selon l’Association humanitaire de solidarité internationale, plus de 8,9 millions de personnes, dont 50,6 % de femmes, n’ont pas accès à des services médicaux vitaux, en particulier dans les zones reculées. Les soins maternels sont particulièrement affectés, avec des taux élevés de mortalité maternelle et infantile dus à l’absence de personnel qualifié et d’équipements. « Je suis enceinte de huit mois, mais je n’ai pas vu de médecin depuis le début de ma grossesse. L’hôpital le plus proche est à des kilomètres, et la route est dangereuse. J’ai peur d’accoucher sans assistance », confie Amina Salama, déplacée dans l’Ituri.

L’accès à l’éducation est tout aussi critique. Selon l’UNICEF, entre janvier 2022 et mars 2023, l’éducation de 750 000 enfants a été perturbée dans le Nord-Kivu et l’Ituri, avec 2 100 écoles fermées en raison de l’insécurité ou utilisées comme abris pour les déplacés. Les filles sont particulièrement touchées, car les familles craignent pour leur sécurité. « Ma fille de 10 ans ne va plus à l’école depuis que nous avons fui notre village. Il n’y a pas d’école dans le camp, et même s’il y en avait, je ne sais pas si je pourrais l’envoyer, car elle pourrait être en danger » confie Fatuma Sadiki, une mère déplacée.

Femmes médecins : ces héroïnes qui pansent les plaies de la guerre

Malgré ces défis, les femmes congolaises jouent un rôle central dans la résilience communautaire. Des initiatives locales, soutenues par des organisations internationales, permettent aux femmes de s’organiser pour promouvoir la paix et lutter contre les violences. Par exemple, l’Association des Femmes pour la Promotion et le Développement Endogène, soutenue par le Fonds pour les Femmes en Paix et Humanitaire, renforce les capacités des associations de femmes pour combattre les violences basées sur le genre dans les territoires d’Uvira, Fizi et Walungu. De même, le projet de l’agence de coopération internationale allemande pour le développement dans le Nord et le Sud-Kivu soutient des initiatives sensibles au genre pour promouvoir la stabilité.

« Chaque nuit, nous formons des chaînes de solidarité pour protéger nos filles des miliciens », raconte sœur Angélique, une religieuse de Goma. Ces efforts communautaires, souvent menés par des femmes, incluent des espaces sûrs pour les survivantes et des programmes de formation pour l’autonomisation économique. « Les femmes sont les piliers de la société congolaise. Leur résilience et leur courage face à l’adversité sont remarquables. En les soutenant et en les impliquant dans les processus de paix, nous pouvons espérer un avenir meilleur pour la RDC », déclare Dr Saley Kanyamibwa.

Le temps d’agir

Derrière chaque statistique se cache un drame qui aurait dû faire La Une à travers les médias du monde entier. Les femmes et les filles de l’Est de la RDC vivent dans un climat de peur et de précarité, mais leur force et leur détermination à reconstruire leurs communautés sont une source d’inspiration. La communauté internationale doit intensifier son soutien aux initiatives locales, renforcer l’accès aux services essentiels et mettre fin à l’impunité des auteurs de violences. Seule une action concertée peut offrir un avenir plus sûr et plus juste aux Congolaises.

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Grand Katanga : de l’ère Katumbi à la gouvernance décentralisée

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Le Grand Katanga, région emblématique de la République démocratique du Congo (RDC), demeure au cœur des dynamiques économiques, politiques et sociales du pays. Cette vaste étendue du sud-est congolais, riche en minerais stratégiques comme le cuivre et le cobalt, a traversé des mutations majeures au fil des décennies. Deux périodes distinctes marquent son histoire récente : l’ère Moïse Katumbi (2007-2015), caractérisée par un Katanga provincial unifié sous son gouvernorat, et la période actuelle, marquée par son démembrement en quatre provinces (Haut-Katanga, Lualaba, Haut-Lomami, Tanganyika) depuis 2015. Ces entités sont sous l’autorité de gouverneurs tels que Jacques Kyabula Katwe, Fifi Masuka Saini, Christian Kitungwa et Marmont Banza. Heshima Magazine propose une analyse comparative documentée de la gouvernance et du développement du Grand Katanga sous ces deux configurations.

Secteur minier : de la centralisation à la redistribution

Le secteur minier, pilier économique du Grand Katanga, cristallise les contrastes entre l’ère centralisée de Moïse Katumbi et les dynamiques actuelles, animées par une volonté de redistribution plus équilibrée. Sous Katumbi, la gestion des ressources était fortement concentrée à Lubumbashi, privilégiant les grands projets industriels portés par des multinationales comme Glencore (via Katanga Mining et Kamoto Copper Company) ou China Molybdenum (CMOC). Selon le rapport 2014 de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE-RDC), le Katanga assurait près de 50 % des exportations nationales de cuivre et de cobalt. Cette position stratégique avait attiré d’importants capitaux étrangers, mais suscitait des critiques récurrentes sur l’opacité entourant la gestion des contrats miniers. En 2015, Jeune Afrique évoquait « une opacité manifeste », nourrie par des soupçons de favoritisme envers certains partenaires économiques proches du gouverneur.

Aujourd’hui, la RDC s’est imposée comme le premier producteur mondial de cobalt, représentant environ 70 % de la production globale en 2023, et le deuxième pour le cuivre. CMOC, exploitant ses sites de Tenke Fungurume (TFM) et Kisanfu dans le Lualaba, a extrait 55 526 tonnes de cobalt en 2023, enregistrant une hausse spectaculaire de 174 % sur un an et consolidant sa position de leader mondial. Les dix principales sociétés minières opérant en RDC, majoritairement chinoises et occidentales, ont exporté la même année environ 2,17 millions de tonnes de cuivre.

Parallèlement, l’exploitation artisanale, qui pèse pour 10 à 20 % de la production nationale, demeure un acteur économique incontournable. Pourtant, ce segment reste marginalisé : entre 200 000 et 2 millions de personnes en dépendent sans bénéficier d’un encadrement structuré, révèle une enquête de Mongabay. Le contraste est saisissant entre les zones industrielles comme Kolwezi ou Fungurume, où les bénéfices sont captés par les majors, et les localités rurales telles que Manono ou Pweto, souvent délaissées.

Entre 2024 et 2025, malgré la croissance industrielle, de nouvelles tensions ont émergé. En février 2025, confrontées à une surproduction menaçant les cours mondiaux, les autorités congolaises ont temporairement suspendu les exportations de cobalt pendant quatre mois. Simultanément, des efforts de transparence ont été initiés sous l’égide de l’ITIE-RDC. Le code minier a été révisé pour augmenter les royalties, imposer la publication des bénéficiaires effectifs, et porter à 7 milliards USD le budget destiné aux infrastructures dans le cadre du contrat sino-congolais Sicomines, doublant ainsi le montant initial.

Cependant, la réforme engagée en 2018 tarde à produire des effets tangibles pour les petits exploitants. Il a fallu attendre 2024 pour qu’une première parcelle de 425 hectares soit attribuée à l’Entreprise générale du cobalt (EGC), une réponse insuffisante aux besoins réels de centaines de milliers de creuseurs artisanaux. Sur le terrain, les coopératives manquent de financement pour se mécaniser, et les conditions de travail restent souvent précaires, avec des risques sanitaires persistants liés à l’exposition aux radioéléments.

Depuis le démembrement du Katanga, des approches plus localisées ont vu le jour. Dans le Haut-Katanga, le gouverneur Jacques Kyabula a instauré des mécanismes de répartition des taxes minières en faveur des communautés locales, comme le rapporte Actualité.cd en mars 2024. À Lualaba, Fifi Masuka Saini a lancé des programmes d’encadrement des exploitants artisanaux, avec un appui direct du gouvernement provincial, selon Radio Okapi en juillet 2024. D’après un rapport du Congo Research Group (2023), ces initiatives ont permis d’intégrer progressivement les creuseurs artisanaux, responsables d’environ 20 % de la production de cobalt. Toutefois, l’exploitation illégale persiste, tout comme les conflits fonciers, alimentés par un flou persistant sur la répartition des droits.

Marie Kapinga, creuseuse artisanale à Kolwezi, témoigne : « Avant, on n’avait rien, juste des promesses. Aujourd’hui, avec les coopératives soutenues par le Lualaba, on reçoit des formations et un peu plus d’argent reste dans la province. Mais il faut encore plus de contrôle pour éviter les abus. »

Infrastructures : des symboles aux réseaux

L’ère Moïse Katumbi, à la tête du Katanga entre 2007 et 2015, s’était illustrée plus par des projets d’infrastructures à forte portée symbolique. « Katumbi construisait pour impressionner », observe Marie Chisela, urbaniste basée à Kalemie. « Les passerelles de Lubumbashi étaient magnifiques, mais nous, dans le Nord, nous attendions toujours l’asphaltage de nos routes principales. Cette inégalité territoriale créait des frustrations durables. » La modernisation du stade de la Kenya à Lubumbashi, les voiries rénovées dans certains quartiers centraux, ou certaines extensions de la couverture téléphonique, visaient à incarner une dynamique de modernisation. Toutefois, ces efforts restaient largement cantonnés aux centres urbains. Un rapport de la Banque mondiale publié en 2016 pointait un déséquilibre flagrant : sur plus de 225 000 kilomètres de routes recensés en RDC, seuls 3 000 sont bitumés et fonctionnels, avec une nette prédominance dans les zones métropolitaines. Les régions rurales telles que Dilolo ou Sakania demeuraient enclavées, entravant leur intégration économique régionale. S’ajoutaient des critiques récurrentes sur le manque de transparence dans l’attribution des marchés publics. En 2014, le site Voiceofcongo.net rapportait des soupçons de favoritisme et de clientélisme autour de certains contrats d’exécution.

Avec l’avènement d’une gouvernance décentralisée, la logique de développement s’est partiellement infléchie. Les investissements ont gagné en diversité et en ancrage territorial, accordant une attention accrue aux besoins locaux. Dans le Haut-Katanga, les routes secondaires reliant les zones agricoles aux centres de commerce ont été réhabilitées, facilitant l’écoulement des produits locaux. À Lualaba, l’accès à l’électricité s’est élargi grâce à l’extension du réseau de la SNEL vers des localités jusque-là marginalisées comme Fungurume. L’aéroport de Kolwezi, longtemps vétuste, a été partiellement modernisé pour améliorer la connectivité aérienne. Pendant ce temps, dans le Tanganyika, les autorités provinciales ont lancé plusieurs projets d’adduction d’eau en milieu rural, réduisant les distances parcourues quotidiennement pour l’accès à l’eau potable. Selon un rapport du PNUD publié en 2024, ces efforts ont eu un impact direct sur la qualité de vie des communautés ciblées.

Malgré ces initiatives, la coordination entre les provinces reste lacunaire. Faute de stratégie nationale cohérente, chaque entité agit selon ses priorités, au risque de créer des chevauchements ou des incohérences. « Les provinces travaillent chacune de leur côté, ce qui peut créer des doublons ou des incohérences », constate Pierre Molaj, analyste politique basé à Lubumbashi. Si les limites du système sont palpables, l’approche décentralisée offre néanmoins une souplesse et une réactivité contrastant avec la vision plus centralisée et symbolique de l’époque Katumbi.

Services sociaux : proximité et défis qualitatifs

Le démembrement provincial a profondément remodelé le paysage des services sociaux dans le Grand Katanga, touchant notamment la santé et l’éducation. Sous Moïse Katumbi, certaines infrastructures à Lubumbashi (hôpitaux et établissements scolaires) étaient visibles et partiellement modernisées, mais ces investissements peinaient à essaimer hors de la capitale provinciale. En 2013, RFI soulignait que les salaires des enseignants et du personnel soignant étaient souvent versés en retard, dégradant la qualité des services, et citait le témoignage de Thérèse Mbuyi sur le manque de personnel formé à Kamina.

Avec l’entrée en fonction des nouveaux gouverneurs, un virage vers une meilleure proximité s’est amorcé. Dans le Haut-Katanga, Jacques Kyabula a lancé en 2023 un vaste programme de recrutement d’enseignants, créant 1 500 postes supplémentaires pour répondre au besoin en personnel qualifié, une priorité relayée par Top Congo FM. À Lualaba, la gouverneure Fifi Masuka Saïni a placé le développement social au cœur de son plan quinquennal 2024–2028, doté de plus de 3 milliards USD, en multipliant les centres de santé communautaires, notamment à Mwanza Mpango où un nouvel hôpital moderne est en construction pour réduire les distances parcourues par les patients. Dans le Tanganyika, l’UNICEF, avec son partenaire Education Cannot Wait, soutient des bourses scolaires pour filles et l’aménagement d’infrastructures éducatives adaptées aux zones affectées par les conflits et les déplacements internes. Ce programme touche aujourd’hui 67 000 enfants, dont environ 32 000 filles et garçons déjà scolarisés, alors que la province compte 1,8 million d’enfants en âge de l’être.

Cette orientation marque un progrès concret, mais la qualité des services reste disparate selon les territoires. Les nouveaux établissements sont souvent dépourvus de matériel médical adéquat ou de manuels scolaires en nombre suffisant, comme le souligne le Dr Albert Tshibangu, médecin à Kalemie. Le Tanganyika illustre cette dualité : confronté à 45 % de population en insécurité alimentaire, le programme de cantines scolaires géré par le PAM et les communautés scolaires a mis en place des cultures locales (manioc, patate douce) destinées à nourrir plus de 23 700 élèves entre 2023 et 2025, mais les défis logistiques (routes, approvisionnement, recrutement d’enseignants) demeurent, note actualité cd en mai 2025.

En parallèle, au niveau national, le gouvernement a lancé en février-mars 2025 une opération de recrutement d’enseignants et directeurs scolaires à travers dix provinces (dont le Haut-Lomami), dans le cadre d’une réforme visant à professionnaliser le corps enseignant et améliorer la gouvernance des écoles publiques.

Ainsi, si des progrès palpables ont été réalisés en termes de proximité et d’effectifs, la qualité globale reste inégale, particulièrement dans les zones rurales ou fragilisées. Le principal défi des provinces réside désormais dans le renforcement des capacités logistiques, la fourniture d’un matériel adapté, et la stabilisation du personnel pour assurer un service social équitable, rompant ainsi avec l’ancien modèle centralisé de Katumbi.

Gouvernance et redevabilité : un cap exigeant

Sous Moïse Katumbi, la gouvernance, centrée sur sa figure charismatique, souffrait d’un déficit de redevabilité. Un rapport du Congo Research Group de 2015 évoquait des tensions constantes entre le gouverneur et l’Assemblée provinciale, une marginalisation de la société civile et un manque de transparence dans l’utilisation des fonds publics. Le Monde, en 2014, relayait des accusations de conflits d’intérêts liés aux affaires commerciales de Katumbi, tandis que Human Rights Watch documentait la fermeture d’espaces médiatiques et l’intimidation de voix critiques.

Depuis le démembrement, les provinces sont soumises à une exigence accrue de reddition des comptes. En 2024, dans le Haut Katanga, le gouverneur Jacques Kyabula a organisé des sessions publiques de présentation du budget provincial et rendu plus transparentes les sessions de l’Assemblée provinciale, notamment grâce au nouveau bâtiment inauguré en novembre, financé sur fonds propres. Cependant, la gestion des ressources continue de susciter des interrogations : en mars 2025, près d’une centaine d’anciens agents du gouvernorat ont saisi la justice pour réclamer des salaires et indemnités non versés depuis août 2024.

Dans la province de Haut-Lomami, le gouverneur a sollicité l’Inspection Générale des Finances (IGF) et la Cour des comptes pour auditer la gestion locale. En juillet 2024, il a invité leurs services à des contrôles réguliers et transparents lors de sa prise de fonction. Pourtant, un rapport de l’IGF datant de 2023 signalait toujours des irrégularités dans plusieurs provinces, notamment les transferts de salaires fictifs et la corruption institutionnalisée, représentant un manque à gagner estimé à ± 65 millions USD par mois selon certaines sources.

Autour de Lualaba et du Tanganyika, la gouvernance décentralisée a aussi intégré la société civile dans le contrôle des projets miniers et de développement. En 2025, Geopolismagazine.org soulignait la participation active des ONG locales dans le suivi budgétaire et environnemental à Lualaba, même si certains observateurs pointent une persistance de la corruption à l’échelle de l’exécutif provincial.

Selon Sophie Ngalula, activiste à Lubumbashi : « La décentralisation a rapproché les décisions des citoyens, mais la corruption reste un frein. » Les efforts en matière de transparence sont indéniables, mais la faiblesse des structures de contrôle, l’absence de sanctions dissuasives et les réseaux clientélistes demeurent des obstacles majeurs.

Le passage d’une gouvernance centralisée à un modèle provincial ouvert, impliquant Assemblées, citoyens, presse et institutions de contrôle, instaure une dynamique nouvelle. Si le modèle top down de Katumbi a progressivement cédé la place à une approche plus participative, son efficacité dépend désormais de la consolidation des mécanismes de reddition de comptes et de lutte contre la corruption, au-delà de la seule volonté politique.

Développement rural : une lente émergence

Le développement rural figurait peu parmi les priorités durant l’ère Katumbi, orientée vers l’industrialisation et les centres urbains. Pourtant, dès 2008, Moïse Katumbi avait encouragé la mise en culture de terres allouées aux entreprises minières, réduisant la dépendance aux importations alimentaires de 98 % à moins de 25 % en 2015. Toutefois, selon un article de la chaine allemande Deutsche Welle en 2015, les agriculteurs locaux continuaient de dépendre de l’aide humanitaire, notamment en raison du mauvais état des routes et du manque d’intrants.

Depuis le démembrement, un changement net s’esquisse. D’après le rapport 2025 de la FAO, un soutien de 4,5 millions USD destiné à dix communautés agricoles s’est traduit par l’introduction de semences améliorées, de pratiques agroforestières et de bio-pesticides, avec une première centaine de micro-entreprises agricoles en gestation. Dans le Haut-Lomami, un projet scientifique récent souligne la voie prometteuse d’une intensification durable de la culture du manioc, visant à renforcer la sécurité alimentaire locale.

À Tanganyika et Haut-Lomami, l’insécurité alimentaire reste préoccupante : environ 25 millions de Congolais sont aujourd’hui en situation de crise ou d’urgence alimentaire, et Tanganyika est la province la plus touchée, en raison des conflits, inondations et faibles investissements ruraux. Pour y remédier, des partenariats FAO/PAM soutiennent plusieurs milliers de petits exploitants (18 000 ménages) ciblés entre Kabalo et Nyunzu dans la reconstruction des filières agricoles, via un vaste programme de résilience.

Localement, des initiatives concrètes émergent. À Lualaba, les autorités provinciales s’appuient sur la mise en place d’entrepôts communautaires destinés aux producteurs, afin de réduire les pertes post-récolte et faciliter l’accès aux marchés, comme rapporté par le site congolais Ouragan.cd en 2024. Cette mesure, associée à des pistes rurales améliorées, a permis à des agriculteurs de la région de Kolwezi de transporter leurs récoltes vers les marchés urbains sans détérioration prématurée.

Cependant, l’impact de ces projets reste freiné par un manque de coordination au-delà des frontières provinciales, limitant le développement de chaînes de valeur régionales. Les infrastructures routières et les capacités de stockage restent insuffisantes, notamment faute d’entrepôts frigorifiques, et l’intensification agricole réclame un soutien accru.

Sécurité et cohésion sociale : un équilibre précaire

La sécurité demeure un enjeu critique dans les provinces du Grand Katanga, particulièrement au Tanganyika, où les affrontements entre communautés, notamment entre Twa et Bantous, ont causé plus de 1 400 morts et 650 000 déplacés entre 2013 et 2020. Pendant l’ère Katumbi, la réponse aux tensions reposait essentiellement sur la répression centralisée : un rapport de l’ONU de 2014 pointait un recours systématique aux forces policières et militaires plutôt qu’à des mécanismes de dialogue, une approche également observée dans la gestion des conflits communautaires dans l’est de la province depuis Lubumbashi.

Aujourd’hui, le gouverneur Christian Kitungwa Muteba, élu en avril 2024, prône une approche plus participative. Il a instauré des dialogues communautaires et des consultations civiques directes, comme en octobre 2024 lorsque les citoyens de Kalemie, confrontés à l’insécurité (embuscades, attaques de routes), ont été invités à co-construire avec les autorités provinciales des stratégies de sécurité. En septembre 2024, une réunion entre la province et l’USAID à Tanganyika a confirmé l’engagement des autorités à impliquer chaque habitant dans le processus de paix.

Pourtant, la menace des groupes armés persiste. Selon un rapport de la MONUSCO, plus de cent groupes armés sont encore présents dans l’est de la RDC, et dans le Tanganyika seulement, plus de 100 civils ont été tués récemment dans des violences intercommunautaires. Les milices communautaires, souvent formées localement, continuent de défier l’État et l’armée nationale (FARDC), appuyée par des bases telles que le camp de Kimbembe, peine à assurer une protection permanente.

Ainsi, bien que l’initiative de Kitungwa marque un pas vers la cohésion sociale par le dialogue et la participation citoyenne, l’insécurité armée et les conflits ethniques continuent de fragiliser cet équilibre. Le défi principal reste de transformer une stabilisation précaire en paix durable par une action conjointe plus structurée entre autorités provinciales, gouvernement central et institutions internationales.

Une dynamique en marche, mais encore incomplète

La gouvernance décentralisée du Grand Katanga a opéré une rupture avec l’approche centralisée de Moïse Katumbi, ouvrant la voie à un développement plus structuré et inclusif. Les progrès dans les infrastructures rurales, les services sociaux et la redevabilité témoignent d’une dynamique nouvelle, bien que des défis comme la corruption et la coordination interprovinciale persistent. L’ère Katumbi, malgré ses réalisations, souffrait d’une concentration excessive des bénéfices à Lubumbashi et d’une opacité dans la gestion. Pour l’avenir, le Grand Katanga devra renforcer la coopération entre ses provinces pour maximiser son potentiel, tout en consolidant les acquis de la décentralisation.

Cependant, plus de 15 ans après la mise en œuvre de la décentralisation, le développement des provinces tarde à se concrétiser pleinement. La crise institutionnelle au niveau des provinces est devenue récurrente, et les institutions provinciales sont parfois privées des moyens nécessaires pour mettre en œuvre leurs politiques. Certains estiment que cet échec relatif est dû à la mauvaise gestion et au non-respect des principes constitutionnels.

Il est donc impératif de placer la transparence, la responsabilité et la coordination entre les différentes entités administratives au premier plan. Ce n’est qu’en renforçant ces piliers que le Grand Katanga pourra réaliser son plein potentiel et offrir à ses citoyens un développement durable et équitable.

Heshima Magazine

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