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Crise sécuritaire en RDC : la CENCO peut-elle recréer l’unité autour de Tshisekedi ?
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La redaction
La prise de la ville de Goma par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) et l’armée rwandaise rend quasi inévitables des discussions politiques entre Kinshasa, Kigali et même avec les rebelles. Une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) pourrait rencontrer le président Félix Tshisekedi, ce lundi 3 février 2025, pour échanger probablement autour de la grave crise sécuritaire qui frappe la République démocratique du Congo (RDC). Est-ce un début de discussion avec l’opposition politique ? Décryptage.
La CENCO pourrait être reçue, ce lundi 3 février, par le président de la République, Félix Tshisekedi. Si la Présidence ne confirme pas la nouvelle, elle ne dément pas non plus l’existence d’une telle rencontre. Monseigneur Fulgence Muteba, évêque du diocèse de Lubumbashi et président de la CENCO, serait déjà à Kinshasa pour ce rendez-vous. Entre Félix Tshisekedi et les évêques catholiques, un seul sujet pourrait dominer la rencontre : la crise sécuritaire qui sévit dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et de l’Ituri. Après la prise de Goma par les rebelles du M23 avec l’armée rwandaise, des discussions politiques semblent devenues inévitables. Pour le secrétaire général de cette organisation, Mgr Donatien Nshole, la CENCO est prête à répondre à l’appel au dialogue, mais il est nécessaire de commencer par une rencontre avec le chef de l’État avant d’entamer les consultations avec le reste de la classe politique et sociale. « À la demande de Félix Tshisekedi de réunir tout le monde pour un dialogue, nous commencerons par le rencontrer afin de lui exposer la quintessence de notre démarche. Ensuite, nous rencontrerons les autres parties prenantes. C’est une réponse à son appel », a déclaré Mgr Nshole. À cette occasion, la CENCO pourrait exprimer son point de vue par rapport à la crise sécuritaire et évoquer d’éventuelles pistes de solution.
Dialoguer avec qui ?
Le gouvernement congolais avait tracé une ligne rouge à ne pas franchir : celle de dialoguer avec les rebelles du M23. Le président Félix Tshisekedi l’a même répété devant les diplomates, en janvier dernier, lors de la cérémonie d’échange des vœux. Devant sa famille politique de l’Union Sacrée de la Nation, il soutenait que même si les rebelles arrivaient devant sa résidence de la Cité de l’Union africaine, il ne négocierait pas avec eux. Mais face à une percée des rebelles dans le Nord-Kivu, notamment avec la prise de Goma et la menace qui pèse sur Bukavu, la donne pourrait bien changer. Les évêques risquent de se voir revêtus d’une mission plus large, celle de consulter toutes les parties : opposition politique, société civile, y compris les belligérants.
L’autre difficulté, c’est celle de voir le M23 accepter cette offre de dialogue. Alors qu’il réclamait des discussions directes avec Kinshasa, ce mouvement rebelle a, depuis un certain temps, changé de cap. Les rebelles affichent pour objectif de continuer leur offensive militaire dans l’Est de la RDC. Ce qui signifie que l’ouverture d’une négociation directe avec le gouvernement congolais, qui était jusqu’ici une exigence phare des rebelles et de leur protecteur rwandais, n’est apparemment plus considérée comme d’actualité. Corneille Nangaa affiche son désir de marcher sur Kinshasa.
Dialogue après un lourd bilan humain à Goma
Les consultations de la CENCO veulent s’ouvrir après que le pays a perdu des centaines de ses fils et filles, tombés essentiellement entre le 28 et le 30 janvier lors des affrontements entre l’armée rwandaise en appui au M23 et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour le contrôle de Goma. Le bilan de ce carnage s’élève jusque-là à 773 morts et 2 880 blessés recensés dans des structures sanitaires, selon le porte-parole du gouvernement. Ces chiffres ont été rendus publics au cours d’un briefing presse co-animé avec le ministre de la Santé, Samuel Roger Kamba. Selon Patrick Muyaya, les corps sont entassés dans les tiroirs des morgues des hôpitaux.
Le ministre de la Communication et des Médias a martelé le fait que ces chiffres représentent le minimum de ce qui s’est passé. « On a enregistré des attaques contre des enfants, des nouveau-nés, la maternité. Les capacités de chirurgie sont réduites et ils reçoivent un nombre plus élevé de malades, sans oublier la coupure d’eau et d’électricité. À côté de cela, la fatigue et le stress dans lequel le personnel médical travaille. Et dans un élan de solidarité, il a été demandé à la population de donner de son sang. Cette campagne de collecte de sang a pour but d’aider ces militaires, des Wazalendo », a-t-il déclaré.
Le pays et sa tradition de dialogue
L’histoire des dialogues politiques en RDC face à la crise sécuritaire ou politique est marquée par une série d’initiatives et de négociations visant à résoudre des conflits internes et à rétablir la paix dans un contexte de violences armées récurrentes. La RDC, avec ses nombreuses régions affectées par des groupes armés, a été le théâtre de multiples dialogues au fil des décennies.
Le dialogue inter-congolais (2002-2003)
Ce dialogue est l’un des plus importants de l’histoire politique récente du pays. Il a été initié après la guerre du Congo (1998-2003) qui a opposé plusieurs factions, soutenues par des puissances étrangères, principalement le Rwanda, l’Ouganda et certaines multinationales. Le dialogue inter-congolais, facilité par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et d’autres partenaires internationaux, a abouti à un accord de partage du pouvoir avec la formule d’un président de la République et de quatre vice-présidents (1+4), qui a formé un gouvernement de transition dirigé par le président Joseph Kabila, de 2003 à 2006.
Les Accords de Lusaka (1999)
Bien que précédant le dialogue inter-congolais, ces accords ont été un autre moment clé de l’histoire de la RDC. En réponse à l’intensification des conflits internes, la RDC a signé les Accords de Lusaka avec plusieurs groupes rebelles, dont le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) dirigé par Azarias Ruberwa, le RCD/KML (Kisangani Mouvement de Libération) d’Antipas Mbusa Nyamwisi et des puissances étrangères impliquées dans le conflit. Ces accords ont cherché à instaurer un cessez-le-feu et ont ouvert la voie à des négociations pour résoudre la crise sécuritaire.
Accords de Nairobi 2013-2014
Face à l’expansion territoriale du groupe rebelle M23 dans l’Est du pays, un nouveau dialogue a été lancé, soutenu par la communauté internationale. Le gouvernement congolais et les rebelles ont négocié à Nairobi, ce qui a permis de mettre fin à la rébellion en 2013, bien que les tensions sécuritaires dans la région soient restées persistantes, marquées par la présence de divers groupes armés. Mais huit ans plus tard, le mouvement a resurgi avec les mêmes parrains.
Le dialogue politique national (2016)
La crise sécuritaire, couplée aux tensions politiques internes concernant la fin du mandat de l’ancien président Joseph Kabila, a conduit à un autre dialogue en 2016. Ce dernier, surnommé « dialogue de la Cité de l’Union africaine » et facilité par l’ancien Premier ministre togolais, Edem Kodjo, visait à résoudre la crise électorale et à trouver un consensus sur la gestion de la transition. Mais l’accord n’avait pas permis de fédérer toute l’opposition. Un autre round a été ouvert, en décembre 2016, sous la médiation de la CENCO. Un accord de transition a été trouvé, permettant de prolonger le mandat de Joseph Kabila jusqu’à l’élection de 2018. La crise sécuritaire, quant à elle, a continué de se renforcer avec les rebelles ADF au Nord-Kivu et en Ituri, mais aussi avec la CODECO. Toutefois, le dialogue a permis de stabiliser la situation politique à court terme.
Les initiatives récentes et le rôle de la MONUSCO
Avec l’intensification des violences dans l’Est de la RDC, des dialogues se poursuivent, mais sont de plus en plus complexes. L’ONU, à travers la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en RDC (MONUSCO), intervient militairement et diplomatiquement pour essayer d’apaiser les tensions. Le gouvernement congolais et les groupes rebelles continuent de participer à des pourparlers de paix, bien que les résultats restent fragiles. Comme c’est le cas avec le processus de Nairobi, qui avait réuni plusieurs groupes armés, notamment le M23. Mais ce dernier avait quitté la table de discussion pour reprendre les armes jusqu’à ce jour.
Heshima
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Conflit RDC-Rwanda : Faure Gnassingbé et sa délicate mission de médiation
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1 heure agoon
avril 16, 2025By
La redaction
Sauf changement, le président togolais, Faure Gnassingbé, doit arriver en République démocratique du Congo (RDC) cette semaine. Cette visite s’inscrit dans le cadre de ses premiers contacts dans sa casquette de nouveau médiateur dans la crise sécuritaire qui secoue l’Est congolais. Mais le successeur du président angolais João Lourenço n’a peu de marge de manœuvre dans cette délicate mission où le Qatar semble voler la vedette aux initiatives africaines. Ce médiateur aura-t-il la pleine confiance des parties au conflit ? Analyse.
Depuis le week-end dernier, Faure Gnassingbé a pris officiellement la tête de la médiation entre la RDC et le Rwanda. Une décision annoncée le 5 avril 2025 par João Lourenço, président angolais et président en exercice de l’Union africaine (UA), lors d’une réunion virtuelle du bureau de l’organisation. L’Angolais João Lourenço, qui occupait cette fonction depuis deux ans, s’est retiré après avoir pris les commandes de l’Union africaine. La grande question qui se pose reste celle de savoir si le Togolais aura les coudées franches pour départager Kinshasa et Kigali dans ce conflit trentenaire.
Dans l’angle des diplomates, Faure Gnassingbé est perçu comme une personnalité consensuelle, non directement impliquée dans la crise et dont le pays n’est membre d’aucune organisation régionale touchée par ce conflit.
Certains observateurs présentent le président togolais comme un habitué du palais présidentiel de Kigali. D’autres, par contre, vantent ses liens avec Félix Tshisekedi. À Kinshasa, sa désignation a été accueillie sans un grand enthousiasme. « Ce qui compte aujourd’hui, c’est de pouvoir parler avec le Rwanda, un État qui a agressé notre pays. Il faut absolument un facilitateur. Est-ce que Faure Gnassingbé est le bon ? Est-il pertinent ? Notre chef de l’État en jugera et nous tiendra informés. », a estimé Lambert Mende, membre de l’Union sacrée, la plateforme au pouvoir en RDC.
Au sein de l’opposition congolaise, les avis sont partagés. Certains perçoivent cette initiative de l’Union africaine comme étant concurrente à d’autres initiatives régionales ou internationales. « Je salue toutes les initiatives de paix. Mais aujourd’hui, elles sont dispersées, parallèles, parfois concurrentes et simultanées. Leur juxtaposition crée de la confusion et nous éloigne chaque jour de la solution que notre peuple attend. Il faut vite ramener de la clarté et une meilleure coordination. », a réagi André Claudel Lubaya, opposant en exil.
La désignation du Togolais a créé une controverse notamment chez un mouvement de la diaspora togolaise basé en France, « Freedom Togo ». Pour cette organisation, la nomination du président togolais est une insulte aux idéaux panafricains. Il est accusé de dérives autoritaires depuis son arrivée au pouvoir en 2005. Cette organisation estime qu’on ne peut pas confier une mission de paix à un dirigeant qui réprime l’opposition dans son propre pays, muselle les médias et se positionne comme proche de Paul Kagame, l’une des parties au conflit.
Doha prend de l’avance
Pendant que les organisations régionales comme la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) traînent encore les pieds, le Qatar a réussi à réunir les deux dirigeants en conflit : Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Doha a pris de l’avance en démarrant un dialogue direct entre Kinshasa et les rebelles du Mouvement du 23 mars (AFC/M23). Pendant ce temps, des initiatives parallèles sont prises à Dar Es Salam ou à Addis-Abeba. Lors d’un sommet virtuel, les dirigeants de deux organisations sous-régionales ont décidé d’élargir le cadre de la médiation en désignant de nouvelles personnalités pour épauler la médiation des anciens présidents Olusegun Obasanjo (Nigeria) et Uhuru Kenyatta (Kenya). Ce qui crée un panel de cinq facilitateurs. Parmi eux, l’ancienne présidente de transition centrafricaine, Catherine Samba Panza, ne s’est jamais déplacée depuis sa désignation.
À côté de cette initiative régionale, se juxtapose celle de l’Afrique avec le Togolais Faure Gnassingbé. Ce qui démontre la délicatesse de sa mission pendant que personne ne sait quelle initiative réussira à réunir les protagonistes autour de la table. Pour l’instant, seul le Qatar a marqué les pas, contrastant avec la politique africaine qui veut que les problèmes africains trouvent des solutions africaines.
Heshima
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De l’élite à la rébellion : le paradoxe congolais
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4 heures agoon
avril 16, 2025By
La redaction
Depuis 1960, la RDC est marquée par des rébellions armées alimentées par des luttes de pouvoir, des tensions ethniques et la convoitise de ses richesses minières. Malgré un processus démocratique et la légitimité du président Tshisekedi, des figures comme Corneille Nangaa ou tout récemment Franck Diongo sont liées à un mouvement armé. Heshima Magazine explore l’histoire de ces conflits, les parcours de leurs acteurs et les raisons d’un recours à la guerre dans un pays qui n’est pas une dictature.
La récurrence des armes dans la politique congolaise n’est pas un accident. Elle reflète des failles structurelles profondes : un État central affaibli, une corruption endémique, des inégalités régionales, et des interférences étrangères qui exploitent ces vulnérabilités. Depuis les premières années de l’indépendance, marquées par des crises politiques brutales, jusqu’aux rébellions contemporaines comme celle du Mouvement du 23 mars (M23), la RDC semble prisonnière d’un paradoxe. D’un côté, elle dispose d’un potentiel immense, des ressources naturelles stratégiques, une population jeune et dynamique, une superficie équivalant à l’Europe occidentale. De l’autre, elle est minée par des conflits qui, loin de résoudre les griefs, aggravent les souffrances d’un peuple déjà éprouvé par des décennies de chaos. Comprendre pourquoi des leaders congolais, souvent issus de l’élite politique ou intellectuelle, optent pour la rébellion nécessite un retour sur l’histoire, une analyse des dynamiques actuelles, et une réflexion sur ce que signifie gouverner un pays aussi complexe.
Une histoire de rébellions en RDC
L’histoire de la République démocratique du Congo (RDC) est marquée par une succession de rébellions, chacune ancrée dans des luttes pour le pouvoir, des tensions ethniques, des richesses minières ou des influences étrangères. Depuis l’indépendance le 30 juin 1960, le pays a été le théâtre de crises où les armes sont devenues un moyen récurrent de contester l’autorité, souvent au détriment de la cohésion nationale. Ces soulèvements, portés par des leaders aux profils variés, s’inscrivent dans une chronologie où les événements anciens jettent les bases des conflits plus récents.
Dès l’indépendance, le Congo sombre dans le chaos. La sécession du Katanga, orchestrée par Moïse Tshombe avec l’appui des puissances occidentales, expose les divisions internes et les convoitises autour des ressources minières. Patrice Lumumba, premier Premier ministre, est assassiné en 1961 dans un contexte de guerre froide, laissant un vide politique. Ce meurtre alimente des mouvements lumumbistes, comme celui d’Antoine Gizenga, qui proclame en 1961 la « République libre du Congo » à Stanleyville, avec le soutien de l’Union soviétique. Bien que brève, son entreprise illustre la fragmentation des premières années post-indépendance.
Cette période voit également l’émergence d’autres figures rebelles. En 1964, Christophe Gbenye, ancien ministre, dirige la rébellion Simba, une insurrection lumumbiste visant à renverser un gouvernement jugé pro-occidental. Soutenu par des idéaux socialistes et des appuis soviétiques, Gbenye contrôle temporairement l’est du pays avant d’être défait. Parallèlement, Pierre Mulele lance une révolte maoïste dans la région de Kwilu, mobilisant les populations rurales avec une rhétorique anti-impérialiste. Malgré leur élan initial, ces rébellions des années 1960 s’essoufflent face à la répression, mais elles instaurent une tradition de contestation armée qui perdure.
Les années 1990 ouvrent une nouvelle phase de conflits d’une ampleur inédite. La Première Guerre du Congo (1996-1997), menée par Laurent-Désiré Kabila à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), renverse Mobutu Sese Seko, dont le régime kleptocratique s’était effondré. Soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, Kabila exploite les griefs populaires et les tensions autour des Banyamulenge, une communauté tutsie congolaise. Une fois au pouvoir, il rompt avec ses alliés, provoquant la Seconde Guerre du Congo (1998-2003), surnommée « la Première Guerre mondiale africaine » en raison de l’implication de neuf pays et d’innombrables groupes armés.
Cette guerre fait émerger une mosaïque de leaders rebelles. Le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par le Rwanda, attire des figures comme Wamba dia Wamba, un intellectuel devenu chef rebelle en 1998, avant de diriger une faction dissidente, le RCD-Kisangani. Azarias Ruberwa, jeune juriste, devient secrétaire général du RCD, représentant les Banyamulenge, tandis qu’Adolphe Onusumba en prend la présidence en 2000. Moïse Nyarugabo, Alexis Tambwe Mwamba et Jean-Pierre Ondekane renforcent l’influence du groupe. Roger Lumbala, à la tête du RCD-Nationale, et Mbusa Nyamwisi, leader du RCD-Kisangani/Mouvement de Libération, illustrent la multiplication des factions, souvent motivées par le contrôle des minerais.
Simultanément, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), soutenu par l’Ouganda, mobilise des figures comme Olivier Kamitatu, secrétaire général dès 1999, et Thomas Luhaka, passé du RCD au MLC. Ces groupes, malgré leurs discours politiques, se livrent à des exactions et exploitent les ressources, transformant l’est congolais en un champ de bataille. L’accord de paix de Sun City en 2002 et la transition de 2003 intègrent plusieurs de ces leaders dans le gouvernement, révélant une porosité entre rébellion et politique institutionnelle. Une sorte de prime à la rébellion qui risque de perdurer avec l’actuelle AFC/M23.
Au début des années 2000, de nouvelles tensions émergent. En 2004, Kinshasa est secouée par deux tentatives de coup d’État. Le 28 mars, d’anciens militaires de la Division spéciale présidentielle de Mobutu attaquent des sites stratégiques. Puis, le 11 juin, le major Éric Lenge, membre de la garde présidentielle, prend brièvement le contrôle de la radio-télévision nationale, annonçant la suspension des institutions. Les forces loyalistes reprennent rapidement la situation, mais ces événements soulignent la fragilité de la transition post-conflit.
Dans le Kongo Central, Ne Mwanda Nsemi, leader du mouvement Bundu dia Kongo, prône à partir de 2006 la résurrection de l’ancien royaume du Kongo. Son mouvement, initialement spirituel, s’arme et s’attaque aux représentants de l’État, revendiquant une rupture avec Kinshasa. Entre 2007 et 2008, la répression de l’armée congolaise contre le BDK fait des dizaines de morts, exacerbant les tensions identitaires. Nsemi, figure mystico-politique, décède le 18 octobre 2023, laissant un héritage controversé.
Les années 2010 marquent de nouveaux soubresauts. Le 30 décembre 2013, les partisans du pasteur Paul Joseph Mukungubila attaquent la télévision nationale, l’aéroport et une base militaire à Kinshasa, dénonçant le régime de Joseph Kabila. La riposte des forces de sécurité fait plus de 100 morts. Plus récemment, le Mouvement du 23 mars (M23), créé en 2012 par des déserteurs soutenus par le Rwanda, resurgit en 2021. En 2023, Corneille Nangaa, ancien président de la CENI, fonde l’Alliance Fleuve Congo (AFC), intégrant le M23, et ravive les tensions ethniques et électorales.
Enfin, le 19 mai 2024, Christian Malanga, opposant exilé, tente un coup d’État à Kinshasa, ciblant le palais présidentiel et la résidence de Vital Kamerhe. Son commando, arborant le drapeau du Zaïre, est rapidement neutralisé, Malanga tué, et une cinquantaine de personnes arrêtées, dont trois Américains. Ces derniers, rapatriés après la commutation de leur peine, font face à des accusations de conspiration terroriste aux États-Unis. Cet épisode, comme les précédents, illustre la persistance des menaces contre le pouvoir central et la complexité des dynamiques internes et régionales.
De Lumumba à Malanga, les rébellions congolaises révèlent une constante : le recours aux armes comme levier politique, souvent au service d’intérêts locaux, ethniques ou internationaux. Chaque soulèvement, bien que singulier, s’inscrit dans une trajectoire où les espoirs d’unité nationale se heurtent aux réalités d’un pays fracturé.
Corneille Nangaa : de la société civile à la rébellion
Corneille Nangaa incarne une trajectoire singulière, celle d’un homme passé des institutions démocratiques à la rébellion armée. Né en 1970 à Haut-Uélé, cet ancien membre de la société civile, formé aux relations internationales, s’illustre dans les années 2000 au sein d’organisations comme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Sa réputation d’intellectuel pragmatique le propulse, en 2015, sous l’influence de Joseph Kabila, au poste de président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). À ce titre, il supervise les élections de 2018, un scrutin controversé marqué par des accusations de fraude, mais qui consacre la victoire de Félix Tshisekedi, marquant une transition historique du pouvoir en RDC.
Cependant, l’après-2018 marque un tournant dans le parcours de Nangaa. Critiqué pour sa gestion électorale, il s’éloigne progressivement du pouvoir central. Ce désenchantement s’accentue par des griefs personnels : Nangaa se plaint d’avoir été dépossédé de ses carrés miniers, des concessions lucratives qu’il affirme avoir perdues au profit du régime de Tshisekedi. Il reproche également au président de ne pas l’avoir soutenu pour faire lever les sanctions américaines imposées à son encontre en raison de son rôle dans les irrégularités électorales de 2018. Ces frustrations, mêlées d’ambitions politiques, le poussent vers une rupture définitive avec Kinshasa.
En décembre 2023, Nangaa franchit un cap en lançant l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition hétéroclite réunissant des partis politiques, deux mouvements citoyens et plusieurs groupes armés, dont le Mouvement du 23 mars (M23). Basée dans l’est du pays, l’AFC revendique une refonte de la gouvernance congolaise, dénonçant la corruption, l’exclusion des minorités – notamment les Tutsis congolais – et les dérives autoritaires du pouvoir. Après les élections générales de 2023, Nangaa accuse Tshisekedi d’avoir orchestré un « coup d’État électoral », contestant les résultats qui reconduisent le président. Cette dénonciation marque son entrée officielle dans la rébellion.
En janvier 2025, l’AFC/M23 s’empare de Goma, capitale du Nord-Kivu, dans une offensive éclair qui sidère le pays. Nangaa, désormais en tenue de combat, s’adresse à la population, proclamant vouloir « libérer » la RDC et marcher sur Kinshasa pour instaurer un nouvel ordre. Ses discours, largement relayés sur des plateformes comme X, reprennent des thèmes chers au Rwanda voisin : la protection des Tutsis congolais, qu’il dit menacés par des milices hutu comme les FDLR, et la nécessité d’une décentralisation radicale, voire d’un fédéralisme, qu’il défend ouvertement lors d’un point de presse. Cette rhétorique, alignée sur les positions de Kigali, alimente les soupçons selon lesquels Nangaa serait devenu un relais des intérêts rwandais, sous couvert de revendications nationales.
Ce revirement soulève une question centrale : comment un homme issu de la société civile, ayant occupé un poste aussi stratégique que la présidence de la CENI, en vient-il à prendre les armes contre son pays ? Les observateurs pointent un faisceau de facteurs. Outre ses frustrations personnelles – la spoliation de ses carrés miniers et l’absence de soutien face aux sanctions internationales –, Nangaa semble mû par une marginalisation politique post-CENI. Il a lui-même admis avoir manipulé les résultats de 2018 pour éviter le chaos, un aveu qui n’a pas suffi à lui garantir une place dans le nouvel échiquier politique. Le contexte des élections de 2023, bien que reconnues internationalement, a exacerbé les divisions, offrant un terrain fertile à sa radicalisation. Enfin, l’est congolais, riche en minerais, favorise des alliances avec des acteurs externes, notamment le Rwanda, accusé par l’ONU de soutenir le M23 avec armes et logistique.
En mars 2025, le gouvernement congolais fixe une récompense de 5 millions de dollars pour l’arrestation de Nangaa, signe de son rôle central dans une rébellion qui ébranle la stabilité nationale. De la société civile à la guérilla, le parcours de Nangaa illustre les paradoxes d’un pays où les ambitions personnelles, les richesses minières et les influences régionales transforment les acteurs institutionnels en chefs de guerre.
Joseph Kabila : entre soupçons et démentis
Joseph Kabila, président de la RDC de 2001 à 2019, reste une figure énigmatique au cœur des tensions actuelles. Fils de Laurent-Désiré Kabila, il accède au pouvoir à 29 ans après l’assassinat de son père, dirigeant le pays pendant 18 ans à travers deux mandats électoraux et une période controversée de glissement jusqu’en 2018. Son règne, marqué par une tentative de stabilisation après la Seconde Guerre du Congo, est aussi critiqué pour sa gestion autoritaire, la corruption et l’incapacité à pacifier l’est. En 2019, il cède la présidence à Tshisekedi dans une transition pacifique, une première dans l’histoire congolaise, mais son ombre plane sur la politique nationale.
Depuis son retrait, Kabila vit principalement entre l’Afrique du Sud, la Namibie et la Tanzanie, mais il est régulièrement accusé de déstabiliser le régime actuel. En août 2024, Félix Tshisekedi et son entourage, dont le vice-Premier ministre Jean-Pierre Bemba, affirment que Kabila soutient l’AFC/M23, préparant une insurrection depuis l’est. Ces allégations, réitérées en février 2025, s’appuient sur l’influence passée de Kabila dans la région, notamment via des réseaux politiques et économiques liés à l’exploitation minière. L’implication de figures comme Nangaa, ancien protégé de Kabila et d’autres cadres de son parti politique, renforce ces soupçons.
Pourtant, Kabila dément catégoriquement. En mars 2025, lors d’une rare apparition publique à Johannesburg, aux côtés de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, il rejette ces accusations, exigeant des preuves et plaidant pour une solution congolaise à la crise. Il évoque son rôle dans la transition de 2019 comme un gage de son engagement pour la paix, tout en critiquant la gouvernance actuelle. Cette défense, bien que ferme, ne dissipe pas les doutes, alimentés par des rencontres comme celle de décembre 2024 avec Moïse Katumbi, ancien opposant devenu allié circonstanciel. Olivier Kamitatu, directeur de cabinet de Katumbi, laisse entendre que Kabila envisage un retour à Goma, sous contrôle de l’AFC/M23.
L’idée que Kabila, après 18 ans au pouvoir, puisse soutenir une rébellion est troublante. Certains y voient une tentative de reconquérir une influence perdue, dans un contexte où son parti, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), a vu son poids diminuer. D’autres estiment que ces accusations servent à discréditer un adversaire politique, Tshisekedi cherchant à consolider son pouvoir face à une opposition fragmentée.
Pourtant, Joseph Kabila, après des années de silence depuis la rupture de leur coalition, dans une tribune signée de sa main publiée dans le journal sud-africain Sunday Times, a scandalisé l’opinion congolaise. Dans cette sortie médiatique, Kabila s’en prend à l’Afrique du Sud, qui soutient militairement la RDC face au M23, déplorant la mort de 14 soldats sud-africains en janvier 2025 comme un « gaspillage » pour soutenir un « régime tyrannique ». Plus troublant encore, il minimise le rôle du M23, affirmant que les troubles dans l’est sont dus à la mauvaise gouvernance de Tshisekedi et non à une rébellion orchestrée. Pour lui, le M23 « n’est ni un groupe anarchiste ni un proxy du Rwanda », mais un mouvement aux « revendications légitimes », déplore Jean-Richard Ngando, chercheur en Droit international.
Une frange de l’opinion congolaise voit en Joseph Kabila un homme engagé dans une stratégie de déstabilisation visant à faire tomber, par la force, le président Félix Tshisekedi. Dans cette lecture, la présence militaire sud-africaine, perçue comme un obstacle majeur à ce dessein, devient l’objet d’attaques ciblées. Dans cette tribune aux accents critiques, l’ancien chef de l’État interpelle : « Le monde regarde si l’Afrique du Sud réputée pour ses valeurs humanistes persistera à soutenir militairement un régime oppressif contre la volonté du peuple congolais. » Par ce message calibré, Kabila s’emploie à éroder la légitimité du pouvoir en place, tout en tentant de se rehausser en figure proche du peuple, une posture en rupture avec les lourds soupçons qui pèsent encore sur son propre passé pour des meurtres, pillages des ressources minières, détournements des fonds publics, etc. Cela illustre une triste réalité congolaise : les anciens dirigeants, même retirés, continuent d’exercer une ombre encombrante sur la scène nationale.
Il ne s’est pas arrêté là. Dans un entretien accordé à la presse namibienne, Joseph Kabila déclare : « Nous avons encore un peu d’énergie pour continuer à servir » le continent. Il plaide pour le retrait des troupes étrangères du sol congolais, estimant que leur présence aggrave la crise dans l’Est. Cette posture de patriote engagé contraste avec son silence passé face aux exactions du M23 et aux accusations de soutien du Rwanda à cette rébellion lorsqu’il était au pouvoir. Son retour sur la scène politique, sous couvert de servir la nation, semble davantage motivé par une volonté de réhabilitation personnelle que par une réelle préoccupation pour la stabilité du pays. En outre, en appelant au retrait des forces étrangères qui soutiennent actuellement le gouvernement congolais, cela favoriserait, de fait, le M23 appuyé par Kigali, renforçant ainsi les positions de cette rébellion.
La légitimité de Tshisekedi : un rempart contre la dictature ?
Dans ce climat de tensions, Félix Tshisekedi émerge comme une figure de stabilité relative. Proclamé vainqueur de la présidentielle en 2018, il est réélu en décembre 2023 avec 73 % des voix, selon les résultats officiels de la CENI. Ce score, bien que critiqué par l’opposition, est validé par la Cour constitutionnelle et reconnu par la communauté internationale, y compris la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine. L’Église catholique, traditionnellement vigilante, déploie des observateurs dans les bureaux de vote et, malgré des irrégularités logistiques, ne conteste pas fondamentalement la victoire de Tshisekedi. Les observateurs internationaux, comme la Mission d’observation électorale de l’Union européenne, notent des failles, retards, bureaux fermés, matériel défaillant mais concluent que ces problèmes n’ont pas altéré l’issue globale du scrutin. Il s’agit donc d’une réelle victoire.
Cette reconnaissance internationale est cruciale. Tshisekedi, contrairement à un dictateur, n’est pas isolé diplomatiquement. En février 2025, les États-Unis imposent des sanctions contre des officiels rwandais accusés de soutenir le M23, une mesure suivie par le Royaume-Uni et soutenue par l’Union européenne. Ces sanctions, ciblant notamment des figures comme James Kabarebe, ancien ministre rwandais de la Défense et Lawrence Kanyuka, porte-parole du M23, envoient un message clair : la communauté internationale considère Tshisekedi comme un partenaire totalement légitime dans la lutte contre l’insécurité régionale. Lors d’une visite à Washington en mars 2025, il obtient des engagements pour renforcer l’armée congolaise, tandis que la France, malgré des relations tendues, réaffirme son appui à la souveraineté congolaise.
Tshisekedi n’est pas en dépassement de mandat. Son second quinquennat, entamé en janvier 2024, court légalement jusqu’en 2028, conformément à la Constitution congolaise qui limite la présidence à deux mandats. Cette légalité formelle, renforcée par un appui extérieur, fragilise les accusations de dérive dictatoriale formulées par ses opposants. Les critiques de l’opposition sur le plan économique ou en matière de lutte contre la corruption, aussi sérieux peuvent-elles être, ne sauraient en aucun cas justifier une rébellion armée. Tshisekedi, avec ses limites, évolue dans un cadre démocratique imparfait, certes, mais bien réel. Aucun Congolais digne de ce nom ne peut soutenir une insurrection contre son propre pays, a fortiori lorsqu’elle est dirigée, instrumentalisée et alimentée par une puissance étrangère.
Pourquoi la guerre persiste-t-elle ?
Puisque Tshisekedi est légitimement élu, pourquoi des leaders comme Nangaa, ou potentiellement Kabila, optent-ils pour la rébellion ? La réponse réside dans un entrelacs de facteurs, où politique, économie et géopolitique s’entremêlent. D’abord, la défiance envers les institutions électorales reste profonde. Malgré la reconnaissance des résultats de 2023, ses opposants, comme Joseph Kabila, Moise Katumbi, Martin Fayulu ou Nangaa, dénoncent une fraude systémique, s’appuyant sur une histoire de scrutins contestés dans le passé. Cette méfiance, exacerbée par des inégalités sociales et une gouvernance fragile, pousse certains à rejeter les urnes au profit des armes. « Ôte-toi de là que je m’y mette. » Certains leaders, convaincus d’être les mieux placés pour diriger la RDC, veulent devenir calife à la place du calife, peu importe les moyens à employer même si cela implique de sacrifier des millions de vies congolaises.
L’économie est un autre moteur. L’est congolais regorge de minerais stratégiques comme le coltan, le cobalt, l’or, etc. qui alimentent des réseaux transnationaux. Selon un rapport de l’ONU de 2024, le M23 qui contrôle des zones minières comme Rubaya, impose des taxes illégales qui financent ses opérations. Ces ressources, essentielles à l’industrie mondiale des technologies, attirent des acteurs étrangers, notamment le Rwanda qui blanchit des minerais congolais via son territoire. Des leaders rebelles, conscients de ces enjeux, s’insèrent dans ces réseaux, transformant la guerre en une entreprise lucrative.
L’ingérence étrangère complique encore la donne. Le Rwanda, pointé du doigt par Kinshasa et l’ONU, fournit armes, logistiques et même soldats au M23, ce que Kigali nie, tout en critiquant l’incapacité de Tshisekedi à neutraliser les FDLR. Cette dynamique régionale, héritée du génocide rwandais de 1994, maintient l’est congolais dans une instabilité chronique. Des leaders congolais, comme Nangaa, s’alignent sur ces agendas externes, surtout par opportunisme que par conviction, renforçant l’idée qu’ils servent des intérêts qui dépassent les frontières nationales.
Enfin, une question culturelle et politique se pose : existe-t-il en RDC une mentalité selon laquelle le pouvoir doit être détenu à tout prix ? Certains leaders, après avoir goûté à l’influence comme Nangaa à la CENI ou Kabila à la présidence, semblent incapables d’accepter une marginalisation ou une autre vie. Les armes deviennent alors un moyen de rester pertinent, de négocier un retour ou de protéger des intérêts acquis. Cette hypothèse, bien qu’incomplète, éclaire pourquoi des figures établies basculent dans la rébellion, même dans un contexte où des alternatives démocratiques existent.
L’idée d’une RDC « maudite » revient souvent dans les discours, portée par la juxtaposition de ses richesses et de ses malheurs. Pourtant, cette vision fataliste occulte les responsabilités humaines. Les défis congolais, corruption, faiblesse institutionnelle, interférences, ne sont pas insurmontables. D’autres nations, comme le Ghana ou le Botswana, ont surmonté des crises similaires par des réformes et un consensus politique. La RDC, avec son histoire complexe, peut-elle suivre cette voie, ou est-elle condamnée à répéter ses erreurs ?
Un pays meurtri
Les conséquences humanitaires liées à ces guerres sont accablantes : selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus d’un million de personnes ont été déplacées depuis la reprise des hostilités par le M23 en 2021. Les rapports d’Amnesty International documentent des exactions, viols, exécutions sommaires, enrôlement d’enfants qui rappellent le coût exorbitant de ces conflits pour les civils. La RDC le pays le plus meurtri de l’histoire moderne après la seconde guerre mondiale avec plus de 10 millions des morts.
Le discours de « libération » brandi par l’AFC/M23 masque souvent des intérêts économiques, comme le contrôle des mines, ou des agendas régionaux, dont ceux du Rwanda. Même les soupçons autour de Kabila, qui tendent à se confirmer, soulèvent une question : après 18 ans au pouvoir, près de 4 mandats, quelles revendications pourraient justifier une telle escalade ? La réponse pointe vers un système où le pouvoir est perçu comme un enjeu exclusif, où perdre une élection équivaut à une défaite totale, à une vie sans lendemain.
Ce recours aux armes aggrave les maux qu’ils prétendent résoudre. Les tensions ethniques, loin de s’apaiser, s’enveniment, avec des communautés entières stigmatisées à cause des guerres. L’économie, déjà fragile, souffre des perturbations dans l’est, où les routes commerciales sont bloquées et les investisseurs fuient. Le développement, que la RDC appelle de ses vœux, reste un mirage tant que la guerre détourne les ressources humaines et financières. La RDC mérite mieux : un avenir où les différends se règlent par d’autres voies que les armes, où les richesses servent à bâtir des écoles et des hôpitaux, non à financer des milices.
Vers une issue possible ?
La RDC n’est pas vouée à l’échec, malgré les apparences. Des lueurs d’espoir existent. Les sanctions internationales contre les soutiens du M23, comme celles imposées par les États-Unis en février 2025, envoient un signal, même si leur impact reste encore limité face à la complexité des réseaux transnationaux. À l’intérieur, des initiatives émergent : des organisations de la société civile appellent à un dialogue national inclusif, tandis que des leaders communautaires, y compris tutsis, rejettent l’instrumentalisation de leur identité par le Rwanda qui s’est auto proclamé leur protecteur.
Pour briser le cycle des rébellions, des réformes s’imposent. Renforcer la transparence électorale, via une CENI indépendante et des mécanismes de contrôle robustes, pourrait réduire les contestations post-électorales. Lutter contre la corruption, permettrait de financer des infrastructures et des services publics, restaurant la confiance des citoyens. Une décentralisation effective, donnant plus d’autonomie aux provinces comme prévu par la Constitution, pourrait apaiser les frustrations, tout en renforçant la présence de l’État pour contrer les milices. Enfin, une justice impartiale, capable de juger les responsables d’exactions, enverrait un message clair : l’impunité n’est plus tolérée.
Le défi le plus ardu reste culturel. Convaincre les leaders politiques que le pouvoir se gagne par les urnes, non par les fusils, exige un changement de paradigme. L’exemple de Nangaa, passé d’un poste démocratique à la rébellion, montre l’urgence de valoriser les institutions par rapport aux aventures armées.
La question de la « malédiction » congolaise, souvent invoquée face à l’abondance des ressources et à la persistance des conflits, mérite d’être reformulée. La RDC n’est pas maudite ; elle est confrontée à des défis humains, complexes mais surmontables. D’autres nations ont surmonté des crises similaires en misant sur la gouvernance, l’inclusion et la justice. Avec ses 100 millions d’habitants, son potentiel économique et sa résilience, la RDC peut écrire une nouvelle page, où les armes cèdent la place au dialogue, et où la paix devient, enfin, une réalité tangible.
Heshima Magazine
Nation
Lawrence Kanyuka : le masque d’une rébellion et des minerais de sang
Published
1 jour agoon
avril 15, 2025By
La redaction
Figure de proue du Mouvement du 23 mars (M23), Lawrence Kanyuka incarne aujourd’hui l’une des voix les plus audibles d’un groupe armé qui, depuis plus d’une décennie, attise les tensions dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Sous l’apparence d’un porte-parole politique rompu à l’exercice diplomatique, Kanyuka se déploie sur plusieurs fronts, mêlant stratégie médiatique, intérêts économiques occultes et réseaux transnationaux. Mais derrière cette posture policée se dessine le portrait d’un homme au cœur d’un système complexe de prédation, de violence et de pillage des ressources, dont les ramifications s’étendent bien au-delà des frontières congolaises.
Lawrence Kanyuka n’a pas toujours été l’étendard du M23. Avant de devenir une figure controversée, il fut membre actif de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), le parti de Vital Kamerhe, alors perçu comme un pilier de l’opposition démocratique en RDC. Son parcours au sein de l’UNC, bien que relativement discret, témoignait d’une ambition politique dans un contexte congolais marqué par des luttes de pouvoir intenses. Cependant, en 2013, une rupture brutale intervient : accusé de collusions avec des groupes armés, Kanyuka est exclu du parti. Ce moment charnière marque un tournant décisif dans sa trajectoire.
Plutôt que de chercher à réintégrer les cercles politiques conventionnels, Kanyuka choisit la voie de la rébellion. Son ralliement au M23 coïncide avec une période de réorganisation du mouvement, qui, après sa défaite militaire face à l’armée congolaise et à la Mission des Nations unies (MONUSCO) en 2013, maintient des réseaux dormants soutenus par des appuis extérieurs, notamment du Rwanda. Selon les rapports des Nations unies et d’ONG comme Human Rights Watch, le M23 n’a jamais véritablement disparu, continuant à opérer à travers des structures clandestines et des alliances transfrontalières. Kanyuka, avec son profil d’intellectuel et son aisance rhétorique, devient un atout stratégique pour redonner une façade politique à un groupe perçu comme une milice brutale.
L’homme des mots… et des non-dits
Promu porte-parole adjoint, puis porte-parole politique du M23 en 2022, Kanyuka s’impose comme l’architecte de la communication du mouvement. Sa mission : réhabiliter l’image du M23 auprès de la communauté internationale. Dans ses prises de parole, souvent relayées sur des plateformes comme X, il déploie une rhétorique savamment calibrée, évoquant des cessez-le-feu, plaidant pour des dialogues inclusifs, et dénonçant l’« immobilisme » du gouvernement de Kinshasa. Il se présente comme le défenseur des Tutsis congolais, qu’il qualifie de marginalisés, tout en minimisant le recours à la violence par le M23.
Pourtant, ce discours contraste violemment avec la réalité du terrain. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les offensives du M23 ont provoqué le déplacement de plus d’un million de personnes depuis 2022. Les rapports onusiens, corroborés par Amnesty International et Human Rights Watch, documentent des exactions massives dans les zones sous contrôle du M23 : exécutions sommaires, viols, enrôlement forcé d’enfants, pillages systématiques et réquisitions de terres. Dans les zones sous contrôle du mouvement, comme la cité de Bunagana, dans le territoire de Rutshuru ou encore Chengerero, le M23 impose une « gouvernance alternative », un euphémisme pour masquer une occupation de facto qui viole la souveraineté congolaise.
Kanyuka, dans ses déclarations, présente cette mainmise comme une nécessité pour protéger les populations locales. Mais, comme le souligne le site d’enquêtes « Off Investigation », cette rhétorique sert à dissimuler un projet territorial soutenu par des acteurs extérieurs, notamment le Rwanda, accusé par l’ONU de fournir armes, financements et même soldats au M23. En février 2025, lors de la prise de Goma par le M23, Kanyuka s’est adressé à la foule dans un discours retransmis par l’AFP, vantant une « nouvelle ère de stabilité ». Cette mise en scène, loin de refléter un consensus populaire, a exacerbé les tensions et alimenté les accusations de manipulation médiatique.
Un acteur clé du commerce des « minerais de sang »
L’histoire de Lawrence Kanyuka ne se limite pas à la sphère politique ou médiatique. Elle est intimement liée aux logiques économiques d’un conflit enraciné dans l’exploitation des ressources naturelles de l’Est congolais. Selon l’enquête d’Off Investigation, Kanyuka est à la tête d’une société de conseil minier basée à Paris, Kingston Holding, créée en 2017. Cette entreprise, enregistrée dans un contexte où Kanyuka était déjà un membre actif du M23, n’a jamais déposé ses comptes, une irrégularité qui n’a curieusement pas attiré l’attention des autorités fiscales françaises. Par ailleurs, Kanyuka détient également Kingston Fresh Ltd, une entité enregistrée au Royaume-Uni, soupçonnée d’être impliquée dans l’exportation de minerais.
Ces structures opèrent dans des filières stratégiques, notamment le coltan, l’or et le cobalt, des ressources abondantes dans les zones contrôlées par le M23, comme Rubaya, où le groupe a instauré une administration parallèle pour taxer les mineurs artisanaux. Off Investigation révèle que Kingston Holding aurait servi de canal pour exfiltrer des « minerais de sang », des ressources extraites dans des conditions de violence et de violation des droits humains vers les marchés occidentaux. Ce commerce illicite, qui transite souvent par le Rwanda voisin, alimente un système de rente permettant au M23 de financer ses activités militaires.
L’enquête pointe également des défaillances troublantes du fisc français. Alors que Kanyuka, également détenteur de la nationalité britannique, disposait d’un pied-à-terre à Saint-Maur-des-Fossés, en banlieue parisienne, aucune investigation sérieuse n’a été menée sur ses activités. Cette inaction contraste avec les sanctions imposées en février 2025 par les États-Unis, via le département du Trésor, qui ont ciblé Kanyuka et ses entités pour leur rôle de « facilitateur financier » du M23. L’Union européenne a emboîté le pas, gelant les avoirs de plusieurs cadres du mouvement, dont Kanyuka. Pourtant, ces mesures, bien que symboliques, peinent à démanteler un réseau qui prospère grâce à des complicités internationales.
Le conflit congolais, comme le note Off Investigation, ne peut être réduit à une lutte pour les minerais. Les tensions ethniques, les séquelles du génocide rwandais de 1994 et les faiblesses de l’État congolais jouent un rôle central. Cependant, les ressources minières qualifiées de « scandale géologique » par certains observateurs restent un moteur incontournable. Le coltan, essentiel à la fabrication des smartphones, représente à lui seul un enjeu stratégique mondial. La RDC, qui détient 80 % des réserves mondiales, voit ses richesses pillées par des groupes armés comme le M23, avec la complicité implicite de certains acteurs internationaux.
Instrumentalisation ethnique et ambitions personnelles
Dans ses discours, Kanyuka se pose en défenseur des Tutsis congolais, une communauté qu’il décrit comme victime de discriminations systématiques. Ce positionnement, s’il trouve un écho auprès de certains jeunes Tutsis désabusés, est vivement critiqué par des leaders communautaires qui rejettent l’instrumentalisation de leur identité. En réalité, les actions du M23 ont exacerbé les clivages ethniques, provoquant des représailles contre les Tutsis dans d’autres régions et alimentant une spirale de méfiance.
L’enquête d’Off Investigation cite David Maenda Kithoko, un réfugié politique congolais en France, qui dénonce une « industrialisation de la mise à mort des Congolais » orchestrée par des acteurs comme Kanyuka. Ce dernier, en se présentant comme un médiateur, contribue à brouiller les pistes d’une réconciliation véritable, tout en servant ses propres ambitions. Son aisance à naviguer entre Kigali, Paris, Londres et Dubaï témoigne d’une stratégie personnelle qui transcende les revendications communautaires.
Complicités internationales et impunité
L’un des aspects les plus troublants révélés par Off Investigation est la passivité de certains États face aux activités de Kanyuka. En France, où il a vécu plusieurs années, aucune enquête sérieuse n’a été ouverte sur Kingston Holding, malgré les soupçons de blanchiment de minerais. Cette inertie alimente les accusations de complaisance, voire de connivence, entre la France, le Rwanda et le M23. Le 28 janvier 2025, l’ambassade de France à Kinshasa a été attaquée par des manifestants dénonçant l’inaction de Paris face à l’avancée du M23 sur Goma. Ces tensions reflètent un sentiment d’abandon parmi les Congolais, qui perçoivent la communauté internationale comme complice par son silence.
Le rôle du Rwanda, accusé par Kinshasa et l’ONU de soutenir le M23, est un autre point de friction. Off Investigation mentionne la plainte déposée par le président Félix Tshisekedi contre Apple à Paris et Bruxelles, accusant le géant américain d’exploiter des minerais extraits par le M23 et blanchis via le Rwanda. Bien que cette plainte ait été classée sans suite à Paris en février 2025, elle illustre la complexité des réseaux transnationaux impliquant des entreprises technologiques, des groupes armés et des États complices.
Quel avenir pour cet homme aux multiples visages ?
Lawrence Kanyuka n’est ni un simple porte-voix du M23 ni un businessman isolé. Il incarne une figure hybride, à la croisée des sphères politique, financière et médiatique, au service d’un projet de subversion de l’État congolais. Son influence, bien que non élective, s’étend grâce à un réseau savamment entretenu entre Kigali, Dubaï, Paris et Londres. Comme le souligne Off Investigation, des figures comme Kanyuka prospèrent dans un système où le chaos devient une source de profit, et où la diplomatie se confond avec la propagande.
La pacification de l’Est congolais reste un mirage tant que les mécanismes permettant à de tels acteurs d’opérer en toute impunité ne seront pas démantelés. Cela nécessite une stratégie globale ciblant les têtes politiques, les ramifications économiques et les complicités transfrontalières. Les sanctions internationales, bien qu’utiles, ne suffisent pas si elles ne s’accompagnent pas d’une volonté politique de traquer les réseaux financiers et de renforcer la gouvernance congolaise.
Kanyuka n’est pas un phénomène isolé. Il est le produit d’un écosystème où la guerre est un commerce, et où les ressources de la RDC qualifiées par certains de « malédiction », attirent les convoitises du monde entier. La communauté internationale, si elle souhaite rompre avec des décennies d’inaction, devra cesser de fermer les yeux sur les Kanyuka de ce monde et affronter la vérité d’un conflit qui, sous couvert de revendications locales, sert des intérêts globaux.
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