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Kinshasa : Daniel Bumba face à une ambition confrontée à la réalité

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En juin 2024, Daniel Bumba Lubaki, cadre du parti au pouvoir l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), prend officiellement ses fonctions comme gouverneur de Kinshasa, succédant à Gentiny Ngobila Mbaka. Élu avec une large avance en avril 2024, il hérite d’une capitale congolaise asphyxiée par des problèmes structurels : routes dégradées, insécurité incarnée par les bandes de “Kuluna”, insalubrité chronique, chômage endémique et, plus récemment, des inondations dévastatrices. Son programme “Kin Ezo Bonga”, dévoilé en août 2024, promet une transformation radicale de la ville à travers des investissements massifs dans les infrastructures, la sécurité, l’assainissement et le développement économique. À l’approche de juin 2025, après un an de mandat, ce bilan dresse un portrait nuancé de sa gestion, s’appuyant sur des témoignages, des analyses et des données disponibles, tout en explorant les avancées et les obstacles qui ont marqué cette période.

Gestion des inondations : une réponse controversée

Les inondations, fléau récurrent à Kinshasa, ont durement frappé la ville entre 2024 et 2025. Fin 2024, de fortes pluies avaient déjà submergé Limete, Ngaliema et Masina. L’administration Bumba avait alors lancé des curages de caniveaux et mobilisé des aides d’urgence. Mais la saison des pluies 2025 a encore aggravé la situation. Entre mars et avril, plus de 500 000 personnes ont été affectées, 78 décès recensés, et des milliers de déplacés abrités dans les stades Tata Raphaël, des Martyrs ou Bandalungwa. Le gouverneur a visité les sinistrés, ordonné la désinfection des quartiers inondés et accéléré la réhabilitation des voiries. Le projet Topetola, en partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), a été lancé pour renforcer le drainage à Masina et Limete. Mais l’ampleur des dégâts montre que les mesures structurelles manquent toujours.

Face à la gravité des crues, l’exécutif provincial a aussi procédé à des démolitions ciblées dans les zones à haut risque. Plusieurs constructions illégales le long des rivières et emprises ferroviaires ont été rasées, notamment à Ngaliema. Ces opérations ont suscité des protestations : absence de concertation, relogement inexistant, méthodes brutales. Certains dénoncent l’arbitraire des interventions, certaines zones à risque ayant été épargnées. Des voix de la société civile ont également accusé le gouvernement de mauvaise gestion des fonds alloués à l’assainissement. Malgré les curages intensifs, les travaux de drainage restent ponctuels. Aucune alerte précoce n’a été mise en place, et aucun plan directeur d’urbanisme n’a été publié. En l’état, les réponses de la ville apparaissent plus réactives que préventives, révélant une incapacité à encadrer durablement l’urbanisation et à anticiper les risques climatiques.

Kinshasa ne dispose toujours pas de plan d’aménagement actualisé ni d’infrastructures comme des bassins de rétention, stations de pompage ou grands canaux. Le programme de “civisme écologique” lancé par Bumba reste limité à la sensibilisation, sans véritable appropriation par les citoyens. Les centres d’hébergement sont improvisés, surpeuplés, et les enfants déplacés sont privés d’école. Les ONG recommandent la création de lotissements sécurisés pour reloger les sinistrés et la réquisition de sites publics en cas de crise. Malgré sa volonté affichée, l’administration Bumba peine à rassurer. Pour rompre le cycle des catastrophes, elle devra aller au-delà des opérations visibles et enclencher une transformation profonde du territoire urbain, articulée à une gouvernance transparente et résolument tournée vers la résilience.

Embouteillages : un défi persistant

À Kinshasa, les embouteillages restent une plaie ouverte. Le quotidien des habitants est rythmé par des heures perdues dans la circulation, notamment sur les grands axes comme le boulevard Lumumba ou l’avenue de Libération. L’urbanisation galopante, l’insuffisance de routes secondaires et l’état de dégradation avancée du réseau routier accentuent cette crise. Malgré les promesses de modernisation, la saturation du trafic freine l’activité économique et nuit à la qualité de vie. La croissance incontrôlée du parc automobile, les parkings anarchiques et l’absence de transports en commun fiables entretiennent ce chaos urbain. Pour les Kinois, circuler est devenu un parcours du combattant. L’administration provinciale, dirigée par Daniel Bumba, a reconnu l’ampleur du problème et tenté de réagir, mais les actions entreprises tardent encore à produire des effets concrets sur le terrain.

Depuis 2024, l’équipe de Daniel Bumba a lancé plusieurs chantiers pour désengorger la capitale. Des avenues stratégiques comme Kwilu, Kimwenza ou Colonel Ebeya font l’objet de réhabilitations, mais les travaux avancent lentement, retardés par les pluies, le manque de financements et des litiges contractuels. La province prévoit aussi la création de parkings modernes et d’aires de stationnement, avec un budget spécifique voté en 2025. Dans la Gombe, des constructions anarchiques ont été démolies pour libérer l’espace public, notamment autour de la gare ONATRA. Par ailleurs, une tentative de réguler les taxis-motos a échoué, faute d’alternatives viables pour les usagers. Si les intentions affichées sont ambitieuses, leur mise en œuvre reste incomplète. À ce jour, les effets sur la circulation sont encore minimes, et la population exprime un désenchantement croissant face à l’absence de résultats visibles.

Un projet phare a été annoncé fin 2024 : le lancement d’un système de bus à haut niveau de service (métrobus), en partenariat avec une entreprise turque. Ce réseau, censé révolutionner les déplacements à Kinshasa, n’a pour l’instant pas dépassé la phase d’étude. D’autres propositions comme le BRT (Bus à haut niveau de service) ou des lignes ferroviaires urbaines sont évoquées, mais rien de concret n’a encore émergé. En parallèle, certaines mesures, comme la circulation alternée ou l’interdiction des motos dans la Gombe, ont suscité critiques et incompréhension. Faute d’offre de transport public solide, ces décisions apparaissent déconnectées des réalités vécues par les Kinois. Un an après l’arrivée de Bumba, les attentes restent fortes. Les habitants réclament non plus des plans mais des résultats. La province est à la croisée des chemins : entre continuité des blocages ou transition réelle vers une ville fluide et fonctionnelle.

Infrastructures : des chantiers prometteurs mais inachevés

Sur les quelque 4 000 km de routes recensées à Kinshasa, seuls 1 006 sont revêtus, dont la majorité en mauvais état. Pour corriger ce déséquilibre, le gouvernement provincial consacre près de 25 % de son budget à la mobilité et à l’aménagement urbain. Depuis fin 2024, 17 chantiers majeurs ont été lancés, notamment autour du marché central, dans l’objectif de moderniser les axes clés et désengorger la capitale. Le gouverneur s’est fixé comme ambition de porter à 2 000 km le linéaire de routes réhabilitées d’ici la fin de son mandat. Cette stratégie vise à doter Kinshasa d’une voirie résiliente, apte à supporter le climat et l’urbanisation croissante.

Plusieurs axes stratégiques sont en réhabilitation sous l’impulsion provinciale : les avenues Kwilu, Kimwenza et Colonel Ebeya figurent parmi les plus avancées. À Bandalungwa, la modernisation de l’avenue Kisangani est confiée à Moderne Construction, avec près de 500 mètres de bitume déjà posés. Autour du marché central, des routes comme Rwakadingi et Plateau font l’objet d’un bétonnage confié à Safrimex. Jin Jin International exécute quant à elle la boucle Wangata–Usoke–Hôpital. En parallèle, le gouvernement a entrepris le dragage de la rivière Kalamu et le curage de la Mososo pour prévenir les inondations récurrentes. Ces efforts conjoints visent une amélioration tangible de la mobilité et de l’assainissement. Toutefois, la lenteur de certains chantiers interroge, malgré l’ampleur des moyens mobilisés et la pression politique croissante pour obtenir des résultats visibles.

Malgré l’élan affiché, les retards se multiplient sur plusieurs sites. Le ministre provincial des Infrastructures, Alain Tshilungu, a reconnu la lenteur d’exécution et a exigé un calendrier précis de chaque entreprise. La Première ministre Judith Suminwa, en visite à Kinshasa, a exhorté le gouvernement provincial à respecter les délais. Mais les obstacles sont nombreux : pluies prolongées, lenteurs administratives, tensions avec certains prestataires. Dans les quartiers concernés, les habitants dénoncent les désagréments quotidiens causés par les chantiers à ciel ouvert. En l’absence d’un système d’entretien efficace, beaucoup redoutent que les nouvelles routes se dégradent aussi vite qu’elles sont livrées. Le manque de communication officielle sur les échéances et les budgets entretient une méfiance grandissante. Pour convaincre, Daniel Bumba devra transformer ses ambitions en ouvrages durables, visibles et entretenus.

Sécurité : une lutte contre les “Kuluna” aux résultats mitigés

Daniel Bumba a fait de la sécurité l’un des piliers de son action provinciale, avec un accent particulier sur le phénomène des « Kuluna », ces gangs urbains qui sèment la terreur dans plusieurs communes. Dès ses premières semaines de gouvernance, il a renforcé les patrouilles policières et ordonné la création d’une unité spéciale pour contrer ces bandes violentes. Cette stratégie a culminé avec le lancement des opérations « Zéro Kuluna » et « Ndobo » à partir de décembre 2024. Ces campagnes ont ciblé les zones sensibles et se sont appuyées sur des bouclages nocturnes, notamment dans les communes de N’djili, Selembao ou encore Ngaliema, où les habitants réclamaient des actions concrètes face à la recrudescence des agressions.

L’opération spéciale menée durant les fêtes de fin d’année 2024-2025 a marqué un tournant. Plus de 450 présumés Kuluna ont été arrêtés entre le 31 décembre et le 1er janvier, puis transférés devant les tribunaux militaires de garnison. Dès le 8 janvier, des audiences foraines ont été organisées dans plusieurs sites, traduisant la volonté de juger rapidement ces jeunes délinquants. En parallèle, les autorités provinciales ont repris les patrouilles de nuit et intensifié les contrôles dans les coins réputés dangereux. Cette stratégie de répression a permis une amélioration temporaire du climat sécuritaire, particulièrement dans des communes comme la Gombe ou Masina. Toutefois, elle a aussi suscité des inquiétudes sur le respect des droits des détenus et la légitimité de certaines arrestations.

Malgré cette réponse musclée, les critiques ne manquent pas. Aucun programme concret de réinsertion sociale n’a été mis en place par le gouvernement provincial, malgré des déclarations initiales du gouverneur. De nombreuses voix s’élèvent pour souligner que la répression seule ne suffit pas à éradiquer un phénomène profondément enraciné dans la pauvreté, le chômage et l’exclusion sociale. Le mouvement Lucha a dénoncé le recours à la peine de mort et l’absence de garanties judiciaires. Par ailleurs, aucune campagne éducative ni initiative communautaire de prévention n’a été lancée par la province. En l’absence d’une stratégie intégrée mêlant répression, réinsertion et sensibilisation, l’impact des opérations anti-Kuluna, aussi spectaculaires soient-elles, risque de rester éphémère.

Assainissement : une ambition freinée par des lacunes structurelles

Le gouvernement provincial de Kinshasa a fait de l’assainissement une priorité. Le 10 août 2024, il a officiellement lancé l’opération « Coup de poing », une vaste campagne de salubrité publique censée durer 45 jours. Soutenue par le génie militaire et coordonnée avec l’Office des voiries et drainage (OVD), cette initiative a commencé dans la commune de la Gombe avec le curage des caniveaux et l’évacuation de milliers de tonnes de déchets. Lors de cette opération, le gouverneur a sollicité l’appui actif des bourgmestres des 24 communes de la capitale. D’après le média Actualité.cd, Bumba voulait inscrire cette opération dans une logique de discipline collective. Le site 7sur7.cd a, de son côté, relayé les attentes élevées d’une population lasse de vivre dans l’insalubrité chronique.

Parallèlement, le gouverneur s’est intéressé à la transformation des déchets plastiques. En novembre 2024, il a visité l’usine de recyclage Kintoko, aux côtés de la société française Suez, pour soutenir la valorisation des ordures ménagères. Selon le site Actualité.cd, Bumba a insisté sur la nécessité d’une meilleure rémunération des ramasseurs de déchets, souvent négligés dans les politiques publiques. Peu après, il a également apporté son soutien au groupe industriel Angel, qui opère dans le recyclage local, en promettant de renforcer les moyens logistiques de l’entreprise. Radio Okapi a souligné que cette démarche visait à multiplier par trois le volume de plastique recyclé chaque mois. Ces actions traduisent une volonté politique d’intégrer l’économie circulaire dans la gouvernance urbaine de Kinshasa.

Pourtant, malgré ces signaux encourageants, les résultats concrets restent limités. En décembre 2024, quatre mois après le lancement de l’opération « Coup de poing », le média Congoquotidien.com constatait que les tas d’ordures avaient refait surface dans plusieurs communes. L’absence de centres de tri, de décharges contrôlées et de mécanismes durables de collecte affaiblit l’impact de chaque initiative. D’après une enquête d’Actualité.cd publiée en avril 2025, le gouverneur Daniel Bumba reconnaît lui-même que des lacunes structurelles entravent l’efficacité des efforts engagés. Le manque de coordination entre services provinciaux et municipalités, conjugué à une faible sensibilisation des citoyens, freine la mise en œuvre d’une politique d’assainissement cohérente et continue. Kinshasa reste confrontée à un défi colossal : transformer une ambition en changement durable.

Développement économique : des projets ambitieux mais flous

Le programme « Kin Ezo Bonga », présenté par le gouverneur Daniel Bumba en août 2024 comme la nouvelle boussole du développement provincial, s’appuie fortement sur le projet d’extension de Kinshasa vers Maluku. D’après Thierry Katembwe Mbala, coordonnateur du Comité stratégique pour la supervision du projet d’extension de la Ville de Kinshasa (CSSPEVK), cette future zone urbaine et industrielle s’étendra sur 486 km² et devrait générer 10 000 emplois directs dans sa phase initiale. Plusieurs missions ont été dépêchées sur le terrain depuis novembre 2024, en partenariat avec China State Construction Engineering Corporation, pour mener des études topographiques et initier les premiers dégagements. Pourtant, en mai 2025, aucun chantier majeur n’a encore démarré, ce qui alimente les doutes sur la faisabilité réelle de ce projet, pourtant présenté comme le socle du renouveau économique kinois.

Dans une dynamique parallèle, l’administration provinciale a lancé des projets de modernisation des marchés, notamment autour du marché central de Kinshasa. Le 7 novembre 2024, Daniel Bumba annonçait, depuis l’avenue Rwakadingi, la réhabilitation de cinq axes stratégiques : Rwakadingi, Marché, Marais, Plateau et École, dans le but de désenclaver cette zone commerciale névralgique. Les travaux, confiés à l’entreprise SAFRIMEX, visent à fluidifier l’accès au marché modernisé. Malgré cette ambition, le manque de transparence dans la passation des marchés publics inquiète. Des commerçants et entrepreneurs, interrogés par Heshima Magazine, se plaignent de ne pas être suffisamment associés aux appels d’offres et dénoncent une gestion opaque des ressources allouées, ce qui freine l’adhésion du secteur privé local au projet global.

Le programme quinquennal « Kin Ezo Bonga » est structuré autour de onze axes prioritaires, allant de l’assainissement à la sécurité, en passant par l’emploi, la mobilité ou encore la planification urbaine. Selon le gouverneur Bumba, ce programme dispose d’un budget prévisionnel de 11 milliards de dollars pour la période 2024-2028, financé par des partenariats publics-privés et l’appui d’organismes internationaux. Cependant, comme l’ont relevé plusieurs analystes, l’absence de calendrier détaillé, de rapports périodiques et d’indicateurs de performance rend difficile le suivi des avancées réelles. Dans la population, l’impatience grandit : les Kinois espèrent des résultats concrets au-delà des annonces. Car sans changements visibles, la crédibilité du gouverneur pourrait vite s’effriter.

Services sociaux : santé et éducation en attente de réformes

En matière de santé, un plan d’action a été élaboré en partenariat avec l’agence belge Enabel pour améliorer les infrastructures sanitaires. Cependant, à ce jour, aucun hôpital ou centre de santé n’a été inauguré sous son mandat. Les Kinois continuent de déplorer la vétusté des structures existantes, comme l’a souligné Radio Okapi dans un reportage récent. Cette situation met en lumière le décalage entre les annonces officielles et la réalité sur le terrain, alimentant le scepticisme de la population quant à la capacité de l’administration à concrétiser ses promesses.

Dans le domaine de l’éducation, les engagements pris par le gouverneur Bumba, tels que la construction de nouvelles salles de classe et la distribution de matériel scolaire, peinent également à se matérialiser. Les enseignants et les parents expriment leur frustration face à des conditions d’apprentissage souvent indignes, soulignant le manque de ressources et d’infrastructures adéquates. Le site Actualité.cd a rapporté que, malgré les annonces, peu de progrès tangibles ont été réalisés, laissant les écoles dans un état de délabrement avancé. Cette situation compromet la qualité de l’enseignement et l’avenir des jeunes Kinois, qui sont les premières victimes de ces carences.

Face à ces défis, l’administration provinciale est appelée à intensifier ses efforts pour traduire ses ambitions en actions concrètes. La mise en œuvre effective des projets annoncés, accompagnée d’une communication transparente sur l’état d’avancement des travaux, est essentielle pour restaurer la confiance des citoyens. Les partenaires internationaux, tels qu’Enabel, attendent également des résultats probants pour poursuivre leur soutien. Il est impératif que le gouverneur Bumba et son équipe adoptent une approche plus proactive et inclusive pour répondre aux besoins urgents de la population en matière de santé et d’éducation.

Contrats signés : un manque de transparence ?

Daniel Bumba a multiplié la signature de contrats censés soutenir ses projets en matière d’infrastructures, d’assainissement et de logement. En août 2024, il a ainsi annoncé un ambitieux plan d’investissement de 2,7 milliards de dollars sur cinq ans pour la modernisation de Kinshasa, dans le cadre du programme « Kinshasa Ezo Bonga », un projet présenté officiellement lors d’une conférence de presse relayée par Actualité.cd. Ce programme prévoit notamment la construction de logements sociaux et de nouvelles voiries. Mais sur le terrain, peu de détails ont filtré sur les contrats eux-mêmes, sur les entreprises attributaires ou encore sur les modalités de financement. Cette opacité nourrit une méfiance croissante au sein de la population et d’une partie de la société civile, qui réclame plus de transparence.

Le cas du contrat de collecte des déchets avec l’entreprise turque Albayrak illustre bien ce manque de clarté. Conclu en 2022 sous l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila, l’accord imposait à la ville de verser entre 500 000 et 1 million de dollars par mois, selon une enquête menée par le journal AfricaNews. En août 2024, Daniel Bumba a décidé de résilier ce contrat, le qualifiant de « léonin » et dénonçant l’utilisation d’équipements achetés par la ville sans retour sur investissement suffisant. Si cette décision a été saluée par certains comme un acte de rupture, elle a également mis en lumière l’absence d’un nouveau cadre clair pour la gestion des déchets. Depuis, aucun appel d’offres public ou partenariat structuré n’a été rendu public, laissant planer des doutes sur les orientations futures.

Dans le secteur de la santé, le protocole d’accord signé en janvier 2025 avec l’entreprise marocaine TGCC prévoit la construction d’un hôpital moderne à Maluku, avec une capacité de plus de 100 lits. Ce projet a été dévoilé à la presse lors d’une cérémonie officielle, selon les précisions d’Actu30.cd, qui a suivi les étapes de cette collaboration. Bien qu’il s’inscrive dans le programme de développement de la zone Est de Kinshasa, aucune information n’a été fournie sur le budget alloué, les sources de financement ou les délais d’exécution. Par ailleurs, certains observateurs s’interrogent sur la répartition des responsabilités entre les parties prenantes. Dans un contexte marqué par de fortes attentes, cette absence de communication renforce les soupçons de favoritisme et de gestion peu rigoureuse des deniers publics.

Kinshasa face à ses défis urbains majeurs

Gouverner Kinshasa, une ville en pleine expansion démographique, représente un défi colossal. La croissance urbaine rapide, conjuguée aux effets du changement climatique, impose la mise en œuvre de solutions innovantes et durables. Le Centre de Recherche en Ressources en Eau du Bassin du Congo alerte sur l’exacerbation des inondations due à une urbanisation informelle accélérée et à des infrastructures insuffisantes, soulignant la nécessité d’investissements massifs dans des systèmes de drainage performants et un plan d’urbanisme rigoureux.

Les embouteillages, quant à eux, réclament une réforme profonde du système de transport urbain. Des études publiées par l’Institut Africain des Politiques Urbaines insistent sur le fait que le recours majoritaire aux minibus et taxis traditionnels, dépassés par l’essor démographique, freine la mobilité et nuit à l’activité économique. Il devient urgent de développer un réseau de transport public moderne et efficace.

Enfin, la question de l’insalubrité demeure critique. Selon un rapport de l’Agence Congolaise de l’Environnement, la gestion des déchets solides est insuffisante, avec une collecte partielle et l’absence de centres de traitement ou de recyclage adaptés. La pollution engendrée impacte négativement la santé publique. Le gouvernement provincial doit impérativement renforcer les infrastructures de traitement des déchets et lancer des campagnes de sensibilisation citoyenne pour assurer la pérennité des résultats.

Bilan d’un an de gouvernance : ambitions affichées, résultats attendus

La première année de Daniel Bumba à la tête de Kinshasa révèle une ambition réelle, comme le souligne Jeune Afrique dans sa publication d’avril 2025, mais cette volonté se heurte à des obstacles majeurs. Les chantiers routiers, les opérations sécuritaires et les efforts d’assainissement, rapportés par Radio Okapi, témoignent d’une volonté de changement, mais leur impact demeure limité en raison de retards, de contraintes financières évoquées par le Ministère provincial des Finances, et d’un manque de transparence relevé par des observateurs locaux. Par ailleurs, les inondations et les démolitions, analysées par la presse congolaise en février 2025, ont mis en lumière des tensions entre impératifs sécuritaires et considérations sociales. Enfin, les secteurs essentiels de la santé et de l’éducation, décrits par l’ONG Enabel dans son dernier rapport, attendent toujours des réformes concrètes. Pour transformer Kinshasa, Daniel Bumba devra non seulement achever les projets en cours, mais aussi restaurer la confiance d’une population devenue exigeante, comme le résume un habitant de Ngaliema interrogé par Heshima Magazine : « Nous voulons des actions, pas seulement des paroles. Kinshasa mérite une vraie transformation. C’est la vitrine de la RDC.»

Heshima Magazine

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RDC : un développement des provinces toujours à géométrie variable

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En République démocratique du Congo (RDC), la ville de Kolwezi a reçu la 12ème Conférence des gouverneurs des provinces. Malgré l’existence des instruments juridiques pour équilibrer leur gestion, toutes les provinces ne reçoivent toujours pas le même budget pour leur fonctionnement, ce qui déséquilibre le développement de ces entités. Le Lualaba et le Haut-Katanga semblent marquer le pas, laissant derrière eux le Haut-Lomami, le Sankuru, la Mongala et tant d’autres provinces moins nanties. La caisse de péréquation, conçue pour couvrir ces écarts, ne fonctionne plus depuis le dernier découpage territorial.

Seize ans après la décentralisation, les provinces ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Lors de l’ouverture de la 12ème Conférence des gouverneurs, le 10 juin 2025 à Kolwezi, chef-lieu de la province du Lualaba, les gouverneurs ont adressé un mémorandum dans lequel ils insistent pour la mise en application de la Caisse nationale de péréquation. Si certaines provinces telles que le Lualaba et le Haut-Katanga ont hérité d’une activité minière florissante, d’autres parties du pays ne connaissent pas une attractivité économique susceptible de soutenir le développement de ces entités, bien qu’elles soient également dotées de ressources naturelles.

Pour essayer de renforcer le développement à la base, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait initié le programme de développement local de 145 territoires (PDL-145T). Ce projet vise à améliorer le cadre de vie des populations rurales et à réduire la pauvreté et les inégalités sociales. Financé à hauteur d’environ 1,6 milliard de dollars, ce programme ambitieux vise à autonomiser les 145 territoires répartis dans les 26 provinces. Le gouvernement travaille également à renforcer la gouvernance locale et la planification du développement dans les provinces, avec l’appui du PNUD et d’autres partenaires locaux. Mais ce programme – encore inachevé – rencontre des défis notamment de financement. Lors de leurs précédentes résolutions, les gouverneurs ont notamment plaidé pour la rétrocession des 40 % dus aux provinces.

Etat des lieux des précédentes résolutions

Lors de la 11ème Conférence des gouverneurs organisée à Kalemie, dans la province du Tanganyika, ces responsables de provinces avaient formulé 68 recommandations. Elles visaient à améliorer la gestion publique dans leurs entités, à construire ou améliorer les infrastructures, à renforcer le financement et la fiscalité des provinces, à mieux gérer les risques locaux, à stabiliser les institutions provinciales et à accroître l’implication des exécutifs provinciaux dans le PDL-145T. Les gouverneurs avaient aussi recommandé de revoir le mode de scrutin pour l’élection des gouverneurs et des députés provinciaux, modifier les critères d’accession au pouvoir des administrateurs de territoires et des animateurs des entités territoriales décentralisées, assurer le paiement régulier des salaires des responsables politiques et des frais de fonctionnement des exécutifs provinciaux, et enfin achever les chantiers d’infrastructures du projet PDL-145T. Très peu de ces recommandations ont été mises en œuvre aussi bien du côté des gouverneurs que du gouvernement central. Félix Tshisekedi, lors de la clôture de ces assises, avait demandé au Secrétariat permanent de la Conférence des gouverneurs de province d’en assurer le suivi permanent.

Les gouverneurs insistent sur la Caisse de péréquation

Véritable outil d’équilibre entre les provinces nanties et les moins nanties, la Caisse nationale de péréquation (CNP) n’est toujours pas opérationnelle. Pourtant, la péréquation vise à atténuer les disparités de ressources entre provinces afin de favoriser une répartition plus équitable des charges et de garantir un niveau minimum de services publics, créant une solidarité nationale. Cette caisse était censée disposer d’un budget alimenté par le trésor public à concurrence de dix pour cent (10 %) de la totalité des recettes nationales revenant à l’État chaque année.
Prévue par la Constitution (article 181), la Caisse nationale de péréquation a été légalement créée en 2018 (Ordonnance n°18/037 du 24 novembre 2018), soit 10 ans après la promulgation de la Constitution. Malgré sa mise en œuvre, son fonctionnement continue à poser problème. Certains responsables provinciaux accusent le gouvernement central d’être à la base de ces retards et blocages politiques. « Le gouvernement central ne manifeste aucune volonté politique pour rendre opérationnelle la Caisse nationale de péréquation. C’est inadmissible que des provinces comme le Sankuru et le Maï-Ndombe continuent toujours de présenter un visage moyenâgeux alors qu’il y a une possibilité de suppléer ce manque de moyens », estime un élu provincial de Maï-Ndombe.
Lors de l’investiture du gouvernement de la Première ministre Judith Suminwa en 2024, les députés nationaux Ngoyi Kasanji et Paul Tshilumbu avaient dénoncé les difficultés de fonctionnement que connaissait la Caisse nationale de péréquation. Quelques jours plus tard, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamarhe, avait tenté de résoudre le problème en invitant le comité de gestion de la CNP à l’Assemblée nationale. « La Caisse ne bénéficie d’aucun financement du gouvernement », avait tranché le président de son conseil d’administration, Izato Nzege, ainsi que le Directeur général Coco-Jacques Mulongo Nzemba. Il était prévu que cette structure soit relancée dans le cadre du budget de l’exercice 2025. Mais ce budget a été voté, mais les gouverneurs ne voient toujours rien tomber dans leur escarcelle.

En juillet 2023, le Centre des recherches en finances publiques et développement local (CREFDL) avait dénoncé des « intérêts obscurs » qui freinaient le fonctionnement de cette caisse. Cette structure notait qu’après analyse technique de plus d’une centaine de documents relatifs à l’opérationnalisation de cette caisse, le bilan reste catastrophique, y compris sous le président Félix Tshisekedi. « Le bilan reste catastrophique. La CNP n’a jamais été redynamisée malgré la nomination de nouveaux animateurs. Sur 4,1 milliards USD alignés dans la loi de Finances (2019-2023) pour financer les investissements des provinces et ETD, le Trésor public n’a décaissé que 76 millions USD, soit 2,7 % », dénonçait CREFDL. Cette insuffisance de financement des provinces moins nanties combinée avec les difficultés de rétrocession de 40 % des recettes nationales aux provinces constitue des obstacles majeurs pour l’autonomie financière de ces entités.

Un développement à géométrie variable

L’absence de la Caisse nationale de péréquation et la rétrocession de 40 % effectuée à « dent de scie » ne permettent pas aux provinces d’avoir un même rythme de développement. Le Lualaba, qui a accueilli cette 12ème Conférence, a présenté 14 nouvelles infrastructures inaugurées par le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi. Il s’agit de l’échangeur routier, de l’aérogare internationale de Kolwezi, une caserne anti-incendie, une salle de congrès de 1 500 places, des écoles publiques, des routes…

Avec une superficie bâtie de près de 10 000 mètres carrés, cette aérogare à 2 niveaux symbolise l’ouverture de Kolwezi au monde, selon Fifi Masuka, gouverneure du Lualaba. L’ouvrage intègre 2 ailes distinctes pour les vols domestiques, internationaux, des salons VIP, 2 bras satellitaires ainsi que d’autres commodités. Ce projet est conforme au standard de l’organisation de l’aviation civile internationale, précise Fifi Masuka, qui note également que ledit projet s’inscrit dans le cadre du programme d’investissement prioritaire 2024-2028 au travers du pilier 4 relatif aux infrastructures et à l’aménagement du territoire, sous l’axe 1 : infrastructure des transports.

Mais face à ce boom immobilier, d’autres chefs-lieux de provinces manquent même une simple piste d’aérodrome. A Lodja, dans le Sankuru, ce qui est présenté comme un aéroport laisse à désirer. L’ombre sous le feuillage des arbres est utilisée comme un lieu d’embarquement avec une piste presque en terre battue. Il y a un sérieux hiatus entre ce qui se fait à Kolwezi et ce qui s’observe à Lodja ou à Inongo. A Kinshasa, malgré l’avantage d’être une province-capitale, l’exécutif provincial peine aussi à mobiliser les ressources et se fait souvent assister financièrement par le gouvernement central. Lors de la première journée de la 12ème conférence des gouverneurs, le gouverneur Daniel Bumba a dressé un tableau contrasté de son propre programme « Kinshasa Ezo Bonga », un plan de développement chiffré à 10 milliards de dollars, aligné sur les trois initiatives et six engagements du quinquennat du président de la République. Il a vanté un plan global d’assainissement de la ville, la reconstruction de la voirie urbaine avec notamment la réhabilitation de 60 kilomètres de routes sur les 170 initialement prévus pour sortir Kinshasa de ses nombreux embouteillages.

Tant que la Caisse de péréquation et la rétrocession de 40 % ne seront pas totalement opérationnelles, le développement des provinces en RDC restera à géométrie variable. Plusieurs éléments confirment cette triste réalité, notamment les disparités économiques, l’inégalité des infrastructures, et les différences dans l’accès aux services sociaux de base, tels que les routes, les aéroports, les hôpitaux et les écoles publiques ou privées. Pour corriger cette situation, des politiques plus équitables de redistribution des ressources,

une véritable décentralisation, et des investissements ciblés dans les zones marginalisées seraient nécessaires.

Heshima

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Procès ou justice spectacle : retour sur les grands procès politiques et leurs implications judiciaires

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L’histoire de la République démocratique du Congo (RDC) est marquée par plusieurs procès politiques, souvent utilisés par les pouvoirs en place pour écarter des opposants, asseoir leur autorité ou répondre à des crises politiques. De Patrice Emery Lumumba à Moïse Katumbi ou Vital Kamerhe, les cas de politiciens poursuivis ou jugés sont nombreux. Retour sur des procès jugés politiques et leurs implications judiciaires.

Dans l’arène politique congolaise depuis l’indépendance, la justice est souvent utilisée pour régler des comptes à des adversaires politiques. Mais elle est aussi brandie par certains politiques comme un prétexte pour se soustraire à leurs obligations judiciaires après un abus ou une infraction, notamment de détournement des deniers publics. Depuis plus d’un mois, l’opinion congolaise assiste à un nouveau dossier impliquant le ministre d’Etat à la Justice et garde des Sceaux, Constant Mutamba. Ce dernier est soupçonné par le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, d’avoir détourné 19 millions de dollars destinés à la construction d’une prison à Kisangani, une ville du nord-est de la RDC. Mais, rapidement, le ministre de la Justice l’a perçu comme un procès politique, rejetant toute accusation de détournements. Constant Mutamba parle d’« acharnement » et de « complot politique ». Dans une correspondance consultée par Heshima Magazine, le ministre de la Justice annonce la récusation du procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, qui le poursuit pour détournement. Il récuse également les magistrats placés sous son autorité. Pour l’heure, le procureur attend la réponse sur la demande d’autorisation des poursuites adressée à l’Assemblée nationale.

Dans l’histoire du pays, la justice et la politique sont longtemps perçues comme intimement liées. La justice semble influencée par le pouvoir politique. En effet, plusieurs politiciens ont été confrontés à la justice. Certains des procès ont été qualifiés de politiques car motivés par le souci d’écarter un adversaire gênant ou carrément de liquider des potentiels concurrents.

Procès non tenu de Patrice Lumumba (1960-1961)

Après l’indépendance en juin 1960, Patrice Emery Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, entre en conflit avec le président Joseph Kasa-Vubu et le chef de l’armée, Joseph-Désiré Mobutu. Après avoir échappé à la résidence surveillée et espérant rejoindre Stanleyville (actuelle Kisangani), son fief politique, Lumumba est battu par des soldats au camp militaire Hardy de Thysville (actuelle Mbanza-Ngungu) avant d’être transféré à Élisabethville (actuelle Lubumbashi) au Katanga, où il a été assassiné le 17 janvier 1961. Cette exécution extrajudiciaire sera perçue comme un assassinat politique. En 2021, le média belge RTBF n’hésite pas à qualifier cet assassinat de « crime politique avec des responsabilités belges ». L’élimination politique d’un dirigeant nationaliste orchestrée avec la complicité belge et américaine.

Procès du groupe de Pierre Mulele (1964-1968)

Pierre Mulele, ancien ministre de l’Éducation sous Patrice Lumumba, mène une insurrection maoïste, également appelée rébellion Simba ou muleliste. Plusieurs de ses partisans sont arrêtés et exécutés parfois sans procès. En exil, Mulele lui-même est trompé en revenant au pays en 1968. Il sera arrêté et torturé puis exécuté sans procès équitable. En réalité, il n’a même pas eu droit à un procès juridique au sens traditionnel du terme, mais plutôt à un procès politique suivi d’une exécution sommaire. Sa mort sera suivie d’une répression brutale d’une opposition idéologique au régime de Mobutu.

Procès des « Martyrs de la Pentecôte » (1966)

La pendaison en public de quatre acteurs politiques en 1966 sur ordre du président Mobutu fait partie des sentences et crimes judiciaires des plus inoubliables. Il s’agit de Jérôme Anany, ministre de la Défense dans le gouvernement de Cyrille Adoula ; Emmanuel Bamba, sénateur et dignitaire de l’Église kimbanguiste ; Évariste Kimba, Premier ministre jusqu’en novembre 1965 et Alexandre Mahamba, ministre des Affaires foncières dans le gouvernement de Cyrille Adoula. Les quatre acteurs étaient accusés de préparer un plan de destitution du président Mobutu et de son Premier ministre, le général Mulamba. Mobutu va signer le 30 juin une ordonnance-loi créant un tribunal militaire d’exception pour juger les quatre politiciens pour complot contre les institutions de l’Etat. Le jury est composé de trois officiers : le colonel Pierre Ingila, président, le colonel Ferdinand Malila, juge et le colonel Honoré Nkulufa, juge. Plus de 20 000 personnes sont conviées à assister à ce procès de visu où les quatre accusés comparaîtront ligotés et pieds nus. Dans un procès déséquilibré et dont le sort était déjà connu d’avance, les quatre « conjurés » vont être pendus en public sur le terrain où sera érigé plus tard le stade Kamanyola, débaptisé ensuite stade des Martyrs de la Pentecôte en référence à ces quatre martyrs. De nombreux observateurs ont vu dans ce procès une instrumentalisation de la justice pour consolider le pouvoir de Mobutu.

Le procès de Jean Nguza Karl-i-Bond (1977) : une purge sous Mobutu

En 1977, Jean Nguza Karl-i-Bond, ministre des Affaires étrangères et figure influente du régime de Mobutu Sese Seko, devient la cible d’un procès retentissant. Accusé de haute trahison pour son prétendu rôle dans l’invasion du Shaba par les gendarmes katangais et d’avoir tenté de séduire la première dame, il est arrêté en août 1977. Ces charges, largement considérées comme politiquement motivées, visent à neutraliser un rival perçu comme un possible successeur de Mobutu. Le 13 septembre 1977, un tribunal à Kinshasa, dans une mise en scène de justice spectacle, le condamne à mort. Deux jours plus tard, Mobutu commue sa peine en prison à vie, une décision qui reflète la stratégie du régime : punir pour intimider, mais préserver pour manipuler. Libéré en juillet 1978, Nguza est réintégré comme ministre des Affaires étrangères en 1979, puis nommé Premier ministre à deux reprises (1980-1981, 1991-1992), illustrant la volatilité des alliances sous Mobutu.
Durant son incarcération, Nguza subit des tortures brutales, y compris des sévices sexuels, qui le laissent physiquement diminué, selon des témoignages d’époque (Der Spiegel, 1977). Ce procès met en lumière l’instrumentalisation de la justice par Mobutu pour maintenir son emprise, éliminant les rivaux tout en renforçant son image de maître absolu. « C’était une leçon pour tous : Mobutu pouvait détruire ou gracier à sa guise », confie un ancien diplomate congolais. Ce cas, emblématique de l’arbitraire judiciaire, souligne les tensions ethniques – Nguza étant Lunda – et les luttes internes au sein de l’élite zaïroise. Il incarne une justice au service du pouvoir, une pratique récurrente dans l’histoire congolaise, où les tribunaux deviennent des arènes de règlements de comptes politiques.

Procès de Jean-Bertrand Ewanga (2014)

A l’époque, secrétaire général de l’Union pour la nation congolaise (UNC), la troisième force de l’opposition représentée au Parlement, Jean-Bertrand Ewanga avait été brutalement arrêté au lendemain d’un rassemblement de l’opposition tenu à la place Sainte Thérèse de N’djili, dans l’Est de Kinshasa. Il sera condamné à un an de prison ferme pour « outrage au chef de l’État », mais aussi au président du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Premier ministre sans possibilité de faire appel. L’opposant se savait condamné d’avance dans ce procès que ses avocats qualifiaient déjà de politique et d’arbitraire. Avant la sentence, Jean-Bertrand Ewanaga savait déjà ce qui l’attendait. Dans sa prise de parole, il déclarera laconiquement aux juges : « Faites ce que vous devez faire et envoyez-moi à Makala, mais je ne cautionne pas cette parodie de justice ». Des ONG des droits de l’homme dénonceront également un « procès politique » intenté contre un opposant qui dérange.

Procès Katumbi, sous l’ère Joseph Kabila (2016-2019)

Après son départ de la majorité présidentielle fin 2014, Moïse Katumbi devient l’un de plus grands opposants au président de la République, Joseph Kabila. Il se positionne aussi comme un challenger politique pour la présidentielle qui devrait se tenir en 2016. L’homme sera poursuivi dans deux affaires différentes : spoliation d’un immeuble d’un sujet grec et recrutement des mercenaires étrangers. Dans le dossier des mercenaires, il était donc poursuivi pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » avec six autres co-accusés dont un Américain. A Lubumbashi, ses partisans vont dénoncer un « procès politique » et un « acharnement » contre leur leader. Mais l’ancien gouverneur du Katanga sera contraint à l’exil. Officiellement, le procureur l’autorisera à quitter le pays pour aller se faire soigner à l’étranger. Dans l’entre-temps, Moise Katumbi sera condamné à 3 ans de prison ferme dans le premier dossier lié à la spoliation d’un immeuble appartenant à Alexandros Stoupis, un sujet grec. En exil à Bruxelles depuis plus de deux ans, l’ex-gouverneur du Katanga avait décidé en 2018 de revenir au pays pour déposer sa candidature à la présidentielle entre le 24 juillet et le 8 août 2018. En RDC, les autorités politiques préviennent qu’il doit toujours répondre de sa condamnation à trois ans de prison dans cette affaire d’immeuble dont il contestait d’ailleurs tout fondement. D’ailleurs, plus tard, après l’accession de Félix Tshisekedi au pouvoir, il a été innocenté dans les deux affaires. Ces procès ont été jugés comme « politiquement motivés » par de nombreuses ONG et organisations internationales. Selon ces organisations dont la Voix de sans voix (VSV), ces manœuvres judiciaires étaient une tentative d’écarter un opposant majeur avant les élections de 2018. Katumbi tentera un forcing en essayant de rentrer au pays par la frontière de la Zambie, sans succès.

Ernest Kyaviro, 17 mois de prison pour des infractions politiques (2015)

Cadre du RCD/KML, parti d’Antipas Mbusa Nyamwisi, l’ancien député Ernest Kyaviro avait purgé 17 mois de prison au Centre pénitencier et de rééducation de Makala à Kinshasa. Il avait été arrêté à Goma, au cours d’une manifestation initiée par l’opposition le 22 janvier 2015 contre le pouvoir de Joseph Kabila. Après son arrestation, il avait été transféré à Kinshasa, avant d’être condamné à 3 ans de prison pour « incitation à la désobéissance civile ». En appel, sa peine avait été réduite à 17 mois. En avril 2016, lors d’un constat du reporteur de Radio Okapi, l’homme purgeait sa peine dans l’hôpital pénitencier de Makala où il était retenu pour des raisons de santé. Il clamait toujours que son arrestation était politique. Dans un rapport publié quelques mois après, Dans un rapport publié jeudi 26 novembre, Amnesty International dénonce la répression qui l’ONG Amnesty International dénonçait une répression qui « s’abat sur la société civile et l’opposition en République démocratique du Congo ». Cette organisation de lutte pour les droits de l’homme critiquait une justice congolaise « instrumentalisée pour « réduire au silence ceux qui sont en désaccord avec l’idée d’un troisième mandat pour le président Kabila ».

Jean-Claude Muyambo, condamné pour « abus de confiance » (2015)

Arrêté en janvier 2015 dans la foulée des manifestations contre la modification de la loi électorale, l’ancien bâtonnier Jean-Claude Muyambo a été condamné à 5 ans de prison. Mais curieusement, lors du procès, les faits pour lesquels il a été arrêté ne seront pas évoqués. Le tribunal brandit plutôt un dossier d’abus de confiance et de stellionat dans le cadre d’une affaire d’immeuble appartenant toujours au même sujet grec (Alexandros Stoupis) qui avait fait condamner Moise Katumbi. Depuis son incarcération à la prison de Makala, il se plaignait de l’état de son pied gauche tuméfié à la suite du traitement qu’il aurait subi lors de son arrestation. Jean-Claude Muyambo sera finalement gracié après l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir en 2019, soit une année avant la fin de sa peine.

Christopher Ngoyi, un activiste derrière les barreaux (2015)

Militant de la société civile, Christopher Ngoyi Mutamba faisait partie des personnalités arrêtées en janvier 2015 lors des manifestations contre la modification de la loi électorale qui conditionnait l’organisation des élections de 2016 au recensement général de la population. Pour plusieurs de ses proches, Christopher Ngoyi n’était rien d’autre qu’un « prisonnier d’opinion ». Il sera libéré plus d’une année après au même moment que Fred Bauma et Yves Makwambala, deux activistes du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUCHA). Ils avaient été relâchés sur décision de la Cour Suprême de Justice, bénéficiant d’une « liberté provisoire » après 18 mois et 15 jours de détention sans procès. Officiellement, Christopher Ngoyi était accusé d’incendie volontaire, actes de pillage et incitation à la haine raciale.

Procès Franck Diongo (2016)

Jugé en procédure de flagrance pour séquestration de trois militaires de la Garde républicaine en marge d’une manifestation populaire contre le maintien de Joseph Kabila au pouvoir, l’opposant Franck Diongo a été condamné le 28 décembre 2016 à cinq ans de prison ferme. Les sympathisants du leader du Mouvement lumumbiste progressiste (MLP) avaient déployé devant la Cour suprême de justice à Kinshasa plusieurs banderoles avec ces inscriptions : « Libérez Franck Diongo », « Franck Diongo innocent », « Franck Diongo héros vivant », rapportait RFI lors du procès en révision de sa condamnation. Même des journalistes ont été interdits d’accéder dans la salle d’audience le jour de ce procès en révision de sa peine. Mais Franck Diongo ne sera libéré qu’en mars 2019 après la prise de pouvoir par Félix Tshisekedi.

Proche de Tshisekedi, Kamerhe devant la barre (2020)

A l’époque directeur de cabinet du président de la République, Félix Tshisekedi, Vital Kamarhe a été arrêté et emprisonné pour détournement de fonds publics dans le cadre du programme des “100 jours”. Ce programme d’urgence a été présenté comme une initiative visant à répondre aux besoins de la population et à apporter des changements positifs dès l’entame du mandat du président Félix Tshisekedi en 2019. Cependant, des accusations d’irrégularités, de corruption et d’utilisation abusive du pouvoir ont été formulées. Pour la première fois depuis l’indépendance du pays, un directeur de cabinet du chef de l’Etat en fonction est non seulement mis en cause par la justice mais aussi condamné. Certains y ont vu un signal fort contre la corruption, d’autres une lutte de pouvoir interne. Avec la mort soudaine du juge Raphaël Yanyi qui dirigeait l’affaire, ce procès a été perçu comme un règlement de comptes politique contre Vital Kamerhe par certaines personnes dans l’entourage de Félix Tshisekedi. Condamné à 20 ans de prison en 2020, la peine sera réduite à 13 ans après un second jugement en appel.

Arrêté le 8 avril 2020, Vital Kamerhe sera « totalement acquitté » le 23 juin 2020. « Il n’y a pas de preuve contre lui. C’en est définitivement fini avec cette affaire », avait clamé son avocat, Jean-Marie Kabengela. La Cour de cassation a cassé la condamnation à treize ans de prison prise par la Cour d’appel, demandant à celle-ci, constituée d’autres juges, de rejuger l’affaire. Mais le dossier n’a plus jamais été rejugé. En décembre 2021, cette haute juridiction avait déjà accordé une libération conditionnelle à Vital Kamerhe pour raisons de santé, lui permettant d’effectuer un déplacement en France.

Condamné dans le même procès, l’homme d’affaires libanais Samir Jammal avait également été « acquitté par la cour d’appel de Kinshasa/Gombe », selon son avocat, Tshitsha Bokolombe. Dans l’entretemps, les maisons préfabriquées pour lesquelles ces personnes avaient été arrêtées n’ont jamais été rendues totalement à l’Etat congolais qui avait déboursé 57 millions de dollars pour ce volet du programme de « 100 jours ».

Jean-Marc Kabund : un ancien chef du parti présidentiel en procès (2022)

Fin 2021, l’ancien président intérimaire de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) Jean-Marc Kabund commence à prendre des positions contraires à la ligne de son parti, dénonçant notamment une « justice à deux vitesses ». En 2022, Kabund s’en prend directement au chef de l’État, Félix Tshisekedi, l’accusant d’« incompétence notoire » et de « dérive monarchique ». Le 18 juillet 2022, lors d’une conférence de presse pour le lancement de son nouveau parti, l’Alliance pour le changement, il indique que Félix Tshisekedi est un « danger au sommet de l’État » et qu’il fallait s’en débarrasser. C’était visiblement des mots de trop adressés contre le régime en place. Arrêté en août 2022, Kabund a été condamné, en septembre 2023, à une peine de sept ans de prison par la Cour de cassation. Cette condamnation faisait suite à une série d’accusations, notamment « d’outrage au chef de l’Etat », « offense aux institutions de la République » et « propagation de faux bruits ».

Pilier du parti présidentiel, l’homme était tombé en disgrâce en janvier 2022. Passé dans l’opposition après sa mise à l’écart de l’UDPS et son éviction de son poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale, il avait progressivement radicalisé son discours vis-à-vis des autorités congolaises. En 2025, il sera finalement libéré de la prison. Des rumeurs évoquent une grâce présidentielle accordée par Félix Tshisekedi. Mais son entourage se défend. « Dans le cadre d’un recours extraordinaire introduit par le biais d’une procédure en révision, la Cour de cassation a rendu son arrêt d’acquittement en faveur du Président Jean-Marc Kabund le 21 février. Ainsi, les infractions retenues dans le précédent arrêt de sa condamnation sont effacées et son casier judiciaire devient désormais vierge », avait déclaré en février Me Emmanuelli Kahaya, un de ses avocats.

Procès Salomon Kalonda (2023)

Accusé par l’Auditorat militaire supérieur d’être en intelligence avec quelques officiers rwandais dans un contexte d’agression rwandaise contre la RDC, Salomon Kalonda, conseiller politique de l’opposant Moise Katumbi avait été arrêté le 30 mai 2023 à l’aéroport de N’djili, à Kinshasa. Plusieurs fois, ses avocats contestaient les accusations portées contre leur client et remettaient en question la légalité de la procédure ayant conduit à sa détention. Salomon Kalonda était aussi accusé de détention d’arme à feu. Mais cette prévention avait été élaguée car l’arme appartenait au garde du corps de l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo. Des accusations de collusion avec des officiers rwandais ont été aussi rejetées par le parti de Katumbi. Son secrétaire général, Dieudonné Bolengetenge avait qualifié de « mensonges et des affabulations » ces accusations « fantaisistes » criant à un procès politique visant à affaiblir Moise Katumbi avant les élections de décembre 2023. Plus tard, élu député provincial du Maniema puis sénateur du Haut-Katanga sans battre campagne, Salomon Kalonda sera relâché par la justice militaire après la validation de son mandat de sénateur au Sénat. Il sera d’abord autorisé à aller se faire soigner en Belgique, avant de revenir siéger au Sénat.

Condamné à 10 ans de travaux forcés, Matata évoque un procès politique

Premier ministre de 2012 à 2016 sous le régime du président Joseph Kabila, Augustin Matata Ponyo a été condamné, le 20 mai 2025, à 10 ans de travaux forcés. La Cour constitutionnelle l’a reconnu coupable de détournements de fonds publics d’un montant de 247 millions de dollars, selon le président de la haute cour, Dieudonné Kamuleta. Ces fonds étaient destinés au projet du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, un projet pilote à 250 kilomètres au sud-est de Kinshasa.

Tout avait commencé en novembre 2020, lorsque l’inspection générale des finances (IGF) avait conclu dans un rapport que 205 millions de dollars, sur 285 millions décaissés par le Trésor public pour ce projet avaient été égarés.

Matata Ponyo, qui clamait son innocence, avait cessé de participer aux audiences, accusant la justice de n’avoir pas sollicité la levée de ses immunités à l’Assemblée nationale. De son côté, la Cour affirme l’avoir déjà fait pendant que l’incriminé était sénateur. Mais l’ancien chef du gouvernement ne l’entend pas de cette oreille et accuse la cour de lui intenter un procès politique parce qu’il aurait refusé de choisir l’Union sacrée de la nation, plateforme politique de la majorité au pouvoir. Actuellement député et président du parti d’opposition Leadership et gouvernance pour le développement (LGD), Matata Ponyo est porté disparu depuis ce verdict rendu par la Cour constitutionnelle. D’après Laurent Onyemba, son avocat, par sa « décision inique » de condamnation de Matata, la « Cour a démontré que c’est une affaire politique ».

Dans l’histoire de la justice congolaise, d’autres personnalités politiques ont eu à crier au « procès politique » à tort ou à raison. C’est le cas de l’ancien ministre des Mines, Eugène Diomi Ndongala arrêté en 2013 après une période de clandestinité. Devenu opposant à Joseph Kabila, il avait été condamné le 26 mars 2014 par la Cour suprême de justice à 10 ans de servitude pénale principale pour viol avec violence, exposition d’enfants à la pornographie, détention d’enfants et tentative de viol d’enfants. Lors de sa libération conditionnelle en 2019, le ministre de la Justice avait interdit à l’intéressé de pénétrer dans un rayon de 500 mètres d’une école de filles. Il y a également le cas du procès de François Beya, conseiller spécial en matière de sécurité du président Félix Tshisekedi. Accusé de complot contre la sûreté de l’État, son procès avait été critiqué pour son opacité et son caractère politique. L’affaire était perçue comme un règlement de compte interne au sein du pouvoir.

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Députés provinciaux en RDC : entre impuissance et conflits institutionnels

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Ils sont élus pour représenter leurs provinces, mais en République démocratique du Congo (RDC), les députés provinciaux se retrouvent souvent relégués à un rôle marginal, pris en étau entre les contraintes imposées par Kinshasa, les conflits avec les gouverneurs provinciaux et leurs propres pratiques parfois controversées. La décentralisation, inscrite dans la Constitution de 2006, promettait une autonomie accrue pour les provinces, mais les réalités institutionnelles, financières et politiques entravent leur capacité à agir. Selon un rapport du Congo Research Group publié en 2024, près de 70 % des édits votés par les assemblées provinciales sont bloqués ou annulés par le gouvernement central. Pendant ce temps, les citoyens, comme Roger Nzuzi, agriculteur du Kwilu, s’interrogent : « À quoi servent nos élus s’ils ne peuvent même pas décider du budget d’un hôpital ? » Heshima Magazine explore les limites institutionnelles, les blocages politiques, les comportements problématiques des acteurs provinciaux et les conséquences pour les populations locales, révélant une démocratie congolaise encore en quête d’équilibre.

La Constitution de 2006 établit un cadre ambitieux pour la décentralisation, conférant aux provinces des compétences exclusives dans des domaines comme l’éducation, les taxes locales, les infrastructures et la gestion des ressources naturelles. L’article 204 énumère ces compétences, tandis que l’article 197 définit les assemblées provinciales comme des organes délibératifs élus au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, chargés de légiférer par des édits. Cependant, cette autonomie est limitée par l’article 205, qui stipule que dans les domaines de compétence partagée, les lois nationales priment sur les édits provinciaux en cas d’incompatibilité. « Le système actuel réduit les assemblées provinciales à des chambres d’enregistrement », explique Miché Kanimbu, politologue à l’Université de Lubumbashi. Cette prééminence du pouvoir central freine les initiatives locales, rendant les députés provinciaux dépendants des décisions de Kinshasa.

Un exemple frappant est la difficulté des assemblées à faire appliquer leurs édits. Selon un rapport de l’Institut d’Études de Sécurité, entre 2007 et 2013, seulement 6 à 7 % des revenus nationaux ont été transférés aux provinces, loin des 40 % prescrits par la Constitution. Cette rétention financière limite la capacité des assemblées à financer des projets, les obligeant à quémander l’approbation du gouvernement central. « Nos propositions sont systématiquement bloquées par l’administration centrale », confie un ancien député provincial dans un article de Jeune Afrique publié le 15 mars 2024.

L’Étau financier de Kinshasa

Le manque de ressources financières est un obstacle majeur. L’article 175 de la Constitution stipule que 40 % des recettes nationales doivent être retenues à la source par les provinces, mais cette disposition est rarement respectée. Un rapport de la Banque mondiale publié en 2023 indique que seulement 12 % des budgets provinciaux sont exécutés sans l’aval de Kinshasa. Cette centralisation financière paralyse les provinces, qui peinent à payer les salaires des fonctionnaires ou à financer des projets d’infrastructures. Par exemple, dans le Nord-Kivu, un article de Global Press Journal rapporte qu’en 2016, 6 millions de dollars alloués à la construction de routes n’ont jamais été décaissés en raison de « problèmes financiers » au niveau provincial.

Les retards dans le paiement des émoluments des députés provinciaux aggravent leur marginalisation. En septembre 2023, des députés provinciaux ont organisé un sit-in devant la primature à Kinshasa pour protester contre quatre mois d’arriérés de salaire. « Nous passons des mois sans salaire, ce qui nous empêche de travailler efficacement », témoigne un député provincial du Haut-Katanga. Ces retards, souvent dus à des lenteurs bureaucratiques ou à des détournements présumés, sapent la légitimité des élus aux yeux des citoyens. Un rapport de la Cour des Comptes de 2021 souligne des dépassements budgétaires massifs au niveau national, suggérant des problèmes similaires dans les provinces, où les budgets d’investissement sont souvent sous-exécutés au profit des dépenses courantes comme les salaires.

Conflits entre gouverneurs et Assemblées provinciales

Les relations entre les gouverneurs et les Assemblées provinciales sont marquées par des tensions fréquentes, souvent exacerbées par des motions de censure ou de défiance. Selon un rapport du Sénat adopté en juin 2021, 15 gouverneurs ont été destitués par les assemblées provinciales en une seule année, illustrant une instabilité chronique. Les assemblées justifient ces destitutions par des accusations de mauvaise gestion ou de corruption. Par exemple, en 2017, l’Assemblée provinciale du Haut-Katanga a destitué le gouverneur Jean-Claude Kazembe pour des « irrégularités dans la gestion des fonds publics et des marchés publics ». De même, en 2021, Zoé Kabila, gouverneur du Tanganyika, a été destitué pour « mauvaise gestion » et « manque de respect » envers l’assemblée provinciale.

Cependant, ces destitutions sont souvent controversées. Certains observateurs, comme ceux cités dans un article du site belge La Libre, suggèrent que les motions de censure sont parfois utilisées comme des outils de chantage ou de règlement de comptes politiques. « Les députés provinciaux, toujours en quête d’argent et dépendants financièrement du gouverneur, peuvent être tentés de monnayer leurs votes », explique Élodie Ndiya, experte en gouvernance à l’Université de Kinshasa. Un article de Forum des As va plus loin, décrivant les assemblées comme des « espaces de guerre » où les députés passent leur temps à initier des motions de défiance pour des raisons opportunistes, parfois après avoir été « achetés » par des acteurs extérieurs.

Les gouverneurs, de leur côté, se plaignent de cette instabilité. Lors de la huitième conférence des gouverneurs en décembre 2021, ils ont recommandé un moratoire de deux ans sur les motions de censure pour garantir la stabilité de la gouvernance provinciale. Cette proposition reflète leur frustration face à la menace constante de destitution, qui entrave leur capacité à mettre en œuvre des politiques à long terme. « Les assemblées provinciales devraient contrôler les gouverneurs, pas les déstabiliser pour des gains personnels », déclare un gouverneur sous couvert d’anonymat.

Interventions du gouvernement central

Face à ces conflits, le ministre de l’Intérieur intervient parfois pour suspendre les activités des assemblées provinciales, une mesure qui soulève des questions sur l’autonomie provinciale. En octobre 2023, l’ancien vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, Peter Kazadi, a suspendu toutes les activités de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, y compris les tentatives de convocation de plénières, en raison de tensions internes entre le Bureau et les députés. De même, en 2012, Adolphe Lumanu, alors ministre de l’Intérieur, a suspendu les plénières de l’assemblée du Nord-Kivu après que certains députés ont quitté leurs partis politiques, une décision qualifiée d’« assassinat de la démocratie » par le rapporteur de l’assemblée de l’époque. Ces interventions, bien que parfois justifiées par la nécessité de rétablir l’ordre, sont critiquées pour leur impact sur la décentralisation. « Le gouvernement central utilise ces suspensions pour maintenir son contrôle sur les provinces », analyse Dr. Kabeya.

Dans les provinces de Nord-Kivu et Ituri, l’état de siège décrété en mai 2021 a suspendu les assemblées provinciales, transférant leurs prérogatives à des autorités militaires. Prolongé à plusieurs reprises, cet état d’exception illustre comment le gouvernement central peut neutraliser les institutions provinciales sous prétexte de sécurité. « Nous sommes élus, mais sans pouvoir réel sous l’état de siège », déplore Aline Furaha, étudiante en Droit.

Une faible participation électorale

La frustration des citoyens se reflète dans les taux de participation aux élections provinciales. Selon l’International Foundation for Electoral Systems, les élections provinciales de 2023 ont vu une participation d’environ 40 millions d’électeurs inscrits, mais les irrégularités et la désillusion ont conduit à une abstention significative, notamment dans les provinces en conflit comme le Nord-Kivu. « Nous votons pour des députés qui ne peuvent impulser la construction même d’une école. À quoi bon ? » s’interroge Julienne Mbuyi, commerçante à Mbuji-Mayi. Cette désaffection menace la légitimité des institutions provinciales et renforce la centralisation du pouvoir.

Des lois provinciales sous contrôle central

Les assemblées provinciales ont le pouvoir de légiférer par des édits dans leurs domaines de compétence, mais ces initiatives sont souvent bloquées ou annulées par le gouvernement central. Le Congo Research Group estime que 70 % des édits provinciaux sont contestés ou invalidés par Kinshasa, souvent pour des raisons de conformité avec les lois nationales. Par exemple, dans le Haut-Katanga, un édit visant à réguler les taxes minières a été suspendu par le ministère des Mines en 2022, arguant d’une incompatibilité avec la législation nationale. Cette situation limite la capacité des provinces à répondre aux besoins locaux et renforce leur dépendance envers Kinshasa.

Conséquences pour les populations locales

L’impuissance des députés provinciaux et les conflits avec les gouverneurs ont un impact direct sur les citoyens. Dans le Kasaï, par exemple, les écoles et les hôpitaux manquent de financement, car les budgets d’investissement sont souvent sous-exécutés. Un rapport du Fnds monétaire international (FMI) de 2024 note que seulement 13 % des investissements prévus dans l’éducation ont été réalisés en 2022, contre 111 % des dépenses courantes, principalement des salaires. Cette priorisation des dépenses courantes au détriment des investissements limite le développement local et alimente la méfiance des citoyens envers leurs élus.

Dans le Nord-Kivu, la suspension de l’assemblée provinciale sous l’état de siège a exacerbé l’insécurité, les habitants se sentant abandonnés face aux groupes armés. « Nos élus sont invisibles, et Kinshasa décide de tout », témoigne Pierre Kahindo, habitant de Masisi. Cette situation renforce les tensions sociales et le sentiment d’exclusion dans les provinces éloignées de la capitale.

Un avenir incertain pour la décentralisation

L’impuissance des députés provinciaux, les conflits avec les gouverneurs et les interventions du gouvernement central soulèvent une question cruciale : la décentralisation en RDC peut-elle devenir une réalité ? Les obstacles institutionnels, financiers et politiques suggèrent que sans réformes majeures, les assemblées provinciales resteront des institutions marginalisées. La proposition de révision constitutionnelle annoncée par le président Tshisekedi en octobre 2024 pourrait offrir une opportunité de renforcer l’autonomie provinciale, mais elle suscite aussi des craintes de recentralisation. « Si la révision renforce Kinshasa au détriment des provinces, la décentralisation ne sera qu’un slogan », prévient Dr. Ndaya, médecin à Kinshasa.

Pour les citoyens congolais, l’enjeu est clair : sans une décentralisation effective, les provinces resteront sous la tutelle de Kinshasa, les gouverneurs seront fragilisés par des destitutions fréquentes, et les députés provinciaux, tiraillés entre impuissance et pratiques controversées, peineront à représenter leurs électeurs. La question demeure : la RDC parviendra-t-elle à libérer ses provinces des chaînes d’un système dysfonctionnel, ou la décentralisation restera-t-elle une promesse non tenue pour des millions de Congolais ?

Heshima Magazine

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