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Conflits en RDC : Plongée dans le M23 d’hier et d’aujourd’hui…
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La redaction
Depuis le 28 janvier, les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23), soutenus par le Rwanda, occupent la ville de Goma, au Nord-Kivu. Ils tentent d’élargir leur emprise sur d’autres parties de la République démocratique du Congo (RDC). Que veulent exactement ces rebelles ? Que reprochent-ils au gouvernement ? Retour sur leurs revendications de 2012 et celles d’aujourd’hui.
Héritier du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de l’ancien rebelle Laurent Nkunda, le M23 poursuit des revendications variées. Mais au départ, en 2012, ils réclamaient principalement l’application de l’accord du 23 mars 2009 signé entre le gouvernement et la rébellion du CNDP. Cet accord contient une clause demandant la mise en place d’un nouveau modèle de découpage du territoire national fondé sur « la nécessité d’une meilleure prise en compte possible des réalités sociologiques du pays ». L’accord inclut aussi la reconnaissance des provinces du Nord et du Sud-Kivu comme des « zones sinistrées ».
Genèse du M23 en 2012
En 2009, après la transformation en parti politique du groupe armé CNDP de Laurent Nkunda à la suite de cet accord de paix, ses éléments armés intègrent alors les FARDC via un brassage. Ils ont même exigé de porter les mêmes grades qu’ils possédaient au sein de la rébellion du CNDP. Mais en avril 2012, ces officiers parmi lesquels Sultani Makenga et Bernard Byamungu désertent l’armée. Un mois plus tard, soit le 6 mai 2012, ils créent le Mouvement du 23 mars (M23), considérant que le gouvernement congolais ne respectait pas les accords de paix signé le 23 mars 2009 avec le CNDP.
Occupation de Goma et négociations en 2013
Très vite, la nouvelle rébellion occupe une partie de la province du Nord-Kivu. Le 20 novembre 2012, ils s’emparent de Goma, chef-lieu de la province. Ils quitteront la ville après des pressions internationales, notamment avec l’influence de Yoweri Museveni, le président ougandais. « Nous nous sommes rendus en Ouganda pour discuter avec le président Yoweri Museveni du retrait du M23 de Goma. (…) Le président Museveni a juste pris son téléphone et appelé quelqu’un pendant 30 minutes. Le lendemain, le M23 s’est retiré de Goma sans coup de feu. », a expliqué l’ancien ambassadeur de la RDC en Ouganda, Jean-Charles Okoto. Ces négociations ont eu lieu essentiellement en Ouganda. Les rebelles acceptent de se retirer loin de Goma et s’installe dans les collines de Runyonyi et Chanzu. Mais une dissension interne va naitre entre le général auto-proclamé Sultani Makenga et Bosco Ntaganda. Ce dernier est alors sous mandat d’arrêt international lancé par la Cour Pénale Internationale (CPI). Sultani Makenga, chef de la branche militaire, va révoquer son chef politique, Jean-Marie Runiga, jugé trop proche de Bosco Ntaganda. Un bicéphalisme s’installe dans le groupe. D’une part, la faction Makenga et de l’autre, celle de Runiga. C’est dans ces entrefaites que l’armée congolaise, appuyée par la Brigade d’intervention (FIB) de la MONUSCO, va lancer des offensives contre ces rebelles affaiblis par les dissensions internes. En novembre 2013, ils seront défaits militairement par l’armée. La branche Runiga fuit au Rwanda et celle de Makenga, en Ouganda.
Soutien extérieur et sanctions
En 2012-2013, le M23 a reçu le soutien militaire et logistique de la part du Rwanda mais aussi de l’Ouganda. Les Etats-Unis, la RDC et des experts de l’ONU avaient accusé les autorités de Kigali de soutenir militairement la rébellion du M23. Des sanctions avaient été prises contre Kigali. A l’époque, le sous-secrétaire d’Etat américain pour l’Afrique, Linda Thomas-Greenfield, avait révélé des mesures de sanctions contre le Rwanda sur la base d’une loi américaine de 2008 sur la protection des enfants soldats. Ce qui avait conduit à la fin de toute assistance américaine en termes de formation et d’entraînement militaire en faveur du Rwanda pour l’année budgétaire 2014. Cette assistance était évaluée, en 2013, à près de 500.000 dollars. D’autres aides avaient été également suspendues par Washington.
Discussions de paix à Nairobi
Après la défaite militaire, les discussions sont lancées à Nairobi, au Kenya. Déjà, le 5 novembre 2013, le M23 déclare mettre un terme à la rébellion. Les troupes du M23 sont désarmés et transférés dans des camps en Ouganda. Le 12 décembre, un accord de paix est signé à Nairobi, mettant fin officiellement à la rébellion. L’annonce de la signature de l’accord a été faite par le président ougandais, Yoweri Museveni. Les trois documents signés entre Kinshasa et le M23 réaffirment la dissolution de ce mouvement en tant que groupe armé et précisent les modalités de la démobilisation ainsi que la renonciation de ses membres à la violence pour faire valoir leurs droits. « Il n’y a pas d’amnistie générale. Ceux qui sont présumés s’être comportés de façon criminelle sur le plan du droit international, avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ne seront pas réinsérés dans la société », avait précisé Lambert Mende, à l’époque porte-parole du gouvernement.
Revendications du M23 en 2025
Entre 2012 et 2025, les revendications de la rébellion ont évolué. Même s’il y a certaines constances, ce mouvement s’adapte souvent à l’actualité. Rejoint par l’Alliance Fleuve Congo de l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa, ce mouvement (AFC-M23) revendique désormais la prise de pouvoir à Kinshasa. Ce groupe armé a annoncé, le 30 janvier, vouloir « rester » à Goma, et « continuer la marche de libération » jusqu’à la capitale Kinshasa. Ils accusent également le président Félix Tshisekedi de n’avoir pas remporté l’élection présidentielle de 2023. Corneille Nangaa, qui devient le porte-voix politique du M23, a aussi mentionné des discriminations de faciès dont les communautés « kinyarwandaphones » seraient victimes en RDC. Lors de la prise de Minova, au Sud-Kivu, cet ancien président de la CENI avait même déclaré vouloir marcher sur Kinshasa pour instaurer le « fédéralisme » au sommet de l’Etat. Une forme d’Etat qui permettrait aux provinces du pays d’être presque autonomes.
Les mêmes parrains en 2025
Comme en 2012, le M23 garde les mêmes parrains en 2025. Les Nations unies ont accusé, dans un rapport du groupe d’experts sur la RDC, l’armée rwandaise d’avoir déployé « entre 3000 et 4000 » soldats dans l’Est de la RDC pour appuyer les rebelles du M23 dans sa conquête d’espace au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, provinces frontalières notamment avec le Rwanda et l’Ouganda. Les experts de l’ONU affirment dans leur rapport, présenté le 8 juillet 2024, que des officiers rwandais ont « de facto pris le contrôle et la direction des opérations du M23 » qui s’est emparé de plusieurs localités depuis fin 2021.
Des sanctions s’annoncent contre le Rwanda
Après l’occupation de Goma, l’Allemagne a suspendu, le 28 janvier, des discussions prévues avec le Rwanda sur son aide au développement, exigeant le retrait – de l’Est de la RDC – des forces rwandaises et de leurs alliés du M23. Des « consultations gouvernementales » entre Berlin et Kigali, programmées en février, ont été annulées, a déclaré un porte-parole du ministère allemand du Développement et de la Coopération économique. Le Parlement européen envisage aussi des lourdes sanctions contre Kigali. La Grande-Bretagne – une alliée indéfectible du Rwanda – a condamné ce pays après l’occupation de Goma et des autres entités congolaises. Chaque jour qui passe, la pression internationale pour adopter des mesures contre le Rwanda s’intensifie. Le Parlement européen envisage de suspendre le protocole d’accord ayant pour objectif « de renforcer le rôle du Rwanda » dans le développement de « chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques. » Un accord que Kinshasa avait dénoncé, qualifiant l’Union européenne de mener une « guerre par procuration » contre la RDC avec l’idée de piller ses minerais stratégiques. Selon Kinshasa, le Rwanda ne possède pas ces richesses, Kigali pille ces minerais au Congo.
Faut-il négocier ou poursuivre les affrontements ?
Le 29 janvier, dans un message télévisé, le chef de l’Etat congolais, Félix Tshisekedi, a refusé de s’avouer vaincu. Il a assuré qu’une « riposte vigoureuse et coordonnée » de l’armée congolais (FRADC) était en cours, mettant en garde contre le risque d’une escalade régionale incontrôlée. Mais Félix Tshisekedi n’a pas fermé complètement la porte à des négociations. Il a évoqué un dialogue « lucide » mais pas directement avec le M23. Certaines voix congolaises s’élèvent et commencent déjà à penser à une hypothèse de discussions directes, après les revers subis par l’armée. Mais cette option est perçue par Kinshasa comme un retour à la case départ. Le gouvernement congolais perçoit cette rébellion comme un « patin » du Rwanda et que s’il y a à négocier, il faudrait directement le faire avec Kigali.
Heshima
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RDC : Plusieurs projets prioritaires toujours à la traîne
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3 heures agoon
mai 23, 2025By
La redaction
Plusieurs projets prioritaires en République démocratique du Congo (RDC) ont du mal à être implémentés. Des initiatives inachevées, des projets parfois mal ficelés et la tendance à continuer de freiner le développement du pays persistent. Pourtant, le gouvernement de la Première ministre Judith Suminwa avait affiché de grandes ambitions dans un pays confronté à des défis considérables. À ce jour, tout semble tourner au ralenti.
La RDC a lancé plusieurs projets prioritaires pour stimuler son développement socio-économique. Les travaux de modernisation des aéroports, la construction des écoles, des centres de santé et bureaux administratifs dans le cadre du Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T) sont en cours. Pourtant, ces projets prioritaires accusent un retard dans leur exécution. Le gouvernement congolais a alloué un financement important de 160 millions de dollars pour relancer les infrastructures. Cela inclut la réhabilitation des voiries à Kinshasa, avec une première tranche de 4,6 millions de dollars pour le marché central, ainsi que le projet Kinshasa Arena (105 millions de dollars) et un centre polyvalent.
À Kinshasa, certains travaux de réhabilitation des routes prennent les allures d’une éternité. Sur des routes secondaires, certains travaux ont pris plus de temps que prévu. Un projet de réhabilitation d’une route secondaire a fait jaser beaucoup de Congolais sur les réseaux sociaux. Il s’agit de l’avenue Kabambare, dans la commune de Lingwala. Ce tronçon, long seulement de 3,2 km, nécessitera deux ans pour l’exécution des travaux. Il y a aussi le projet de construction des rocades dans le sud-ouest de la ville de Kinshasa qui connaît également des retards dus notamment à l’indemnisation des parcelles à exproprier le long de la voie de ces rocades. Pourtant, des fonds étaient déjà prévus pour permettre à ceux qui ont construit le long de cette voie de pouvoir dégager le lieu pour laisser la place à ce projet majeur destiné à désengorger la ville de Kinshasa.
Projets de rénovation des aéroports
La modernisation de l’aéroport international de N’Djili à Kinshasa est un projet stratégique visant à transformer cette infrastructure vieillissante en un hub aéroportuaire moderne, capable de répondre aux normes internationales et de soutenir le développement économique du pays. Mais ce projet tâtonne depuis plusieurs années. Sous Joseph Kabila, la première pierre d’une nouvelle aérogare a été posée, dans le cadre de la modernisation de l’aéroport international de N’Djili-Kinshasa, porte d’entrée dans la troisième mégapole d’Afrique après Le Caire et Lagos.
Évalué à 364,9 millions de dollars pour un contrat de 36 mois, ce projet n’a jamais vu le jour depuis la pose de la première pierre.
En 2024, sous Félix Tshisekedi, le projet a été relancé avec un autre entrepreneur : Milvest. Ce dernier avait même présenté officiellement une maquette pour le nouvel aéroport. Mais sans succès. Devenu ministre de tutelle, Jean-Pierre Bemba va amener un autre entrepreneur en lieu et place de Milvest. « D’ici le premier trimestre de l’année prochaine [2025], les travaux vont commencer à N’Djili. Ce projet est une priorité, et je suis fermement engagé à le faire avancer rapidement », avait déclaré Jean-Pierre Bemba lors d’une interview sur Top Congo FM. Il avait également indiqué que le président Félix Tshisekedi attachait une importance particulière à ce chantier, destiné à moderniser une infrastructure jugée vieillissante et à améliorer les capacités d’accueil de l’aéroport. En mai 2025, un début timide des travaux s’observe sur le site de l’aéroport.
En dehors de l’aéroport de N’Djili à Kinshasa, des aéroports de Kavumu à Bukavu (Sud-Kivu) et de Mbuji-Mayi sont aussi en réhabilitation. Mais la situation de guerre dans le Sud-Kivu avec l’occupation de Bukavu et Kavumu par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) n’a pas permis l’avancement des travaux à Kavumu. À Kisangani, les travaux de l’aéroport de Bangboka ont pris fin et l’infrastructure a été livrée au gouvernement. Quant à la modernisation de l’aéroport de Kolwezi, les travaux sont toujours en cours. À la Loano, à Lubumbashi, Félix Tshisekedi a lancé récemment les travaux de sa modernisation.
PDL-145 Territoires : un projet majeur à l’arrêt
Le Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T) en RDC a franchi plusieurs étapes depuis son lancement, avec des résultats tangibles mais aussi des défis persistants. À la fin de 2024, les agences d’exécution ont livré un total de 853 infrastructures, réparties comme suit : 518 écoles, 276 centres de santé, 59 bâtiments administratifs. Ce qui représente environ 44 % des infrastructures achevées sur un objectif de 1 198 écoles, 788 centres de santé et 145 bâtiments administratifs. Le taux d’achèvement global est estimé à 32 %.
Dans les zones où les travaux de construction des bâtiments sont déjà achevés et des infrastructures livrées, c’est un discours de soulagement que l’on peut écouter de la part des bénéficiaires. Ce projet initié par le président de la République, Félix Tshisekedi, est un programme d’investissements publics multisectoriels orienté vers le monde rural. Le PDL 145 Territoires a pour vocation de vaincre la pauvreté et les inégalités territoriales constatées dans le Congo profond. Exécuté par trois agences, à savoir le Bureau central de coordination (BCECO), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Cellule d’exécution des financements en faveur des États fragiles (CFEF), ce projet connaît une réalisation notable dans la section dirigée par la CFEF.
Pour les 43 territoires sur les sept provinces sous la responsabilité de la CFEF, le bilan est satisfaisant malgré les difficultés rencontrées dans l’exécution de ce programme. Dans le cadre de la première composante visant à améliorer l’accès des populations rurales aux infrastructures et services socioéconomiques de base, la CFEF a reçu du gouvernement, depuis février 2022, la responsabilité de construire et équiper 360 écoles primaires, 232 centres de santé et 43 bâtiments administratifs dans les provinces du Kongo Central, du Kwango, du Kwilu, du Mai-Ndombe, de l’Équateur, du Nord et du Sud-Ubangi.
Un ratio encore faible au regard des projets qui restent à accomplir. Actuellement, ce projet majeur est presqu’à l’arrêt. Le BCECO, le PNUD et la CFEF n’ont plus de financement pour l’instant. Les travaux sont quasiment à l’arrêt. Dans le Mai-Ndombe, certaines infrastructures n’ont pas vu le jour. « Rien n’a été fait, personne n’a volé, tout le monde est innocent », se désole le chroniqueur de la télévision Israël Mutombo, revenu de la ville d’Inongo, dans la province du Mai-Ndombe où une école devrait être construite à Selenge mais l’argent aurait disparu.
Port de Banana, la fin des travaux projetée en 2026
Prévue au départ pour 2025, la fin des travaux du port en eau profonde de Banana a été projetée pour 2026. En août 2024, British International Investment (BII) avait annoncé un investissement de 35 millions de dollars en partenariat avec DP World pour développer ce projet. Selon la Première ministre, Judith Suminwa, il est prévu que le port soit opérationnel dès 2026, avec des phases de développement successives. Les premiers navires vont accoster en 2026, ce qui pourrait marquer un tournant historique dans le secteur maritime en RDC.
Le port de Banana, situé sur la côte atlantique du pays, servira de porte d’entrée unique pour toutes les importations et exportations conteneurisées de la RDC. Le projet prévoit un quai de 700 mètres de long, capable d’accueillir les plus grands navires porte-conteneurs. Ce port devrait également créer environ 85 000 emplois. Le projet pourrait aussi générer environ 1,12 milliard de dollars supplémentaires d’échanges commerciaux annuels et augmenter le PIB annuel de la RDC de 0,65 %, selon les projections rapportées par Actualite.cd.
Augmenter la desserte en eau et électricité
En 2024, des projets d’alimentation en eau potable ont permis à près de 1,3 million de personnes en milieu semi-urbain et à plus de 3,1 millions de personnes en milieu urbain d’accéder à des services essentiels. À Kinshasa, la mise en service du module 2 de l’usine de traitement d’eau d’Ozone a étendu l’accès à l’eau potable à 1,8 million de personnes supplémentaires. Ces initiatives témoignent de l’engagement du gouvernement congolais à améliorer les conditions de vie de ses citoyens et à promouvoir un développement durable. Mais il faut reconnaître que ces projets connaissent souvent une lenteur qui ne dit pas son nom. À un tel rythme, le développement du pays pourra prendre tout le temps sans pointer à l’horizon.
Heshima
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Joseph Kabila acculé : levée d’immunité, accusations et énigme du silence
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7 heures agoon
mai 23, 2025By
La redaction
Depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, Joseph Kabila s’était réfugié dans une discrétion quasi totale. Mais en 2025, cette réserve est brutalement rompue par des ennuis judiciaires sans précédent. Accusé de soutenir des groupes rebelles, notamment l’AFC incluant le M23, le sénateur à vie a vu son immunité levée par le Sénat le 22 mai 2025. L’ancien président reste étrangement silencieux. Pourtant, plusieurs sources annoncent une prise de parole attendue dans la soirée du 23 mai. Heshima Magazine retrace les contours de ses démêlés judiciaires et s’interroge sur la portée d’un silence devenu central.
Les ennuis judiciaires de l’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila trouvent leurs racines dans la période trouble qui a suivi son départ du pouvoir en 2019, après 18 ans à la tête de la RDC. Bien que son influence ait perduré à travers le Front Commun pour le Congo (FCC), sa coalition politique majoritaire au Parlement jusqu’en 2020, les soupçons sur ses activités se sont intensifiés avec la dégradation de la situation sécuritaire dans l’Est du pays. Dès 2020, des rumeurs circulaient sur son rôle présumé dans le financement de groupes armés, mais c’est en août 2024 que les accusations prennent une tournure publique et officielle. Lors d’un séjour en Belgique, le 6 août, au cours d’une interview accordée à la radio congolaise Top Congo FM et au média Congo Indépendant, le président Félix Tshisekedi a désigné Joseph Kabila comme le cerveau derrière l’Alliance Fleuve Congo (AFC) et le Mouvement du 23 mars (M23), groupes responsables d’atrocités dans l’Est du pays. Cette déclaration, relayée par plusieurs médias tant nationaux qu’internationaux, marque le début d’une offensive politique et judiciaire contre l’ancien président. « Nous disposons d’une multitude d’informations et de faits », a déclaré le Vice-premier ministre de l’Intérieur Jacquemain Shabani devant les médias. Ces accusations, bien que dépourvues de détails publics à l’époque, jettent les bases d’une confrontation qui allait bientôt dépasser le cadre des discours.
De la présidence à l’accusation
Le véritable tournant intervient en avril 2025, lorsque le ministre de la Justice, Constant Mutamba, annonce une demande officielle au Sénat pour lever l’immunité de Kabila, en sa qualité de sénateur à vie. Cette démarche, rapportée par de nombreux médias dont Heshima Magazine, repose sur des chefs d’accusation graves : participation à un mouvement insurrectionnel, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et haute trahison. Parallèlement, le gouvernement a ordonné la saisie des actifs de Kabila, y compris des propriétés à Kinshasa et à Lubumbashi. Quant au Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), bastion politique de Joseph Kabila, celui-ci est suspendu depuis le 20 avril 2025, une décision inédite. Le ministre de l’Intérieur a également saisi la Cour constitutionnelle afin d’obtenir la dissolution du PPRD et de trois autres partis d’opposition, accusés de collusion avec des groupes armés. Une mesure que l’analyste politique Marie-Claire Ndaya interprète comme une « sévère mise en garde afin de décourager à l’avenir définitivement toute autre personne ou personnalité de prendre les armes contre la République ». »
Une procédure sous haute tension
Le 22 mai 2025, le Sénat de la RDC, sous la présidence de Jean-Michel Sama Lukonde, a voté la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila, ouvrant ainsi la voie à des poursuites judiciaires contre l’ancien président. Cette décision, prise à bulletins secrets par 88 voix pour, 5 contre et 3 abstentions fait suite à la demande du ministre de la Justice, Constant Mutamba, qui accuse Kabila de « participation directe » au groupe armé M23. La commission spéciale du Sénat, composée de 40 membres, s’était prononcée unanimement en faveur de cette mesure, estimant que les faits reprochés ne relèvent pas de sa fonction d’ancien président mais de celle de sénateur à vie. Cette levée d’immunité marque une étape décisive dans la procédure judiciaire engagée contre Kabila, qui pourrait désormais être poursuivi pour des chefs d’accusation incluant la trahison, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
Kabila face au gouffre judiciaire
Avec la levée de son immunité, Joseph Kabila se trouve désormais exposé à des poursuites judiciaires qui pourraient avoir des conséquences monumentales. Sur le plan juridique, les accusations de haute trahison et de crimes de guerre sont parmi les plus graves prévues par le Code pénal congolais. La haute trahison, définie comme une atteinte à la sûreté de l’État, peut entraîner la réclusion à perpétuité, compte tenu du moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis 2003 mais suspendu depuis plus d’une année par Félix Tshisekedi. Les chefs d’accusation liés aux crimes de guerre et contre l’humanité pourraient également attirer l’attention de la Cour pénale internationale (CPI), surtout si des preuves documentent des massacres ou des financements de groupes armés. « Un procès national serait un précédent historique, mais il pourrait aussi exposer la RDC à un examen international », note l’experte en droit international Sophie Laurent, dans une analyse publiée par The Africa Report. Une condamnation priverait Kabila de sa liberté et de ses droits politiques, le reléguant à un statut de paria avec un mandat d’arrêt international à son encontre.
Sur le plan politique, une condamnation marquerait la fin de l’influence de Kabila, qui reste une figure polarisante. Le PPRD, déjà fragilisé par sa suspension, risque la dissolution, ce qui priverait Kabila de son principal parti. « Une telle issue consoliderait le pouvoir de Tshisekedi, mais à quel prix ? », s’interroge le sociologue Gérardin Biamba.
Le mystère du silence de Kabila
Face à cette tempête judiciaire, le silence de Joseph Kabila est assourdissant. Depuis l’annonce de la demande de levée de son immunité en avril 2025, et même après la décision du Sénat le 22 mai 2025, il n’a fait aucune déclaration publique, ni dans les médias, ni officiellement via son parti. Ce mutisme, alors que ses biens sont en passe d’être saisis, que le PPRD est menacé de dissolution, que son immunité est levée et que son avenir est en jeu, intrigue les observateurs et divise les Congolais. « Pourquoi ne se défend-il pas ? » s’interroge Jean-Pierre Mbuyi, chauffeur de taxi à Kinshasa. « S’il était innocent, il parlerait, non ? » Ce silence, dans un contexte aussi explosif, suscite de multiples interprétations, chacune offrant un éclairage sur les intentions possibles de l’ancien président.
Une première hypothèse voit dans ce silence une stratégie calculée. Kabila, connu pour son pragmatisme politique, pourrait éviter de s’exprimer publiquement pour ne pas aggraver sa situation. « Il sait que chaque mot peut être utilisé contre lui », explique l’analyste politique Raoul Ntumba. Ce silence pourrait également masquer des négociations en coulisses avec le gouvernement de Tshisekedi, visant à obtenir un accord pour abandonner les poursuites en échange d’un retrait définitif de la scène politique. Une telle pratique permettrait à Joseph Kabila de préserver une partie de ses intérêts tout en évitant un procès humiliant. « Il joue la montre », estime Marie-Claire Ndaya, politologue. « Kabila a toujours préféré l’ombre à la lumière. »
Une autre lecture, plus accusatrice, interprète ce silence comme un aveu implicite de culpabilité. « Qui ne dit mot consent », murmure-t-on dans certains milieux de Kinshasa. Certains, comme l’activiste des droits humains Marianne Makoloba, y voient une incapacité à contrer des accusations étayées par des preuves solides. « S’il avait des arguments pour se défendre, il les aurait déjà avancés », affirme-t-elle. Pourtant, cette interprétation est contestée par les proches de Kabila. Sous couvert d’anonymat, un haut cadre du PPRD déclare : « Ce silence est un refus de légitimer une chasse aux sorcières. Le président Kabila reste digne face à des accusations fabriquées. »
Une troisième hypothèse suggère que ce silence reflète une crainte ou une perte de contrôle total des événements. Kabila, habitué à manipuler les leviers du pouvoir, pourrait avoir été pris de court par l’ampleur et la rapidité des mesures contre lui. La saisie annoncée de ses biens, la suspension du PPRD, et la levée de son immunité ont pu le désarçonner. « Il n’avait peut-être pas anticipé une offensive aussi agressive », avance l’analyste en sécurité Didier Kalato. Ce silence pourrait alors traduire une difficulté à formuler une réponse cohérente face à un gouvernement déterminé à l’isoler. « Il est possible qu’il se sente acculé », ajoute Kalato, « et qu’il attende un moment opportun pour contre-attaquer. »
Enfin, certains observateurs spéculent que ce silence pourrait être le prélude d’une reddition. Kabila, conscient des risques judiciaires et de la fragilité de sa position, pourrait préparer une sortie discrète, peut-être se retirant définitivement de la vie politique et en s’exilant où il le souhaite. « Il pourrait chercher à protéger sa famille et ses avoirs restants », suggère l’experte en relations internationales Sophie Laurent. Ce scénario, bien que plausible, semble toutefois improbable pour un homme connu pour son obstination et son habileté politique.
Un mutisme qui divise et interroge
Quelle que soit son origine, le silence de Kabila a des répercussions profondes. Pour ses partisans, il incarne une forme de résistance passive, un refus de se plier à ce qu’ils perçoivent comme une persécution politique. « Il ne parle pas parce qu’il sait que la vérité finira par éclater », affirme Dodi Bope, membre du PPRD. Pour ses détracteurs, ce mutisme renforce les soupçons, donnant l’impression d’un homme à court d’arguments. « Son silence est un aveux », lance un haut responsable de l’Union sacrée, sous couvert d’anonymat.
Sur le plan politique, ce silence laisse un vide que ses adversaires exploitent. Le gouvernement de Tshisekedi, selon plusieurs analystes politiques, présente les démarches judiciaires comme une quête de justice pour les victimes des conflits dans l’Est. « Personne n’est au-dessus de la loi », déclare l’opérateur économique Babone Marc au micro de Heshima Magazine. Pourtant, ce narratif est contesté par ceux qui craignent une instrumentalisation de la justice. « Si les preuves ne sont pas solides, cela pourrait se retourner contre Tshisekedi », avertit l’avocate Louise Mboyi.
Sur le plan social, le silence de Kabila alimente les divisions. Pour ses partisans, des voix comme celle de Joseph Katshuvi expriment leur frustration : « On accuse Joseph Kabila sans que nous, ses soutiens, n’ayons vu une seule preuve claire. Son silence est une réponse à cette injustice. » D’autres citoyens comme Esther Ngoy, enseignante, y voient une faiblesse : « Il devrait se battre s’il est innocent. Ce silence nous fait douter et ne fait que renforcer les soupçons. »
Le dernier mot du silence
Le silence de Joseph Kabila face à ses ennuis judiciaires est un puzzle complexe, mêlant stratégie, prudence, et peut-être une touche de désarroi. Est-il en train de tisser une toile en coulisses, attendant le moment idéal pour riposter ? Ou ce mutisme cache-t-il une résignation face à un étau qui se resserre inexorablement ? Les démarches judiciaires, de leur genèse en 2024 à leur intensité actuelle en mai 2025, placent Kabila à un tournant crucial. Avec la levée de son immunité le 22 mai 2025, il risque non seulement la prison, mais aussi la perte définitive de son influence. Dans ce climat d’incertitude, son silence reste son arme la plus ambiguë : un défi, une esquive, ou un aveu. Alors que la RDC retient son souffle, l’avenir de Kabila et, avec lui, celui du pays, dépendra de la manière dont ce silence sera brisé, ou s’il perdurera jusqu’à l’oubli.
Heshima Magazine
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RDC : quelle solution face à la spoliation des espaces publics ?
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1 jour agoon
mai 22, 2025By
La redaction
En République démocratique du Congo (RDC), les espaces publics font souvent l’objet de spoliation. Des sites publics, ronds-points, terrains de football, camps militaires, rien n’est épargné. À Kinshasa, dans la commune de la Gombe, un carrefour serait vendu à un sujet libanais. Ces pratiques ont la peau dure malgré le changement des dirigeants au pays. Ce qui suscite des questions quant à la protection des espaces publics en RDC.
Au croisement des avenues Sénégalaises, Kabasele Tshiamala (ex-Flambeau) et Tabu Ley (ex-Tombalbaye), un carrefour public serait vendu à un sujet libanais. Des bureaux de police, des véhicules abandonnés, quelques kiosques commerciaux, des cabines téléphoniques ont été expulsés. « Nous sommes surpris de voir quelqu’un acheter ce rond-point. On ne sait même pas ce qu’il compte en faire. Nous demandons aux autorités de s’impliquer dans cette situation », a réagi une tenancière de kiosque, sous anonymat. Cette spoliation se fait à l’insu des autorités locales. « J’ai été surprise d’apprendre que cette parcelle a été vendue. Quand quelqu’un achète une parcelle, il doit d’abord commencer par le quartier […] J’ai appris que c’est un sujet libanais qui est l’acquéreur. Je ne sais pas ce qu’il veut en faire », a déclaré Rachel Banyamo, chef du quartier Commerce, dans la commune de la Gombe. Ces cas de spoliation sont légion en République Démocratique du Congo.
Toujours à Kinshasa, un autre espace public a été vendu à un sujet indien. Pourtant, ce site a été longtemps déclaré non aedificandi suite aux collecteurs d’eau et autres tuyaux qui passent en dessous de ce site. Mais ce lieu a été vendu. Il a fallu l’intervention du président de la République en conseil des ministres pour que les spoliateurs arrêtent leurs travaux. Personne n’a été sanctionné pour cet acte de spoliation.
En 2020, plus de 3 500 personnes victimes de démolitions des maisons et spoliations de terres à Mbobero, Mbiza et marrée de Murhundu dans le territoire de Kabare, dans la province du Sud-Kivu, avaient déposé une plainte à la Cour de cassation à Kinshasa et une autre copie réservée au parquet près le tribunal de Grande instance de Kavumu contre le président honoraire Joseph Kabila pour spoliation « destruction méchante, pillage, tortures et crime contre l’humanité ».
Cette plainte a été déposée à la cour de cassation de Kinshasa/Gombe et une autre copie au parquet près le tribunal de grande instance de Kavumu au Sud-Kivu. Selon Jean Chrysostome Kijana, président national de la Nouvelle dynamique de la société civile et vice-président du collectif « Tournons la page », Joseph Kabila s’est illégalement approprié les parcelles de plus de 3 500 personnes, qui étaient devenus sans abris après une « destruction méchante » de leurs habitations.
Lits des rivières et la Baie de Ngaliema spoliés
En dehors des autorités politiques, des citoyens profitent également de la faiblesse de l’État pour s’octroyer des terres parfois dans des zones non aedificandi. C’est le cas des occupants des servitudes ferroviaires le long de la voie ferrée entre la Gare centrale et Kintambo-Magasin, à Kinshasa. D’autres occupent les rives des rivières Makelele, Mapenza, Kalamu, N’djili et Lukuya. Certaines parcelles de constructions sur ces terrains sont en cours de démolition. Mais l’opinion publique dénonce la politique de deux poids deux mesures. Sur la Baie de Ngaliema, située entre le complexe Utex Africa et le chantier naval de Chanimétal, des constructions illégales poussent également dans cette zone non aedificandi. « Sur ce site, il n’y a que des puissants du régime présent et passé qui construisent. Ils se protègent entre eux, personne ne va démolir leurs constructions anarchiques », pointe un riverain qui dit détenir les noms des ministres et autres responsables politiques qui spolient ce site.
Une spoliation qui cause des inondations
Ces constructions anarchiques sont également la cause des inondations qui endeuillent la ville de Kinshasa. Beaucoup de quartiers se sont développés sans respect des normes urbanistiques, souvent dans les lits des rivières ou les zones marécageuses. Les obstructions des exutoires naturels tels que les rivières et leurs lits provoquent ces inondations. Dans la quête de solution à ces problèmes, le Gouverneur de la ville de Kinshasa, Daniel Bumba, a reçu, le 21 mai 2025, les conclusions d’une étude conduite par le bureau d’études URBAPLAN, mobilisant ingénieurs, urbanistes, architectes et géographes. Cette mission avait pour objectif d’analyser en profondeur les causes des inondations qui ont récemment frappé la capitale, causant de lourdes pertes humaines et matérielles. D’après ces experts, plusieurs facteurs aggravants sont à la base de ces catastrophes, notamment l’insuffisance du système de drainage, l’accumulation des déchets notamment dans la rivière N’djili et l’occupation anarchique des zones à risque. En réponse, ils proposent un ensemble de mesures correctives structurées autour de trois axes : la réhabilitation des infrastructures de drainage, le renforcement de la collecte des déchets, et la déclaration de certaines zones comme non constructibles.
Autre responsabilité à pointer, c’est la faiblesse de l’État congolais. Des agents de l’État délivrent des titres de propriété à des occupants illégaux. Une faiblesse à corriger si l’on veut mettre un terme à l’anarchie dans ce secteur.
Heshima
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