Depuis novembre 2021, la République démocratique du Congo (RDC) est en proie à une crise sécuritaire d’une ampleur inédite, exacerbée par la résurgence du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle soutenu par le Rwanda. Cette offensive militaire dans l’Est du pays ravive des tensions historiques et aggrave une crise humanitaire et économique déjà préoccupante. Profitant des faiblesses structurelles de l’État congolais et de l’inaction de la communauté internationale, le M23 étend son emprise sur des territoires stratégiques. Heshima Magazine se penche sur les tentatives diplomatiques du gouvernement congolais, explore la perception d’un complot international et examine les options qui s’offrent à Kinshasa.
Dès la reprise des hostilités en 2021, le M23 a exploité les vulnérabilités sécuritaires de l’Est de la RDC pour s’emparer de vastes zones stratégiques. Dans une région déjà fragilisée par des décennies de conflits et de gouvernance défaillante, les rebelles ont rapidement pris le contrôle de plusieurs villes et territoires clés. Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, a une nouvelle fois été la cible du M23, comme en 2012, provoquant des déplacements massifs de populations et une vague de panique. Bukavu, ville frontalière et centre névralgique du Sud-Kivu, est également tombée sous l’emprise des rebelles, privant la région de son rôle crucial en tant que hub commercial. Des localités comme Rutshuru, Kiwanja, Rubaya, une partie de Masisi et Bunagana ont également été conquises, illustrant l’ampleur de l’expansion du M23 dans une région riche en ressources minières, notamment le coltan et d’autres minerais stratégiques.
Cette occupation ne se limite pas à une simple prise de contrôle militaire. Le M23 a mis en place une administration parallèle, instaurant des règles fiscales, un système de taxation sur l’exploitation minière et un dispositif de sécurité propre, évoquant de manière inquiétante la structuration d’un État. Cette organisation permet aux rebelles de financer leur offensive grâce à l’exploitation des ressources naturelles et de tenter de renforcer leur légitimité auprès des populations locales.
Les tentatives diplomatiques
Face à l’expansion rapide du conflit dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), le gouvernement congolais, sous la conduite de sa ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a déployé une série d’initiatives diplomatiques visant à contenir l’offensive des rebelles du M23 et à isoler le Rwanda sur la scène internationale. En dépit des efforts soutenus à l’échelle régionale et mondiale, impliquant des acteurs tels que l’Union africaine, les Nations unies et diverses négociations bilatérales et multilatérales, les tentatives de Kinshasa ont, jusqu’ici, échoué à endiguer l’avancée des groupes armés et à obtenir des sanctions contraignantes contre Kigali.
Dans ce cadre, le gouvernement congolais a multiplié les sommets régionaux. La RDC a ainsi sollicité des discussions au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), mais les résultats se sont révélés insuffisants. L’un des moments clés a été la rencontre de Luanda, en Angola, où des pourparlers ont été lancés pour instaurer un cessez-le-feu et négocier le retrait des forces rwandaises, principales soutiens du M23. Cependant, ces démarches ont été vite paralysées par des divergences de fond. La position de Kigali, qui insiste pour un dialogue direct avec les rebelles du M23, se heurte à l’opposition ferme de Kinshasa, qui refuse catégoriquement de négocier avec des groupes armés.
Thérèse Kayikwamba Wagner a exprimé fermement la position de son pays lors de son intervention devant le Conseil de sécurité des Nations unies, dénonçant l’ingérence étrangère et appelant à un retrait immédiat des troupes rwandaises du territoire congolais. Malgré une prise de parole vigoureuse, où la ministre a dénoncé le soutien tacite de certaines puissances occidentales envers Kigali, les résolutions du Conseil de sécurité sont restées sans effet concret. Les mesures adoptées ont manqué de la fermeté nécessaire pour infléchir la situation sur le terrain.
Le 18 février 2025, un nouveau tournant diplomatique s’est produit avec l’annonce par le Rwanda de la suspension de son programme d’aide au développement avec la Belgique. Cette décision, justifiée par des désaccords sur la gestion du conflit en RDC, intervient alors que la Belgique envisageait déjà de revoir sa coopération avec Kigali, en réponse aux violations répétées de l’intégrité territoriale congolaise par le Rwanda. En réalité, cette mesure préemptive est une tentative du Rwanda de prendre les devants face à une révision imminente de sa relation avec Bruxelles, notamment dans le cadre de sanctions plus sévères à son encontre. De son côté, la Belgique a confirmé être en train d’ajuster sa politique bilatérale, ce qui renforce la perception de Kigali de se retrouver sous une pression croissante de la communauté internationale.
Malgré l’intensité des efforts diplomatiques déployés, la situation reste figée. Les obstacles sont nombreux : la méfiance profonde entre les parties, la complexité des alliances régionales et l’ingérence constante de puissances extérieures, notamment le Rwanda, ont transformé chaque nouvelle tentative de dialogue en une impasse. Les processus de paix semblent se limiter à des exercices diplomatiques sans impact tangible sur le terrain, laissant présager une prolongation indéfinie de la crise dans l’est de la RDC.
Un complot international contre la RDC ?
Face à l’échec des démarches diplomatiques, nombreux sont ceux qui assimilent la situation en RDC à un complot international. Cette perception se renforce lorsqu’on compare l’attitude des puissances occidentales vis-à-vis de l’agression de la Russie en Ukraine à leur relative inaction concernant le conflit en RDC.
L’agression russe en Ukraine a suscité une réponse immédiate et coordonnée des États occidentaux, incluant des sanctions économiques sévères, une assistance militaire directe et un soutien financier massif à l’Ukraine. Cette réaction rapide et déterminée a mis en lumière la volonté de l’Occident de contrer une menace perçue comme une atteinte directe à l’ordre international.
En revanche, en RDC, malgré des preuves accablantes de l’implication du Rwanda et du soutien actif du pays aux rebelles du M23, la réponse internationale se limite à des condamnations verbales et des appels à la négociation. Cette inaction est perçue comme une forme de complaisance qui maintient la RDC dans une situation de subordination, permettant ainsi à des entreprises étrangères de continuer à exploiter ses ressources naturelles sans entraves au prix des millions des morts congolais.
Les implications géopolitiques et économiques
L’Est de la RDC est l’un des territoires les plus riches du monde en ressources stratégiques, telles que le coltan, le cobalt et le cuivre. Le contrôle de ces ressources est un enjeu géopolitique majeur. Tandis que l’Ukraine bénéficie d’un soutien militaire et économique, la RDC semble souvent reléguée au second plan.
Étonnamment, un protocole d’accord a été signé entre l’Union européenne et le Rwanda en février 2024 sur la fourniture de matières premières critiques, dont le tantale, l’étain, le tungstène, l’or et le niobium. Ce protocole, qualifié de « condamnable » par le président congolais Félix Tshisekedi, permettrait au Rwanda d’exporter vers l’Union européenne des produits miniers qu’il ne possède pas, mais qu’il pille illégalement en RDC, notamment à travers le M23. Le Parlement européen a voté une résolution appelant à suspendre immédiatement cet accord en raison de l’implication directe du Rwanda dans la guerre.
Les options pour la RDC au-delà de la guerre
Face à l’échec des solutions diplomatiques et militaires traditionnelles, quelles options restent à Kinshasa pour restaurer la paix sur son territoire ? La réponse ne peut se limiter à une escalade de la violence. Elle doit inclure une réflexion stratégique sur l’usage d’outils de pression économiques et diplomatiques.
La RDC pourrait envisager de mettre en difficulté certaines entreprises occidentales opérant sur son sol, tant dans le secteur minier que dans d’autres secteurs stratégiques, par le biais de sanctions ciblées ou de révisions de contrats. L’objectif serait d’utiliser la menace de retrait d’investissements, la révision des partenariats économiques ou la suspension temporaire de l’octroi de licences d’exploitation minière pour forcer ces entreprises à pousser leurs États à sanctionner durement le Rwanda afin de rapidement mettre fin à la guerre.
Premier pays francophone au monde en termes de démographie, la RDC pourrait menacer de quitter la Francophonie, ce qui aurait un impact diplomatique sans précédent pour la France. Sans une réponse ferme et structurée, la guerre de l’Est risque de s’enliser, et la RDC pourrait continuer à subir une agression qui menace son intégrité et sa stabilité.
Des exemples historiques, comme l’utilisation du pétrole par l’Arabie Saoudite dans les années 1970, montrent qu’une telle stratégie peut, dans certains cas, modifier les rapports de force internationaux.
Kinshasa pourrait aussi menacer de suspendre temporairement l’octroi de licences d’exploitation minière aux entreprises occidentales tant que celles-ci ne pousseront pas leurs pays à mettre fin à la guerre du M23 soutenu par le Rwanda. Cette approche obligerait les Occidentaux à adopter une posture plus ferme contre le Rwanda pour obtenir l’arrêt total de la guerre et le retrait des troupes rwandaises et de leurs supplétifs du M23 de la RDC. Le pays pourrait également revoir ses politiques contractuelles en menaçant de rediriger ses partenariats commerciaux vers des alliés plus aptes à le soutenir dans cette guerre.
Pour ce faire, la RDC pourrait d’abord cibler des entreprises clés opérant dans des secteurs stratégiques comme les mines et la télécommunication, en ajustant ses politiques fiscales ou en imposant des taxes supplémentaires sur les ressources naturelles utilisées dans le cadre de la guerre. Une telle approche graduelle, avec des sanctions modulées en fonction des réactions des entreprises, pourrait limiter les pertes économiques tout en exerçant un levier sur les puissances internationales, qui dépendent de ces ressources.
Enfin, diversifier ses partenariats économiques avec des pays émergents ou des entreprises non occidentales permettrait à la RDC de réduire sa dépendance vis-à-vis des grandes puissances et de renforcer sa position de négociation pour faire pression sur le Rwanda et ses alliés dans la région.
Vers une diplomatie coercitive pour une paix durable ?
La crise de l’Est de la RDC est bien plus qu’un simple conflit régional. Elle reflète un déséquilibre géopolitique profond, marqué par l’ingérence étrangère et l’exploitation illégale des ressources naturelles d’un pays riche, mais fragilisé par des décennies de conflits. Face à l’impasse actuelle, la RDC se trouve dans l’obligation de repenser sa stratégie. Plutôt que de continuer à se contenter de démarches diplomatiques qui tardent à porter des fruits, Kinshasa pourrait envisager une diplomatie coercitive, en usant de leviers économiques et diplomatiques pour forcer la communauté internationale à respecter la souveraineté congolaise.
Bien que cette approche comporte certains risques, elle pourrait constituer une alternative viable dans un contexte où les options militaires ne suffisent plus à garantir la souveraineté et la stabilité du pays. La RDC doit, dans ce cadre, adopter une stratégie pluridimensionnelle, combinant réponse militaire, diplomatie exigeante et pressions économiques ciblées contre les entreprises des puissances occidentales présentes sur son sol pour restaurer la paix et redonner au pays son droit au développement.
Dans le passé, certains pays ont démontré l’efficacité de cette approche de pression économique. Par exemple, l’Algérie, après son indépendance, a utilisé sa position de producteur de pétrole pour faire pression sur la France et d’autres puissances occidentales afin d’obtenir des concessions diplomatiques. De même, l’Angola a utilisé sa production de pétrole et de diamants pour influencer les puissances internationales et mettre fin à la guerre civile dans les années 1990.
Le Venezuela sous Hugo Chávez a également menacé de perturber le marché mondial du pétrole pour faire pression sur les États-Unis et d’autres pays, contribuant ainsi à la signature de l’accord nucléaire de 2015. Même la Russie, en réponse à des sanctions économiques, a utilisé son contrôle sur l’approvisionnement en gaz en Europe pour influencer les décisions diplomatiques.
Le cas de l’Afrique du Sud durant l’apartheid illustre également l’utilisation de pressions économiques. Le pays a joué sur ses ressources stratégiques (comme l’or et les diamants) pour manipuler les puissances occidentales et leur faire adopter des politiques moins sévères face au régime de l’apartheid. Enfin, le Nigéria, en menaçant de réduire ses exportations de pétrole, a obtenu un soutien diplomatique sur son développement malgré les critiques sur sa gouvernance interne.
Ces exemples montrent qu’un pays, même dans une position de faiblesse apparente, peut recourir à des leviers économiques pour forcer un changement dans les relations internationales, à condition que cette stratégie soit utilisée de manière ciblée et mesurée.
Une alternative pour rétablir la paix en RDC
La RDC, en utilisant ses ressources stratégiques et son rôle central en Afrique, pourrait ainsi exercer une pression sur la communauté internationale, notamment sur les entreprises occidentales et asiatiques, pour contraindre les puissances extérieures à intervenir de manière plus décisive contre le Rwanda et à mettre fin à la guerre. L’option de la diplomatie coercitive, bien que risquée, pourrait offrir une alternative efficace à une diplomatie traditionnelle qui a montré ses limites. Pour réussir, la RDC devra jouer sur plusieurs fronts : économique, diplomatique et militaire, tout en négociant des partenariats plus équilibrés pour assurer sa souveraineté et son développement durable.
Heshima